jeudi 20 février 2020

Pollock de Ed Harris. Jean Serroy.

Le film de deux heures sorti en 2003 a été utilement complété par Jean Serroy qui a animé le cycle concernant les peintres au cinéma devant les amis du musée de Grenoble avant de nous annoncer déjà un programme alléchant pour l’an prochain.
Le rappel de la biographie du réalisateur Ed Harris, dont la ressemblance avec le peintre n’est pas que physique, souligne son implication dans un projet mené sur dix ans. L’acteur a réalisé le western « Appaloosa» et joué dans 80 films et une quinzaine de séries.  
Bien des aspects de la vie des deux créateurs entraient en écho, leur timidité ou l’importance de Lee Krasner la femme du peintre pour sa carrière à l’instar d’Amy Marie Madigan la femme du cinéaste qui interprète le rôle de Peggy Guggenheim.
Depuis l’image initiale où une admiratrice fait signer à la star de l’abstraction lyrique un article de Life en 1949 (tiré à 5 millions d’exemplaires) : « Pollock est-il le plus grand peintre vivant ? », le plan suivant ramènera les spectateurs une petite dizaine d’années en arrière pendant laquelle il se révèlera. 
Son passage du Wyoming natal (1912) à New York  et sa formation chez Thomas Hart Benton («  La tempête de grêle ») à la suite de ses frères sont rapidement évoqués. La famille est présente, et sitôt  passées les images de la notoriété, un flash back montre les deux frères ivres préoccupés de musique et Jackson insultant Picasso, le maître de tous, qui a tellement inventé qu’il devenait difficile d’inventer autre chose.
A son tour, il a  « dégelé la peinture » selon les mots de son ami et rival Willem de Kooning (« Two Women in the Country »).
L’homme au caractère tourmenté, à la vie mouvementée, était suivi par un analyste disciple de Jung, le révélateur de l’inconscient collectif. J. Pollock a effectivement exprimé son époque, influencé par la peinture mexicaine et la technique des amérindiens Navajos lorsqu’ils dessinent par terre.
Mis en abyme, le tournage d’un film par Hans Namuth est un moment important. Cette œuvre a pris sa part dans  la définition de l’ « action painting » où le fait de peindre est plus signifiant que le tableau lui-même. 
Le film de Clouzot, « Le mystère Picasso » viendra 5 ans après.
Le problème de l’alcool traverse la brève vie du personnage auto destructeur mort au volant en 1956 comme James Dean en 1955. Ce thème est développé comme celui de l’apport tellement décisif de sa femme Lee Krasner. Elle le demande en mariage au moment où il est au plus bas, croit en lui, l’incite à peindre, 
et l’introduit dans le milieu de l’art où règne Peggy Guggenheim. Elle va reprendre le fil sa carrière après la disparition de son mari qui avait entrainé dans sa mort une amie de sa maîtresse d’alors.
Le critique Clement Greenberg, bien qu’il se soit montré sans concession, valorisa très tôt l’énergie, l’originalité, la fluidité de Pollock se distinguant des cubistes et autres surréalistes. « Là je vis des tableaux abstraits qui étaient picturaux ».
Avant de peindre « Mural » commandé par Peggy Guggenheim, il a passé des mois devant la toile blanche de 6 mètres de long : « Une cavalcade de tous les animaux de l’ouest Américain, vaches et chevaux, antilopes et bisons. Tous chargent sur cette sacrée surface. » Il dut casser les murs pour s’attaquer à un tel format.
Par la suite, il fera éclater les cadres : de la peinture industrielle s’écoule sur des toiles au sol, « dripping », les pinceaux ne touchant pas le motif. Réparties également, « all over », les couleurs versées depuis le pot même, « pouring » sur la toile déroulée, débordent.
En ces années de guerre, les poètes, peintres, musiciens, critiques, professeurs juifs qui ont fui l’Europe ont influencé un terreau artistique déjà fertile : New York succède à Paris comme capitale des arts. Cette culture va au delà de la peinture et l’industrie cinématographique va essaimer dans le monde entier au son du jazz.
L’épicier à qui il a laissé une de ses toiles pour une dette d’une cinquantaine de dollars a fait une affaire. « Number 19 »  a atteint la somme de 58,4 millions de dollars.
« Un critique a écrit que mes tableaux n'avaient ni  commencement ni fin. Il ne l'entendait pas comme un compliment, or c'en était un. C'était même un beau compliment. Seulement il ne le savait pas. »

1 commentaire:

  1. J'aime beaucoup le tableau de Benton plus haut.
    Quand j'y pense, je trouve que le mot "industrie" fait des ravages dans les têtes, quand il parvient à s'imposer pour fabriquer un produit.
    L'idée que l'art serait une fabrication de produits (culturels ou pas) me répugne profondément, et je crois, comme je le répète, certes, que bon nombre d'artistes se sont fait bouffer leur âme en croyant faire de la création, alors qu'ils étaient des fabricants de produits industriels.
    On ne fait pas ce qu'on veut, même quand on est "artiste créateur".
    Et ce qui en sort porte bien la... marque de l'industrie dans nos têtes.

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