vendredi 1 novembre 2019

Vieux monde.

Oui c’était la fin d’un monde à l’enterrement de Jacques Chirac. Et au-delà des vieux dirigeants qui se sont inclinés à ce moment là, l’image un peu rigolarde qu’il renvoyait aux citoyens s’est effacée le temps d’un week-end. La connivence des filous et même de ceux qui lui étaient opposés, complices dans une façon urbaine de faire de la politique s’est perdue dans la confusion des années révolues.
Mais combien de fois le vieux monde est-il mort depuis qu’on le voyait derrière nous et qu’on courait : «  Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi ! » vociférait-on dans les années « 1900 longtemps » comme les appelle Manu Dibango.
Quelques lambeaux demeurent, d’autres sont oubliés, d’autres subsistent. Ce que j’ai retenu d’un Braudel, vu de loin, c’est que l’histoire chemine à différentes vitesses. Pris par les excitations de l’heure, nous ne voyons plus grand-chose,  mais quand certains reniflent un air des années 30 en 19, je prends peur.
Entre ceux de ma génération qui ont renoncé à acquérir une trottinette mais qui avaient lu les conclusions du Club de Rome(1972) et Greta Thunberg (16 ans), combien de traders, de prophètes, de désabusés, de sévèrement burnoutés ?
« Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis ! »
Victor Hugo
De savoir que les abords des « fortifs » n’ont jamais été des lieux « apaisés » n’atténue pas mes effarements présents.
Les violences à Barcelone, Kaboul, Santiago…Paris, au quartier Mistral se diffractent, se renforcent, se légitiment, s’excitent, se la jouent. Trump et les gilets jaunes sont les produits phares de 2019.
Transgressifs, agressifs,  dans la toute puissance, ils se permettent tout.
Pour ce qui est de l’espace syndical que j’ai fréquenté, le fait de ne plus déposer de préavis de grève ou en établir un courant sur trois mois, ne plus déclarer de parcours de manif, se masquer, ne plus avouer son nom, a hystérisé le climat social. L’horizontalité revendiquée en arrive à une verticalité autoritaire de fait où la liberté prend des coups sévères au nom de la liberté.
Qu’est ce qu’un piquet de grève ?
Parole de pédago : il n’y a pas pire dictature que celle de ses pairs : c’est valable pour le travail en équipe comme pour les classes quand les petits caïds ont  pris le pouvoir.
Jadis, avec mes camarades, nous méprisions les grèves rituelles de 24 h et nous avions cherché des modes d’action inédits, ceux qui s’inventent en ce moment contraignent plus fortement les collègues, les usagers.
La fidélité, le courage n’apparaissent plus comme des qualités cardinales. Et les compromis nécessaires par exemple à une vie en couple ne semblent plus aller de soi  comme dans le champ politique. Alors  s’invitent aussi sec l’abstention et la remise en cause radicale de l’élu(e) de son cœur ou de celui que désigna un bulletin de vote.
Les épidermes sont devenus très sensibles, les enfants des enfants rois ne supportent pas la contrariété et la contradiction, que je vois comme un des moteurs - j’allais dire du progrès -  mais le mot est piégé depuis que nous avons renoncé pour beaucoup à grandir, à vieillir.
D’autre part énoncer que la critique, la discussion sont nécessaires à la démocratie, comme si ça n’allait pas de soi, marque la dégringolade dans le « vivre ensemble » devenu une expression creuse. On ne parle plus qu’en terme de lobby comme si celui des végétariens n’était pas devenu influent à l’instar de celui des pétroliers.
Pour conclure une citation dans un article de Roger Pol Droit dans Le Monde des livres sous un titre poseur «  Surtout n’évitez pas les catastrophes » :
« Tout est foutu, soyons heureux » ordonnait Clément Rosset, un philosophe, qui comble mon goût des paradoxes en invitant à affronter le mauvais temps.

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