vendredi 15 novembre 2019

S’interdire de penser.

J'avais envisagé de commencer mon article hebdomadaire à prétention politique d’une façon primesautière après la décision du conseil municipal de Grenoble d’adopter l’écriture inclusive dans ses documents officiels, bien qu’après le suicide d’un jeune homme paraissent bien vains tant de débats. Mais je le fais quand même, suivant un principe répandu désormais :  avertir « c’est pas pour m’immiscer » juste avant de défoncer (symboliquement) les portes de la maison.    
Ah les hommes bons ! Et que de femmes bonnes (bonnes femmes n’est guère plus flatteur) qui mettent des « e » partout  dans leurs écrits pour affirmer, que l’homme est l’égal de la femme !
Plutôt que de nous brouiller la lecture avec des points inclusifs, les mêmes, auraient pu se montrer plus hésitants, mettre un peu de « heu », faire preuve de vigilance, par exemple autour du mot « laïcité ».
A force de mettre sous le tapis - à prière -  les problèmes posés par l’islamisme qui tue à la préfecture de police de Paris comme au Mali, les poisons de la division s’instillent dans les tissus les plus imperméables de la société. 
La nation française, longtemps éloignée de la notion de « communauté », est travaillée depuis un moment par des modèles, venus des campus américains qui  collent des assignations religieuses, de genre, de race par dessus les écarts sociaux, les différences géographiques, les divergences politiques, les nuances culturelles.
Le terme « citoyen » a été usé, les individus réduits à l’état de clients. La FCPE après l’UNEF jadis  des môles contre le pouvoir des religieux sont devenus des mous en mettant le voile en couverture de leurs tracts, car la laïcité serait « une survivance coloniale » et les Lumières du XVIII°  seraient bien trop blanches. Il n’y a pas que Zemmour qui racise !
« Si le mal, à sa manière, existe, Dieu en est la première victime. » Maurice Zundel.
La vieille expression qui met des pailles dans l’œil du voisin alors qu’une poutre est fichée dans le nôtre est toujours valable : la peur n’est pas que pour les autres et  les mômes ne sont plus seuls à être abrutis par les écrans. Nous décrochons dans nos relations.
Au-delà d’une affaire d’effectifs, peut-on pointer un problème quand une aide dans un EHPAD regarde son téléphone plutôt que la mémé qui lui est confiée? Et c’est ainsi que le patient devient un numéro, le délinquant une statistique, le malade un symptôme, le client une vache à lait, la vache un code barre et l’état, dont on ne veut pas, un recours à tous nos abandons de responsabilité.
Pourtant dans notre pays si beau, des vieilles arrivent à être bien soignées, des mômes dorlotés, des poteries bien tournées, des spectacles réussis.
Mais il faut s’accrocher : après la semaine des professeurs des écoles qui se suicident, ce fut celle des agriculteurs. « Agribashing » passera de mode après que « Pas de vague » ne dise plus rien à personne, laissant sous les préaux et dans les prés, des désarmés.es.
Il est même étonnant, que les « pagus  avinés» n’utilisent pas le fusil-toujours-accroché-à-côté-du-calendrier-des-postes contre leurs agresseurs. Ils pourraient jouer de la confusion animal/homme qui anime ceux qui militent pour le bien-être animal plutôt que pour le bien-être des travailleurs de la terre. Qu'ils mettent une cagoule et la bienveillance viendra à eux.
Un étudiant qui s’immole à Lyon, rendant jusqu’à l’UE responsable de son geste, nous contraint à ne pas penser. Mais violence contre violence faut-il en appeler à l’image d’une Africaine portant sur sa tête des litres d’une eau douteuse pour relativiser des conditions jugées indignes ?
A l’heure des brouillages, des collages intempestifs, des bombages et des déchirages de livres (celui de Hollande dans le cadre de l’Université), de l’anti parlementarisme qui s’incruste, pépé prend peur, encore !
Alors pour se cacher dignement et éviter de s’appesantir, piocher dans la malle des citations un proverbe bambara:
« L’enfant aime la liberté, il en est la première victime. »
.......

 Dans le "Courrier international" de cette semaine ce dessin de Vasco Gargalo, Portugal

2 commentaires:

  1. A force d'essayer de regarder le monde, Guy, et dans les détails, il y a une chose qui me frappe :
    Si tu prends le paradigme des personnes dans la grammaire (et donc, dans la langue) tu vois ceci, et je vais le dérouler :
    je
    tu
    il/elle
    nous
    vous
    ils/elles

    On est au B.A.BA, là, n'est-ce pas ?
    Mais nous apprenons à parler, et à tout moment, nous devons mettre du monde derrière les paradigmes.
    Alors.. prenons le "nous", par exemple...
    QU'EST-CE QU'ON MET DERRIERE LE "NOUS" ?
    Vois-tu, c'est une question de sens.. commun ?
    C'est une question politique, une question de ce qui fait communauté, et ce qui nous rassemble, nous MET ENSEMBLE autour de quelque chose.
    Fut un temps où il était possible en France de se mettre ensemble derrière la patrie, par exemple. On pouvait dire "nous, les Français". (Et je crois qu'il y a encore des personnes qui disent ça, et n'ont pas honte de le dire.)
    Mais parmi les élites intellectuelles (dont nous faisons partie dans la mesure où nous avons été formés pour cela, et ceci, même, sans que nous ayons conscience de ce projet de nos parents/ancêtres..), il n'est pas admis de faire "nous" autour de la patrie (et en plus, regarde le mot "patrie", et dis-moi ce que tu vois dedans.. tu as des yeux pour voir, et tu ne t'interdis pas de penser, je crois).
    Curieusement, ce phénomène.. anti-patriotique est exacerbé en France, et il sévit plus fort ici qu'ailleurs, je crois.
    Il y aurait des questions à poser sur pourquoi, n'est-ce pas ?
    En tout cas, pour faire "nous", il faut pouvoir penser.. "toi ET moi". Il faut pouvoir.. conjuguer, en sachant qu'il y a le mot "joug" dans "conjuguer", et que l'invocation.. écervelée de la "liberté" à tout va ne tolère aucun joug.

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  2. Les français ne s’aiment pas tout en voyant d’un mauvais œil ceux qui viennent en France.
    Encore des passions tristes !
    Quant au « nous » : hou lala ?!
    Le mot ouvre cependant des pistes, quitte à s’y retrouver assez seul.

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