dimanche 24 mars 2019

Bérénice. Jean Racine. Isabelle Lafon.

A accoler ci dessus un nom prestigieux et un autre qui l’est moins, me revient un dessin de Sempé qui montrait une accumulation de livres d’inconnus sous des jaquettes mentionnant des écrivains prestigieux, ou dans un autre genre la souris qui court à côté de l’éléphant :
« T’as vu la poussière qu’on fait ! ». 
Cette soirée au théâtre s’annonçait sans certitude puisqu’à vrai dire Racine m’avait dépassé du temps où je préférais San Antonio, d’autant plus que je me remettais en mémoire des avis contrastés sur les mises en scène d’Isabelle Lafon.
Mais à l’heure où même France Culture maltraite parfois la langue, une heure chez l’élève de Port Royal ne peut pas faire de mal.
Pour ne rien arranger nous sommes arrivés une fois que la représentation était commencée, alors que les avis sur la pièce de deux personnes qui m’importent n’offraient pas d’à priori favorable, l’une étant sortie accablée, l’autre sceptique.
Entrer dans la langue du XVII° siècle, la plus pure dit-on, après s’être impatienté dans les embouteillages n’est pas évident ; les dilemmes de Bérénice peuvent-ils nous distraire de la Ligue du LOL ?
Et là à l’écart de la table où s’essayent les dialogues, une comédienne longtemps silencieuse, mais attentive à ce qui se passait sur le plateau sans coulisses m’a permis de me concentrer sur l’objet de sa vigilance. Il se trouve qu’il s’agissait de la metteure en scène, et cette entrée par elle permise a été efficace en ce qui me concerne.
Du temps de ces époques antiques revues par les classiques, la politique prenait le pas sur les passions amoureuses. Heureusement que j’avais relu le pitch :
« Titus empereur doit renoncer à épouser une reine étrangère qu’il aime, mais il ne peut le lui dire. Et il demande à son ami Antiochus de le faire à sa place alors que ce dernier, également épris de Bérénice, lui, a fait sa déclaration »
Mais faire jouer Titus par une femme et Bérénice par deux femmes a rendu un peu plus difficile la compréhension d’une pièce réduite non pas à sa plus simple expression, mais brouillée par une recherche accumulant les pistes et les énigmes. Il y a peu d’action, et les monologues peuvent se prêter à des tâtonnements théâtreux pour renouveler le « comment dire ».   
Que la table soit centrale pour poser la question de la représentation au moment où Juppé fait part de sa lassitude de la politique, est légitime, et je ne rejoins pas ma contributrice habituelle qui regrette que les actrices ne remplissent pas les costumes des hautes figures du répertoire. J’ai trouvées celles-ci parfois excellentes et parfois grotesques comme lors d’une cavalcade ou lorsqu’elles insistent sur les lettres muettes à la limite de la caricature. Pour ce qui est de la pureté de la langue qui sauvait la pièce pour mon autre comparse, les mots m’ont paru bien désuets pas seulement lorsqu’il est question d’« hymens » :    
« Adieu, servons tous trois d'exemples à l'univers
De l'amour la plus tendre, et la plus malheureuse,
Dont il puisse garder l'histoire douloureuse. »
«  Hélas ! »
La grandeur n’est plus de saison, même après s’être défait de ses écharpes et gilets.
On disait alors « noblesse » ; fusse-t-elle celle des sentiments, elle a été abolie.


2 commentaires:

  1. Et ben, je reste une révoltée. Je refuse de me laisser rapetisser par notre inconséquence. Et j'invite d'autres qui ne veulent pas se laisser rapetisser non plus à la révolte. En sachant que, bien entendu, s'ils essaient de résister à ce rouleau compresseur, ils se feront traiter de pêteurs-plus-haut-que leur cul, de pédants, de... professeurs sans classe, narcissiques, égoïstes, tous les insultes sont bons, là pour disqualifier.
    "Hymen", ça veut dire mariage, à ce qu'il me semble, dans ce contexte.
    Ce n'est pas cette réduction à une membrane matérielle qui nous fait ricaner (en Occident, en tout cas...).
    Pour sûr nous ricanons sur le mariage en ce moment.
    Et cela ne nous élève pas, loin de là.
    C'est drôle, mais dans la mise en scène je n'ai pas vu la dimension politique du tout. J'ai vu la réduction de la scène à la sphère privée, avec impossibilité de représenter la sphère politique où se meut... Titus, essentiellement, qui sait que son devoir d'assumer le pouvoir l'oblige à renoncer à son amour.
    Dans "Les Roses de la Solitude", Jacqueline de Romilly consacre un chapitre à "Bérénice", les enjeux du théâtre classique, l'esthétique, et pourquoi notre modernité s'acharne à rapetisser le théâtre classique afin de le rendre.. compréhensible, et "accessible" pour la jeunesse, par bienveillance, dans le temps, mais maintenant par manque d'envergure, lâcheté, et absence de conviction générationnelle. Comme j'ai déjà du le dire beaucoup de fois ici, Jean Vilars s'est montré terrassé par ce parti pris à Avignon en '68, et je tremble à l'idée de ce qu'il ressentirait s'il était encore parmi nous.

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  2. Merci pour ton commentaire vigoureux qui relève mon article molasson.

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