Livre essentiel, que j’ai mis plus d’un mois à lire, tant je
redoutais sa force.
Ora, une mère juive, part loin de chez elle pour échapper à
l’annonce d’une nouvelle fatale qui pourrait concerner son fils Ofer engagé
dans une opération militaire.
Il faut bien 780 pages pour suivre à la trace cette femme et
le vrai père du jeune soldat, dans de magnifiques paysages.
Même si : «
C’est grandiose ici ! s’extasie Ora, d’une voix embarrassée, comme si elle
contemplait un paysage destiné à quelqu’un d’autre. »
Les mots sont là pour repousser la mort, et chacun d’eux est
choisi :
« Il y a aussi
une coupe de taboulé concocté à sa façon, pour lequel Ofer se ferait tuer- ou
plutôt qu’il aime à la folie, se reprend-elle sur- le-champ, pour sa
gouverne. »
En coupant toute communication avec le monde, elle se
rapproche de son fils, et d’elle-même, après une vie tumultueuse où se croisent
la folie, la violence, la culpabilité, l’amour, les amours. Elle n’a pas vécu
avec celui qui la suit dans sa marche, homme dévasté qui semble se reconstruire
peu à peu auprès de cette femme à la fois fine et fragile. Un autre homme,
Illan, a élevé avec elle deux enfants, ils viennent de se séparer.
Dans cette histoire élémentaire aux dimensions à la fois
mythologiques et très incarnées, même dans des coins de nulle part, le conflit
avec la Palestine
traverse douloureusement l’intimité de chacun.
Il n’est pas question que de fusion mère/enfant, de la
liberté de l’amante, de la complexité de l’éducation, de la vigueur des femmes,
mais aussi du temps qui a passé :
« On prend congé
de soi-même avant les autres comme pour atténuer le coup fatal »
Même les chemins parlent hébreu, ils nous parlent :
« Le rrrsh-rrrsh
des semelles raclant la terre » […] Il s’emballe à l’idée des mots
jaillissants de la poussière, rampant hors des crevasses de ce terreau aride et
raviné, projetés dans les airs par la fureur du hamsin, parmi les chardons les
ronces et les épines comme des nuées, des criquets ou des sauterelles. »
Alors que l’auteur, militant de la paix, pensait « que les pages qu’il rédigeait le
protégeraient », un de ses fils a été tué pendant la guerre au Liban
en 2006, avant la fin de la rédaction de cet ouvrage inoubliable qui nous
emmène bien au-delà d’un pays si petit, tout en rendant compte intensément de
son drame permanent, où à chaque pas les randonneurs croisent des plaques
commémorant les morts pour défendre quelques arpents de terre.
Rien que le titre ouvre vers l’universel et nos terreurs
privées.
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