jeudi 5 mai 2022

Raphaël. Fabrice Conan.

Pour un retour chez un maître de la Renaissance dont une conférence prévue en 2020 devait commémorer le 500° anniversaire de sa mort, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble en 2022 précède l’exposition devant se tenir à Londres à la National Galery cet été. 
Une citation de Vasari peut  accompagner le doux « autoportrait » du « Dieu de l’art »: 
« Le ciel donne parfois une preuve de sa généreuse bienveillance en accumulant sur une seule personne l’infinie richesse de ses trésors, l’ensemble des grâces et des dons les plus rares normalement répartis sur une longue durée entre beaucoup d’individus. »
L'initiateur de l’histoire de l’art figure sur la gauche du tableau, les « Honneurs rendus à Raphaël après sa mort » de Pierre-Nolasque Bergeret, au XIX° siècle, où le pape Léon X répand des fleurs et Léonard De Vinci vient rendre hommage au jeune défunt de 37 ans.
Au fil des cités qui l’avaient formé, son style a progressé : à ses débuts à Urbino, les traits gracieux de « Saint Sébastien » doivent au Pérugin son maître.
A Pérouse pour le « Retable Oddi »
plus ostentatoire, 
Il travaille les expressions remarquables des personnages.
« Les trois grâces »
ont le goût de l’antique à Florence
foyer humaniste, plus aristocratique que bourgeois.
Rome
où les papes mécènes élargissent tous les possibles,  
« La madone de Lorette » est charpentée.
Le « Mariage de la Vierge » donne la primauté au dessin, à l’architecture, à la géométrie. 
La baguette de Joseph est fleurie, un rival brise la sienne.
« La Vierge au chardonneret » n’est pas traversée par la mélancolie comme il est d’usage, car né dans un chardon, l’oiseau annonce la passion. 
L’affection de la mère transparait même dans un petit format.
La composition pyramidale de « La belle jardinière » participe à un bel équilibre. 
Marie est accessible.
« Sainte  Catherine d’Alexandrie »
rappellerait une « Léda et son cygne » de Léonard de Vinci,
dont La Joconde aurait inspiré «  La muette ».
La « Déposition Borghèse », tableau expiatoire, unit les contraires avec la mise en évidence de l’énergie d’un homme, celui qui a percé son flanc, parmi tant d’accablement.
« Le Songe du chevalier » : Scipion l’africain aurait à choisir entre la vertu et l’aventure, la forteresse et le fleuve. 
Dans l’œuvre immense de l’artiste reconnu par ses contemporains et considéré par la postérité comme « le peintre le plus influent de l'histoire de l'art occidental », le choix est difficile parmi
- les madones, « La Vierge de Foligno ».
 - ses portraits, de « Bindo Altoviti », le bibliothécaire du pape,
ou celui  du fragile «  Tommaso Inghirami », grand mécène de 17 ans, 
provenant d’un atelier qui a connu une cinquantaine de collaborateurs,
- ses fresques « Le Triomphe de Galatée » bien que visée par trois amours, 
en regarde un autre.
La tapisserie reproduisant « L’école d’Athènes » figure en bonne place à l’assemblée nationale.
L’histoire de Raphaël, de son vrai nom
Raffaello Sanzio (aussi nommé Raffaello Santi...), croise celle des papes  « La Délivrance de saint Pierre »
et de tant d’autres artistes. « Autoportrait avec un ami » 
Marguerita, « La Velata »
(« La Dame voilée »)
était « La Fornarina », son amante. 
« Qui possède autant de dons rares que Raphaël d’Urbino n’est pas simplement un homme, mais, si l’on peut dire, un dieu mortel. » Vasari

mercredi 4 mai 2022

Le Nord du Bas Rhin.

Une fois le rangement effectué, les poubelles descendues au garage dans lequel j’ai failli rester prisonnière et les clés restituées, nous continuons notre périple dans le bas Rhin,
vers le N.E et L’abbatiale Saint Etienne de MARMOUTIER.
La façade romane de l’église alterne grès rose et grès jaune ; elle est percée de 3 portes protégées derrière 3 arcades et des fenêtres étroites peu nombreuses.
Massive et défensive,  elle a droit à des décorations végétales finement gravées autour des ouvertures et sur des chapiteaux cubiques, de style carolingien.
Des animaux en bas- relief apparaissent  de-ci de-là mais sans vraiment casser l’impression d’austérité du haut mur lisse. A l’avant et de chaque côté de l’édifice, à ras du sol, l’eau s’écoule de deux fontaines carrées le long de  rigoles légèrement en pente. 
Nous passons le seuil accueillis  par la musique. Quelle chance pour nous !
Un organiste joue sur un instrument réputé  pour sa sonorité exceptionnelle et réalisé par le célèbre facteur Silbermann.
Le musicien s’entraine sans doute pour un mariage car des demoiselles attachent des nœuds de tulle blancs et bordeaux en bordure des bancs.
Nous déambulons,  remarquons des chapiteaux comme ceux de l’extérieur, nous observons les jolies stalles en bois dans le chœur, sous l’œil de Dieu, et 4 sièges plus chargés surmontés de palmiers.
Les vitraux blancs filtrent à peine la lumière  et autorisent une clarté douce et naturelle à l’intérieur.
Outre son orgue, l’église renferme une autre richesse, d’ordre archéologique celle-ci.
Il s’agit de la crypte devenue musée lapidaire.
Vestige de l’ancien lieu de culte en ruine dont elle conserve les fondations, elle protège et expose des sarcophages, des tombes, un chapelet, des restes datés de l’an 800 pour les plus vieux.
De retour en surface, nous explorons Marmoutier assez désert. Notre petit tour nous amène devant le musée de la tradition et du judaïsme alsaciens, ouvert uniquement le mercredi vendredi et dimanche, pas de visite donc aujourd’hui, samedi…
Nous préférons rouler jusqu’à SAVERNE  pour la pause repas, et nous rapprocher de notre prochaine étape. Après la traversée de la grand rue, notre choix  de restaurant se porte vite sur la maison « Katz ».
Très belle maison à colombages de style renaissance allemande, le Routard la signale surtout pour son histoire son architecture et ses éléments ornementaux.
«Appartenant à un receveur de l’évéché Henti Katz en 1605  elle devint par la suite boucherie tonnellerie  avant d’abriter un restaurant dans la grande tradition alsacienne. »
Le décor et les meubles à intérieur cultivent effectivement  à fond l’esprit de la région. 
Les menus n’affichent que des plats traditionnels.
Ce sera pour nous Baeckeoffe et leweknepfles (quenelles de poulet), puis Strudel et meringue glacée avec chantilly, un petit café s’impose là-dessus ! Nous ne trainons pas à Saverne malgré un ou deux sites proposés à la visite, la maison Katz étant le plus recommandée.
Nous voulons  consacrer  toute notre après-midi au musée Lalique à WINGEN SUR MODER. Nous y accédons par des petites routes entre collines et forêts, entre Alsace et Moselle. Deux grands parkings sont prévus pour les visiteurs,  nous profitons du 2ème pour nous tous seuls. 
Le musée moderne s’intègre bien dans la nature, entouré et surmonté de jardins entretenus. 
Lorsque nous les parcourons, plusieurs panonceaux disséminés nous montrent le lien existant entre les plantes et les motifs végétaux des créations Lalique en exposant  devant les essences concernées, une photo d’une œuvre qui  les magnifie de façon stylisée.
Comment mieux démontrer les sources d’inspiration de l’art nouveau ?
La muséographie choisie à l’intérieur privilégie le sombre, notamment le noir  sur les murs et au sol, couleur chic  pour mettre en valeur les productions.
Des éclairages  bien  orientés  jouent, se reflètent sur le cristal et les verres transparents polis brillants ou colorés des objets variés sous vitrine.
Toutes ces pièces relèvent de l’apparat, du beau et du faste : merveilleux flacons de parfum, bijoux, bouchons de radiateur d’automobile, vases, lustres, vaisselles, présentoirs, services de verres et carafes. 
En complément, une exposition temporaire s’intéresse aux arts de la table.
Disciple des styles art nouveau, art déco ou styles plus récents, Lalique s’est adapté au monde et aux courants en évolution.
La finesse, l’élégance et les inventions, les prouesses techniques le savoir- faire  pour obtenir certaines formes justifient le succès de cette entreprise de luxe française.
La manufacture de Wingen sur Moder date de 1921 elle légitime  la présence du musée dans ce village autrement banal.
Sur un mur divisé en plusieurs écrans un film projeté dévoile les différentes étapes de fabrication ponctuées de commentaires d’ouvriers artisans.
Nous sortons du musée avec devant nous plus de temps que prévu.
Alors nous nous déroutons vers le château moyenâgeux de LICHTENBERG distant de seulement 6 km.
Il se dresse, haut perché au-dessus du village.
La montée se fait à pied, par un accès aménagé  et parsemé de plaques explicatives concernant  l’histoire de la forteresse ; elles décrivent les guerres subies sur plusieurs époques mais aussi la vie des villageois.
En majorité paysans ils durent exercer un 2ème métier pour survivre et s’engagèrent dans les activités foraines. Il est trop tard pour pénétrer dans le château et découvrir les transformations apportées à la Renaissance. Mais rien ne nous empêche de longer les murailles  la contre escarpe et les douves ; nous pouvons même apercevoir le donjon  malgré des échafaudages servant aux réfections. Nous retournons à la voiture du pas tranquille du promeneur.
La dernière étape de la journée est SOULTZ SOUS FORET, où nous devons prendre nos quartiers dans un quartier assez récent près du stade. Nous bénéficions d’une chambre disposant d’un lit d’une taille encore jamais vue de 2 m de large !
Nous nous promenons dans ce gros bourg équipé de sept médecins généralistes, trois laboratoires d’analyses, une maison de retraite pour la santé, d’une église un temple et une jolie synagogue pour le culte, du petit château Geiger pour le patrimoine, mais pas de bar, du moins ouvert ! Nous nous rapprochons  d’une enceinte en plein air en train de se remplir de spectateurs venus assister à une représentation de « la traversée du temps », illustrant la guerre de 1870, les batailles de Geisberg et de Froeschwiller.  La séance débute à 21h30 à la tombée de la nuit, et au vu de notre fatigue, nous finissons plus raisonnablement chez George (rare restaurant ouvert) avec une tarte flambée traditionnelle (flammkueche) et une bière.

mardi 3 mai 2022

Mademoiselle Baudelaire. Yslaire.

La muse de l’auteur des Fleurs du mal apparaît au premier plan tout en nous rappelant le génial poète : la proposition est originale. 
Même son nom, Jeanne Duval, est incertain, c’est que le couple entre deux séparations devait échapper aux huissiers, alors peu importe l’exactitude.
Le propos et les images évoquent un dix-neuvième sombre et créatif, violent et sensuel, maladif et assoiffé, plein de souffle. 
Comme fil conducteur, une lettre imaginaire de l’amante à Madame Aupick, la mère, qui avait brulé toutes ses lettres, pose bien les enjeux de la production poétique qui tutoie l’absolu et se confronte à des conditions de vie misérables, la beauté et la fange, la passion et l’abandon… 
« J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève !
Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts ». 
Deux cents ans après la naissance du dandy maudit, ces 150 pages donnent envie de revenir à quelques mots d’alors: 
« Je te donne ces vers afin que, si mon nom
Aborde heureusement aux époques lointaines,
Et, navire poussé par un grand aquilon,
Fait travailler un soir les cervelles humaines,
Ta mémoire, pareille aux fables incertaines,
Fatigue le lecteur ainsi qu’un tympanon,
Et par un fraternel et mystique chaînon
Reste comme pendue à mes rimes hautaines »

lundi 2 mai 2022

Vedette. Claudine Bories Patrice Chagnard.

Vedette, la vache, est reine des alpages suisses depuis des années et comptabilise toutes ses annuités pour faire valoir sa retraite. Au sommet de la hiérarchie d’un petit troupeau où chacune porte un nom, elle donne son dernier veau, et finira dans l’assiette de ses propriétaires. 
Les deux sœurs qui s’en occupent chaque jour lui ont offert toute leur attention, toute leur compréhension au cours d’une existence dans des paysages sublimes. 
Alors que je m’apprêtais à nourrir mon incompréhension envers les antispécistes en voyant le ridicule de la citadine lisant Descartes à la fenêtre de l’étable, le rebondissement final permet d’aller au-delà d’un moment contemplatif au rythme des saisons parmi des êtres pas vraiment impavides.
Les combats entre femelles évoquent la violence des taureaux, sans le sang, si bien que pour mimer quelque obsession urbaine « trans » on pourrait penser que ces belles bêtes noires d’Hérens, nourries aux fleurs, transcendent leur genre.      

dimanche 1 mai 2022

Ce qu’il faut dire. Léonora Miano Stanislas Nordey.

J’avais suivi le metteur en scène Nordey avec des hauts et des bas, 
et j’avais envie de me confronter à quelques problématiques autour de l’Afrique qui ces derniers temps auraient eu tendance à me déranger quand le mot race joue à contre-pied.
Il est loin le temps où j’eus droit au maillot des « Lions indomptables » sans qu’il fut question d’appropriation culturelle, pas plus que lorsque je croisais des gosses courant pieds nus derrière une trace de ballon de chiffons sous un maillot d’Arsenal déchiqueté. 
Les monologues accompagnés de percussions mettent en valeur les actrices « Afropéennes ». Et si je dois me résoudre à ce que les plateaux de théâtre n’accueillent pas forcément des dialogues, je reconnais que ces textes donnent à réfléchir même si parfois on aurait envie de réagir quand la présence chez nous de l’extrême droite me semble relativisée ou que l’action du TPI Tribunal Pénal International est remise en cause sans un brin d’explication.  
En cette fin de campagne présidentielle, j’ai eu le sentiment que ces questions d’immigration qui tant avaient agité la sphère médiatique étaient moins présentes, alors qu’au Mali, Wagner massacre sans que la moindre pétition ne soit proposée .
«  La question blanche » en introduction est pertinente, poétique, les mots sont pesés. Sans brusquerie est posée la question «  Que signifie être soi, être à soi ? » Notre peur, nos représentations, notre culpabilité sont reconnues, examinées, secouées.
La seconde partie «  le fond des choses » est une vaste entreprise balayant des siècles quand il s’agit par exemple d’immigration non choisie pour les occupants du May Flower arrivant au pays des Amérindiens ; esclavage, colonisation, exploitation. 
Mais le devenir des nations africaines aux contours dessinés par l’Europe, dépend aussi de leurs habitants, non ?
La conclusion s’avère trop lyrique et gémissante à mon goût, « La fin des fins » introduite par « J’ai fait un rêve » appelant celui de Martin Luther King se continue « … j’ai fait un putain de rêve ». Je viens de relire ailleurs le texte du pasteur : un grand monsieur.