mercredi 31 mai 2017

Histoire de guide touristique en Amazonie.

« En voyage guidé avec un groupe de touristes, j’apprends par un amigo quichua que sur une île se célèbre un mariage mixte Huaorani / Quichua. Les Huaoranis constituent une ethnie guerrière particulièrement susceptible, sur la défensive, alors que les quichuas se caractérisent par le nombre de leurs chamanes.
Le mariage se déroule en territoire huaorani et le discours des représentants
insiste sur les qualités de la jeune fille à marier,
menace les quichuas  au cas où la demoiselle viendrait à être ensorcelée par les chamanes
et en particulier par l’oncle du marié déjà à moitié saoul et mis à l’abri par les siens car recherché par les Huaoranis.
Ceux-ci vantent le repas qu’ils offrent, fruit de leur chasse, insistant sur leur générosité.
Ils mettent en garde les invités, si mécontents de la fête ils repartent avec leurs présents comme cela se pratique dans ces cas là. »
Notre guide regarde les morceaux de viande servis, reconnaît un bras, puis dans l’assiette d’un touriste, le crâne d’un singe.
A sa question :
« quel goût a la viande de singe ?
On lui répond « le goût de la viande humaine. »
La tension monte avec l’alcool, les yeux des indiens deviennent concupiscents vis à vis des touristes femmes et ils ont quelques gestes pour les retenir.
José, notre guide, est de moins en moins à l’aise et presse ses clients qui ne s’aperçoivent de rien, à décamper, prétextant un petit tour sur l’île. Ce n’est qu’à ce moment qu’il informe son groupe de la situation en traduisant ce qui s’est passé.

mardi 30 mai 2017

L’étrange. Jérôme Ruillier.

L’étrange c’est l’étranger comme chez Prévert :
Etranges étrangers :
« Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
Hommes de pays loin
Cobayes des colonies
Doux petits musiciens
Soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
Brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
Ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
Au beau milieu des rues »
Mais la poésie a disparu, et l’humanité. Par désir d’universalité, ni lieux, ni protagonistes ne sont nommés : sous des apparences animales, les personnages aux regards vides se croisent et aucun des récits écrits au crayon d’une écriture soignée qui composent cet ouvrage ne sourit.
Le sans papier :
« Il pensait qu’il avait fait le plus dur, qu’il avait réussi.
En réalité, c’est une autre vie qui commençait, mais pas celle dont il avait rêvé. »
Les 150 pages anguleuses dessinées sèchement sur fond de craie en couleur sont éditées sous le patronage d’Amnesty International.
Le dessinateur grenoblois remercie la section Réseau Education Sans Frontières de Voiron ; nous sommes en territoire connu, sans surprise, sans enjeu : passeurs, policiers et réseaux d’aide sont là, mais si une corneille apporte un point de vue  un  peu original, le clandestin accablé de bout en bout de l’histoire reste à distance.
La référence à « Maus » de Spiegelman par quelques critiques est  pour moi gênante : le destin des juifs déportés et exterminés par les nazis  fut d’un autre ordre et l’anthropomorphisme froid de cet album est bien sommaire. 

lundi 29 mai 2017

Rodin. Jacques Doillon.

De magnifiques plans sculptent la lumière quand le maître avec sa blouse ample pétrit la glaise grise parmi ses blanches ébauches en plâtre. Le réalisateur n’hésite pas à suivre Auguste Rodin dans son atelier pour signifier que sa vie fut consacrée au travail, alors que tant d’autres composant des biopics s’appliquent à ne surtout pas montrer le peintre au chevalet, ni l’écrivain à sa table, pas plus que l’instit à ses corrections.
Le Rodin reste rarement de bois et pétrit volontiers les chairs féminines magnifiées par les caméras de l’auteur de l’an 01. Camille Claudel qu’il admirait, qu’il a aimée, qui l'a quitté avait eu les honneurs du cinéma. Ici un aperçu nous est donné de l’originalité du créateur de « la porte de l’enfer » autour de son audacieux « Balzac ».
Bien qu’il soit habité par son rôle, Lindon parle dans sa barbe et la limpidité du film en souffre. Par ailleurs Izia Higelin en Camille, m’a semblée tellement pleine de vie qu’il est difficile de pressentir la tragique conclusion de son existence. 
Sur ce blog, un article a été consacré à l’artiste dont il est beaucoup question en ce moment, puisque c’est le centenaire de sa disparition
« L'art, c'est la plus sublime mission de l'homme, puisque c'est l'exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre. »

dimanche 28 mai 2017

Cannes cinéphile 2017.

Quelques mots à propos des 27 films vus pendant dix jours à Cannes (dans la salle Alexandre III) et à la Bocca (à La Licorne & Studio 13) comme je m’y essaye chaque année http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/05/cannes-cinephile-2016.html, avant des commentaires plus développés chaque lundi sur ce blog au fur et à mesure de leur programmation sur les écrans grenoblois.
Je choisirai cette fois une présentation par sélections pour quelques histoires tournées au Congo, au Chili, en Bulgarie, dans le Dakota, en Serbie, en Espagne… ou en France quand le Forez peut sembler aussi lointain que la province chinoise du Shandong, en Italie où la virginité peut avoir autant de prix qu’à Téhéran.
De la sélection officielle je n’ai suivi la file d’attente que pour « Vers La lumière » : riche réflexion poétique à travers la liaison d’une belle audio descriptrice et d’un photographe en train de perdre la vue, de Naomi Kawase qui avait réjoui tant de spectateurs l’an dernier avec « Les délices de Tokyo ».
Les séances spéciales ont réservé une belle surprise avec « Carré 35 »: la démarche intime d’Eric Caravaca dévoilant un secret de famille, a concerné chacun par l’habileté du montage, sa bienveillance, efficace et touchante.
Par contre « Claire’s camera » avec Isabelle Huppert en touriste dans Cannes pour un film entre amis, laisse indifférent, comme le souvenir d’un amourette furtive de Claude Lanzman où la Corée du Nord n’est qu’un décor dans « Napalm ».
« The ride » qui suit de jeunes Sioux lors d’une chevauchée commémorative en direction de Wounded Knee est un documentaire intéressant.
« Un certain regard » décerne chaque année la caméra d’or. L’heure et demie consacrée à la chanteuse « Barbara » m’avait ému dans un premier temps, car rien qu’à entendre la voix de « la longue dame brune » je suis  transpercé. Et puis à confronter le film d’Amalric à tant d’autres productions bien plus inventives qui ne font pas les couv’ de Télérama, j’ai perdu mon enthousiasme initial : l’auto dérision ne fait que renforcer le nombrilisme quand le n’importe nawak l’emporte.
Par contre « Western »  qui reprend tous les codes des films mythiques à l’ouest du Rio Grande avec des ouvriers allemands en Bulgarie est passionnant et ce morceau distrayant d’anthropologie, original et chaleureux, enrichit une réflexion sur notre condition d’Européen.
La quinzaine des réalisateurs, née après 68, avait repéré une histoire d’amour entre une jeunette de 18 ans sous la surveillance d’une mère très pieuse et un jeune gardien de parking situé à proximité d’un camp de Roms, mais l’empilement des sujets à traiter perturbe la grâce de l’idylle de ces « Coeurs purs ».
« L’intruse », autre film italien, redonne confiance en accompagnant une inflexible travailleuse sociale en butte à la mafia pénétrant jusque dans l’institution qu’elle dirige.
Ce n’est encore pas avec «  Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc »  que j’accèderai à Bruno Dumont, bien qu’il y ait du Péguy au menu.  
Le sourire de Juliette Binoche est appétissant, mais le film «  Un beau soleil intérieur » que Claire Denis lui consacre m’a semblé bien vain. Il n’arrive pas au garrot de « The rider » de Chloé Zhao qui nous avait épaté avec  « Les Chansons que mes frères m'ont apprises » après immersion dans une réserve indienne. Cette fois dans l’intense milieu du rodéo, il convient de bien s’accrocher !
Deux des quatre films des « Talents en court » valaient le coup : l’un traitant de la bigamie depuis le point de vue d’une enfant et l’autre d’un casting au collège nommé « Chasse royale » à Valenciennes. Celui-ci aurait mérité des sous titres tellement la langue comme les conditions de vie de l’adolescente butée sont violemment étrangères à nos conditions festivalières. Il a empoché le prix du court métrage.
Figurant dans « La semaine de la critique », c’est à « Makala » d’Emmanuel Gras à qui j’aurai attribué la coupe en or remplie de vin de palme pour son beau conte élémentaire, essentiel, vrai, dans les pas laborieux d’un charbonnier portant sa patiente production de charbon de bois au marché de Kinshasa. Pourquoi le réalisateur de Bovines http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/04/bovines-emmanuel-gras.html  n’est pas adoubé par les sélectionneurs ?
« Gabriel et la montagne » est également fort : le périple en Afrique de l’Est d’un jeune brésilien s’est terminé tragiquement, son ami réalisateur en a reconstitué l’histoire.
Dans « Los perros » (les chiens) un ancien responsable de crimes sous Pinochet fascine une femme désœuvrée de la bourgeoisie chilienne.    
« Téhéran Tabou » réalisé par Ali Soozandehun, redessine toutes les images en rotoscopie pour dénoncer l’hypocrisie d’une société où règnent corruption, prostitution, drogue …
L’Association du Cinéma indépendant pour sa Diffusion (Acid) fréquentée assidûment, nous étonne, nous bouleverse, souvent. Un grand cru cette année.
Laurent Poitrenaux est irrésistible dans «  Le ciel étoilé au dessus de ma tête » et transmet sa géniale dinguerie lors de la confrontation avec sa famille juive voulant le remettre  dans les rails.
« Coby » : Suzanna devenue un garçon est filmé par son demi frère.
Dans « Last laugth », le dernier tour chez ses enfants d’une vieille dame promise à l’hospice est riche, pas manichéen, malgré la violence de certaines scènes.
Et la vieillesse, la solitude de « Sans adieu » dans les fermes du Forez sont bouleversantes.
La dépression d’une femme tout au long du « Requiem pour madame J. » pourra-t-elle se dissoudre grâce à l’énergie des jeunes de sa famille ?
« La Madre » est le seul film vu concourant pour Ecrans juniors, il est parfaitement adapté à ce public : un môme de 14 ans est le seul à tenir la route dans une famille espagnole perdue.
Le cinéma des antipodes propose des films qui ne sont que trop rarement distribués en France.
Si « Goldstone » et son inspecteur de police aborigène, n’est pas inoubliable, « Joe Cinque’s consolation » frappe les esprits, car écrit d’après un fait divers réel où une jeune femme avait empoisonné son amoureux suite à un repas dont les convives avaient été avertis de l’issue fatale.
« Target fascination » n’est pas moins dérangeant, en mettant en présence le coupable d’un viol et d’un assassinat et la mère de sa victime.
«  The great maiden’s blusch » rapproche deux femmes de condition différentes qui viennent d’accoucher, sans les pères, de leurs premiers enfants.
Le problème des familles mono parentales souvent traité dans les films vus cette année est universel, comme les recherches d’identités où la dimension religieuse apparaît plus volontiers que jadis. Le capharnaüm règne dans plusieurs maisons, est-ce celui d’un monde fatigué qui se cache sous des tas d’objets ?  A essayer d’apercevoir parmi tous ces films les traits saillants de l'époque, il est plus facile de compter les chevaux mis en vedettes que de caractériser les nombreux  personnages fascinés par des individus toxiques. Cependant les chansons figurent toujours aussi souvent parmi les moments de réconciliation.
« Que c'est abominable d'avoir pour ennemis
Les rires de l'enfance !
Pour qui, comment, quand et combien ?
Contre qui ? Comment et combien ?
À en perdre le goût de vivre,
Le goût de l'eau, le goût du pain
Et celui du Perlimpinpin
Dans le square des Batignolles ! »
Barbara.


lundi 15 mai 2017

L’effet aquatique. Solveig Anspach.

La personnalité affirmée d’une maîtresse femme, maître nageuse à Montreuil ne laisse pas de glace le grutier qui l’a aperçue dans toute l’expression de son caractère bien trempé. 
Il l’approche prudemment en se faisant passer pour un débutant ayant besoin de leçons de natation. 
Des séquences drôles comme celle où une femme le drague en empruntant tous les codes de la séduction attribués généralement aux hommes lourds, enrichissent un film qui nous transporte en Islande et ses eaux chaudes. 
Les rebondissements de la rencontre amoureuse sont alourdis de digressions qui font perdre du rythme à cette féministe comédie où les acteurs se régalent, et nous avec.
«  Les petits hommes peuvent accomplir de grandes choses, surtout si c’est une femme »
......................
Je reprends les publications sur ce blog  lundi 29 mai, après une parenthèse enchantée au festival de Cannes où une nouvelle saison de cinéma se prépare.

dimanche 14 mai 2017

Tribus. Nina Raine. Mélanie Leray.

Pièce d’1h 45 à propos de la surdité, qu’il serait réducteur de caractériser uniquement ainsi, tant la problématique autour de ce handicap sort des autoroutes apitoyées. Ceux qui n’entendent pas, essayent de se faire entendre par ceux qui ont des oreilles, mais qui n’écoutent pas, alors que tous ont, avec leurs intelligences tellement affûtées, les outils pour comprendre.
Le benjamin sourd à qui ne convenait pas le langage des signes et qui communiquait en lisant sur les lèvres, va se mettre à « signer », parler en langage des sourds, après avoir rencontré une jeune femme dont l’amour va le transformer, l’actrice est lumineuse.   
Pièce violente, avec des personnages touchants  parfaitement interprétés et une utilisation de la vidéo qui a dépassé l’époque de l’alibi décoratif, en apportant une dimension supplémentaire à l’exploration dynamique du sujet éternel de l’incommunicabilité et des langages.
Comédie dramatique : nous rions des vacheries que s’envoient les mâles d’une famille de peur d’entrevoir que la vérité assaisonnée d’humour à toute heure peut être destructrice.
Et nous sommes traversés d’émotion lorsqu’une jeune fille condamnée à une surdité prochaine se met au piano.
« Tribu » comme se vit cette famille repliée sur elle-même, où toute empathie semble un crime contre l’intelligence, qui souffre et jouit de ses proximités prolongées : les enfants trentenaires vivent chez papa maman, dans le bruit et la fureur.
Est évoquée aussi la communauté très hiérarchisée des sourds, d’où le pluriel du titre.
J’ai hésité à écrire « tribut » avec un « t » comme celui qui est payé de tant de renoncements, de silences, de susceptibilités, au nom de la vérité, non celle des religions, mais de celle qui crucifie ses enfants sous sa lumière verticale, jour et nuit.   

samedi 13 mai 2017

Sélection officielle. Thierry Frémaux.

J’ai pensé ne pas aller jusqu’au bout de ce pavé de 660 pages, mais quelques blagounettes m’ont retenu, à défaut d’entrer dans une réflexion approfondie sur le cinéma d’aujourd’hui qu’on aurait pu attendre de ce journal de la préparation du 69° festival de Cannes de 2016.
Rosi a qui on demande le projet qui lui tiendrait le plus à cœur a répondu :
     « Réaliser une adaptation de Richard III.
       Impossible, lui répliqua-t-on. Le film ne marchera pas.
       Pourquoi ?
       Le public américain n’ira jamais voir Richard III car il pensera avoir raté les deux premiers. »
Et l’inévitable Woody Allen qui dit à une femme qui le félicite de si bien faire l’amour :
«  Je me suis beaucoup entraîné tout seul »
J’ai goûté les séjours du lyonnais directeur de l’Institut Lumière de Lyon, délégué général du Festival de Cannes, du côté de Tullins, parce que je suis du coin, sa passion pour le football qui m’est familière et le rend moins assommant sous la cascade permanente des patrnymes de tous ceux qui travaillent pour le cinéma. Chaque chapitre ressemble à la liste des remerciements lors de la cérémonie des Césars. Mais ce cinéphile impressionnant n’est pas un écrivain. Il n’y avait pas besoin de tant de pages pour raconter par le menu ses trajets en vélo, en TGV, en avion, les grands hôtels et nommer toutes les personnes considérables qu’il rencontre, tout en restant si simple.
« J’ai le temps de rejoindre Sean Penn chez Tétou, pour un petit dîner organisé par Bryan  Lourd, le grand patron de CAA, qui est aussi son agent et ami. Sean vient d’arriver. Je suis très heureux de le revoir, je l’ai juste croisé à Paris fin avril, quand Luc Besson lui avait offert l’hospitalité - c’était le jour de la mort de Prince. Je le sens un peu fébrile, ce qui est normal. »
Ce n’est pas inintéressant de percevoir le travail en amont de la semaine en mai qui attire toutes les lumières mais ses propos concernant le cinéma sont rarement à la hauteur de la description de sa passion par exemple pour Bruce Springsteen.
Il met dans la bouche de Pierre Rissient, une personnalité du cinéma : 
« Tu sais qu’il y a de moins bon films qu’avant. Tu le sais ça ? Les gens calculent trop et à Hollywood, il y a trop d’intermédiaires, trop d’influences. Ils font des films pour les festivals ou pour les entrées. Ils ne décident plus de simplement « faire des films »… »  Et là on ne saura pas ce qu‘il en pense étant dans une position où il se doit d’être consensuel. J’ai eu la même impression en lisant ce livre que lorsqu’on va chercher des prospectus sur beau papier dans le hall des hôtels avant que ne commence le bal des aspirants à la palme, et qui finissent plus rapidement dans l’oubli que des conversations enflammées  avec nos voisins des sièges défoncés de La Boca, si loin, si proche, de la Croisette.Et c'est bientôt!