dimanche 11 janvier 2015

La vie de Galilée. Bertold Brecht. Jean François Sivadier.

Ici point de distanciation associée au nom de l’auteur qui fut culte dans les années 70, mais  une résonance tragique de chaque mot avec l’actualité. Il n’était même pas nécessaire aux acteurs de témoigner explicitement de leur solidarité avec Charlie : cette pièce est un blindage contre le malheur de l’ignorance, une réflexion tonique sur les vertus du doute qui allait de soi, il y a encore peu de temps, quand les pistolets étaient à bouchons.
Pendant 3h et demie, nous allons bien au delà du combat élémentaire entre raison et superstition, quand la science est empêchée par la religion. Cette durée devenue habituelle sur les plateaux nous repose des news en cascade et le texte bien fourni nous désintoxique des pauvres tweets, l’évocation du temps de la Renaissance nous élève au dessus des gravats du jour tout en télescopant les silences armés et les mots râgeux.
La planète des hommes et de Rome n’était plus le centre du monde : la révolution autour du soleil fut quand même admise par l’église catholique qui après quelques bûchers a révisé ses textes, alors que tant de paresseux au XXI° siècle n’ont plus qu’un seul livre en tête.
Notre vision du monde n’est plus unique, elle n’est plus au centre de l’univers mental de six milliards d’individus.
« Où est Dieu dans ton système ?
- En nous, ou bien nulle part. »
L’acteur Nicolas Bouchaud http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/03/la-loi-du-marcheur-nicolas-bouchaud.html  autour duquel gravitent sept autres acteurs jouant une bonne vingtaine de personnages pittoresques rend parfaitement compte de la complexité du personnage tellement légendaire qu’il n’a même pas prononcé le fameux «  et pourtant elle tourne ». Les conditions d'exercice du travail  de ce génie ne sont pas ignorées, avec les compromis à passer pour que s'exerce la pensée.
Il  avait fini par se renier et ce dilemme n’est pas une hypothèse théorique, hors d’âge : les dessinateurs tombés mercredi 7 janvier 2015 pour avoir persisté dans leur liberté ne sont certes pas seuls ces jours, ils sont morts, mais leur journal était en difficulté, leur courage ignoré.
« Les hommes m’ont fait toujours constater qu’ils ne sont pas accessibles à la raison.
Montre-leur la queue rouge d’une comète, donne-leur une sourde angoisse : ils sauteront par
la fenêtre et se fracasseront les jambes. Mais dis- leur quelque chose de raisonnable, fournis-
leur trente-six preuves, et ils te riront au nez. »
Le metteur en scène http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/04/noli-me-tangere-jean-francois-sivadier.html , comme son héros qui désirait parler la langue du peuple nous livre une pièce  accessible, drôle, qui donne à réfléchir :
« Ma famille, ce sont des paysans malheureux mais c’est un malheur organisé » dit un moine.

samedi 10 janvier 2015

Je veux être futile à La France. François Morel.

270 pages de chroniques de France Inter, celles du vendredi à 9h moins cinq, avec une non lue à l’antenne parue dans l’Huma : « comment vivre dans un pays où l’on a chargé un malfaiteur d’avoir le droit de vous contrôler fiscalement ? » qui ne se consacre pas seulement à contrer le dérisoire « Tous-pourris fait le jeu de l’extrême droite » mais raconte aussi l’histoire de deux cabossés de la vie qui ont retrouvé l’Ipad oublié d’une journaliste et l’ont restitué sans rien demander.
Il est comme ça : mêlant colère et tendresse, préoccupations générales et petits plaisirs, mettant souvent en lumière les gens de peu qu’il n’a pas oubliés.
Je le comprends même quand il salue en anglais le maire de Londres Boris Johson, c’est que mon sens critique a tendance à se ratatiner quand je l’écoute : je suis désespérément toujours d’accord avec lui, sauf peut être concernant ses moqueries à l’égard de Mireille Mathieu, un peu convenues.
En rupture avec les connivences parisiennes : « Pourquoi souriez-vous Anne Sinclair ? », il peut interviewer le Père Noël et écrire à Dieu dont il « passe dans Votre barbe fleurie une caresse bienveillante », et déranger un de ses camarades de retour de tournée qui  s’apprête à passer un bon moment avec son amoureuse, au moment où il vient de déposer ses lunettes sur la table de nuit, lorsque la voix de son maître à la radio lui rappelle le boulot et le coupe dans ses élans.
Avec lui la perte du triple A, met à mal seulement des phrases telle que «  A Malg, j’ai acheté des fraises tagad et le dernier livre d’Anne Gavald », il pointe l’absurdité de certaines pub «  Oui au kiwi français » ou qui recommandent de s’habiller chaudement lorsqu’il fait froid : «  la société est elle devenue si perdue pour que l’Etat se sente obligé de prendre en charge le minimum de conscience qu’il faut avoir acquis pour subsister » ?
Il nous rappelle que c’est Baroin qui parla de l’arrivée de la gauche au pouvoir « par effraction » de quoi raviver quelque indignation, et imagine qu’à la place de Nicolas 1°, ce fut en 2012 la fin du quinquennat Royal : révélateur. Il propose de nommer l’aéroport de Notre Dame des Landes, Nafissatou Diallo, pour rendre hommage à un évènement qui changea le cours de l’histoire et sait bien que « Sous le mandat de Nicolas Sarkozy, nous avions chaque semaine, chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde, un nouvel événement à nous mettre sous la dent dure. Le précédent président n'a pas économisé sa peine pour nous fournir une matière première de catégorie supérieure. Grâce à lui, la rigolade en ce début de XXIe siècle était devenu un gisement industriel comparable à la sidérurgie du milieu du XIXe »
Il cultive nos nostalgies quand il  regrette  la fin du  mot « Mademoiselle » et nous partageons ses enthousiasmes : Robert Hirsch, Sempé, Barbara, Trenet, Moustaki, Jacky Gelin...  ou ses aversions Morano et Rigide Cageot, Morbide Gigot et autres cons dont ceux qui l’ont été  quelque peu en établissant un mur pour eux. Il se moque des « questions du jour » du Figaro : « sachant que la croissance est de 0 %, le chômage de 10%, le déficit public de 3 % ne trouveriez- vous pas judicieux d’avoir une croissance de 10%, un chômage à 3% et un déficit public à 0% ? »
Il s’insurge contre  les noms cédés à des marques pour des lieux consacrés au sport : Kindarena, et nous fait plier de rire même avec des histoires belges :
« Terrible accident d’hélicoptère dans un cimetière belge, les sauveteurs ont déjà dégagé 800 corps »,
 «  J’adore parler de rien, c’est le seul domaine où j’ai de vagues connaissances » Oscar Wilde
Tout est dit.
Ci dessous le lien avec sa chronique concernant Charlie Hebdo.
http://www.dailymotion.com/video/x2ec6mz_francois-morel-je-pense-de-toutes-mes-forces-qu-il-faut-s-aimer-a-tort-et-a-travers_fun

vendredi 9 janvier 2015

Année nouvelle.

J’avais préparé un texte avant les morts de Charlie pour lesquels je n’ai pas le cœur d’ajouter des mots nouveaux aux flots de paroles les concernant, après avoir fait part de ma peine hier.
Plus rien ne sera pareil depuis ce mercredi, jour du Canard, 7 janvier 2015.
L’année commence mal. Mais cet article ci dessous qui cause de l’immédiat et du temps long et de la position des journalistes face aux politiques qu’ils disent dévalorisés mais dont ils contribuent à la perte d’autorité, ne me semble pas tout à fait hors sujet, même si quelques mots doux s’avèrent encore plus dérisoires aujourd’hui, comme obsolètes sont devenus les rires enregistrés.
………………
« Année nouvelle
Donne-moi les oiseaux
Qui possèdent les mots
Doux et tendres
Les mots du cœur du grand large
et de l’évasion »
Luce Guilbault
Nous venons de passer le portillon d’une année de plus que nous n’avons pas vu passer.
Au moment où le cliquet claque, quelles traces des évènements passés voyons nous encore ?
En politique : difficile de ne pas être submergé par le mélange des genres qui plombe la démocratie. Les journalistes s’en voudraient tant de ne pas passer pour impertinents qu’ils en oublient la moindre des politesses en ne laissant pas le temps de répondre à leurs invités.
A la suite, les commentaires laconiques des internautes tiennent en quelques éructations où le fond ne compte pas : les ricaneurs sont maîtres du jeu et les rictus se figent.
Pour mener une politique qui échapperait aux flashs, aux sketchs et aux clips, l’affirmation des pouvoirs régaliens de l’état devrait aller de soi, hors d’atteinte des étincelles de l’opinion d’un jour. Les réactions à chaud souvent querelleuses éteignent les considérations sur le long terme.
Je n’échappe pas à la pente fatale de l’âge dont nous nous nous méfiions tant jadis : à l’écoute de revendications de droits me vient invariablement en miroir le mot « devoir ».
Depuis un bon moment, du matin je suis devenu, mais je n’ai pas l’impression d’être davantage un « républicain » à l’américaine qui dans une étude divertissante serait plus entreprenant au lever que le « démocrate » plutôt du soir. La frontière, entre une jeunesse prise par ses écrans de nuit qui a décalé ses horaires, devient de plus en plus visible, face à la « France qui se lève tôt » pour faire fonctionner la machine. La notion de travail revient systématiquement dans nos conversations concernant la pédagogie, à mesure qu’elle a disparu du débat médiatique.
Ces prudences valétudinaires n’empêchent pas de diffuser les mots de Viveret,  qui n’est plus un perdreau de l’année non plus. Il nous aide à regarder devant nous lors d’un entretien paru dans un Libé récent à propos des « zadistes » :
« Aujourd’hui, l’économie dominante est en effet plus que jamais caractérisée par son découplage avec le politique et l’éthique […] Que raconte ce monde où 67 personnes, selon Oxfam, possèdent autant que 3 milliards d’autres ? Si ce n’est que la fracture est béante et qu’un monde se meurt. L’humanité est confrontée au chantier de sa propre humanisation. »
Et ce que vous appeliez la polarisation créative ?
« Elle est précisément là, comme le nouveau monde, le nouveau mode de vivre ensemble.
On est passé d’un «autre monde est possible» à un «autre monde possible est là».
On est sur le trépied du rêve.
Le «R» de la résistance,
le «V» de la vision transformatrice qui développe l’imaginaire,
et sans attendre le «E» de l’expérimentation anticipatoire,
le tout éclairé par le «E» de l’évaluation comme discernement.
Nous devons nous préparer à une nouvelle crise majeure et donc à organiser la résilience dans les territoires. »


mercredi 7 janvier 2015

C’est pas vrai !

Pour être à plusieurs reprises tombé dans le déni de la réalité au cours de ma vie, je sais le repérer chez d’autres dans ces circonstances tragiques qui nous accablent avec la mort de Cabu et Wolinski : nous aimerions être ailleurs, avant, ne pas avoir entendu.
Nous préférons tellement être par intermittence aveugles et sourds ; est-ce une condition pour survivre ?
Comme tant de voix s’élèvent pour louer tous les disparus, je trie dans mon chagrin pour rabâcher quelques mots au cœur de la nuit et les lancer en partage :
« Rêveur d’an 01, fille du proviseur et même « mon beauf » sont déchirés.
Les pépettes de Wolinski http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/02/le-pire-de-lavenir-georges-wolinski.html  disparaissent derrière un voile noir.
Ci-git ma jeunesse »
Hier au soir, une minute de silence a été observée avant la conférence des amis du musée consacrée au Pérugin.

Iran 2014 # J 13. Damavand

Nous partons vers les 9h en compagnie de la femme d’Ali emmitouflée dans un imperméable beige et un foulard noué comme nos mamans. Nous commençons par les emplettes en ville et le plein d’essence (0.178 euro par litre, un des prix les plus bas du monde). Puis nous prenons la route vers le volcan Damavand (5610 m). A peine quitté le centre ville, nous devons rebrousser chemin car la route est barrée par la police. Pas d’hésitation : Ali, notre chauffeur, connait une autre solution pour atteindre le parc national. Au poste d’entrée, un militaire fort courtois palabre puis monte fouiller le fond du minibus tout en s’excusant du dérangement. Nous croyons comprendre qu’il vérifie si nous n’avons pas de tente et l’intention de séjourner plusieurs jours dans le parc, notre autorisation de passage étant valable pour un seul jour. Nous franchissons la barrière et continuons la montée sur une piste poussiéreuse qui se révèle assez fréquentée. Après un bon nombre de kilomètres en montée, puis une descente sérieuse où nous trouvons en bas un poste de surveillance, nous roulons sur un plateau entouré de montagnes aux stries artistiques, d’où nous apercevons majestueux et nettement plus haut, le Damavand.
Nous stoppons au premier campement de nomades, les troupeaux de chèvres et de moutons y convergent guidés par des bergers à pied ou montés sur des ânes, soulevant la poussière au bruit de leurs sonnailles. 
Nous reprenons la piste encore un bon moment  et nous croisons de nombreux campements mêlant tentes traditionnelles en grosses couvertures marron retenues par de grosses aiguilles de bois aux tentes Quechua aux couleurs plus voyantes dans ce paysage minéral. 
M. Ali s’arrête auprès d’une source s’écoulant dans un large cratère et remplit son bidon d’eau à la gamelle une fois son tour arrivé.  Après nous être égarés, nous poursuivons dans la bonne direction jusqu’à une aire de pique-nique déjà occupée par plusieurs voitures au milieu de ruisselets serpentant parmi des détritus et des restes de feux de camp témoignant de passages nombreux. 
Pendant qu’Ali et sa femme préparent le barbecue  et les brochettes de poulet et tomates, Haleh nous entraine dans une petite promenade apéritive où nous devons traverser ruisseaux et marécages qui conduisent à une source.  Nous ramassons quelques pierres vert-bleu qui ressemblent à de la turquoise, aux couleurs avivées par l’eau. Après nous être restaurés, nous partons en randonnée sur le plateau, rencontrons des nomades dans leur campement. Certains élèvent des poules, des dindes ou des canards dans des enclos grillagés, les chiens grognent un peu et les gens ne comprennent pas pourquoi nous marchons puisque nous ne sommes pas bergers. Ils posent des tas de questions à notre guide Haleh. Un 4X4 s’approche et propose de nous conduire à la cascade que nous n’aurons pas le temps d’atteindre si nous poursuivons à pied. Notre guide vénérée avait rencontré au cours du pique-nique la famille du conducteur et son charme et savoir faire une fois de plus vont permettre d’optimiser la balade. 
Nous nous entassons donc dans le véhicule et nous débarquons à la cascade. Nous empruntons à pied un sentier qui la longe, mais seuls les plus sportifs grimpent comme des chèvres jusqu’au bout. Nous rencontrons des jeunes gens dont l’un nous joue un air de sitar malheureusement inaudible à cause du bruit de l’eau. Nous retournons d’un bon pas jusqu’au minibus et après nous être désaltérés avec une pastèque, nous reprenons le chemin du retour dans une belle lumière de fin de journée. Au poste de surveillance, Hussein sa femme et son frère s’impatientent : l’autorisation de passage de deux clients ne semble pas convenir. Le chemin est encore long jusqu’à Rudehen. Levés à 6h 30 nous arrivons à 21h, les magasins sont encore ouverts, nous achetons de gâteaux et de l’eau. Une douche bienfaisante pour se débarrasser de la poussière avalée, un repas copieux, il est tard lorsque j’arrête le journal.
D’après les notes de voyage de Michèle Chassigneux.

mardi 6 janvier 2015

Docteur Rorschach. Vaïnui de Castelbajac.

Sur le divan du psychanalyste viennent s’allonger, un par page, le mille pattes qui a choisi de se mettre en difficulté en faisant de claquettes, le père Noël qui ne croit pas en lui, la cassette audio qui a l’impression que plus personne ne l’écoute, et ceux qui viennent en couples : le clou avec le marteau qui a l’impression qu’il ne cherche qu’à l’enfoncer ou le crocodile qui se plaint que depuis que le sac est dans la mode il se rend compte qu’ils n’ont plus grand chose à se dire…
Mais ce serait dommage de tout dévoiler, déjà que c’est vite lu (96 pages).
Le psy à la dernière page annonce : « ça fera 14, 95 € non remboursés ».
Un peu  froid,  l’auteur a une formation de graphiste, qui convient cependant à  un terrain où la distance est nécessaire et l’humour indispensable dans ses différents genres et degrés.

lundi 5 janvier 2015

Mr Turner. Mike Leigh.

J’aime tant la contradiction, que je n’ai pas écouté mes amis qui n’avaient pas été emballés par les 2h 30 qui avaient enchanté les critiques ; je ne leur chercherai pas chicane.
J’étais bien parti pour méditer à l’occasion de plans immuablement beaux, mais l’acteur  principal ne m’a pas convaincu : une gueule certes, mais ses grognements et grimaces peu variés ne méritaient pas tant  de louanges, la recherche d’une performance à l’ancienne se voit trop.
L’opposition entre le côté noir du personnage si peu social complètement contraire à l’artiste qui invoque un Dieu soleil sur son lit de mort, manque de nuances. Père indigne, amant pas aimant, je n’ai pas saisi le génie du peintre précurseur de l’impressionnisme qui a tant éclairé nos musées et notre façon de voir les paysages, les brumes et les couchers de soleil.
Le film est trop gracieux pour qu’on comprenne comment le peintre apporte sa touche particulière. Il se fait attacher à un mât de bateau pendant une tempête et en ressort avec une toux persistante, on a entrevu trop vite son lyrisme, pas loin de l’abstraction.
Le mérite de ce moment de cinéma pépère est de donner envie de voir ou revoir les toiles du romantique qui légua ses tableaux (412 à la National Gallery), 20 000 œuvres sur papier au domaine public et 200 000 livres sterling pour la construction d'un asile en faveur des artistes pauvres. C’est pas Koons quand même.