mercredi 31 décembre 2014

Iran 2014 # J 12. Téhéran.

Le musée Abgineh consacré au verre et à la céramique loge dans une ancienne maison qâdjâr, qui fut l’ambassade d’Egypte. Elle a conservé un  magnifique escalier monumental en bois et des parquets qui craquent sous nos pas.  
Par exemple, de multiples vitrines verticales comprenant un seul objet évoquent les piliers de monuments anciens ou la forme d’un plafond, des vitrines en parapluie représentent une tente stylisée. Je retiendrai les verres au long col destinés à recueillir les larmes : « les iraniens aiment le chagrin ».
Comme souvent les objets très anciens apparaissent d’une grande modernité ; les couleurs, la petitesse de certains flacons de beauté, les couleurs, l’originalité des dessins sur les poteries nous intéressent un bon moment.
La muséographie confiée à des italiens met en évidence les magnifiques pièces exposées.
Un peu plus loin, à une petite distance à pied, nous pénétrons dans le musée archéologique construit par un français déjà requis pour le mausolée du poète Hafiz à Shiraz.
 L’architecte a respecté le style du pays dans les matériaux  en briques et  dans la forme du dôme mais l’intérieur s’avère d’une muséographie désuète. Cependant des travaux de rénovation, notamment au plafond, démarrent aujourd’hui, condamnant l’accès à une partie des expositions.
En respectant le cheminement chronologique, on a aperçu de l’art préislamique, d’abord au néolithique dont quelques exemples de poteries monumentales nous surprennent tout autant que leur décorations de plus de 5000 ans B.C ( before Christ) ! Puis nous suivons les différentes époques jusqu’à la dynastie sassanide. 
Nous retrouvons des éléments de Persépolis, une statue de Darius commandée en Egypte et présentant différentes écritures ou hiéroglyphes qui  le proclament roi des rois et deux blocs de goudron servant parfois à recouvrir des statues.
Nous déjeunons au milieu d’un parc un peu sauvage qui possède des volières remplies d’oiseaux (inséparables) et une basse-cour contenue derrière des grillages. Il y a même de faux animaux, zèbres, hippopotames, éléphants sous les arbres. 
Après déjeuner nous  allons au bazar mais beaucoup de boutiques sont fermées car il y a un pont jusqu’à samedi, courant de la fin du ramadan à la fin du week-end (jeudi vendredi). Derrière l’entrée principale du bazar, nous remarquons le côté penché des minarets de la mosquée du shah (mosquée Khomeiny).
Nous marchons jusqu’au palais du Golestân ou « complexe palatial du Golestân » vu sa grandeur. Il date  encore de la période qâdjâr et mélange plusieurs styles. A l’intérieur, nous commençons par regarder le trône en albâtre immense, puis le lieu des repas, sorte de divan en pierre dominant un bassin rafraichissant mais vide aujourd’hui. Des peintures de femmes aux seins nus surprennent et n’ont pas été floutées. Nous entrons dans une autre partie des bâtiments chassés de chaussons enfilés sur les chaussures et gravissons les escaliers. Les pièces plutôt de style occidental sont remplies de mobiliers, de mannequins et d’objets d’art luxueux ramenés par le roi Nasseredin Shah dans ses déplacements. 
On retrouve le goût pour les décorations avec des miroirs qui paraissent amoins élégantes et raffinées que dans la maison marchande de Kashan. Les lustres en imposent avec leurs verroteries.
Avant de quitter le complexe nous longeons les bâtiments en carré  et dont l’un fut pendant longtemps le plus haut de Téhéran. Une vieille dame m’apostrophe gentiment, je ne peux évidemment la comprendre alors avec un geste maternel elle me caresse la joue. Plus loin une ou deux femmes ont revêtu de costumes d’époque et installées sur une banquette face à un plateau de boissons  s’amusent à prendre la pose pour un photographe.
Nous rentrons vers l’hôtel en métro, non pas à cause de la distance mais pour voir. Moderne et propre, chaque rame est constituée de wagons réservés uniquement aux femmes. Nous continuons 10 mn à pied en traversant le quartier des ambassades jusqu’à l’hôtel où nous attend Ali, notre chauffeur, pour atteindre Rudehen (1800m) et nous installer chez lui. 
De nombreux immeubles sont en construction sur les collines désertiques de la banlieue très étendue. L’état construit et vend bon marché les appartements.
Nous retrouvons Hossein sa femme et des cousins dans la  vaste maison
qui domine une petite ville en expansion. Nous sommes accueillis avec des fruits et du jus de fraise glacé consommés sur la terrasse puis nous prenons nos aises : douche, repas sur le divan dehors, à côté d’Ali qui prépare le narguilé tandis que sa femme et Halleh trient les légumes et les herbes du jardin. Nous prenons le repas à l’intérieur, le troisième fils nous rejoint ainsi que la femme de Hossein et la télé tourne discrètement à côté. Nous montons nous coucher. Dans le couloir, Haleh joue les chiens de garde couchée sur un des tapis qui recouvrent  tous les sols de la maison. 

D'après les notes de voyage de Michèle Chassigneux.

mardi 30 décembre 2014

Bandes dessinées 2014.

Ma liste de bandes dessinées préférées de cette année :
Les folies bergères : la guerre de 14, meilleur ouvrage rencontré sur la période.
Bourrasques et accalmies : même lorsqu’il n’est pas à son sommet, Sempé est le meilleur.
L’arabe du futur : sous la ligne claire de ses personnages dodus, une vision acérée du monde.
La revue dessinée : indispensable.
Cette beauté qui s’en va : poétique, au cœur du temps
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/09/cette-beaute-qui-sen-va-mathieu-berthod.html

lundi 29 décembre 2014

Au cinéma en 2014 :

Ma liste de films préférés de cette année :
Winter sleep : la complexité des hommes et des femmes sur un beau fond. 
Les combattants : une découverte tonique.
Au bord du monde : les clochards maîtres de la nuit à Paris.
Le démantèlement : celui du monde agricole.
Mommy : secouant.
Le paradis : ce n’est pas que pour jouer au cinéphile, d’apprécier un vieux monsieur qui filme si intensément la jeunesse
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/10/le-paradis-alain-cavalier.html

dimanche 28 décembre 2014

Le capital et son singe. Sylvain Creuzevault.

Habitués à l’indigence du discours politique actuel, comment saisir toute la profondeur de conversations  enflammées à Paris en 1848 et Berlin en 1919 à partir d’un livret de Karl Marx ?
« Le peuple au collier de misère
Sera-t-il donc toujours rivé ?
Jusques à quand les gens de guerre
Tiendront-ils le haut du pavé ?
Jusques à quand la Sainte Clique
Nous croira-t-elle un vil bétail ?
À quand enfin la République
De la Justice et du Travail ? »
Pierre Dupont après l’écrasement de la Commune.
Ce rêve toujours fuyant d’une fin de l’aliénation, d’une mise à bas du capitalisme hante encore combien de Blanqui préparant l’insurrection ?
Ce soir, point de représentation édifiante, le prolétaire n’est pas toujours le bienvenu autour de la table où se disputent ceux qui lui veulent du bien.
L’humanité est violente, injuste, les hommes espèrent.
« Oui mais !
Ça branle dans le manche,
Les mauvais jours finiront.
Et gare  à la revanche,
Quand tous les pauvres s’y mettront. »  
La salle René Rizzardo à la MC2 faisait honneur à son ancienne appellation : « salle de création ». Avec conviction, 13 acteurs excellents, jouant une multitude de personnages, de Spartacus à Lacan, nous ont donné matière foisonnante à réfléchir, rire, nous projeter, nous interroger et nous laisser perplexes.
Les modérés et les révolutionnaires, le capitalisme, le travail, le salaire, la valeur d’usage et la valeur d’échange, les objets, l’Iphone … tout y passe dans un tourbillon. Il faudra aller vérifier comment est morte Rosa Luxembourg mais aussi ne pas rester à constater que la fonction de production a déserté notre pays pour remettre à jour nos logiciels concernant la force de travail et plus value. Sommes-nous  seulement dans un musée à  contempler en vitrine les verres  désormais vides qui nous ont servi à trinquer à l’émancipation du monde ?
Si Piketty a eu tant de succès avec son dernier « Capital », c’est que  Karl 1er  est d’une telle richesse qu’il a pu traverser les siècles. Et il faut vraiment une belle dose d’ambition et d’imagination, quelques bouteilles d’encre rouge, pour évoquer une telle somme de pages exigeantes : prévue pour durer 4h, même réduite à 2h 30, la pièce est roborative mais nous serions encore restés volontiers un moment.

samedi 27 décembre 2014

Une femme fuyant l’annonce. David Grossman.

Livre essentiel, que j’ai mis plus d’un mois à lire, tant je redoutais sa force.
Ora, une mère juive, part loin de chez elle pour échapper à l’annonce d’une nouvelle fatale qui pourrait concerner son fils Ofer engagé dans une opération militaire.
Il faut bien 780 pages pour suivre à la trace cette femme et le vrai père du jeune soldat, dans de magnifiques paysages.  
Même si : «  C’est grandiose ici ! s’extasie Ora, d’une voix embarrassée, comme si elle contemplait un paysage destiné à quelqu’un d’autre. »
Les mots sont là pour repousser la mort, et chacun d’eux est choisi :
« Il y a aussi une coupe de taboulé concocté à sa façon, pour lequel Ofer se ferait tuer- ou plutôt qu’il aime à la folie, se reprend-elle sur- le-champ, pour sa gouverne. »
En coupant toute communication avec le monde, elle se rapproche de son fils, et d’elle-même, après une vie tumultueuse où se croisent la folie, la violence, la culpabilité, l’amour, les amours. Elle n’a pas vécu avec celui qui la suit dans sa marche, homme dévasté qui semble se reconstruire peu à peu auprès de cette femme à la fois fine et fragile. Un autre homme, Illan, a élevé avec elle deux enfants, ils viennent de se séparer.
Dans cette histoire élémentaire aux dimensions à la fois mythologiques et très incarnées, même dans des coins de nulle part, le conflit avec la Palestine traverse douloureusement l’intimité de chacun.
Il n’est pas question que de fusion mère/enfant, de la liberté de l’amante, de la complexité de l’éducation, de la vigueur des femmes, mais aussi du temps qui a passé :
« On prend congé de soi-même avant les autres comme pour atténuer le coup fatal »
Même les chemins parlent hébreu, ils nous parlent :
« Le rrrsh-rrrsh des semelles raclant la terre » […] Il s’emballe à l’idée des mots jaillissants de la poussière, rampant hors des crevasses de ce terreau aride et raviné, projetés dans les airs par la fureur du hamsin, parmi les chardons les ronces et les épines comme des nuées, des criquets ou des sauterelles. »
Alors que l’auteur, militant de la paix, pensait « que les pages qu’il rédigeait le protégeraient », un de ses fils a été tué pendant la guerre au Liban en 2006, avant la fin de la rédaction de cet ouvrage inoubliable qui nous emmène bien au-delà d’un pays si petit, tout en rendant compte intensément de son drame permanent, où à chaque pas les randonneurs croisent des plaques commémorant les morts pour défendre quelques arpents de terre.
Rien que le titre ouvre vers l’universel et nos terreurs privées.

vendredi 26 décembre 2014

Noël est un bloc.

Comme Clémenceau le disait de la révolution française : « la Révolution est un bloc, un bloc dont on ne peut rien distraire car la réalité historique ne le permet pas », il me prend de penser qu’il peut en être ainsi de Noël et ce ne serait pas qu’un bloc de foie gras.
En étant rendu à mon âge, sur la question de l’alter ego du Père Fouettard, j’ai eu le temps de superposer quelques sentiments depuis l’émerveillement enfantin jusqu’à un vif retour à l’âge de père et de grand père, en étant passé par la phase adolescente du mépris pour cette foire consumériste.
Aujourd’hui sous la houppelande rouge sponsorisée par Coca cola, je comprends les cadeaux, les faux pères Noël, et même s’il y a du navrant à revendre sur le site du Bon Coin au lendemain des fêtes.
Moi l’athée, j’ai installé une crèche sous le sapin pour partager une culture avec mes tout petits, comme le dit l’élémentaire Maurice Carême
« La terre est noire ;
L’église, blanche.
Que cache-t-elle
Pour être ainsi
Tellement belle
Dans l’air noirci ?
Rien qu’un enfant
Qui vient de naître
Entre deux bêtes
Si ingénues
Que, dans leur  l’ombre,
Il tient le monde
Dans son poing nu. »
La promesse renouvelée de l’homme qui vient au monde. Depuis la pauvreté la plus sévère, l’espoir.
Ces mots sont usés et sonnent souvent tellement creux dans les églises en voie de désaffection, mais peuvent consoler quand se déchainent les haines, quand progresse l’obscurantisme. 
Oui, autour de la table, on peut prévoir ce qui se dira, quand inévitablement du vin tombera sur la nappe : « il faut mettre du sel ! » comme le rappellent des listes rigolotes sur «  Ce que vous entendrez à Noël ». Et il est à prévoir, que parmi le top 3 des cadeaux les plus redoutés listés par les magazines, je sois sur le podium avec du gel douche et des livres !
Au secours  Jacques Brel dont les bourgeois devenaient si cons en devenant si vieux : je crains avoir pris la place du tonton pontifiant qui me saoulait tant jadis.
Tant de ricaneurs disent aimer la fête, mais surtout un autre jour : ils refusent de se mêler à leurs semblables, s’illusionnant sur leur liberté alors qu’ils sacrifient à l’individualisme du siècle et récoltent la solitude. Celle-ci n’est pas toujours choisie, mais résulte d’un arasement de toute solidarité, de toute tolérance qui consentirait à parler avec ses semblables du temps qu’il fait, en sortant de ses cercles habituels. Le conformisme est toujours celui des autres.
"On refuse d'admettre le fait-même de la diversité culturelle; on préfère rejeter hors de la culture,dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit" Lévi-Strauss
Sous d’autres cieux, je me souviens d’avoir trouvé émouvante la cérémonie des rameaux avec de grandes palmes par les pistes en latérite, alors que le buis de nos contrées me laissait de bois. Nous pouvons sans déchoir, participer à nos rites au cœur de l’hiver, même s’il n’y a plus  guère de saison.

jeudi 25 décembre 2014

Guiseppe Penone. # 2

Comme il le fit avec Polke http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/11/polke-sigmar.html , le directeur du Musée de Grenoble, Guy Tosato a fait part aux amis du musée, avec finesse et pudeur, de sa connaissance intime avec l’éminent sculpteur en place jusqu’en février place Lavalette.
Une page ayant été consacrée sur ce blog à Penone lors d’une riche visite dirigée par Etienne Brunet http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/12/penone-musee-de-grenoble.html, j’éviterai les redites.
Quelques mesures mélancoliques du fameux trio de Schubert en ouverture ont permis par leurs rythmes, d’évoquer l’instinct de vie se dégageant de l’œuvre de ce fils de paysan né en 1947 à Garessio, dans le Piémont. Il n’oubliera pas les techniques apprises lors de son passage à l’académie des beaux arts de Turin mais se défera de tout académisme en retournant travailler dans la nature, sa grande inspiratrice, qu’il continue d’approcher d’une façon très physique.
 Très tôt reconnu, il a été étiqueté « Arte Povera » par l’utilisation de matériaux modestes, en opposition au « Pop art » ou à l’ « art minimal » dont les artistes déléguaient leurs réalisations à la société de consommation ou à l’industrie. 

Déjà exposé du temps du musée place de Verdun, cette fois il s’agit d’un dialogue intuitif, poétique, entre hier et aujourd’hui qui éclaire la cohérence de l’artiste, la diversité des formes d’une écriture sans cesse renouvelée qui va bien au-delà d’une opposition nature / culture comme me l’ont fait remarquer quelques lecteur(e)s attentif(e)s
La première section met en valeur le toucher, primale façon d’appréhender le monde pour le nourrisson à la vue brouillée. Les gestes de l’artiste sont simples : il enserre un jeune tronc, laisse la trace de ses doigts sur la cire qui vient envelopper une branche, met une heure pour tracer le dernier cerne  des « années d’un arbre plus une ». Ses interventions sont légères, conceptuelles parfois, propices à la méditation face à la majesté de la nature, à une vision panthéiste à la mesure du temps infini des temps végétaux. 
La peau est évoquée ensuite, qui  renferme et protège les fluides, sève et sang, aux compositions si proches.
« Ce qu’il y a de plus profond chez l’homme c’est la peau »  écrivait Paul Valéry
Puis le souffle, celui de la divinité donnant la vie à partir de la terre, celui des feuilles dans un rapport consubstantiel  entre l’homme et la forêt.
Les trois règnes : minéral, végétal et animal passent de l’un à l’autre et laissent des empreintes.
Les arbres arrachés à leur devenir d’objet, réapparaissent ; le sculpteur est là pour faire advenir la forme.
Jeune homme, il avait« renversé ses propres yeux », en posant des lentilles réfléchissantes qui le rendaient aveugle ; en se tournant vers l’intérieur, allait-il voir d’une façon plus pénétrante l’extérieur ?
Quand il célèbre les arbres, il sort de la représentation, et va contre les éléments, tout contre, il les enveloppe, les manipule.
« Le sceau » qui a été présenté à Versailles dans le prolongement du grand Canal déroulait alors son tapis dans l’infini du temps et laissait imaginer, en plein air, la genèse de la planète.
Ici les traces répétitives des veines inscrites dans le marbre dialoguent avec la « peau de graphite » dont « l’obscure clarté » remonte aux métamorphoses qui firent naître le charbon à l’abri de toute lumière.
Dans une ultime intervention, Penone fige une poignée de glaise et la met en valeur dans un papier d’aluminium comme le fit Véronique et son voile pour révéler le visage de souffrance du Christ.
L’autre jour quand j’eus tourné les talons, mon petit Nino, lui  a chopé la terre des pots de fleurs dans son petit poing et l’a ingérée en un geste furtif et radical.
Penone, lui, parle de ses pierres, en exposition permanente  au musée :
 « faire une pierre en pierre, c’est la sculpture parfaite, elle redevient
nature, elle est patrimoine cosmique, création pure, la dimension naturelle de la bonne
sculpture lui donne une valeur cosmique. C’est être rivière la vraie sculpture de pierre. »