mardi 26 février 2013

Jeangot #1 Renard Manouche. Joann Sfar Clément Oubrerie.


Sfar, le Zlatan de la BD au scénario, associé à Oubrerie, le papa d’Aya de Yopougong aux crayons et au fusain, font des étincelles dans ce premier volume d’une série de trois où la vérité de la biographie de Django Reinhardt importe peu parce que c’est une belle histoire qu’ils nous racontent.
La crudité du récit, sa virtuosité, sa drôlerie, ses digressions s’accordent à merveille avec son objet musical : délié, libre, d’un rythme endiablé, surprenant.
Cette vie commencée en 1910 est contée par Niglaud un hérisson rescapé de chez les manouches qui deviendra l’ami et le biographe du petit renard, Jeangot. 
Les péripéties s’enchainent dans cette période troublée, les animaux du voyage passent d’un pays à l’autre, leur jeunesse trépigne, ils font la manche, s’astiquent le manche, la caravane brûle, la musique sort par la fenêtre de l’hôpital où le jeune prodige met un an à se remettre sur pieds, deux doigts en moins.
« Arrêtez de jouer quand je vous cause.
- Je ne peux pas m'arrêter. Chaque fois je me dis "Après la prochaine note, j'arrête". Mais après la note, il y en a une autre. Et une autre. Et encore une. Alors je suis curieux, je les déroule. Je me dis, un jour je les aurai déroulées toutes. Et ce sera la fin de la musique »

.................
Je reprends la publication de mes billets quotidiens mercredi prochain.

lundi 25 février 2013

Un conte de Noël. Arnaud Desplechin.


Le repas familial au moment de Noël est un genre cinématographique à lui tout seul,  où la tendresse est attendue et la cruauté au rendez-vous, mais  cette fois la virtuosité du réalisateur servie par d’excellents comédiens rend la férocité attractive.
Dans ce film de 2008,  Amalric, le banni revient en alcoolique cynique et dispensateur de vérités féroces, il est odieux à souhait mais il est compatible pour un don de moelle à sa mère Deneuve qui a réuni à la veille de sa greffe tous ses enfants.
Un théâtre d’ombre cerne ce qui se joue parmi ces nombreuses personnalités  ainsi que le spectacle des petits enfants dans une révélation inépuisable de secrets de famille où les pièces rapportées en rajoutent évidemment.
Toutes les questions posées durant les deux heures quarante dans la maison roubaisienne ne seront pas résolues, mais nous restons toujours attentifs aux révélations qui émergent. Derrière la fumée des cigarettes et les alcools au goulot, avec des musiques très présentes,  les névroses se frottent, se condensent. Le désir de vivre jouxte l’autodestruction.
Jean Paul Roussillon en pater familia apporte un peu de d’apaisement dans cet univers malsain, il lit Nietzsche : «Chacun est à soi-même le plus lointain. »

dimanche 24 février 2013

Gnosis. Akram Khan.


Je ne savais pas grand chose du quadra Bangladais dont j’avais aperçu quelques articles de presse élogieux et sa silhouette sur les affiches de la MC2 .
Bien que ce soit parfois plus facile d’aborder un spectacle en étant totalement dépourvu d’à priori, je n’ai pas été déçu du tout  par sa prestation intense d’une heure quarante.
Je craignais un trop plein d’allusions à une cosmogonie qui m’est étrangère, pourtant j’ai été pris tout de suite par un trait de violon et des percussions élémentaires qui allaient si bien avec le  danseur soliste alternant lenteur et fulgurance.
J’ai même préféré la première partie plus chargées de couleurs du sous continent indien aux pas de deux de la deuxième partie avec ses allures plus contemporaines, plus dramatiques.
Le kathak  danse traditionnelle est très rythmée comme ses syllabes le suggèrent,  elle a des allures de flamenco, pieds nus et grelots aux chevilles.  Grâce à l’orchestre qui jouait ensemble pour la dernière fois et une partenaire japonaise lors de la deuxième partie, nous avons pu goûter aux délices de la mondialisation.
Depuis j’ai lu  que « Gnossis » signifie « la compréhension intuitive de vérités spirituelles »: c’était tout à fait ça.
Ce Khan signifiant dirigeant nous fit oublier les turpitudes de l’autre Strauss, celui là  est un danseur reconnu dans le monde entier : il a chorégraphié la séquence du souvenir de la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques de Londres et nous aurons la chance de le revoir  dans une interprétation du Sacre du printemps au mois de mai en première mondiale, ici à Grenoble.

samedi 23 février 2013

La faute d’orthographe est ma langue maternelle. Daniel Picouly.



L’écrivain sourit  quand on l’appelle Piccoli comme Michel le comédien, c’est qu’il est comédien aussi.
Ce livre  de 120 pages très aérées est  la transcription d’un spectacle qu’il présenta à Avignon.
Il a du avoir du succès avec le label «  vu à la télévision » entre deux one man show rigolos, cette pièce qui sent la récréation avait bien sa place au cœur des vacances.
La lecture en est rapide, plaisante, j’avais tant aimé « Le champ de personne » qui avait une autre densité. Il recycle ici quelques questions mignonnes d’enfants qu’il a collectées lors de ses visites dans les écoles :
«Monsieur, quand on écrit une histoire, pourquoi c’est pas aussi beau que dans sa tête ? »
Mais à l’heure où les enseignants sont agressés, le récit de l’humiliation dont il a été victime de la part d’un instit’  m’a semblé daté, d’autant plus que le traumatisme a participé à son émergence littéraire, théâtrale, télévisuelle ; il a bien su raconter l’histoire.
La mode me semblait pourtant passée de se faire valoir en cancre dès qu’un micro se tendait : Pennac, François de Closet et tant d’autres. Le jeune quarteron se mit pourtant à Proust pour les beaux yeux d’une fille. Cette façon de ceux qui vivent par l’école tout en l’égratignant me semble injuste et  l’exercice pourtant tellement rebattu plait aux éditeurs.
Cette culture qu’ils ont acquise visiblement par leur seule intelligence n’est pas forcément aussi facilement accessible à d’autres qui n’auront que mépris pour tout ce qui est écrit, et peut être envers les images parfois séduisantes de Picouly Daniel.

vendredi 22 février 2013

« Position du démissionnaire »



Le titre est repris du Canard au moment où le pape s’en allait :
« Duos habet et bene pendentes » (« Il en a deux, et bien pendantes »)
Tout le monde s’en moque, royalement.
Ces derniers temps, la hiérarchie catholique qui en a été rendue à  prendre le masque grotesque de Frigide Barjot a fait un peu de bruit dans la rue, mais ses salles de réunion sonnent le vide.
Figés dans l’étreinte d’un combat séculaire, les laïques ne se portent guère mieux.
Les instituteurs qui en étaient les hérauts ont d’autres urgences : des problèmes de garde pour leurs enfants.
Nous avons changé d’ère : dans la question des rythmes scolaires, il n’est pas plus question de catéchisme dans les temps vacants que de réserver  juillet et août pour que les enfants aident aux travaux des champs.
En ce qui concerne les vacances : difficile de faire cours dans les salles surchauffées du mois de juillet mais quand on arrête les notes début  juin pour les collégiens c’est démotivant. Que les examens soient retardés et les lycéens seront bien gardés. Dès le mois de mai les têtes sont ailleurs : pour le lundi de Pentecôte, l’Ascension, la religiosité a encore de beaux jours qui rassemblent aussi les adeptes du 8 mai.
Les mots se sont usés : dans quelque cérémonie où hommage fut rendu à Paul Bert et Jules Ferry, ils semblaient venir d’une langue aussi inusitée que le latin. Les favoris d’antan ne figurent plus au top ten.
Je suis plongé dans le livre de Julliard : «  les gauches françaises » et  j’apprends qu’en 1880 le nombre d’illettrés parmi les conscrits était inférieur à 20% alors qu’un quart des femmes ne savaient pas signer. Les femmes ont bien progressé.
Un tiers des effectifs enseignants masculins et la moitié des femmes étaient passés par les écoles normales de la troisième république, dont le rôle était  de former des « maîtres compétents et dévoués ». Là encore bien des termes fleurent « le noir hussard » : « maîtres dévoués ».
 Avec la dernière grève de la corporation des professeurs des écoles, je me sens au delà de la distance mise par une retraite datant de sept ans.
Et ce n’est pas Bégaudeau plaidant une cause qui les confondrait avec des sidérurgistes Lorrains qui arrive à me convaincre, il a quitté le métier il y a aussi quelques payes.
D’ailleurs  au sujet de l’école le silence des intellectuels, qui furent clergé un temps, est intense : n’auraient-ils plus de  mission ?
Si, à la fin d’un article de libé d’hier : Erasme :
« Nul ne tourmente davantage les enfants que ceux qui n’ont rien à leur enseigner »
..........
Dans le Canard de cette semaine: 
 

jeudi 21 février 2013

Edgar Degas et le nu : des coulisses à la chair.


Degas a été « complice de sa formation » selon les mots choisis par Damien Capelazzi aux amis du musée, pas comme Manet son ami, qui invité à copier les maîtres, a peint les quais de la Seine depuis une fenêtre du Louvre. 
L’impressionniste précieux n’a pas chanté la nature, il a quitté  les sphères académiques pour saisir « les instants fragiles», à l’intérieur. Son regard nous transperce comme « une icône au temps d’un monde groupé ».
Il fut influencé par Ingres qui demandait de « faire des lignes, beaucoup de lignes » dans un univers où le marbre se donnait pour de la chair, pourtant sa « Grande baigneuse »  dite de Valpinçon est d’une sensualité qui choqua.
Valpinçon était l’ami du père De Gas banquier et collectionneur comme son fils.
La mère était créole de la Nouvelle Orléans.
Edgar va s’enrichir de la pensée graphique de Raphaël, des chorégraphies du corps de Poussin.
Il va devenir un des virtuoses de l’instant.
« Peinture audacieuse et singulière s'attaquant à l'impondérable, au souffle qui soulève les maillots, au vent qui monte et feuillette les tulles superposés des jupes » Huysmans.
Le travail des couleurs ne se prémédite pas, le roi du pastel les fait s’ « iriser au bord de l’opalescence », ici et maintenant. Le siècle a pris des couleurs depuis Delacroix.
Il voyage, en revenant d’Italie, gonflé d’histoire, comme Gustave Moreau dont il dit qu’ « il veut que les dieux portent des chaines de montre », il va réveiller le genre de la peinture d’histoire.
Les « Petites filles spartiates provoquant des garçons »ne sont pas soumises et  leur tenue m’a fait envisager la sobriété spartiate sous un autre jour.
Dans « Scène de guerre au Moyen Age » les femmes subissent la violence des hommes.
Une femme est repliée sur elle même dans la scène qui s’intitulait «L’intérieur » dont les murs,  la lumière, l’homme sombre aux jambes écartées, son chapeau posé sur le lit, la boite des dentelles ouverte, disent tellement la violence que cette œuvre est désormais dénommée « Le viol ».
Degas a été du camp antisémite lors de l’affaire Dreyfus, mais bien que conservateur, il va porter un regard critique sur sa classe sociale. Deux mâles « scopophiles » avachis sur leur chaise apparaissent dans toute leur vulgarité au bord de la scène où des jeunesses palissent sous les lumières.
Il va dans les fosses d’orchestre, dans les loges, multiplie les points de vue différents.
Il voit les filles dans les coulisses,  au moment où elles attendent, répètent, s’étirent. Leurs corps se tordent, fatiguent ; la mélancolie se pose devant une absinthe.
Dans "L'orchestre de l'Opéra" les plans se superposent, les musiciens sombres au premier plan contrastent avec une ribambelle de jambes qui s’agitent sous les feux de la rampe à l’arrière.
Sa sculpture  de « La grande danseuse » est très réaliste avec son tutu de tulle,  son visage attira des critiques très violentes :" où tous les vices impriment leurs détestables promesses ».
Ses lingères, ses repasseuses sont saisies instantanément comme la chanteuse  dont le corps est au paroxysme, l’une crie, l’autre appuie sur son fer dans une tension des corps très graphique.
Saisies au moment du bain, les femmes nues se lavent, se sèchent, les couleurs peuvent s’aviver à l’occasion de « La coiffure ».
Classique et innovant, il  a fait se côtoyer la beauté et la mort ; contradiction ou réconciliation ?

mercredi 20 février 2013

Le Louvre # 1. Le château.


Au XII° siècle, Notre Dame sort de terre à Paris, où sont construites de nouvelles fortifications : 2800 m de remparts depuis l’île Saint Louis qui ne pouvait pas s’appeler ainsi à l’époque, 9 m de haut avec des tours tous les 60 m, deux fois la portée des flèches allant à 30 m.
Le pouvoir de Philippe Auguste s’affirme face aux Plantagenets qui règnent sur un territoire sept fois plus vaste.
A l’emplacement d’une louverie, d’où le nom Louvre, qui ouvrait sur des territoires de chasse à l’Ouest de la ville, est édifié un bastion sur la rive droite à l’endroit où la Seine crée une brèche dans les murailles, en face de la tour de Nesle.
La tour féodale imposante accolée au mur d’enceinte fait référence : « Le roi de France en sa tour à Paris » comme le précise Fabrice Conan dans sa conférence devant les amis du musée de Grenoble.
Sous Louis IX, le rôle défensif  de la forteresse diminue, celle-ci évolue en château d’apparat.
Avec Charles V, après avoir servi de prison, le palais devient résidence royale comme la maison initiale de l’île de la cité, l’hôtel saint Pol, le château de Vincennes. Le trésor royal y est conservé,  et désormais une bibliothèque accueille sous ses lambris des livres religieux, des romans et des documents royaux. 
Le périmètre de la ville s’est élargi,  voilà le Louvre intra muros.
A la mort  de  ce Louis dit « le sage », retour de la cour à Saint Pol dans le marais où une ménagerie est construite, en témoigne la rue du lion.
François 1° depuis Chambord revient à Paris qui a payé sa rançon après la défaite de Pavie, il fait démolir l’épais donjon moyenâgeux qui a souffert pendant la guerre de cent ans : c’est la Renaissance.
Il a fallu quatre mois pour tout déblayer et lorsque Charles Quint passe à proximité, il est impressionné par l’architecture à venir qui lui est proposée en trompe-l’œil.
Après la mort du père, Henri II continue les travaux dirigés par Pierre Lescot autour de la cour carrée. Des ailes s’ajoutent à un bâtiment déjà trop petit où un escalier monumental est édifié. La partie basse devait être une galerie ouverte,  fermée, elle recevra des sculptures antiques qui  ainsi ne seront pas exposées aux vents. Le premier étage est réservé au roi et le deuxième aux services sous une toiture brisée à la Mansard. Jean Goujon va richement décorer les façades où les  traits des Valois apparaissent sur les bas reliefs avec une Diane chasseresse qui représente Diane de Poitiers, la maîtresse. Les cariatides du sculpteur supportent une estrade réservée aux musiciens pour un salon d’apparat.
Catherine de Médicis fait construire une galerie inspirée par celle de Florence comme ont été imités des escaliers sur le modèle du palais des doges. 
A l’emplacement de tuileries où Palissy cuisait ses émaux elle fait édifier un château et un jardin d’agrément.
Henri IV reliera les deux châteaux.