mercredi 9 avril 2025

Elena, nécessité fait loi. Myriam Muller.

Cette pièce de théâtre inspirée du film russe « Elena », prix spécial du jury à Cannes en 2011, va au delà du « thriller sociétal » annoncé illustrant la « lutte des classes, des races, des sexes » d’après des commentateurs arrêtés à la prise du palais d’hiver en 1917.
Un de mes amis m’avait prédit en plus : ennui et bavardages. 
Il n’en est rien, j’ai  apprécié la mise en évidence de la distance entre une routine conjugale et les réflexions d’une belle jeune femme intransigeante, informée et solitaire, au miroir de nos petites habitudes qui relativisent de belles paroles sur l’amour, la vie.
Ces propos absolus en ouverture sont prononcés par la fille de celui dont l'existence sera abrégée par sa pauvre compagne accablée par les faiblesses de son propre fils à la descendance désespérante.
La belle mise en scène définit parfaitement les espaces entre des enfants respectifs dépendants du monsieur vieillissant et de sa dame dite « racisée » alors que rien n’apparaît à mes yeux pour documenter cette thématique. L’utilisation de la vidéo avec des plans travaillés rend l’ennui plus lourd, les pensées plus abrasives, les solitudes plus poignantes.
L’ajout au titre initial de la formule : « nécessité fait loi » me conforte dans l’idée que cette pièce stimulante, intéressante est « immorale » comme on disait jadis. 
Notre époque a-t-elle perdu tout humanisme ? Pour n’avoir pas donné de l’argent à des fainéants ingrats, un homme, fut-il ennuyeux, ne mérite quand même pas la mort !

mardi 8 avril 2025

Bonne journée. Olivier Tallec.

 « Oui, très brun, hyper viril, un peu genre Marlon Brando, mais en mieux.
Je te laisse, il m’attend. »
Mon enthousiasme ne s’est pas émoussé, voire il s’est renforcé avec cette trop brève livraison https://blog-de-guy.blogspot.com/2023/06/je-reviens-vers-vous-olivier-tallec.html 
L’auteur joue de l’absurde dans une époque déraisonnable dont il nous console par un humour original tendrement percutant.
Une coiffeuse à sa cliente : 
« C'est vrai que cette crise économique est terrible ma chérie,  
mais réglons les problèmes un par un, et commençons par tes cheveux. »
Nous en sommes tous là.
Les personnages, qu’ils soient super- héros conduisant fiston à l’école, tout petits dans la jungle ou au bord d’une piscine, riches préhistoriques ou contemporains, petits ou grands, poulets ou carottes, appellent un éclat de rire à chaque page.
La brebis au milieu d’une prairie immense demande à son agneau :
« Tu finis ton assiette ! » 
Noé, n’accepte pas que trois kangourous montent ensemble dans l'arche :
« Je me fiche de savoir que vous expérimentez une nouvelle sexualité :
on a dit un couple par espèce. » 
J’aurais plaisir à faire défiler d’autres situations mais compromettrait  le plaisir de la découverte… ou alors juste une petite dernière :
sur un radeau, un naufragé conseille à ses compagnons d’infortune : 
«  Je ne vais pas le répéter mille fois : 
les déchets organiques dans le bac vert, 
le petit électroménager dans le bac jaune, 
le verre dans le bac blanc. »

lundi 7 avril 2025

Lumière. L’aventure continue. Thierry Frémaux.

Nous revenons pendant deux heures aux débuts du cinématographe entre 1895 et 1905 : c'est un bain de fraîcheur aussi bien pour la diversité des images animées apparues pour la première fois sur les écrans que pour la façon dont les opérateurs de Gustave et Louis Lumière ont pu placer leurs caméras dont il fallait tourner la manivelle. 
« Silence on tourne ! »
Le directeur du festival de Cannes 
commente avec humour et passion les séquences initiales de 50 secondes composant un voyage commencé depuis le pont d’un bateau vers Alger ou le Japon aussi exotiques que la place Bellecour ou l’inauguration de l’Exposition universelle de Paris en 1900. 
Notre regard se trouve renouvelé devant ces films restaurés mettant en scène acrobates et familles, militaires à la parade, lavandières et foules en travelling, plans séquences, regards caméras, établissant la grammaire première de l’art du mouvement. 
La fameuse « sortie des ouvriers des usines Lumière » inscrit le travail des hommes et des femmes sur pellicule, alors que « l’arroseur arrosé » invente le premier gag. 
La musique de Gabriel Fauré, un contemporain des célèbres Lyonnais, accompagne avec délicatesse ce bouquet centenaire aux fragrances intactes.      

dimanche 6 avril 2025

Le Havre # 4

Il a plu et les nuages persistent. Nous  partons pour notre parking favori à l’hôtel de ville vers 9h30, bien à l’avance au vu du programme de la journée.
Nous attendons un moment, sans possibilité de prendre un café, l’heure d’embarquer sur une vedette de la baie de seine (VBS) prévue à 11h, en  guettant vainement l’apparition du soleil.
Enfin nous prenons place parmi d’autres touristes à bord du bateau.
La visite du grand port maritime du Havre peut commencer !
Grâce au capitaine, nous allons nous familiariser avec toutes sortes bâtiments présents dans ce type de lieu. Nous nous approchons d’énormes pétroliers à quai dont la coque bicolore permet d’estimer la charge en fonction de l’enfoncement  du bateau.
Nous croisons des remorqueurs, des dragueurs, des pilotines, des navires chargés de l’approvisionnement en carburant.
Sur les rives se concentrent les citernes de pétrole, les silhouettes désarticulées des grues gigantesques,  les réservoirs de sucre et de betterave pour le commerce avec l’Espagne ou le Maroc, et inévitable, une multitude de conteneurs colorés ou blancs quand ils sont réfrigérés.
Les docks accueillent une usine de production de pales d’éoliennes (et de nacelles) Siemens Gamesa : nous pouvons en  apercevoir quelques-unes entreposées au sol. Longues de 80 m elles attendent d’être peintes avant d’être transportées par voie maritime,  plus réaliste que la voie routière.
Nous ne verrons pas tout de ce grand port pétrolier, de commerce de plaisance et de pêche répartis dans différentes zones bien évidemment
Nous regagnons l’embarcadère et contournons tel un phare  la statue « Jusqu’au bout du monde » de Fabien Merelle: elle représente une fillette sur les épaules de son père qui scrute l’horizon en direction de NY.
Pour la suite, nous préférons rentrer au AirB&B, déjà pour vérifier le problème du téléphone de Guy, et une fois rassurés, manger une boite de chili avant de nous octroyer une petite sieste.
Nous repartons en pleine forme explorer la Maison de l’armateur. Cette demeure surprenante, l’une des seules au Havre datant du XVII° siècle, dispose d’une façade néoclassique travaillée en pierre.
Elle comprend cinq niveaux : un rez-de-chaussée (écuries), un entresol (entrepôt), deux étages (étages nobles)  et un attique. A  l’intérieur, s’élève un puits de lumière octogonal, en forme de phare, percé de fenêtres et se rétrécissant jusqu’à une verrière en pointe.
Les pièces des étages nobles épousent son pourtour, petites, originales dans leur configuration, séparées par des portes et sans couloir.
Le  3ème niveau est réservé aux  appartements constitués de la chambre de monsieur, la chambre de Madame, d’un salon de musique  identifiable à son clavicorde, d’une salle à manger dans les tons bleus rehaussés par  les bas- reliefs blancs de déesses des saisons antiques ; on dirait de la porcelaine Wedgwood appliquée à une bonbonnière taille XXL.
Le 4ème niveau concerne plutôt  la vie sociale et intellectuelle et reçoit une bibliothèque un cabinet des cartes, un cabinet des curiosités, une chambre d’hôte  et la chambre de la gouvernante.
Les bonnes  logent encore au-dessus et doivent emprunter un escalier prévu pour le personnel.
Le luxe se révèle dans les parquets en bois rares et exotiques ou les carrelages en pierre à motifs géométriques.
Quant à l’ameublement et les objets exposés, ils ne proviennent pas tous de la maison, mis à part les portraits suspendus des propriétaires. Cependant, ils renseignent bien sur ce à quoi devait ressembler une habitation bourgeoise d’un armateur riche de cette époque. Ainsi, nous apprécions une collection de figurines en terre cuite aux couleurs délavés originaires de Calcutta
Grace à une tablette prêtée à l’entrée, nous apprenons un peu mieux qui étaient les heureux occupants de cette maison singulière.
Les plus connus s’appelaient J F Begouen et les  Foäche, Stanislas et Martin dont les familles fusionnèrent par mariage.
Ils fondèrent leur empire sur le négoce et le commerce négrier, que pudiquement, la tablette nomme commerce atlantique triangulaire. Il semble que le Havre ait encore du mal à assumer ce passé peu glorieux de son histoire, qui lui a permis de s’enrichir.
Malgré la relative exiguïté des pièces et de l’escalier, nous avons pu déambuler  à notre rythme  sans subir l’inconfort d’un nombre trop important de visiteurs.
Nous prenons la sortie et réfléchissons comment occuper le reste de l’après- midi.
Pourquoi pas ne pas nous hasarder à Saint Adresse ?
 
Nous récupérons la voiture indispensable pour rejoindre la « Nice havraise ».
Cette station balnéaire abrita le gouvernement belge pendant la 1ère guerre mondiale, d’ailleurs le drapeau belge flotte toujours pour le rappeler
:
« Pendant quatre années, Sainte-Adresse vivra au rythme de la Belgique qui, bénéficiant par la France d’un décret d’exterritorialité pour l’ensemble des bâtiments qu’elle occupait, y avait installé son gouvernement et l’avait érigée en capitale ».
Au hasard, nous prenons de la hauteur dans l’espoir de tomber sur un panorama intéressant, près d’un bunker disparaissant sous les tags.
En tournicotant dans le secteur, nous tombons sur Notre Dame des flots qui  renferment des ex-votos marins que nous aurions bien aimés voir mais malheureusement, l’église doit subir des réparations après les dégâts causés par la dernière tempête et n’ouvre plus ses portes ni  au public, ni aux fidèles.
Plus loin nous contournons  « le pain de sucre » d’un blanc immaculé. Ce cénotaphe, commandé et sponsorisé par la veuve d’un général, cousine de Napoléon, est censé éviter les naufrages en servant de repère (« d’amer ») aux  navigateurs, la dame inconsolable obtint le droit d’en faire son tombeau. Dans tout le quartier, nous constatons amusés et étonnés, que les  rues en pente disposent de bacs à sel disposés  en prévision des risques de gel. Nous redescendons ensuite vers la mer, abandonnons la voiture pour une balade à pied au bord  de l’eau, dans les traces des peintres impressionnistes.
Depuis le Havre, une promenade le long de la plage a été aménagée, parsemée de prises de vue  de tableaux de Monet (« terrasse à Saint Adresse »), de Dufy et d’autres, placées aux endroits précis reproduits par les peintres.
Ici aussi se dressent des jolie cabines de bain, mais elles se serrent dans des enclos privés uniformément blanches  pour l’un, bleues pour un autre.
Avant de rentrer à la maison, nous cédons à la tentation d’un apéro au Havre, mais dans un lieu abrité du vent et vêtus d’une petite laine, face au Brittany ferries et au Catène de containers de Ganivet. Une fois rentrés, nous terminons nos restes devant les JO.
 

samedi 5 avril 2025

Mes battements. Albin de la Simone.

L’élégant chanteur sucré, salé, sans excès, 
offre un recueil de peintures vivement colorées et de textes autobiographiques courts où se découvrent sa passion de la composition musicale et son goût des instruments.
Le touche-à-tout risquerait d’être superficiel mais sa douce originalité sans surplomb, rafraichissante et singulière se laisse entendre sur tous supports. 
Sa voix tendre est perceptible dans le récit d’une enfance picarde au sein d’une famille modeste qui se donne des allures aristocratiques sans que son originalité soit tapageuse.
Pendant 140 pages, le titre parfaitement illustré, à l’exception d’une petite bande dessinée maladroite, se justifie par l’expression de douces émotions et aussi les pulsations d’une musique mise au service de Pomme, Alain Souchon, Mathieu Boogaerts, Salif Keita …
Ce livret accompagne son dernier album « Toi là-bas » que je vais courir acquérir.
La quatrième de couverture retient cet extrait, il y en aurait tant d’autres cocasses, légers : 
« Le mercredi, après le départ de mes parents je me lançais dans la construction de ce qui devait devenir mon look. Il fallait du brillant. Du métallique. Bagues, épingles à nourrice, bracelets, anneaux, trombones, colliers, gourmettes, tout y passait. Jusqu’à la petite chaînette de la baignoire. Tant que le bouchon restait caché dans ma poche, tout allait bien. »

vendredi 4 avril 2025

Dottore.

Depuis que tant de professions se sentent dévalorisées, on ne parle que de revalorisation salariale. 
Le terme « vocation » ne fait même plus sourire quand il s’agit seulement de trouver un job.
Comme dans d’autres domaines, l’essentialisation sera à bannir, tant il est vrai que tous les prêtres ne sont pas pédophiles, que tous les instits ne laissent  pas s’éterniser les récréations. Tous les médecins ne sont pas devenus remplaçants pour éviter le burn out, bien que certains aillent plus volontiers chercher le stress en aile volante.
Il y a des moments où le sens commun demanderait un peu plus de sens du collectif. 
« Intérêt » accompagnait « général » quand il n’y avait pas besoin de cours d’éducation civique.
Parmi tous les médecins auprès desquels les clients patientent, leurs idées n'apparaissent pas pour atténuer la crise de l’offre de soins dans notre pays vieillissant appartenant à une Europe qui connait les mêmes problèmes. Sans parler de l’Afrique, où les déserts ne sont pas que médicaux, à qui l’on prend médecins consentants, footballeurs de talent, prêtres, livreurs de repas et accompagnantes de nos vieux jours.
Le nombre de praticiens augmente, pourtant il est plus difficile de les trouver qu’un coin à champignons, alors que pour leurs revendications pas besoin d’arrêt de travail de complaisance.
Leurs longues études ont été financées par l’argent public et leurs rétributions sont remboursées par la sécurité sociale. Ces professions qui tiennent tant à leur liberté sont payées par la manne publique, aussi la société pourrait attendre quelque service de leur part sans dépassement d’honoraire. 
Les instits sont nommés dans le Nord Isère et les profs dans le Nord, quand les postes se font rares autour de la promenade des Anglais. Pourquoi un dermato n’irait pas faire un peu de tourisme dans la Haute Loire, ça le sortirait des routines botoxées ?
Une régulation dans l’installation des médecins serait fidèle au serment d‘Hippocrate 
« J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité. » 
Les évolutions sociétales privilégient les intérêts particuliers mais ceux-ci ne peuvent pas indéfiniment prendre le pas sur les besoins collectifs surtout quand ces libéraux attendent tout des autres, de l’état. 
Jadis sacerdoce, "dottore" avait du prestige et constituait avec "professore" l’élite de la nation ; leur pouvoir se décline désormais en groupes de pressions, en lobby.
Tout le monde s’accorde à diagnostiquer une santé mal en point, mais toute prescription est rejetée, ne faudrait-il pas que le corps médical se mette au régime après l'échec de l’homéopathie ?
Les chinois et leurs proverbes pourraient nous aider :  
« A force d’être malade on finit par devenir un bon médecin. »

Adolescence. Stephen Graham et Jack Thorne.

Pendant quatre heures,
nous suivons la déflagration créé par l’assassinat d’une jeune fille vu du côté de la famille de l'accusé âgé de 13 ans.
L’approche cinématographique efficace, avec un plan séquence pour chaque chapitre, a amené toute une société à s’interroger : Keir Starmer, premier ministre, a souhaité que la série de Netflix soit projetée dans les écoles de Grande Bretagne, ainsi qu’au Parlement.
Depuis la porte défoncée de la maison parentale lors de l’arrestation et malgré le respect des procédures protégeant le jeune criminel et le professionnalisme des intervenants, la violence éclate à chaque instant, en tous lieux : le collège est au cœur du cyclone. Le respect se perd dans les couloirs des lieux d'éducation, le respect de la vie quand on croyait avoir mis de côté la mort a foutu le camp, alors que la moindre contrariété «fait péter un câble» de nos contemporains. 
Là se révèle la source de tous les maux : les codes nouveaux  des réseaux sociaux qui soulignent le fossé entre les générations et notre impuissance.
Au-delà du harcèlement, est mise en évidence la nature infamante des « incels » (« célibataires involontaires ») pour des mômes tellement jeunes et déjà victimes d’une masculinité plus que toxique, mortifère. 
L’outrance des termes, le poids des symboles  employés sur Instagram rejoint une théâtralisation exacerbée des sentiments. Par contre les remords sont absents, en dehors de l’expression mécanique « désolé! ». Nous avons tellement évacué la notion de culpabilité, de responsabilité.
La classique confusion entre réel et virtuel ne sera pas guérie par quelques fleurs blanches s’amoncelant sur les lieux du crime. 
Le papa ne voulait pas reproduire les violences subies pendant son enfance et croyait son fils aimant en sécurité à la maison, alors qu'il était dévoré par l'écran. 
Spectateur séduit, je me retrouve avec beaucoup de monde sur les réseaux sociaux à dénoncer les réseaux sociaux, après avoir maté une de ces séries d'une fascinante et déplorable violence 😉.