Madame.
Nous sommes là, désemparés, sans espoir de retrouvailles
dans « les siècles des siècles », face au néant.
Pour se montrer à la hauteur de la digne institutrice
(magister en latin),
on peut citer Victor Hugo, emblème de notre école
républicaine.
Sommes-nous comme ces soldats de Napoléon courbant la tête pendant
la Retraite de Russie ?
« Ce n’était plus
des cœurs vivants, des gens de guerre ;
C’était un rêve errant
dans la brume, un mystère,
Une procession
d’ombres sous un ciel noir,
La solitude vaste,
épouvantable à voir,
Partout apparaissait
muette, vengeresse. »
Nous sommes là, solitaires.
Nous sommes là, ensemble.
Ensemble, comme nous l’avons été dans nos ambitions pour les
élèves qui nous étaient confiés.
Ensemble, dans nos rêves politiques aux nuances diverses qui
se disaient et s’acceptaient.
La maîtresse du cours préparatoire était exigeante et
distribuait des bonbons.
De Fontaine au Fontanil, de l’école de la Gare à celle de
Rochepleine, elle a travaillé à la racine des apprentissages, délivrant aux
collègues qui lui succédaient, des mômes outillés pour aller au bout de leurs
capacités.
Au service des petites classes, ses savoirs ont été reconnus
plus tard à l’Université Inter-âges.
Colette parlait franchement, elle savait que comme disait Camus:
« Mal nommer les
choses c’est ajouter au malheur du monde ».
Et nous sommes malheureux.
Attentive à l’orthographe, il fallait combattre sa modestie
pour qu’elle accepte de vous corriger.
A force de compter les morceaux de nous en allés après tant
de nos amis disparus, nous oublions les couleurs des images de nos vies dans les
tiroirs de nos mémoires.
Des souvenirs pourtant ramènent aux rires, à l’humanité, à
l’"Huma" : Boule et Bill de la méthode de lecture déboulent parmi les
travaux d’aiguille, de confection de robe ou de blouse aux grandes poches, les
recettes de cuisine, des longueurs de piscine et des courses sur la digue, les fleurs et les dessins, les émotions
autour d’un tableau de Courbet, « Simone , le voyage du siècle » au
cinéma, les parents d’élèves, nos parents,
et les anciens élèves qu’est-ce qu’ils deviennent ?
Les enfants toujours et nos petits enfants à qui envoyer le
poème du jour :
« Année nouvelle
Donne-moi les oiseaux
Qui possèdent les mots
Doux et tendres
Les mots du cœur
Du grand large
Et de
l’évasion. »
(Luce Guilbaud)