jeudi 17 avril 2025

Tony Cragg. Gilbert Croué.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a présenté
Tony Cragg une des figures majeure de la sculpture contemporaine. « Outspan ». 
Né en 1949 à Liverpool, après une formation scientifique et des études artistiques, il enseigne à Metz puis devient recteur de la Kunstakademie à Düsseldorf .
« Endless Form » Intervenant au Collège de France, il a exposé au Louvre.
A la manière de
Picasso, « Mandoline et clarinette » en bois de caisse,
il récupère à ses débuts des objets en plastique pour évoquer une
« Emeute »
ainsi que
« La grande Bretagne vue du Nord ».
où le point de vue questionne à la manière de cette
« Planisphère chinoise ».
Ses installations s’inspirent du Minimalisme, de l’Arte Povera : un minimum d’intervention, un minimum de narration, des matériaux de hasard.
« Tête de hache ».
 « Saint Georges et le dragon » : 
le saint patron de l’Angleterre est en train d’être digéré par le monstre visqueux.
Il joue avec les tailles de tampons administratifs : « 
Subcommittee » ( Sous commissions).
« Spyrogyra »
, hommage à Duchamp, repose la question du regard en art, 
depuis qu'un objet du quotidien est placé sur un socle.
« The Stack »
accumule,
« Cumulus » empile.
Il évolue vers des matériaux plus traditionnels comme le bois ou le bronze.
 
« Early forms » retrouve l'invertébré primitif.
« Manipulations » appelle  Paul Claudel : 
« L’ordre est le plaisir de la raison, mais le désordre est le délice de l’imagination. »
« Pan (Dice) »
. Le dieu de la nature joue aux dés avec un fœtus soumis au hasard génétique.
Il recherche dans les chaines du vivant :
« Chromosomes ».
Après des voyages sous microscopes, un étrange passeur se propose
« Ferry man ».
Des colonnes torsadées à lectures multiples selon le déroulé de la forme 
se mettent en mouvement « Column ».
« Wild relatives » nous sollicite pour voir les vides. 
Il convient de faire le tour, 
de « monter sur la colline » comme avec Marcus Raetz « Skulpturengruppe ».
Celui-ci avait rendu hommage à Beuys : « 
Métamorphose II, Beuys/Hase »
posant lors d’une performance le visage enduit de miel et de feuilles d’or  
« Comment expliquer des tableaux à un lièvre mort ? » qui réveilla l’art allemand. 
. « Pair » de Cragg joue avec les déséquilibres,
« Ligne de pensée »
est mouvante.
Les statues sortent du statique
ainsi que le fit en 1913 Umberto Boccioni «  L’homme qui marche ».
Bertelli
un de ses compatriotes avait produit « Profil Continu » : Le Duce à 360°
fut décliné en pièces pour échiquier.
Cragg s’en rappelle dans « Mauvais garçon »
« Bent of mind »
« silhouette des visages déformés ».
A l’orée de sa maison
à Wuppertal (Allemagne), il a installé un jardin de sculptures où strates et volutes, formes abstraites et organiques glissent de la culture dans une nature insurpassable.
« Ainsi les débris de la civilisation se déposent en couches successives 
créant le terrain fertile sur lequel germera le futur ».

mercredi 16 avril 2025

Souchon au Summum.

Je m’étais dit: « les concerts c’est fini » et puis l’accompagnant de toute une vie passant dans les parages je ne pouvais le manquer. 
L’octogénaire remonte les années et le moral.
Au-delà d’un air qui entête, les chanteurs vieillissent avec nous, laissant pour l’auteur de « Maman, comment tu m'as fait, je suis pas beau », la trace d'un infini sourire sous la mèche effilochée
Des indulgences peuvent être attribuées aux rêveurs réconciliés:
« J'aime les regretteurs d'hier
Qui trouvent que tout c'qu'on gagne on l'perd
Qui voudraient changer le sens des rivières
Retrouver dans la lumière
La beauté d'Ava Gardner ».
 
Je sais si peu de cette femme fatale mais l’idée suffit comme pour  
« ces nouvelles pour dames de Somerset Maugham » 
jamais lues, au fort pouvoir d’évocation. 
« La vie, c’est du théâtre et des souvenirs » de la littérature et du cinéma:  
« L’amour en fuite »
« Toute ma vie, c'est courir après des choses qui se sauvent
Des jeunes filles parfumées, des bouquets d'pleurs, des roses »
 
Bien sûr : « Foule sentimentale », « J’ai dix ans », « Poulailler’song », «  Rame », « La balade de Jim »…  deux heures et demie de plaisir parmi trois cents chansons, une découverte de trente ans d’âge, « Casablanca », la ville où il est né :
« Bogart offrait place de France
Du vin d'Alsace à sa Lauren »
Alsace Lorraine.
Le chanteur m’enchante tellement par sa poésie, ses décalages, que je lui pardonne ses appels sautillants à « Grenoble, Grenoble » qui m’insupportent chez d’autres. Le moindre de ses bavardages, augmenté par sa belle complicité avec ses fils, me fait sourire.
Et je fonds :
« Quand j'serai rien
Qu'un chanteur de salle de bains
Sans clap clap
Sans guitare sans les batteries qui tapent
Est-ce que tu m'aimeras encore
Dans cette petite mort ? »
 
« Oui! » crient les « folles griffonnant des « je t’aime » sur des bristols ».

mardi 15 avril 2025

Toutes les princesses meurent après minuit. Quentin Zuittion.

Le 31 août 1997, au bord de la piscine, 
un jeune garçon joue à la poupée, 
sa maman apprend à la radio la mort de Lady Dy, 
son papa n’est pas rentré de la nuit, 
sa grande sœur a reçu en cachette un garçon dans sa chambre.
Les couleurs pastel revêtent de douceur la vie d’une famille où des relations se font et se défont sur fond de chansons de Lara Fabian :
« Je t'aime, je t'aime
Comme un loup, comme un roi »
 Et de Françoise Hardy : 
« Oui, j'étais la plus belle
Des fleurs de ton jardin »
 La mythique « Princesse des cœurs », passée au stade de métaphore, vient de disparaître, comme l’innocence des jeux de l’enfance, les illusions romantiques de l’adolescence et que sont usées les relations entre les parents. 
Dans ce récit tout simple et gentil, le soleil brûle les peaux tendres, 
mais les rêves résistent à l’ennui et à la routine. 
« Maintenant, il va y avoir des jours un peu plus compliqués. 
 Mais je te promets qu'on sera ensemble... Toujours. »

lundi 14 avril 2025

Black dog. Hu Guan.

De ce film où un ancien détenu revenu dans sa ville natale va s’attacher à un chien qu’il est chargé de chasser, je retiens les formules du générique de fin : 
« Pour ceux qui se remettent en route. »
« A mon père. »
« Aucun animal n'a été maltraité pendant le tournage. »
La ville à l’orée du désert de Gobi couleur de cendres, a le charme des ruines. 
Les habitants qui  en sont partis ont abandonné leurs chiens. Un noir maigre et agressif soupçonné d’avoir la rage a la beauté du gardien des enfers.
Pour ce film primé à Cannes dans la compétition « Un certain regard », le bien nommé, celui qui aurait mérité la « Palme Dog » va être apprivoisé par le jeune homme mutique jadis reconnu pour ses talents en moto. 
Il essaye de se réinsérer dans un environnement violent. 
Pékin, où se déroulent les Jeux Olympiques de 2008, semble loin. 
Ce cinéma dépaysant, aux allures de western crépusculaire, dans des décors fantomatiques, nous frappe par son originalité. La rareté des moments de douceur nous les font d’autant plus apprécier. 
Un dernier sourire échappant à la mièvrerie des happy ends traditionnels nous rassure. 
Nous avons vu un bon film, un beau film, un film fort.

dimanche 13 avril 2025

Rouen # 1

 Nous partons pour ROUEN distant d’une petite centaine de km, le soleil nous accompagne prenant le pas sur le temps grisou d’hier.
Arrivés en ville, nous réussissons à dégotter une place pour la voiture, dans un  parking couvert du centre-ville (Parking de l’hôtel de ville) déjà bien plein.
C
omme à notre habitude, nous visons l’Office du tourisme en 1er lieu et retenons une visite guidée  pour demain de 15h à 17h.
Puis nous nous rendons chez Orange, où un employé compatissant nous indique un bon réparateur  de téléphonie, SAVE, qui semble pouvoir régler mon problème d’ici ce soir.
Le cœur léger, nous commandons un café en terrasse, espace du palais afin d’élaborer notre plan de bataille,
et avant de nous lancer vers l’église Saint-Maclou dans les ruelles anciennes qui ont su s’adapter à la vie d’aujourd’hui tout en côtoyant un habitat plus moderne. La magnifique façade de l’église répond aux canons du style gothique  du XV°.
En pierres blanches et tendres, elle se divise en cinq arcades suivant un arrondi, décorées de sculptures et d’ornements si érodés que les aspérités s’estompent, disparaissent, rongées.
Nous la contournons, pour accéder à l’Aître Saint-Maclou.
Un aître désigne une cour rectangulaire d’un  cimetière médiéval, le mot vient du latin atrium, soit une cour intérieure possédant une galerie chez les romains.
Dans celui-ci furent entassées jusqu’à six couches de cadavres pendant les grandes périodes de peste.
Les corps y pourrissaient  jusqu’à l’état d’ossements  pour être ensuite  transportés en étage dans l’ossuaire.
Ce très bel ensemble architectural  de maisons à pans de bois à deux niveaux encadrent une cour carrée.
Les poutres longeant les galeries du bas, sablières et potelets  affichent des sculptures  de tibias, de fémurs entrecroisés, de têtes de morts en relation avec la fonction du lieu. Et les piliers en pierre soutenant l’étage portent des statues mutilées aux têtes coupées.
Sur les colonnes des galeries Ouest et Est, la danse macabre des laïcs fait front à la danse macabre des ecclésiastiques.
Au centre, des arbres occupent aujourd’hui la cour ainsi que la terrasse du restaurant le «Hamlet ».
L’aître fut construit au XVI° siècle et constitue l’un des rares charniers de ce type en Europe parvenu jusqu’à nous. Au fil du temps, il fut reconverti en école de garçons, puis de filles en des époques où l’école de Jules Ferry n’existait pas, et en musée des beaux- arts en 1949. Il accueille de nos jours la galerie des Arts du feu et un espace dédié aux expositions ou à des ateliers.
Nous ne choisissons pas « le Hamlet » pour notre pause repas, et devrons renoncer à un restau alléchant « Un grain de » rue Cauchoise servant une cuisine maison traditionnelle  mais pour cette bonne raison, pris d’assaut.
Après avoir investigué dans les ruelles  commerçantes du quartier,  typiques et bien entretenues avec leurs façades pimpantes, nous nous replions sur une brasserie plus ordinaire mais accessible  à côté de l’église saint- Maclou.
Après le déjeuner, ne voulant pas empiéter sur la visite guidée qui nous attend demain, nous optons pour la découverte du cimetière monumental.
Comme il se situe au-dessus de Rouen, nous prenons la voiture mais n’avons aucune peine à la garer. D’ailleurs certains visiteurs entrent directement dans l’enceinte avec leur véhicule.
Une fois le portail passé, des panonceaux justifient le manque d’entretien pour des raisons écologiques et prônent le retour à la nature, au développement de la flore et de la faune, ce qui se traduit par l’abondance d’herbes folles (« mauvaises herbes » n’est pas de mise) et accentue l’impression d’abandon déjà souligné par l’écroulement de vieilles tombes. La comparaison avec le cimetière du Père Lachaise parait abusive, car les sépultures n’offrent pas autant  de variétés et d’originalité.
Même les tombes de Flaubert et de Marcel Duchamp n’attirent et ne retiennent pas particulièrement l’attention. 
Outre ces deux célébrités reposant ici se trouve aussi le musicien J.F. Boieldieu.  Cependant, notre promenade dans les allées  a le mérite de nous offrir une jolie vue sur la ville.
Puisque nous disposons de la voiture, nous nous dirigeons hors centre  vers le Panorama XXL, que le GPS signale près l’université mais nous tournons en rond sans résultat. Une jeune étudiante interrogée fort au fait de la question nous informe de sa démolition depuis plusieurs années…


samedi 12 avril 2025

L’accident. Jean-Paul Kauffmann.

L’ancien otage du Hezbollah dans les années 80 nous conduit à Corps-Nuds, la commune bretonne de son enfance au nom étrange avec une église dont le clocher conviendrait plutôt à une église orthodoxe. A travers le souvenir d’un accident qui coûta la vie à dix-huit jeunes de ce village en 1949 se revisite toute une époque. 
« Entourée d'un étrange non-dit, la tragédie ne traduisait pas la volonté de cacher mais plutôt de garder pour soi, à l'échelle du bourg, la trace d'un traumatisme trop lourd et sa part intransmissible. »
 L’ancien journaliste, fils de boulanger, nous livre 320 pages de gratitude, pleines d’odeurs, de nuances, où chaque mot est pesé pour restituer le plus justement ses souvenirs. 
« Je n’aime pas la nostalgie, cette mélancolie complaisante, maladie qui ne veut pas être soignée, je préfère le nevermore, ce  jamais plus qui ne regrette rien, ce désespoir maitrisé, point hésitant entre l’oubli et le souvenir. » 
Son enfance heureuse dans une après-guerre laborieuse, austère, lui a permis de résister pendant une détention de trois ans, qu’il se garde de brandir comme un étendard.
« Je n'ai fait aucun cauchemar pendant ma captivité. Mes rêves étaient tous bienfaisants. 
La hantise de la mort qui me harcelait pendant la journée, s’évanouissait par miracle pendant la nuit.» 
Des références au mal, au malin, venues de son passé d’enfant de chœur peuvent aujourd’hui s’agiter comme sonnette : 
« Le démoniaque est toujours là. Je le vois aujourd’hui dans cette fatigue générale, la violence triomphale trop consciente d’elle-même, la morosité paralysante et surtout cette confusion qui fait passer le faux pour le vrai. Cette apathie face au mensonge, d’essence diabolique, a fini par gagner les meilleurs esprits. » 
Le provincial évoque des paysages virgiliens, comme le suggère le dessin de première page  avec un virage qui s’avèrera mortel sous un ciel aux couleurs du peintre Nicolas Poussin.
Les tableaux du passé, peints avec sincérité, nourrissent une paisible sagesse.
« Aime ton destin, aime ton sort. 
Ne t’attarde pas sur ce qui te manque ou t’a fait mal. 
Dépasse ton ressentiment. »

vendredi 11 avril 2025

Diable, diable.

Dieu est mort, le diable lui a de l’avenir. 
Dans le débat public, la diabolisation de l’adversaire fait fureur, pendant qu’à droite la dédiabolisation en arrivait au stade de la lutte finale.
Les ouin ouin de cette rive droite de chez droite n’aiment pas la victimisation, quand ce sont les autres qui courent au martyr, ils ont défait la cravate et crachotent.
Avant ils en appelaient à la sévérité de la justice, ces jours derniers ils la trouvent sans pitié.
Leur indignation a fait long feu, mais je ne m’amuserai pas autour de quelque flamme couvant sous les zones à faibles émissions. Je ne me joindrai pas non plus aux juristes d’un jour, ni aux économistes de fraîche date, je reste à la surface des mots qui ne manquent pas de relief mais partent en tous sens.
Trump, tellement incroyable qu’on ne le prend pas au sérieux, a tout éclaté.
Il donne le ton d’un « n’importe quoi » issu du confinement où les complotistes avaient mené une danse décomplexée qui nous obsède encore.
Le plus anti-woke discrédite les universalistes qui ne supportent pas les woke.
Ce prétendu défenseur de la liberté d’expression censure à tour de bras.
« Le journal d’Anne Franck » est interdit au Texas, les PUF (Presses Universitaires de France) ont suspendu la publication d’un livre sur « L’obscurantisme woke ».
Les vérités alternatives nous mettent sans dessus dessous : la Russie n’est pas l’agresseur, le Hamas n’est pas terroriste, la France est colonialiste, pas la Chine…
Toute critique de la gauche est renvoyée carrément côté facho quand inversement est distribué sans nuance le qualificatif « islamo gauchiste ». L’expression devenue le gimmick des amuseurs de France Inter, leur permet de jouer sans fin : « c’est pour rire m’dame ». 
A proximité, l’expression « islamophobe » vise à fermer la bouche à tous ceux qui n’admettent pas que la religion catholique ait l’exclusivité des critiques et des sarcasmes.
De telles cabrioles ressemblent à celles d’enfants cherchant à confirmer l’image qui leur a été attribuée : « Ah ! On a dit que j’étais pénible ; je vais m’appliquer à l’être ».
L’adversaire affublé d’une tunique infamante n’aura pas d’autres solutions que de s’enfermer dans le camp où il a été assigné.
En matière de très grand méchant, l’éléphant républicain dans la pièce est tellement gros, grossier, que nous perdons tout recul.
Le super capitaliste affole les bourses et polarise l’attention. 
Le temps de la découverte des effets pervers est dépassé, peut-on imaginer des effets positifs à des mesures délétères ? 
Tant de bonnes âmes déploraient la marche du monde, maintenant qu’elle est bouleversée, regrets et vœux pieux ne sont plus de mise.
Nous en serions à nous accommoder d’une mondialisation jadis vouée aux gémonies.
Les états privés d’aide au développement remettront-ils en question leur dépendance toxique ? 
 « La guerre arrivée, le diable agrandit son enfer. » Proverbe espagnol