vendredi 6 décembre 2024

Elle.

Une publicité pour un évènement organisé par le magazine « Elle » porte la mention « Musée de l’homme » remplacée par « Musée de la femme » auquel ne manque pas le point d’exclamation.
 
Depuis longtemps le mot « homme » même accompagné par « les droits de… », a perdu de son universalité pour être ramené à sa condition de mâle.
L'orthographe se délite, le vocabulaire s'appauvrit au moment où de pointilleuses ponctuations criblent quelques cultureux écrits.
Le magazine « Lui » a disparu bien avant que les proclamations inclusives soient devenues à ce point exclusives.
La mise en cause de tout homme à propos du procès de Mazan peut susciter un rejet automatique : nous ne sommes pas tous des violeurs de femmes chimiquement endormies.
Le refus de se voir essentialiser peut évidemment servir, comme il est admis que chaque musulman n’a pas à s’excuser des agissements de n’importe quel allumé.
Cette affaire nous concerne pourtant. Sans être obligés de se mettre dans la situation de ces tristes individus présentés comme un échantillon significatif de la masculinité, il est possible de se sentir troublés par un débat qui se poursuit.
Le boomer, que je suis, n’a plus à pousser mémé dans les orties, ni même dans les myosotis. J'éviterai donc de revendiquer une quelconque sagesse de circonstance, faisant valoir de surcroit le délai de prescription  pour avoir punaisé une photographie de Claudia Cardinale au mur de ma chambre d’adolescent.
A l’heure où l’expression «  je m’en bats les couilles » devient la ponctuation de la conversation de bien des adolescents, nous aimerions passer à d’autres expositions, que la mise en vitrine qui s’éternise, de nos bijoux de famille.
Pour avoir passé ma vie dans des milieux essentiellement féminins, je n'ai pas eu à mettre mon identité particulièrement en avant, ni à me diminuer. Les affres en tous genres : agenre, pangenre,  queer, genre fluide ou genre non conforme me sont étrangères. 
Les semelles compensées en transe battent le pavé, tandis que c'est la débandade chez les escarpins. 
Je réserve mon côté non binaire à des approches intellectuelles éloignant le manichéisme. 
A tellement cliver, les femmes se retrouvent plutôt seules à affronter l'avortement, alors que la contraception, une affaire plus commune me semble-t-il, apparait moins sur les écrans.
L'autre jour, j'ai aperçu le titre d'une brochure: « Entrer en pédagogie féministe ». 
D’autres urgences sont prioritaires dans les apprentissages scolaires, bien que le goût des filles pour les filières scientifiques reste toujours en dessous des attentes que leur plus grand appétit scolaire autoriserait. 
Pour être dans le registre des redresseur de destins, ne faudrait-il pas des quotas pour que des hommes puissent accéder à la profession d’enseignant ? Tant d’enfants qui souvent vivent exclusivement avec maman peuvent n’avoir connu que des femmes au cours de leur scolarité. Où sont les hommes ? Les quelques rescapés que je connaissais quand j’exerçais encore travaillaient surtout en maternelle.
Les valeurs de bienveillance qui dominent les discours sont plutôt l’apanage de nos sœurs, alors que triomphent tous les Trump dont les chevaux de bataille ont la tête tournée de l’autre côté.
Peut être que les excès woke ont accéléré la venue du diable blond et de ses épigones.
Les femmes disait-on étaient les gardiennes de la mémoire, des traditions, je ne sais si cela est encore vrai, tant se délitent les fresques anciennes sous les tags contemporains.
Les mots se dévaluent quand le terme « sublimer » se trouve au dos d’une tablette de chocolat aux « saveurs intenses, élégantes et racées »;  que restera-t-il pour Claudia  C. ? 
J'avais retenu la citation ci-dessous qui semblait bien s'articuler, mais à remplacer «femme» par «homme», rien de neuf n'apparait dans nos incompréhensions... alors disons «humains.
« Ceux qui disent toujours du bien des femmes ne les connaissent pas assez ; 
 ceux qui en disent toujours du mal ne les connaissent pas du tout. » 
Pigault- Lebrun

jeudi 5 décembre 2024

L’art institut de Chicago. Benoît Dusart.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a choisi d’organiser son exposé autour  de la chronologie des donations, tels ces lions offerts par Fields pour le deuxième musée des Etats-Unis après le Metropolitan Museum newyorkais.
Une école d’art avait précédé le musée fondé en 1879,
installé dans le Grant Park depuis l’exposition Universelle de 1893 où se tint pendant une dizaine de jours le « Parlement des religions du monde ».
Bibliothèque et auditorium à la verrière (
30 000 panneaux de verre) de chez Tiffany sont construits de part et d’autre d’un axe de symétrie
fidèle à la typologie de Nicolas Durand pour un premier bâtiment
d’un ensemble 
qui atteindra 70 000 m2.
« Le chant de l’alouette »
de Jules Breton,  « Image la plus aimée d'Amérique » après un concours organisé par le « Chicago Daily News » fut décroché par les responsables du musée qui durent le réinstaller cependant devant la ferveur populaire qu’ils avaient méprisée.
Le collectionneur Durand Ruel eut un rôle important pour l’enrichissement du musée en lien avec Mary Cassatt 
Ainsi l
es quatre panneaux d’Hubert Robert « Les Fontaines, Le Vieux Temple, L’obélisque, Le Débarcadère » destinés au château de Méréville, en accord avec les jardins qu’il avait conçu, sont installés désormais dans cette région des grands lacs. 
Le coût très important de  « L’assomption de la vierge » du Gréco nécessita plusieurs années avant de réunir l'argent nécessaire pour une acquisition définitive.
Anders Leonard Zorn
a peint « Bertha Palmer », dirigeante du Conseil de direction des dames qui a fait construire « Le Woman's Building ».
Elle avait accueilli Sarah Bernard comme une reine alors que celle-ci avait visité les abattoirs :  « Ah ! L’horrible et magnifique spectacle ! »
D’origine française, la femme d'affaires et philanthrope américaine revient de Paris avec 29 Monet et 11 Renoir dont «  Acrobates au cirque Fernando » . Les jeunes filles ne sont pas de jongleuses, elles recueillent des oranges lancées en hommage à leur performance.
« Au cirque Fernando. L'Écuyère »
par Toulouse Lautrec appartient à la collection Winterbottom qui comporte 35 œuvres où une nouvelle peinture se substitue une autre :
ainsi « L'Ombre de la Mort » de William Holman Hunt 
remplace place de « Matinée ensoleillée – Huit Jambes » de Julian Freud.
Souvent des veuves confient au musée des œuvres collectionnées par leur défunt mari : « Lady Sarah Bunbury, sacrifiant aux Trois Grâces » de Joshua Reynold  de la part de Mrs. W. W. Kimball
ou « Old Man with a Gold Chain » de Rembrandt.
Les parapluies de la solitude dans un « Dimanche après-midi à la grande Jatte » de Seurat s'ouvrent sous le soleil,
et de l’autre côté de la cloison dans  la «  Rue de Paris » de Caillebotte, 
on peut compter les pavés.
Autre donatrice, la très riche Anny Swan avait rempli de tableaux sa suite de l’Hôtel Blackstone et remisé sous le lit « Midi ensoleillé, Arles » de Van Gogh qui éteignait, il est vrai, les autres.
Elle a légué aussi « Les deux sœurs » de Renoir, un bouquet.
Par ailleurs, le « Cupidon châtié » de Bartolomeo Manfredi compte parmi les tableaux les plus célèbres
comme l’iconique « American Gothic » de Grant Wood 
qui a fait poser sa sœur et son dentiste.
Les « Miniature Rooms » de Narcissa Niblack Thorne reconstituant différentes époques sont aussi très courues.
Pour illustrer les rapports parfois houleux entre artistes et sponsors : les « Collectionneurs américains » n’avaient pas apprécié leur portrait commandé à  David Hockney.
Georgia O'Keeffe, « Sky Above Clouds »,  la régionale de l’étape, avait étudié à l’école de l’Art institut de Chicago, près du bâtiment initial néo classique, agrandi récemment par Renzo Piano  de l’autre côté des voies ferrées apportant une lumière du jour parfois plus intense que celle du dehors.

mercredi 4 décembre 2024

Le garage inventé. Claude Schmitz.

Cette pièce de théâtre serait « méta diégétique » voire « désanthropocentré » comme j’ai pu le lire chez quelque auxiliaire publicitaire squattant les réseaux des amateurs de plateaux. J’avais cherché en vain quelques critiques, sortis peut être avant la fin comme de nombreux spectateurs trouvant interminables ces 2h et quart.
Je dirais que c’était simplement « con » et assumé comme tel.
Le metteur en scène censé penser vient faire des effets de panse sur le plateau avant que son actrice ne dise qu’elle s’en va… et puis non elle revient. 
Une voiture n’arrive pas à démarrer malgré fumée et clignotements répétitifs, le spectacle ne s'est jamais mis en route. Le seul moment de théâtre arrive quand le technicien en chef  s’essaye à jouer Cyrano dont quelques mots suffisent à mesurer la profondeur de l’abime séparant les époques, j’allais dire les auteurs, mais non seul Rostand nous parle, l’autre reste un imposteur jargonnant jouant avec l'éclairage.
Dans un  long prologue cinématographique un sympathique grand-père rocker joue au dragon gentil avec une petite fille qui triture un cheval au bout d’une ficelle nommé cheval-ficelle. C’est elle la plus inventive dans cette création vaine, même pas pathétique, ni absurde, ni loufoque : vide.  
Heureusement quelques commentaires peuvent divertir après l’habituelle  
« actrice emprisonnée dans l’imaginaire patriarcal d’un metteur en scène » : 
«  Ce qui fait d’ailleurs penser à la pièce Stifters Dinge du compositeur et metteur en scène allemand Heiner Goebbels présentée en 2008 au Festival d’Avignon, « une œuvre pour piano sans pianiste mais avec cinq pianos, une pièce de théâtre sans acteur·ice, une performance sans performeur·se mais avec de la lumière, des images, des bruits, des sons, des voix off, du vent et du brouillard, de l’eau et de la glace ».

mardi 3 décembre 2024

L’astragale. Anne Caroline Pandolfo Terkel Risbjer.

Je n’avais pas lu l’autobiographie alors culte d’Albertine Sarrazin datant d’avant 68, ni vu le film en noir et blanc de 2015 avec Leïla Bekhti et Reda Kateb.
En 220 pages vivement brossées de noir, j’ai rattrapé cette lacune et retrouvé une époque, où la passion affronte la liberté en n’ayant que faire des grands mots quand la vie d’une si jeune femme crépite.
Anne s’est cassé un petit os de la cheville, l’astragale, en sautant du mur d’une prison, Julien qui sort de tôle la planque. Ils tombent amoureux. 
« Je rampe. Mes coudes deviennent terreux, je saigne de la boue, les épines me percent au hasard des buissons, j’ai mal mais il faut continuer à avancer. » 
Son immobilité dans des chambres de passage, le fait d’être entretenue, pourraient signifier le contraire d’une émancipation, mais sa rage qui lui fait surmonter douleurs et solitude constitue le carburant d’une vie intense, âpre et romantique.

lundi 2 décembre 2024

Trois amies. Emmanuel Mouret.

Du temps où j'avais l'âme sociale, ce réalisateur m’agaçait, je le trouvais futile et parisien, j’apprécie aujourd’hui ses comédies légères, loin d’être superficielles, comme disait une des trois amies avec lesquelles j’ai partagé ce bon moment. 
L’amour et le désamour, quoi de neuf ? Eh bien le réalisateur, que je vois volontiers en chroniqueur du XVIII° siècle, nous sert quelques variations  bien troussées, originales et convaincantes sur les sentiments de profs quadra d’aujourd’hui. 
La voix off de Macaigne m’a mis tout de suite dans de bonnes dispositions pour deux heures de jeux entre hommes et femmes où les mensonges entre amies s'avèrent plus drôles que dramatiques. Les mâles ne sont ni ridicules ni grossiers et on pardonnera à leurs partenaires féminines leurs inconstances qui ornent nos heures. 
Les passions mauvaises comme la jalousie peuvent mettre de l’huile dans les rouages, alors que les amoureux trop épris peuvent effrayer les donzelles.

samedi 30 novembre 2024

Arpenté. Alain Freudigeur.

Le titre exprimé au participe passé se révèle tout à fait juste tout au long de 138 pages précises et modestes. 
La géographie construit un homme en devenir. 
«… en découvrant mon environnement, je découvre que j’ai un corps, des sens, une pensée ; Avant de l’explorer, je n’étais rien ou pas grand-chose. J’explore ces frontières et je me crée un corps, encore partiel, une sensibilité, un être. » 
Le petit enfant grandit et la mémoire impressionnante de l’écrivain réveille chez le lecteur des souvenirs délicieux de genoux écorchés, quand pissenlits, papillons, vaches et champ de maïs constituent l’univers… et les copains.
 Il ne s’agit pas d’un exercice de plus de « je me souviens » mais d’une expansion du domaine de l’étonnement souriant.  
Dans les années 80, le fils de pasteur d’un village vaudois bénéficie entre quatre et sept ans d’une liberté qui pourrait sembler incroyable aujourd’hui alors qu’elle était naturelle à cette époque.
Jamais remis de mes délices d’enfant à l’écoute de Pagnol, je reste très sensible à la façon d’exprimer l’enfance. 
L’auteur suisse accompagne le développement du petit, ses découvertes avec beaucoup de justesse, du mécanisme de la pince à linge au mystère de la mort de Léon.   
« Je dois parler du sol. Car dans cette expérience et de ce souvenir ressort une autre chose très nette: dans la petite enfance, l’importance du sol, et de ce qu’on y voit, de ce qu’on y trouve, de ce qu’on y tâte, du pied ou de la main, est considérable. » 

vendredi 29 novembre 2024

Les yeux de Mona. Thomas Schlesser.

Chaque semaine, pendant un an, un grand père emmène sa petite fille au Louvre, à Orsay, à Beaubourg. 
Cette initiation à l’histoire de l’art au succès planétaire remet en mémoire « Le monde de Sophie » expliquant la philosophie. 
« Si je comprends, 
le tableau nous dit qu’une mère c’est sacré, c’est ce qu’il y a de plus important ;
 et il nous dit que devant une peinture, les couleurs comptent plus que ce qu’il peint. »
En tension depuis si longtemps ces deux conceptions entre la forme et le fond, la beauté et la vérité, cohabitent, se contredisent, nous passionnent.
Mis en appétit par une conférence de l’auteur, j’offrirai l’ouvrage à ma petite fille en lui conseillant d’aller d’abord vers des chapitres traitant de sujets familiers dont elle peut voir les 52 reproductions à l’intérieur de la jaquette.
Si j’ai apprécié la description des œuvres, les commentaires, les biographies, le rappel des contextes qui vont au-delà d’une célébration de la beauté dans toutes ses variantes, le fil narratif m’a paru parfois un peu artificiel et quelques digressions dispersent l’attention.
L’érudit Dadé respecte Mona qui va entrer en sixième en lui parlant comme à une adulte.
La candeur de la petite fait avancer la conversation avec plus d’efficacité que lorsqu’elle semble d’une maturité exceptionnelle.  
« Devant Le serment des Horace, j’ai ressenti quelque chose de froid.
Eh bien, j’ai évité de te le dire, mais ce tableau me fait un peu la même impression…
- Tu peux dire ce que tu veux. On ne doit jamais, devant une œuvre d’art, censurer ses sentiments ou taire ses réserves. Il faut au contraire s’y fier pour en chercher la cause. »
Les 480 pages généreuses font vivre des personnages positifs et chaque artiste se rappelle aux autres. 
« Elle se dit ensuite que Marcel Duchamp était à sa manière un magicien, 
parce qu’il offrait cette possibilité extraordinaire de tout métamorphoser en œuvre d’art.
La confusion qu’il opérait entre l’art et la vie la fit tressaillir ; c’était presque trop beau. »   
Se concentrer sur une touche de rouge à la surface d’une toile apprend à faire attention au monde, à ceux qui l’habitèrent et à ceux qui la peuplent aujourd’hui. 
« … disparus nos ainés ne nous demandent pas de nous conformer à ce qu’ils ont fait ;ils nous disent juste d’être digne de ce qu’ils furent. »