Comme je me trouvais à Bordeaux, un tour s’imposait à la
librairie Mollat où je ne pouvais qu’acquérir le tout récent ouvrage de Maylis
de Kerangal.
« Une affaire vous
concernant » lui a dit l'officier de police judiciaire au téléphone. »
Cette affaire finalement ne concernera guère le lecteur cherchant
à éviter les polars, mais la précision de l’auteur, dont la patte se reconnaît
au bout d’une page à peine parmi les 242 de cette livraison, est toujours là.
« D'ailleurs,
ai-je songé tandis que mes yeux se portaient maintenant sur l'estran lavé,
miroitant, peut-être que si l'on analysait des carottes de sable au
spectromètre, peut-être que si l'on prélevait des échantillons de sols à marée
basse pour les observer au microscope électronique, on y découvrirait des
poussières d'obus, des atomes de microbes de fer, ou des fragments de verre
apparus quand la chaleur des explosions avait vitrifié la surface de la plage,
des microns de matière que ni le temps, ni la corrosion de la mer et du vent,
ni la lente décomposition de tout, n'auraient réussi à dissoudre et à faire
disparaître. »
La ville du Havre reconstruite après son anéantissement en
44 tient une place centrale.
Les thèmes des migrants, de l’intelligence artificielle, de
l’Ukraine, sont abordés avec acuité.
« …
tu ne connais pas non plus, les cadavres dans les puits, ceux des hommes et
ceux des bêtes, tu ne connais pas- tu as éventuellement vu des films de guerre
et de mafia, joué en ligne à des jeux violents, mais ça non tu ne connais pas-,
les bombardements plusieurs fois par jour, réaliser que ta vie est en danger,
tu ne connais pas … »
Nous savons tout sur l’imprimerie du mari et sur l’escrime
que pratique sa fille.
Le retour de la narratrice, doubleuse de voix, vers sa
jeunesse, va au-delà de la molle enquête policière, et nos regards
s’élargissent lorsqu’il est question de reconnaître un corps:
«… je me souvenais avoir lu dans la
presse que parmi les proches des victimes du 13 Novembre certains n'avaient pas
toujours su reconnaître leur enfant, leur femme, leur ami, leur sœur… »