samedi 14 septembre 2024

Jour de ressac. Maylis de Kerangal.

Comme je me trouvais à Bordeaux, un tour s’imposait à la librairie Mollat où je ne pouvais qu’acquérir le tout récent ouvrage de Maylis de Kerangal.
« Une affaire vous concernant » lui a dit l'officier de police judiciaire au téléphone. » 
Cette affaire finalement ne concernera guère le lecteur cherchant à éviter les polars, mais la précision de l’auteur, dont la patte se reconnaît au bout d’une page à peine parmi les 242 de cette livraison, est toujours là. 
« D'ailleurs, ai-je songé tandis que mes yeux se portaient maintenant sur l'estran lavé, miroitant, peut-être que si l'on analysait des carottes de sable au spectromètre, peut-être que si l'on prélevait des échantillons de sols à marée basse pour les observer au microscope électronique, on y découvrirait des poussières d'obus, des atomes de microbes de fer, ou des fragments de verre apparus quand la chaleur des explosions avait vitrifié la surface de la plage, des microns de matière que ni le temps, ni la corrosion de la mer et du vent, ni la lente décomposition de tout, n'auraient réussi à dissoudre et à faire disparaître. »
 La ville du Havre reconstruite après son anéantissement en 44 tient une place centrale.
Les thèmes des migrants, de l’intelligence artificielle, de l’Ukraine, sont abordés avec acuité. 
« … tu ne connais pas non plus, les cadavres dans les puits, ceux des hommes et ceux des bêtes, tu ne connais pas- tu as éventuellement vu des films de guerre et de mafia, joué en ligne à des jeux violents, mais ça non tu ne connais pas-, les bombardements plusieurs fois par jour, réaliser que ta vie est en danger, tu ne connais pas … » 
Nous savons tout sur l’imprimerie du mari et sur l’escrime que pratique sa fille.
Le retour de la narratrice, doubleuse de voix, vers sa jeunesse, va au-delà de la molle enquête policière, et nos regards s’élargissent lorsqu’il est question de reconnaître un corps:  
«…  je me souvenais avoir lu dans la presse que parmi les proches des victimes du 13 Novembre certains n'avaient pas toujours su reconnaître leur enfant, leur femme, leur ami, leur sœur… »

vendredi 13 septembre 2024

Schnock. N° 49.

C’était au moment où 2023 se finissait et la revue trimestrielle qui aime bien les listes avait retenu parmi les mots à la mode : « iconique », « immersif », « pas de souci », facilement repérables alors que j’étais passé sans l’entendre près de « GOAT » (Greatest All The Time).
Dans ce numéro, nous pouvons tout apprendre de la carrière de Bernie Bonvoisin, chanteur du groupe Trust, 
et de celle du dessinateur Jean Claude Poirier, créateur de Supermatou dans Pif Gadget, héros de la ville de Raminagroville.
Après le rappel des publicités d’Isabelle Aubret pour Sol Amor, Sylvie Vartan avec Kelton, et Dalida vantant Saint Raphaël, près de 100 pages sont consacrées à Bourvil.
Sa filmographie fait l’impasse sur les insurpassables « Corniaud » et « Grande vadrouille » pour rappeler, « Les grandes Gueules » de Robert Enrico, « Un drôle de paroissien » avec Mocky ou « Le rosier de Madame Husson » pour sa période champêtre.
Concernant « La traversée de Paris » d’après une nouvelle de Marcel Aymé, nous avons droit à un instructif making-of avec des extraits de dialogue d’Aurenche et Bost : 
 « Non mais regarde-moi le mignon, là, avec sa face d'alcoolique et sa viande grise avec du mou partout, du mou, du mou, rien qu'du mou ! Mais tu vas pas changer d'gueule un jour, toi, non ?! Et l'autre, là, la rombière, la gueule en gélatine et saindoux. Trois mentons, les nichons qui déballent sur la brioche. 50 ans chacun, 100 ans pour le lot, 100 ans de conneries ! » 
Gabin, Grangil, "montait dans les tours", Bourvil interprétant Martin était plus sobre : 
« Y a pas d’âge pour être chômeur ».
 Dans d’autres films la rigolade va bien avec des vérités : 
« J’ai vendu mon fusil pour acheter des cartouches »
« En matière de justice, l’erreur est inhumaine »
« Quand on n’a rien, ça se voit de loin. » 
André Raimbourg, son vrai nom, évoqué par son fils, fut l’homme d’une seule femme. 
L’article évoquant ses partenaires Michèle Morgan, Anna Magnani, Danielle Darrieux met en valeur la douceur de l’anti-macho, du bon gars, du gentleman, qu’il soit « mâle dégrossi », voire mari indigne.
Pour ses « petites chansons » le rédacteur ne s’attarde pas sur « La tactique du gendarme » ni sur « Les crayons », il y en a tant d’autres : 
« La balade irlandaise »( un oranger)» ,« C’était bien (le petit bal perdu) »…
Enrico Macias (Gaston Grenassia) revient sur sa carrière qui l’a mené de Bab el Oued au Carnegie Hall et devant 20 000 personnes au pied des pyramides à l’invitation du président égyptien Sadate.
L’évocation du film de Laurent Heynemann « Les mois d’avril sont meurtriers » me rappelle moins Jean Pierre Marielle que Jean Pierre Bisson qui m’avait offert une de mes émotions théâtrales des plus mémorables : « Sarcelles sur mer ». 
L’artichaut serait-il si rétro qu’il a droit à son hommage ?  
« Artichaut must go on »

jeudi 12 septembre 2024

Connecter les mondes. Musée des beaux arts de Lyon.

Joli programme pour l’exposition temporaire de cet été 24 divisée en quatre sections offrant une grande diversité d’œuvres,
aux textures chamarrées, aux structures originales, aux histoires touchantes.
« Réseau d’objets » évoque l’ouverture au monde pour des périodes remontant de l’antiquité à nos jours. 
 Sous le titre « L’expansion portugaise en Asie » est mis en évidence le métissage de l’art religieux catholique et des savoir-faire asiatiques. Trois grandes broderies à propos de la guerre de Troie associent fils métalliques, de coton, de satin, de soie d’après des gravures commandées par un dignitaire portugais à Macao. 
« Face à face »
 : le regard colonialiste a réduit souvent l’autre à l’état d’objet, avec les peintres orientalistes qui ne manquent pourtant pas de charme.
L’individualité est rendue à "l’autre" en le nommant dans des portraits de Maoris tatoués.
« Dialogues globalisés »
concerne des artistes d’aujourd’hui ouverts à d’autres cultures par des bricolages pluriels influencés par le faire d’ailleurs.
Les dialogues, les échanges, l’ouverture au monde datent de périodes très anciennes. 
«  Il est donc nécessaire de sortir d’une pensée insulaire, et de considérer des archipels connectés plutôt que des îles artistiques  coupées les unes des autres. » Arjun Appadurai
La force et la beauté de la plupart des peintures, photographies ou sculptures d’époques différentes, écartent tout discours victimaire convenu, tout en rappelant les contextes historiques.

mercredi 11 septembre 2024

La France en diagonale.

Soumis comme tant d'autres aux rythmes scolaires, nous avons décidé de prendre le mois d’août pour quitter notre pied de Chartreuse et aller vers la baie de Somme.
L’air du temps a soufflé dans nos voiles, accoquiné à des raisons personnelles.
En ne réservant nos billets d’avion que pour des circonstances exceptionnelles, nous n’aggravons pas notre empreinte carbone. Mais pourrait-on parler de circuit court avec tout de même quelques milliers de kilomètres au compteur cette année
encore ?
Nous avions apprécié par le passé surprises et reprises dans nos périples français post-COVID vers l’Ouest, le Nord et l’Est. Nous avons pris cette année la direction Nord-Ouest, croisant ceux qui allaient en rangs serrés vers le Sud.
En route vers les monts d’Auvergne, les « Alpes » mancelles, les bords de Loire, les villes fréquentées par Jeanne d’Arc, Friville Escarbutin, Ivry … !
Nous avons traversé les plaines à blé de l’indépendance alimentaire, les forêts de nos poumons, et même lorsque nous n’avions pas d’intention précise nous avons été récompensés de notre confiance envers les richesses de notre pays.
Faudrait-il se défendre de notre goût des expositions ?
Nous avons été séduits à tous coups par de nouvelles muséographies aussi bien à la cité de la francophonie de Villers-Cotterêts que pour les impressionnistes du MUMA André Malraux. Nous avons marché dans le Marquenterre, instruits par de jeunes médiateurs présents dans chaque site d’observation d’oiseaux, nous avons suivi des guides nous intéressant au béton havrais ou à l’un des plus vieux édifices religieux de France portant une des premières expressions en langue vulgaire : « il cria meurci et turna » ( « il cria grâce et s’enfuit »).
Nous avons aimé le son et lumières magnifiant la romane Notre Dame la Grande à Poitiers et les lumières des maîtres hollandais dans la base sous-marine de Bordeaux.
Nous avons aperçu derrière notre pare-brise des bribes de réalité décrites par d’autres. https://blog-de-guy.blogspot.com/2024/04/la-france-sous-nos-yeux-jerome-fourquet.html
Cette fois nous n’avons pas vu tellement d’inscriptions revendicatives et ne subsistaient guère d’affiches politiques.
Consommateurs de culture nous avons croisé la statue de Flaubert et aperçu le château de Maupassant.
Dans les restaurants le hamburger nous a semblé moins hégémonique, sans toutefois accréditer l’idée de « M » le supplément du « Monde » qu’il n’y a plus que des propositions végétariennes.
Nous avons trouvé le personnel aimable, et pour dormir, si nous nous sommes retrouvés le plus souvent face à des boîtes à clefs, nos hôtes, par téléphone interposé, se sont montrés prévenants.
Pour éviter de camper dans le registre enchanté, nous avons constaté que dans certaines villes même dites écolos de nombreux sacs plastique s’accumulent à l’air libre et à Poitiers l’état des toilettes publiques du marché est vraiment indigne.
Notre soulagement de voir des rues indemnes de griffures de grafs a participé à notre plaisir du dépaysement, alors que notre expérience de différents Airbnb nous a révélé la diversité des approches en matière de tri des déchets où même le verre n'est pas toujours mis de côté dans des logements souvent astucieusement aménagés.
Nous détaillerons chaque semaine cette promenade suivant une autre diagonale que celle dite du vide allant de la Meuse aux Landes que nous avons cependant croisée du côté de Mont de Marsan avec une recette basque à partager : l’axoa.

mardi 10 septembre 2024

Les beaux étés. Mam’selle Esterel. Zidrou & Jordi Lafebre.

« Le bel été » sonne mieux, mais il s’agit d’une série où chaque chapitre dit bien le temps des vacances. 
La 4L désormais en vente après 30 ans de service est le véhicule de la nostalgie remontant à l’année 62 celle de « let’s twist again ». La voiture surchargée ne verra pas l’Estérel dont les nuances de rouge ont permis de la baptiser. 
La famille s’arrête cette fois à Saint Etienne où la belle-mère impose ses choix : pas de frites pour son mari et guide Michelin pour éviter de flâner. 
« C'est vrai que ta mère est parfois un peu "vieille France" 
- ce qui la fout mal pour une Belge, j'en conviens
 - mais elle a ses bons côtés tout de même. » 
Bien sûr le père avait retardé le départ en vacances comme tout dessinateur belge, mais autour du couple aimant, Gros Papy et celle qui accepte enfin d’être appelée Mamivette par sa charmante petite fille, l’indulgence est de mise.  
Pas de mièvrerie, mais une tendre acceptation des différences où ne sont gommées ni la complexité des relations entre générations, ni les secrets pudiques éloignant les caricatures. 
« Vieillir c'est comme conduire une voiture, on a beau regarder la route devant soi, on ne peut s'empêcher de zieuter tout le temps dans le rétroviseur. »
La vie peut être simple quand joie et bonne humeur sont au rendez-vous !
Comme cette BD solaire à lire avec un Schweppes tout frais sorti de la glacière.

lundi 9 septembre 2024

La prisonnière de Bordeaux. Patricia Mazui.

Pas de souci de casting : la bourgeoise excentrique ce sera Isabelle Huppert.
Hafsia Herzi est aussi très bien dans son rôle.
La chabrolienne rencontre au parloir de la prison Mina qui "assure" avec ses deux enfants à la périphérie de Narbonne depuis que son braqueur de mari est en cabane à Bordeaux.
La fantaisie de la très riche extravagante permet d’installer la possibilité de nouveaux départs chez les deux femmes aux rapports problématiques à la vérité. Pour moi, cette sororité bancale ne peut passer pour de l’amitié.
La différence de classe semble abolie un moment pour reparaitre quand se referme la parenthèse enchantée pendant laquelle les enfants hébergés dans l’hôtel particulier sont trop gâtés, comme leur mère, a qui un travail a été proposé dans la clinique du mari emprisonné après un délit de fuite.
Au terme de cette rencontre improbable, l’hurluberlue se dessille, la laborieuse se libère des liens dangereux de sa vie d’avant.

samedi 7 septembre 2024

La symphonie du hasard. Douglas Kennedy.

L’épigraphe de Malraux :  
« La vérité d'un homme, c'est d'abord ce qu'il cache. »  
est parfaitement illustré en 402 pages pour un premier volume d’une histoire comportant trois tomes, autour d’une famille américaine pendant les années Nixon. 
« Sachant que, derrière toute loyauté familiale, se cache une bonne dose de culpabilité. » 
Au-delà des formules, la façon de typer les personnages du brillant conteur, facilite la lecture. 
« Comme le disait mon entraîneur : “Avoir du talent, ça demande du talent.” »
« Ceux qui savent faire font, ceux qui ne savent pas faire, enseignent » 
A travers toutes sortes de fumées, la narratrice, Alice, au pays des contrastes, parfois naïve, porte un regard lucide sur sa condition : 
« Deux parents nés dans l'abondance des années folles, avant la dégringolade vers les épreuves et l'abattement national. Trois enfants nés plus tard, dans la paix et la prospérité du milieu du siècle. Un quintette d'Américains issus des sommets de la classe moyenne ; cinq brillants exemples-chacun à sa manière- du gâchis que tant d'entre nous font de leur vie. » 
La vélocité de l’écriture, dont la décontraction met en valeur la force des personnages,  s’essouffle quelque peu quand apparaissent comme des archétypes par exemple la mère d’origine juive possessive et le père tellement irlandais mêlé de près à l’histoire en train de se faire au Chili au moment de la chute d’Allende, à la façon d’un McEvan. 
« Même ceux qui proclament : « Je n’ai pas besoin de vos bandes, de l’approbation de vos cliques, ni de faire partie de votre petit club », même ceux-là, viscéralement attachés à leur condition de loups solitaires, s’avouent parfois dans un élan de lucidité que chacun, à sa manière, n’a qu’un rêve : se sentir appartenir à quelque chose. »