mercredi 24 avril 2024

Carcass. Marco da Silva Ferreira.

De la danse, enfin de la danse ! Sur musiques vivantes amples et variées avec batteur et DJ, en cadence, les corps de la jolie troupe sont mis en lumière dans des costumes noirs échancrés ou sous des atours colorés.
Nous ne savons distinguer ce qui est de la tradition ou de la modernité dans des mouvements d’ensemble précis et puissants des dix danseurs et danseuses. 
Un chant nous avait ému, il n’était pas traduit, mais pour un autre, quand les paroles sont affichées, affligés nous sommes. Le texte qui se conclut par « les murs tombent », joliment calligraphié, souhaite une démocratie populaire avec des ouvriers à sa tête, enfin débarrassée des traitres à la classe qui aura éliminé les bourgeois. Les marxistes léninistes les plus acharnés ne s’expriment même plus ainsi, d’autant plus que la situation au Portugal, pays du chorégraphe, ne se colore vraiment pas en ce moment du rouge de la Révolution bolchevique. 
Pourtant des effets de teeshirt sur la tête avaient participé aux inventions nombreuses qui ont rendu agréable cette énergisante heure et quart. 

mardi 23 avril 2024

Homicide. Philippe Squarzoni.

Peu féru de polars et autres fictions policières, 
j’ai pourtant apprécié ces récits inspirés par les écrits d’un reporter du Baltimore Sun,  David Simon, auteur de la série « The Wire » (sur écoute).
Les dessins, proches de ceux de Chantal Montellier, où seulement le rouge du sang ressort sur les gris conviennent parfaitement pour nous acclimater à l’atmosphère délétère des bas fonds du port du Maryland.
Les investigations n’aboutissent pas toujours, mais un ton désabusé adéquat renseigne sur le contexte, les méthodes des enquêteurs, loin des sagaces héros habituels.
Ils s’acquittent de leur travail tant bien que mal, malgré une criminalité record, dans une cité ayant perdu la moitié de sa population, rongée par les drogues. La bêtise des criminels permet d’avantage d’élucidations que la malice des enquêteurs qui font le job.
Le découpage donne du rythme aux 120 pages par volume sur les cinq du coffret, évitant le côté spectaculaire, mais rendant compte de la tâche prométhéenne digne de Sisyphe que doit accomplir la brigade des homicides face à 240 crimes par an.

lundi 22 avril 2024

Amal - Un esprit libre. Jawal Rhalib.

Le cinéma s’invite beaucoup en ce moment dans les lieux d’éducation : en France où « Pas de vague » a été tourné, en Allemagne avec «  La salle des profs ». 
Ce film belge va au-delà des murs.
Mila harcelée, déscolarisée, Samuel Paty - et comment s’appelait-il ce prof ? - Dominique Bernard, assassinés, reviennent dans nos mémoires lorsque pendant 2 h de fiction aux allures de documentaire, s’affrontent liberté et obscurantisme, évitant cependant tout manichéisme.
Les coups de poignard sont malheureusement vraisemblables de même que la « Taqiya » d’un néo converti en costume cravate aux doucereuses paroles, camouflant sa délétère influence, tel un Tarik Ramadan.
Ce film, riche de sujets civilisationnels brûlants, traite de l’intolérance des intégristes musulmans dont sont victimes en premier lieu les modérés, de l’homophobie, du rôle des réseaux sociaux, et de la digue fragile que constitue la laïcité.
Une prof, jouée par l’énergique Lubna Azabal
ne s’en laisse pas compter par des parents aux pouvoirs disproportionnés, elle propose à ses élèves un poème du VIII°siècle d’Abû Nuwâs qui met le feu aux poudres : 
« Cinq fois par jour je fais pieusement mes prières.
 Docile, je confesse l’Unité de Dieu. 
Je fais mes ablutions lorsqu’il me faut les faire. 
Je ne repousse pas l’humble nécessiteux. 
Une fois l’an, j’observe tout un mois de jeûne. 
Je me tiens à distance de tous les faux dieux.
 Il est vrai, cependant, que point ne suis bégueule 
 et que j’accepte un verre quand il est en jeu. » 
Investie totalement dans sa tâche émancipatrice, Amal apparait malheureusement comme une héroïne assez esseulée, et lorsqu’elle dit : « dans ma classe Hallah n’a rien à faire » elle sait bien que dans le cours voisin de religion jusque là obligatoire en Belgique, le salafisme s’impose dans bien des têtes, protégé par de vagues « pas de vague » qui éclaboussent au-delà de l’administration, chaque acteur éducatif.

samedi 20 avril 2024

La papeterie Tsubaki. Ogawa Ito.

A énoncer « Livre simple et gentil » on peut entendre « simplet », car habitués aux règlements de comptes à plein volumes, difficile d’échapper à la violence que nous avions éloignée pendant 400 pages. 
Mais pour prolonger la lumière de cet ouvrage, et rester dans son état d’esprit, je vais m’abstenir de le définir en opposition à d’autres productions. Sa poésie, sa délicatesse plaident suffisamment pour la japonaise dont nous pouvions pressentir l’élégance dans quelques films de chez-elle plus familiers. 
Chaque fois que nous reprenons le livre, nous retrouvons avec plaisir la chronique, à travers les saisons, des débuts d’une jeune fille revenue dans la papeterie que sa grand-mère lui a transmise, où elle va exercer comme elle la belle fonction d’écrivain public.
Se joue ainsi l’éternelle dualité modernité/ tradition constitutive de l’empire du soleil levant. 
« Mange amer au printemps, vinaigre l'été, piquant l'automne et gras l'hiver. »
L’attention apportée à l’expéditeur et au destinataire des lettres d’amour, de rupture, toujours singulières, passe par le choix de l’encre, de la plume, du papier, de l’alphabet, des mots.Tout fait sens : une calligraphie, une pivoine, un silence, et tant d’attentions spontanées.   
« Si l'enveloppe est un visage, le timbre est le rouge à lèvres qui donne le ton.En se trompant de rouge à lèvres, on fiche en l'air le reste du maquillage. » 
Ce raffinement naturel, attentif, jamais ostentatoire, s’applique dans le respect des traditions, avec chaque boisson, chaque plat, chaque dialogue si évident quand la vie est paisible ;la trace d’une calligraphie. 
« Plutôt que de rechercher ce qu'on a perdu, mieux vaut prendre soin de ce qui nous reste. »

vendredi 19 avril 2024

Schnock n° 41.

En picorant au hasard dans la collection des revues des vieux de 27 à 87 ans 
puisque le temps ne fait rien à l’affaire, voilà le numéro consacré à celle qui « faisait peur aux garçons » : Claudia Cardinale. Honnêtement pas que peur.
N’est ce pas Paul VI qui la reçut ? 
«  Moi je suis pape mais vous vous êtes cardinal, vous pouvez faire ce que vous voulez » 
Effectivement, à travers un entretien avec elle, Jacques Perrin son partenaire de « La fille à la valise », Jean Sorel celui de «  Sandra » de Visconti, ou sa fille Claudia, la brune C.C.  face à B.B. dans « Les pétroleuses » a gagné sa liberté au cours d’une riche carrière.
Après une sélection de 12 films dont « Cartouche », « Fitzcarraldo », ses rôles se sont étoffés  dans «  Il était une fois dans l’Ouest » ou « Les professionnels ». Et dans le bric à brac sensément alphabétique allant de C comme « Cascadeuse » à C comme « Chirurgie esthétique », il n’y a pas que Moravia qui s’exprime : un admirateur  pour celle qui fut la femme d’un seul homme, Pasquale Squitieri, un réalisateur très coureur : 
« Je suis un jeune paysan, j’habite la Lozère, dans un petit village joli, je ne suis pas bien riche, mais j’ai quand même un revenu stable. J’ai sept vaches, qui donnent du bon lait et du beurre, trente trois brebis et un bouc. J’ai aussi une agréable petite maison mais… ? Il me manque quelque chose pour être tout à fait heureux. Chère Claudia, si vous le désirez, vous serez la plus heureuse et la plus chérie de toutes les femmes du monde. » 
Après ce dossier fourni, la fin prématurée de la chanteuse, Joëlle Mogensen du groupe musical « Il était une fois » donne une tonalité sombre à l’évocation d’Yves Bigot.
Et même l’article consacré au « Corned beef » fabriqué à Bressuire (Deux Sèvres) malgré son « effet bœuf » a des allures crépusculaires.
Patrick Bouchitey et Jackie Berroyer, toujours intéressants, réhabilitent en 12 pages le film rock « Lune froide » sur la route de l’oubli.
Mais le rappel des pubs d’ Europe N° 1 de 1966 à 1992, de Bellemare à Delarue, ajoute un chapitre de plus au catalogue : « La nostalgie n’est plus ce qu’elle était ».

jeudi 18 avril 2024

Aspects méconnus de l’art nouveau. Gilles Genty.

« L’Armurerie Coutolleau »
à Angers dessinée par Guimard, dont il ne reste que quelques photographies, illustre le propos du conférencier devant les amis du musée de Grenoble: porter à notre connaissance certaines créations méconnues, disparues.
Ne subsistent que quelques dessins du « Castel « Eclipse »  à Versailles
pour Mirand Devos qui devait sa fortune à la bière.
« Le billard » de Serrurier Bovy occupant jadis le château de la Chapelle en Serval
a été reconstitué hors contexte.
Parfois le décor initial a pu être redécouvert, ainsi la salle de restaurant de  « La Fermette Marbeuf » créée par l'architecte Émile Hurtré en 1900 au moment de l’exposition universelle fut restaurée en 1978.
Les œuvres de Théodore Deck, qui a donné son nom à des nuances de bleu, 
sont exposées à  Guebwiller, « Décor provenant de la véranda de la villa « Les Glycines ».
Le projet de vitrail au musée d’Orsay, « La capture de Jeanne d’Arc » 
d’Eugène Grasset pour la cathédrale d’Orléans ne verra pas le jour.
Son « Printemps » figure au musée des arts décoratifs
et « Le Travail, par l'Industrie et le Commerce, enrichit l'Humanité » 
se trouve dans l'ancien siège de la  Chambre de commerce et d’industrie de Paris.
L’art nouveau doit sa diffusion aux revues qui donnaient carte blanche aux artistes, 
Maurice Pillard Verneuil illustre « Art et Décoration ».
Georges Le Feur
dessine dans  « Le Figaro illustré ».
Des concours offrent des opportunités aux amateurs:
Socart : « Lithographie pour vitrail ».
Les  frères Calavas éditent « Flore Naturelle » d’ Henry Lambert.
Les femmes sont reconnues dans les arts décoratifs : Juliette Milési « Géranium »,
Mary Golay
« Poésie matinale »,
au musée du Pays rabastinois à Rabastens, Jeanne Atché est à l’honneur: «  Job ».
Jeanne Jozon, céramiste et sculptrice, 
célèbre le célibat dans «  Pourquoi ne se marie-t-on plus en France ? »
La frontière entre petits maîtres et amateur doués est  ténue  
« Pendant de cou » de Madame Jonnart.
Des matériaux inédits investissent des domaines inhabituels dans les reliures de Charles Meunier, « Les fleurs du mal ».
L’art s’allie à l’industrie : Emile Muller crée à Ivry la plus grande fabrique de céramiques 
pour orner par exemple « La Chocolaterie Menier ».
Des manteaux de cheminée produits en série réduisent les coûts. 
« Les Flammes ».
A Briare, le Musée des Émaux et « La Mosaïque » présente une œuvre de l’exposition de 1905 à Liège.
Eugène Grasset
auteur du « Logotype de Larousse »,
avait illustré l’ouvrage considéré comme le « plus original du siècle »,  
« l’Histoire des Quatre Fils Aymon, très nobles et très vaillants chevaliers »  
destinée aux bibliophiles.
Parmi tant d’affiches : 
l’ « Exposition internationale d’Electricité Marseille » 
de David Dellepiane, souligne le progrès apporté par la lumière.
« Last but not least » (dernier mais non le moindre) quelques surprises:
- à Nevers une « Faïencerie » 
a résisté au temps, cachée derrière des caissons,
- «  Le grand café »  à Dreux fut une imprimerie
- et la « villa Laurens » à Agde où d’importants  travaux de réhabilitation ont duré 16 ans.  
« Le monde de l’art n’est pas celui de l’immortalité, c’est celui de la métamorphose » 
A. Malraux.

mercredi 17 avril 2024

Antichambre. Romain Bermond Jean Baptiste Maillet.

Un musicien et un plasticien entourent un écran où apparaissent leurs manipulations.
Cette heure de spectacle offre aux enfants le temps de regarder un trait de pierre noire agrandi, les traces d’une brosse, la naissance de plantes tropicales, et des couchers de soleil, sous des musiques en vrai. 
Un film rassemble les séquences vues dans la première partie sans gagner en cohérence : l’histoire d’amour qui permet de passer des territoires polaires à l’Amazonie, m’a semblé décousue de fil blanc. Les vues sur la ville sont cependant mignonnes alors que les animations restent rudimentaires. 
Ce côté rétro tranche, sans présenter d’alternative probante, avec la sophistication des productions des studios américains, mais ces bidouillages ont pour eux l’avantage d’être du spectacle vivant. 
Je mettrai donc sur le compte d’une subjectivité tatillonne le fait de ne pas partager avec « Le Monde », « Télérama », le mot « poésie » à propos de ce spectacle d’une heure, car la belle vient  d’après moi quand on ne l’appelle pas trop fort.