mardi 11 mai 2021

L’arabe du futur # 5. Riad Sattouf.

Riad est installé en Bretagne avec sa maman dépressive chez ses grands-parents aimants depuis que son père est reparti en Syrie avec le plus petit des garçons de la famille. 
Si le regard de l’adolescent ne se porte plus sur d’autres contrées, la période du passage du collège au lycée recèle quelques étrangetés à cet âge et dans sa position d’Irakobreton.
Alors que la situation n’est pas facile, ses talents de dessinateur, ses lectures, vont lui permettre de mettre à distance les lourdauds répétitifs, les encapuchonnés agressifs, voire les émotions amoureuses où se mesure avec humour l’écart entre les rêves et la réalité.
Au temps de Nirvana, de Mikael Jordan, de Chevignon, sa copine Anaïck à la forte personnalité, lui fait découvrir NTM dont il ne peut imaginer la signification, et ses copains amateurs de Lovecraft l’envient d’être arabe, sa grand-mère ne dénigre pas son père qui pourtant n’a pas le beau rôle dans un divorce qui traine où les enfants se montrent forts.
Le ton Sattouf convient bien aux trajectoires enfantines et adolescentes avec leurs rapports de force et les arrangements pour ne pas être ennuyé, les délices de l’imagination et les promesses de l’avenir. 

lundi 10 mai 2021

Nous nous sommes tant aimés. Ettore Scola.

J’avais tant aimé ce film de 1974, que je n’osais le revoir bien que trop de scènes se soient effacées avec le temps. Lui, n’a pas pris une ride.
Alors que ce sont les œuvres les plus novatrices qui souffrent le plus souvent de vieillissement, la nostalgie appelée par le titre mythique évite d’être trop pesante grâce à un humour courant tout au long des deux heures de réjouissantes retrouvailles.
Plus qu’une fresque historique, c’est de l’histoire du cinéma italien d’après guerre avec son lot d’émotions dont il s’agit avec De Sica et Fellini pris d’ailleurs pour Rossellini et tant de citations. 
Ils sont bavards, les trois amis, l’avocat, le prof et le brancardier autour de la belle Stefania Sandrelli, et attendrissants.
La voiture empruntée par deux d’entre eux est tellement déglinguée qu’il faut tourner le volant vers la droite pour aller vers la gauche. Ce pauvre tas de ferraille tapageur évite ainsi les dégoulinades mélancoliques, voire apporte de la complexité à la formule trop souvent répétée :  
« nous voulions changer le monde, c’est le monde qui nous a changé ».
On peut préférer André Bazin, parlant du cinéma qui 
« substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs ».
Le succès des acteurs Nino Manfredi, Vittorio Gassman, Stefano Satta Flores n’est pas volé. La richesse du montage, l’habileté des éclairages, les traits appuyés et la subtilité sont approfondis  par le site Critikat qui situe bien l’articulation du personnel et du collectif
et met en valeur la place des enfants souvent oubliés  dans les histoires des grands alors que leur présence est bien un tournant dans nos existences.

dimanche 9 mai 2021

Concerti. Paolo Conte.

« Gelato al limon »
date de 1979 : l’avocat pétillant d’Asti a traversé le temps et les frontières. 
« Et je t’offre l’intelligence des électriciens
Comme ça au moins un peu de lumière
Notre chambre aura, dans les tristes hôtels
Où la nuit chaude nous fera fondre »
Jazz rauque, avec la nostalgie qui mène à l’éternel.
Le rital chante en anglais et joue avec le français.
Mon livret est traduit en allemand, alors je me tourne vers  Google, le recours suprême des insuffisants de la langue de Boris Johnson et de celle de Francesco Totti.
« Sotto le stelle del Jazz » 
« Certains comprenaient le jazz
l'argenterie disparaissait...
voleurs d'étoiles et de jazz
nous étions ainsi, nous étions ainsi »
 
Nous sommes parents, « Lo Zio » « l’oncle » est à China Town, 
où flotte le souvenir de Duke Ellington et des parfums de jasmin ; 
le cireur fait briller une chaussure de clown. 
«Shoe shiner » 
« Come di » 
« Parle-moi, donc le souvenir se simplifie
dans la musique douce et triste, il y a ici
Comme des comédies » 
« Via con me », « pars avec moi », on part avec lui :
« C'est magnifique, c'est magnifique, c'est magnifique
Bonne chance, mon bébé, c'est magnifique,
c'est magnifique, c'est magnifique,
Je rêve de toi...
Chips, chips, du-du-du-du-du »
 
Les musiques sont porteuses : Rumba pour « La ricostruczione del Mocambo »  
et « en face » la danse et les volutes des musiques  
«  Alla prese con la verde milonga » 
« Je déchire un sourire de trêve à un accord, 
tandis que vous condamnez mes doigts
io sono qui, sono venuto a suonare,
Je suis ici, je suis venu pour jouer, »
 
« La topolino amaranto » vient après guerre, 
la voiture enjouée, dans ses atours pourpres avance parmi les ruines : 
« Blonde, ne regarde pas par la fenêtre,
Car c’est un paysage d’enfer :
L’orage finit à peine,
Six maisons sur dix sont à terre. »
 A « Parigi » ville lumière, ville des amoureux, 
les images de toujours brillent sous la pluie : 
« Hum laisser aller à cet hôtel si proche,
 très accueillant, où les gens vont mourir d’amore ».
Et « Les lucioles tournent 
Dans les cercles de la nuit » 
chez quelque « Diavolo rosso ».
« Hemingway » au cazou côtoie « Bartali » et c’est tout neuf.
Il sublime les évidences « Una giornata al mare » 
« Une journée à la plage
seul et avec mille lires
je suis venu voir
cette eau et les gens qu'il y a
le soleil qui brille plus fort
le vacarme du monde qu'est-ce que
je cherche pour les raisons et les raisons de cette vie
mais mon âge semble faire quelques heures
le rire des dames me tombe sur la tête »
 
Il est difficile de tout nommer de ce CD essentiel, 
mais il peut renouveler l’envie d’aller à Gènes ou ailleurs 
pour retrouver la vérité de ces mots qui savent approcher l’indicible :  
« Genova per noi » 
« Avec ce visage un peu comme 
cette expression un peu comme 
celle qu'on a avant d'aller à Gênes 
que nous ne sommes jamais tout à fait sûrs 
que cet endroit où nous allons 
dont nous ne sommes jamais tout à fait sûrs
ne nous engloutit pas 
et que nous ne reviendrons jamais. »

samedi 8 mai 2021

Secouez la neige. Alain Rémond.

La notoriété de l’auteur encore présente dans mes souvenirs
m’a conduit à choisir ce petit livre de 76 pages comme on en fabrique de plus en plus.
Las, la maigre intrigue autour de coups de téléphone entre Jérome Epilogue et son amoureuse aurait pu tenir au format d’une nouvelle, voire une brève chronique comme il savait en rédiger avec légèreté jadis.
Le caractère cocasse revendiqué est téléphoné, plombé par des répétitions barbantes qui veulent signifier l’incommunicabilité entre les êtres mais ne débouche que sur la déception de voir s’abimer une plume sans l’humour que j’eus apprécié. L’absurde des situations est laborieux, les sentiments absents.
Le titre appelant la poésie, était déjà démenti par le bandeau qui proclamait : « Irrésistible Epilogue » du nom de l’employé de bureau né à Romorantin, pâle et triste narrateur de cette histoire dispensable.

vendredi 7 mai 2021

Mettre les petits blablas dans les grands.

A traquer les paradoxes, j’en suis à les confondre avec des contradictions, 
fustigeant ceux qui voient le négatif en toutes choses, tout en peignant moi-même tout en noir.
Je trouve bien faibles certains chroniqueurs et leur conformisme tout en me remplissant la panse de leur prose. Leurs arguments se dupliquent: si les écolos sont critiqués ce ne n’est pas à cause de leurs prises de position, mais parce qu’ils dérangent ! Alors il faut croire à la puissance de LRM, parce qu’est ce qu’ils prennent les promoteurs de la « start up nation » !
A la manière des stratèges des claviers anonymes des bords de touches, les intentions prêtées sont toujours perverses et les mesures à visées électoralistes ; y aura-t-il encore des enfants à qui on aurait parlé du sens de l’intérêt général?
La violence des échanges entre victimes effraie et fait monter l’envie d’en découdre, alors que les moqueries envers les « bisounours » n’empêchent pas d’euphémiser, de raboter, de polir, d’astiquer, quand quelques caricatures feraient tant de bien.
Je fuis les clusters entre personnes d’opinions proches mais j’ai fermé quelques robinets dégueulant leur haine à longueur de journée. 
Je suis positionné contre la « cancel culture » (culture de la dénonciation) mais j’aimerais les entendre un peu moins. 
Les « islamo-gauchistes » ainsi caractérisés crient au maccartisme, mais cataloguent à droite ceux qu’ils estiment «islamophobes» et feraient bien tomber quelques têtes dans le son. Symboliquement bien entendu, quoique le second degré ne soit plus guère à la mode.
Les frontières se renforcent ; depuis combien de temps Finkielkraut n’a pas eu accès aux colonnes du « Monde » ?
Quand je n’ose relire mes « musiques antérieures », je me console avec Montaigne: 
« L’obstination et ardeur d’opinion est la plus sûre preuve de bêtise.
Est-il rien certain, résolu, dédaigneux, contemplatif, grave, sérieux comme l’âne ? » 
J’adore les bourricots.
Alors que l’irrationnel gagne la société, ou peut être à cause de cela, tout se rationalise : les algorithmes donnent la cadence tandis que procédures et protocoles ralentissent nos vies.
Le principe de précaution enkyste l’irresponsabilité et les pédagogues disparaissent sous les tutos. Le jargon bureaucratique donne des illusions d’ordonnancement alors que ce qui tient les individus ce serait bien la discipline que l’on se commande dans la construction de soi, non ?
Ce besoin d’ordre essentiellement à destination des autres que ressentent tant de nos concitoyens, surtout après de nouveaux crimes contre ceux qui nous protègent, est récupéré par les amants du désordre sur les ronds points. Ils n’hésitaient pas à parler de « dictature sanitaire » alors qu’ils ne verraient pas d’un mauvais œil quelques généraux en retraite mettre la main sur le pouvoir. Mais trêve de cinoche, pas de pétoche : la république tiendra face à la pétition du jour.
Je viens de rechercher autour du mot « anomie » que je regrette de ne pas avoir connu plus tôt, tant il me semble caractériser avec justesse l’époque : 
« L'anomie est aussi l'état d'une société ou d'un groupe sans règles, sans structures, sans organisation naturelle ou légale. L'anomie signifie alors désordre social et chaos. »  
Des cagoulés se réclamant des gilets jaunes, « identifiés » black blocs ont attaqué violemment la CGT et les ont qualifié de « traitres ». Ceux-ci ne voyaient  pourtant guère d’inconvénients quand les chouchoux de l’extrême gauche cassaient le long de leurs manifs. Ils ont accusé la préfecture de police. 
Alexandre Sanguinetti à propos de Jacques Chirac.

jeudi 6 mai 2021

Frédéric Dard ou la vie privée de San Antonio. François Rivière.

La vie de l’écrivain auteur de 250 romans vendus à 200 millions d'exemplaires, fut aussi un roman. Son biographe passionné sait prendre un léger recul pour décrire ses très nombreuses productions, sans entamer son admiration, tout en portant à notre connaissance bien des aspects de la vie de celui qui est enterré à Saint Chef (Isère). 
« Quoi qu’il en dise, Frédéric n’a pas attendu le mort de Joséphine (sa mère) pour s’abandonner à l’évocation morose des jours anciens. Il n’a jamais cessé d’alimenter son œuvre de ces remugles  qui conditionnent le malheur chronique des héros de ses livres et jusqu’à la part de la psychologie du commissaire San Antonio lui-même. Le célibat de ce personnage outrageusement misogyne, la présence insolite de Félicie ne sont pas dus aux hasards d’une fiction qui se voudrait coûte que coûte peu ordinaire. Ils sont l’exacte volonté d’être en proie au remord permanent d’avoir trahi son enfance… » 
L’ « écrivain forain » auteur emblématique des éditions du Fleuve Noir avait une  puissance de travail extraordinaire. 
«  En février 1951, il se rend à Lyon pour la première de « Mort d’une comédienne », une pièce en un acte qu’il a confiée aux Théâtriers. Il rend visite à Clément Jacquier et à sa femme qui possèdent dans les environs une belle propriété. Jacquier vient de créer une nouvelle collection, « La loupe ». Frédéric promet de lui fournir trois nouveaux romans. Il les signera de trois pseudonymes différents, Maxell Beeting pour « On demande un cadavre », Verne Goody pour « Vingt-huit minutes d’angoisse » et Cornel Milk pour « Le tueur aux gants blancs ». » 
Il en est alors au début de sa carrière de journaliste,  romancier, scénariste, adaptateur pour le théâtre, le Grand Guignol, le cinéma, objet de colloques et de pastiches.
Il fallait bien 320 pages.

mercredi 5 mai 2021

Arras

Après avoir rendu les clés à notre hôte airBNB,
nous roulons  vers Arras distante d’à peine 16 km de Lens.
C’est la patrie de Robespierre et de Guy Mollet qui en fut le maire en 1945. 
« Avec l’ami Bidasse,
On n’se quitte jamais,
Attendu qu’on est,
Tous deux natifs d’Arras
Chef-lieu du Pas-d’Calais ».
 
Nous arrivons vers 10 h et parvenons sans difficulté à garer la voiture près de la jolie maison des « poids publics » pour la modique somme de 2 € 20 les 5 heures (zone verte).
Nous sommes très proches des fameuses places que nous apercevons par une rue perpendiculaire.

Pour trouver l’Office du tourisme  nous traversons la place minérale, magnifique. 
Comme Lens, Arras a subit des bombardements importants mais la ville fut plus vite reconstruite, car contrairement à sa voisine, l’urbanisme fut réinstauré à l’identique.
La place principale, place des héros, est bordée de maisons tunnels à deux étages et la largeur de chacune se mesure à deux fenêtres, pas plus, en façade.
De style baroque nordique avec pignons à consoles, elles se serrent les unes contre les autres,  au- dessus d’arcades bien protégées du soleil ou des intempéries.
L’unité est renforcée par les matériaux communs, pierres, ardoises et briques.
Aucune enseigne ne défigure la place, elles sont discrètes et camouflées sous les arches, ce qui explique pourquoi nous tournons un bon moment autour de l’office du tourisme avant d'en trouver l’entrée, nichée au rez-de-chaussée du Beffroi.
Comme nous l’avons déjà éprouvé, la personne qui nous accueille se montre d’une grande efficacité. Nous retenons un horaire pour accéder en haut du monument, car l’espace et l’ascenseur sont limités en nombre de personnes en raison de la COVID.
Un autre employé nous fournit en attendant un itinéraire fléché complété par un livret, il nous suffit de suivre le marquage  de pastilles numérotées métalliques au sol.
L’itinéraire nous mène d’abord en l’église Saint Jean Baptiste à l’opposé du Beffroi de l’autre côté de la place.
Elle doit sa notoriété à la présence de « la descente de croix » de Rubens, dont les explications placardées sur un pilier nous aident à mieux regarder et comprendre l’œuvre.
Puis nous nous rapprochons des maisons de la rue de la taillerie, la maison des trois rois, la maison du drap, 
et plus loin, la plus ancienne d’Arras ( XV°), la maison des trois luppars ( léopards). Dans le temps, les maisons ne portaient pas de numéro pour les identifier, l’usage voulait qu’elles soient désignées par des noms.
Nous poursuivons vers le Mont de Piété puis passons devant la Cathédrale de style baroque,
dressée en haut d’un escalier qui vise à impressionner l’humble pèlerin en route vers Saint Jacques de Compostelle.
Notre cheminement nous dirige  vers l’hôtel de Guise derrière sa lourde porte, laissant deviner une disposition identique aux hôtels particuliers parisiens du XVII° et XVIII°siècles.
Enfin nous terminons le circuit par les bâtiments de l’Abbaye transformés en médiathèque / bibliothèque. Il est juste l’heure de retourner au beffroi.
Là, un jeune homme nous prend en main et nous guide vers le sous-sol pour prendre l’ascenseur. Nous patientons, au milieu des vestiges d’un magasin de serrurier avec ses  soufflets et ses outils conservés en l’état, à la place qu’il occupait. Lorsque les précédents touristes redescendent, nous montons seuls dans la cabine pendant 50 mètres puis il nous faut gravir un escalier métallique en colimaçon, à déconseiller aux gens sujets au vertige, pour atteindre l’étage de l’horloge.
Et là,  nous sommes les rois du monde ! Seuls à dominer la ville à 360°, entre ciel et terre !
Nous utilisons les tables d’orientation bien faites et resituons avec plaisir les monuments vus d’en bas lors de notre promenade.
Nous respectons le temps qui nous a été imparti (10 minutes vite passées) sachant que d’autres attendent leur tour
.
Nous interrompons nos visites pour déjeuner place des héros, aux « trois fûts »  où nous mangeons local : moules frites  pour moi, Guy tente  un potjevleesch.
C’est une terrine constituée de plusieurs viandes, lapin, poulet et porc et cuite dans un pot. Une bonne bière fraiche s’accorde à merveille à cette nourriture copieuse suivie par une glace et un café. Face à nous, en décor pendant notre repas, nous profitons pleinement de la vue sur le beffroi qui abrite l’hôtel de ville.
Nous manquons de temps pour le visiter, nous n’aurons pu qu’apercevoir ce matin deux immenses marionnettes destinées au carnaval. Nous renonçons  aussi au détour par les Boves, ces carrières de pierre creusées sous la ville et utilisées comme abri pendant la seconde guerre mondiale.