Revoir le film « Mr
Turner » peut permettre de l'appréhender différemment
et en mieux quand un conférencier le met en perspective.
Mike Leigh le réalisateur a fait des études artistiques
comme la réalisatrice du film « Artemisia » http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/11/artemisia-jean-seroy.html proposé juste avant dans le cycle « les peintres au
cinéma » aux amis du musée de Grenoble.
La formation théâtrale de l’auteur de « Another year » l’a amené à porter à l’écran
une de ses pièces « Bleak moments » qui connut un succès critique plutôt que la
reconnaissance du public.
Il est un des représentants du « free cinéma » britannique, équivalent
de notre « nouvelle vague », issu du documentaire et portant des
préoccupations sociales.
Il a réalisé une douzaine de films après une vingtaine
de pièces de théâtre mettant en valeur ses acteurs comme Timothy Spall qui a bien mérité son prix d’interprétation à Cannes en 2014 pour « Mister
Turner ».Il a beaucoup travaillé pour apporter des éléments authentiques au récit des trente dernières années de la vie du célèbre peintre. Par contre la séquence expliquant la genèse du tableau « Le Dernier Voyage du Téméraire » est une fiction, le peintre n’a pas assisté au remorquage du bateau de Nelson le vainqueur de Trafalgar.
Il
avait peint « La bataille de Trafalgar ».
Mais ce moment est indispensable
pour exprimer le changement d’époque, voire marquer une étape vers le déclin de
Joseph Mallord William Turner. Celui-ci porte le même prénom que son père avec qui il entretenait une
relation fusionnelle. Après avoir affiché ses premiers dessins à la vitrine de sa
boutique de barbier, il se chargera de la commercialisation des œuvres de son
fils qui prendra ensuite le nom de Booth, celui de sa logeuse avec laquelle il
s’installe à la fin de sa vie à Chelsea.
Son ancien mari avait raconté sa vie
de charpentier de marine : « Négriers jetant par-dessus bord les morts et
les mourants - un typhon approche »
Sa peinture a
évolué, la marine est passé de la voile à la vapeur et la photographie enferme
la lumière derrière son obturateur, lui l’étale en des paysages mentaux inédits
qui annoncent l’impressionnisme voire l’abstraction. « Pluie, vapeur, vitesse ».
Précédant un
générique superbe qui dévoile une toile dans des volutes fuyantes, la
silhouette du peintre muni de son carnet toujours avec lui, apparaît à
plusieurs reprises devant un ciel prenant de plus en plus de place.
Il semble peindre,
mais son crayon ne découpe pas la réalité, il précède des touches vaporeuses nées
en atelier où nous approchons de la matérialité de la peinture avec la préparation
des couleurs, des précisions sur les formats et n’ignorons pas l’économie de
l’art : il refuse de vendre ses tableaux à un acheteur généreux pour que
son œuvre garde son unité.
Il cherche, il
maugrée. On en oublierait la gouvernante-servante qui lui est attachée et qu’il
maltraite à la façon d’un Weinstein. « Tempête de neige en mer »
« Quand Turner
peint, il voit au-delà du ciel et de la mer et capte l’essence de la vie
C’est
Mike Leigh qui le dit, une autre tête de mule parait-il, qui
sait :
« Le génie n’est
pas toujours emballé de façon romantique.» « Pêcheurs
en mer »
Il a voyagé :
« Bonneville »
« Rome, vue de l'Aventin »
Jean Serroy a conclu
en jouant sur le mot « mystère » alors que le titre mettait en
avant la personnalité du « Mister».
Occasion nous a été donnée de surcroit d’aller voir
chez Baudelaire qui écrivait à propos de la photographie, intermédiaire entre
cinéma et peinture s’encourageant l’un l’autre, tout au long de ces deux
heures et demie :
« Il faut donc
qu’elle rentre dans son véritable devoir, qui est d’être la servante des
sciences et des arts, mais la très-humble servante, comme l’imprimerie et la
sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature. Qu’elle enrichisse
rapidement l’album du voyageur et rende à ses yeux la précision qui manquerait
à sa mémoire, qu’elle orne la bibliothèque du naturaliste, exagère les animaux
microscopiques, fortifie même de quelques renseignements les hypothèses de
l’astronome ; qu’elle soit enfin le secrétaire et le garde-note de quiconque a
besoin dans sa profession d’une absolue exactitude matérielle, jusque-là rien
de mieux. Qu’elle sauve de l’oubli les ruines pendantes, les livres, les
estampes et les manuscrits que le temps dévore, les choses précieuses dont la
forme va disparaître et qui demandent une place dans les archives de notre
mémoire, elle sera remerciée et applaudie. Mais s’il lui est permis d’empiéter
sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que
parce que l’homme y ajoute son âme, alors malheur à nous ! »