samedi 12 mai 2018

Une vie. Guy de Maupassant.


« Un classique ne veut pas dire ancien mais qui n’a jamais fini de dire ce qu’il avait à dire. » Calvino
Le titre évident, ambitieux, claque et les 250 pages sont à la hauteur de l’entreprise.
Elles m’ont rappelé Madame Bovary, chef d’œuvre absolu, affrontant les rêves les plus ensoleillés à une réalité immuablement brutale.
«  Mais voilà que la douce réalité des premiers jours allait devenir la réalité quotidienne qui fermait la porte aux espoirs indéfinis, aux charmantes inquiétudes de l’inconnu. Oui, c’était fini d’attendre. »
On m’avait prêté ce livre en version fléchée proposant « des passages à sauter sans rien perdre de l’œuvre », ce qui m’a paru aberrant, tant le rythme proposé par l’écrivain, dont je venais de redécouvrir une description féroce, participe de son génie.
Mon plaisir fut augmenté juste après avoir lu un article brillant où un critique du Monde éreintait Tillinac en tant qu’auteur prétendant  fournir des textes pour les dictées, pour accuser la ringardise de son style. Et s’il y avait un auteur à dictée, de mon temps, c’était bien Maupassant.
Après avoir mis un certain temps à me réhabituer à la richesse du style et reporté à plus tard le goût des phrases sobres, j’ai goûté les saisons qui passent, la nature puissante, les portraits colorés, les scènes efficaces, les destins cruels :
«  Le chant tumultueux des paysans couvrait entièrement parfois la chanson des instruments ; et la frêle musique déchirée par les voix déchaînées semblait tomber du ciel en lambeaux, en petits fragments de quelques notes éparpillées. »
Les interrogations essentielles :
«  Où donc était l’âme de sa mère ? l’âme de ce corps immobile et  glacé ? où ? évaporée comme le parfum d’une fleur sèche ? ou errante comme un invisible oiseau échappé de sa cage » Poésie primordiale.

vendredi 11 mai 2018

Populisme.


Mon camarade Pellissier, qui nous manque tant, http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/03/michel-pellissier.html, m’avait fait connaître les écrivains Albert Thierry, Henri Poulaille le promoteur de la littérature prolétarienne, et certains qui concouraient pour le prix de littérature « populiste » dont furent lauréats : Guilloux, Picouly ou Nucéra.
« Nous voulons aller aux petites gens, aux gens médiocres qui sont la masse de la société »
Je me souviens par ailleurs d’un texte de Cavana, bien placé pour défendre le qualificatif « populiste » quand sa coloration péjorative commençait à devenir dominante.
C’est que la tendance démagogique est formidablement puissante dans le monde, et sa vigueur ne s’est pas arrêtée à nos frontières comme un quelconque nuage radioactif.
Les temps sont aux gros traits, à la grossièreté.
Les flatteurs démagogiques qui prônent le repli, l’entre soi, avec succès, ne sévissent pas seulement le temps d’une élection et ne sont pas cantonnés de l’autre côté des Alpes.
Ceux qui n’ont pas connu la victoire électorale chez nous entretiennent la défiance envers la démocratie et battent le pavé régulièrement, pas toujours festivement.
J’avais retenu l’expression «  faire les conscrits » de mon ami cité en tête d’article, libertaire à l’ancienne, notre maître en liberté, attentif aux mots, qui me trouvait bien futile à fabriquer des marionnettes et des pancartes "punchy", lors de lointaines protestations contre les maîtres directeurs.
«  La fête à Macron » avait des allures de Carnaval avec images fournies aux chaînes,  elle a réchauffé les convaincus, fait du chiffre, dans le goût de cette société amusante où la rigolote Charline fait le buzz. 
« Il faut des fêtes bruyantes aux populations » Napoléon.
Mais au-delà d’un samedi où l’on amène les enfants au match, la fin de l’alliance des gauches a été théorisée par l’élite des Insoumis debout la nuit, pour préférer un affrontement des « gens » contre l’élite, même si quelques égarés jadis en position de responsabilité courent à nouveau après l’éternel Besancenot, rêvant toujours de gauche « plurielle », « arc en ciel », « coagulée ».
La haine  envers les journalistes est entretenue par d’anciens journalistes. Un car régie de France Info a été détruit bien que les protestataires ne puissent se plaindre du traitement d’une manifestation pour laquelle Lordon et Ruffin appelaient à un «débordement général». Leur prochain rassemblement est déjà bien annoncé: « prenez date » demandait le présentateur du journal d’informations de France Inter.
Mélenchon, qui a le sens de la formule, ne veut plus de « La gauche selfie »; la clarification s’opérera à propos de l’Europe.
Les politiques et les médias ont des responsabilités éminentes dans le débat qui occupe les perdants dont certains s’accrochent encore à quelques schémas anciens vite repris après la surprise de l'éclatement du monde ancien.
Un feu polémique quotidien est entretenu à base de petites phrases, forcément courtes, et même si 50 € ne pèsent effectivement rien par rapport à un sacrifice suprême, il convient que la haine ne retombe pas. Pourtant le chef de l’état travaille à la cohésion de la société avec son discours aux Bernardins par exemple. Le chemin est d’autant plus savonneux pour aller vers une société apaisée que certains flattent « le pékin » parce qu’ils ne veulent surtout pas de responsabilités, ni amener le peuple à regarder les situations en face, ou se préparer aux bouleversements technologiques, écologiques… politiques qu’ils ont contribué à créer par devers eux.
Ma litanie déplorante ne peut que s’assombrir quand j’entends parler de symptômes pré autistiques pour les bébés qui ne sont pas éloignés des écrans, leurs parents ont le nez sur la vitre.
Voilà un marché nouveau, après les dyslexiques représentant parfois un quart de classe, sans compter ceux qui, sans vergogne, n’ouvrent pas un cahier de la journée.
Voilà un gibier prêt à se faire crémer tout ce qu’on veut, avant que crame le monde.
……
La photo est prise dans le stade de Lyon lors de la rencontre contre Nantes où il y avait  50 000 spectateurs d’après tout le monde.

jeudi 10 mai 2018

Le nombre d’or. Eric Mathieu.

Je suis décidément de cette culture française résistant aux Allemands du XIX° siècle en particulier qui avaient cherché à mettre en équation les proportions aux divines allures, et persiste en trouvant des attraits à tant de choses disproportionnées.
L’historien de l’art Eric Mathieu a entretenu les amis du musée de Grenoble du nombre d'or en évitant d’insister sur la valeur du nombre mythique :
1, 6180339887498948482045868343656381177203091798057628
parmi 100 000 décimales.
C’est que même l’existence d’écrits de l’omniprésent Pythagore, 6 siècles av JC, est remise en cause, alors qu’Euclide 300 ans avant J.C. mentionne l’« extrême et moyenne raison » pour désigner ses calculs.
Au Moyen-Âge, Leonardo Pisano fait le lien avec le savoir des mathématiciens arabes et à la Renaissance, Lucas Pacioli, rédige « De la proportion divine » avec des planches de Léonard de Vinci. « Lucas Pacioli avec son élève Guidobaldo de Montefeltro », par  Jacopo de Barbari traduit en deux dimensions, un polyèdre : le savoir est mis en abyme. 
Le moine franciscain, inventeur de la comptabilité, né dans la même ville que Piero de la Francesca, fait référence à  « l’homme de Vitruve » en architecture et adresse des recommandations aux peintres.
Jacopo de Barbari dresse un plan aérien de Venise grâce à la trigonométrie avant drones et montgolfières.
Platon avait défini l’univers par 5 solides : le cube pour représenter la terre, le tétraèdre symbole du feu composé de quatre triangles équilatéraux, l'octaèdre avec le double de faces pour l’air, l’icosaèdre a 20 faces pour l’eau, il suffit des douze faces comme les 12 apôtres, au dodécaèdre pour l’univers.
Au XIX° siècle, le prince roumain Matila Ghyka assure la synthèse autour du terme « nombre d’or » que Kepler au XVI° désignait comme le « joyau de la géométrie » où se rejoignent géométrie, mathématiques et mystique. Comme le professeur allemand Adolf Zeising, il relie des observations dans la nature à l’architecture que le φ (Phi) de Phidias signera. Mais des interprétations ethnocentriques voire excentriques et autres « radotages académiques » relativiseront les recherches de ceux qui ont voulu enfermer la beauté dans une seule forme.
De ces spirales d’or et autres « Rectangles d’or » où s’inscrirait par exemple le Parthénon,
l’ésotérisme a fait ses contes, mais nos cartes bancaires et autres feuilles en format A 4 en tiennent compte.
Dans le tableau cintré, du « Baptême du Christ » de Pierro de la Francesca, le sexe est au centre du carré qui est la terre, le nombril au centre du cercle, le ciel; le Saint Esprit souligne l’axe de symétrie.
Sans se perdre dans les réseaux trop serrés qui obscurcissent le tableau, « La naissance de Vénus », dite aussi « Arrivée de Vénus à Cythère » de Botticelli, construite avec la proportion d’Or se devine mieux sous des traits plus simples.
La composition de la médiévale « Pietà de Villeneuve lès Avignon »  fait émerger une dévotion moderne où le chanoine est au niveau du Christ et la vierge au centre.
Alors que Mondrian dans sa « Composition A » multiplie carrés et rectangles dans les règles de l’art, notre conférencier y voit le chaos.
Par contre, il devine une clé de lecture sur le socle dans un «(ro)tondo » où Sainte Catherine et Sainte Rose entourent « La vierge à l’enfant » du Perugin. 
Signac, le pointilliste, dans le sillage de Seurat, nostalgique d’un âge d’or, a cherché aussi entre impressionnisme et fauvisme du côté des symbolistes : les proportions de l’ «Entrée du port de Marseille » se jouent en 2 – 2 – 1 – 2 – 2 –1/2.
Une cheminée d’usine est au centre de « L'Estaque »  de Paul Cézanne,
 ce tableau  fut légué par Caillebotte dont on peut diviser « Rue de Paris, Jour de Pluie » en quatre pour en apprécier l’équilibre.
 « Avant de disparaître totalement du monde, la beauté existera encore quelques instants, mais par erreur. La beauté par erreur, c'est le dernier stade de l'histoire de la beauté ». Kundera

mercredi 9 mai 2018

Madrid 2.


Le dimanche, nous ne pouvons rater dans le quartier du Rastro le plus grand marché aux puces d’Europe dit-on,
bien que nous n’en ayons parcouru qu’une infime partie, le temps de marchander un objet articulé original venant de Galice dont nous ne savons s’il s’agit d’un jouet ou d’un ustensile pour procession.
Après un brunch chez des Sud Américains où je me dispenserai cette fois de récidiver avec un hamburger végan, 
nous nous rendons à nos retrouvailles avec Le Guernica de Picasso au musée Reina Sofia
Installé dans un ancien hôpital avec une extension de Jean Nouvel au bout du Paseo du Prado, il contient de nombreuses réalisations modernes. Nous ménageons notre plaisir en déambulant parmi les salles où figurent des Dali dont nous pouvons mesurer l’étendue du talent, des Miró inattendus…
Et quand vient notre tour après de nombreux visiteurs, nous prenons notre temps pour observer une œuvre majeure de l’histoire de l’art et nous vérifions encore une fois que la rencontre avec l’original permet de découvrir des éléments qu’aucune reproduction ne peut livrer.
Une colombe tracée en noir sur noir apparaît comme la diversité des moyens employés, les coulures. La vigueur est palpable. Les travaux préparatoires, les esquisses exposées autour du phare du cubisme de 7 m de long ajoutent de l’intérêt à la visite, comme les films d’époque ajoutent à l’émotion et renforcent le sentiment de vivre un moment exceptionnel.
Le soleil en son couchant n’était pas dans une grande forme mais dans son parc le temple d'Amon à côté du palais royal dominant les alentours est un beau lieu de rendez-vous. Cette construction venant de Debod offerte par l’Egypte après la construction du barrage d’Assouan date de deux siècles avant notre ère.
Pour le soir, de jeunes français installés à Madrid nous ont livré du homard de Galice venant du plus grand marché aux poissons du monde après Tokyo, histoire de clore avec raffinement notre séjour dans notre élégant RBNB donnant sur les toits madrilènes.
Le lendemain  avant d’embarquer nous nous rendons au palais royal car en ce lundi de Pâques le musée Thyssen est fermé.
Si tapis, lustres, lourdes tentures, tables démesurées, sont attendus, 
la majesté de l’escalier, la patte de Tiepolo aux plafonds,
la diversité des ameublements des nombreuses pièces rendent la visite tout à fait intéressante et invitent à approfondir nos connaissances historiques.
Nous n’en sommes plus à Juan Carlos mais à son fils, comment s’appelle-t-il ? 
Felipe VI qui a épousé une journaliste de Télévision. 
Il n’habite pas ce palais datant du milieu du XVIII° siècle, bâti à la place de l’Alcázar qui avait brûlé, il risquerait d’être dérangé par les touristes venus du monde entier.
Comme pour ce majestueux bâtiment comportant  2000 pièces dont on n’en visite qu’une trentaine,
ces trois jours où nous avons assuré les fondamentaux touristiques, nous ont ravis, mais appellent un autre séjour plus long.

mardi 8 mai 2018

La dernière image. Gani Jakupi.


Cette « traversée du Kosovo de l’après guerre » en 1999 est un rappel utile par un natif de là bas de la situation dans les Balkans, mais amorce aussi une réflexion honnête sur le travail des journalistes et des photographes.
La qualité du dessin, les couleurs de café et de rouille, la densité du propos amènent la bande dessinée au plus haut pour rendre compte des ambiances, des dilemmes où le dérisoire côtoie sans cesse la mort.
La générosité et l’engagement coexistent avec le cynisme ou l’indifférence.
« Le texte nous aide à comprendre, nous rend le monde intelligible ; l’image met la main sur nos sentiments. »
Au bout de 70 pages denses, une riche post face donne la parole à des journalistes et des photographes.
« L’homme n’aime pas regarder la douleur. A moins que ce ne soit la sienne. »
Raymond Depardon

lundi 7 mai 2018

Senses 1& 2. Ryusuke Hamaguchi.

A travers la belle amitié de quatre femmes de Kobé à l’orée de la quarantaine, deux premiers sens sont explorés : le toucher et l’écoute.
Nous vérifions une fois encore que le cinéma japonais http://blog-de-guy.blogspot.fr/2017/05/apres-la-tempete-kore-eda.html  excelle à décrire les relations familiales ou amicales, finement, délicatement, franchement.
Sous une apparence de trajectoires bien tenues, des perspectives intimes se mettent à jour avec une authenticité permise par le réalisateur qui prend son temps.  
Les personnalités changent, les vérités sont contradictoires et évolutives, les relations polies et parfois violentes. Quelques réactions peuvent nous sembler étranges et d’autres d’autant plus familières, avec des moments de maîtrise, courbettes exotiques et des élans de sincérité stupéfiants. Tant d’humanité dynamique redonne foi en la nature humaine. Les dialogues efficaces alternent avec des moments de silence et de calme, nous reposant de tant de productions didactiques et tonitruantes, tout en portant un regard critique envers les rapports installés dans la société nipponne entre garçons et filles, sans manichéisme. Nous ne pouvons que nous attacher à ces femmes lumineuses, pudiques, fragiles, subtiles, et attendre impatiemment de les retrouver dans les épisodes prochains.

dimanche 6 mai 2018

A vif. Kery James.


Je  ne connaissais pas le rappeur qui en écrivant cette pièce de théâtre, est allé au devant d’autres publics. Je pensais m’être fourvoyé dans une foule inhabituellement jeune parmi les habitués de la MC2, craignant comme d’habitude les déclamations univoques.
« A voix haute » ou « Le brio »  ont mis en scène au cinéma des concours d’éloquence tel celui qui est présenté sur la scène du grand théâtre avec comme sujet à traiter:
« L’état est-il le seul responsable de la situation actuelle des banlieues ? » Bigre !
La complexité des problèmes est abordée avec vigueur, finesse, poésie, humour, en faisant jouer le rôle du pourfendeur de la victimisation au banlieusard, alors que son adversaire parisien tient le rôle de l’accusateur.
L’idée d’inverser les rôles qui auraient pu être associés à chaque plaideur est féconde, elle nous sort du tout noir/ tout blanc avec l’invention du VDBF, « l' impôt de victimisation et dépendance totale des banlieues françaises ».
Pour moi la réponse à l’ultime question est évidemment positive :
« les français ont-ils les dirigeants qu’ils méritent ? »
Et toutes les interrogations qui parsèment les deux discours sont intéressantes, éloignant les clichés, permettant de vrais échanges.
Si les plaidoiries portent sur les trente dernières années, elles datent d’avant les dernières élections, mais restent d’actualité rien moins que les sujets de l’économie parallèle, de l’école, de l’histoire, des histoires, de la responsabilité, inertie collective et trajectoires individuelles, les rôles sociaux…
Un théâtre où peuvent se croiser les générations et les provenances est bien le lieu pour traiter au moins de ce dernier point, et c’est bien fait.