mercredi 6 septembre 2017

Pourquoi Venise ?

Pour raviver des couleurs perdues dans les brumes hivernales des souvenirs.
Pour revenir en un lieu classique des classiques où tant d’amoureux, de mourants aux pieds de Visconti, ne peuvent se tromper d’adresse.
Pour grouiller avec mes contemporains et faire preuve ainsi d’une originalité sage et fade.
Pour, Régis Debray, mon maître, qui écrivit «  Contre Venise »
« L’admirable Venise devient désolante dès lors que sa grâce légendaire se consume dans le spectacle apprêté de son propre prestige. »
Pour les vierges dorées du fond des âges et  quelques résines contemporaines, spritz et bières internationales ou artisanales comme chez nous, Canaletto sur magnets plutôt que dans les musées où découvrir Bassano, un costaud.
Pour contredire ceux qui  répètent que l’Europe n’est qu’une affaire, sans culture, sans cœur. 
Se sentir chez soi en prenant son ticket de train à Mestre pour quelques hectomètres qui mènent de la terre ferme aux îles.
Iles merveilleuses, miraculées de la boue, hérissées de clochers, couvertes de coupoles, parcourues de ponts entre façades prestigieuses et murs suintants, miracles de briques et de marbres.
La grâce et l’audace des hommes.

mardi 5 septembre 2017

Vie de merde au boulot. Choubi .Valette, Passaglia. Guedj.

J’ai ouvert cet album, sachant le succès du site éponyme sur Internet où quelques malchanceux se consoleraient bien facilement avec les malheurs des autres.
Mes réticences nées d’un pareil titre se sont aggravées avec le graphisme rétro qui enracine cet humour dans la ringardise.
Pourtant l’hystérisation des rapports humains dans l’entreprise et au delà est bien contemporaine, le burn-out un mal du siècle, mis à toutes les sauces.
Mais le mélange d’histoires de cocufiage, avec farandole de pets ou rôts malencontreux, la litanie de confusions de noms et intrusions inopportunes, les réveils à la mauvaise heure et le zèle mal récompensé, n’arrache pas un sourire.
A raison d’un gag par page, genre «  aujourd’hui j’ai la tête dans le cul » -décidément- nous nous retrouvons gênés comme ces élèves impassibles devant le prof écroulé de rire parce qu’il vient de proposer « de chercher le point G du plan Q ».

lundi 4 septembre 2017

Gabriel dans la montagne. Fellipe Gamarano Barbosa.

Le film bascule quand le jeune brésilien retrouve son amoureuse à Zanzibar.
La jeune fille ramène à la décence le jeune idéaliste déguisé, ignorant les interdits, enfant gâté en immersion exotique en Afrique de l’Est.
Leur discussion concernant l’orthodoxie économique, teintée d’enjeux sentimentaux, marque l’ambition politique de ce beau film émouvant, épousant les contradictions de ses personnages sincères et changeants.
Allant au bout de sa liberté, sautillant de rochers en rochers, l’ardent potache trouvera la mort. Nous le savons depuis la séquence initiale.
Le réalisateur, qui a connu le héros  issu de la bourgeoisie de Rio, reconstitue son parcours initiatique, jusqu’à chausser l’interprète des sandales du défunt et faisant jouer les différentes personnes qu’il avait rencontrées pendant son périple d’un an.
Film riche, interrogeant les touristes que nous sommes, lors de notre rencontre avec les autres, avec nos compagnes, avec nous-même.

dimanche 2 juillet 2017

Angelus novus Antifaust. Sylvain Creuzevault.

Ce théâtre m’a procuré les mêmes sentiments contradictoires que certaines productions d’art contemporain: des fulgurances poétiques, de l’énergie, de l’inventivité, mais quel fatras !
A l’entracte du spectacle de trois heures, un quart des spectateurs ne sont pas revenus, pourtant les acteurs sont investis, voire excellents, quand par exemple une conférencière vampirise son collaborateur.
Mais pourquoi s’adosser à Faust, à  « Angelus novus », un tableau de Paul Klee qui représentait pour  le philosophe Walter Benjamin « l’Ange de l’histoire » ? 
De la même façon qu’un brouillard artificiel est envoyé sur les gradins, nous sommes enfumés par tant de références qui font regretter aux mauvais élèves de ne pas être restés devant un quart de finale de la coupe de la ligue.
D’autre part, les allusions trop précises au contexte politique actuel avec « démocratie participative » et name dropping renvoie à des images de Guignols de l’Info, plutôt qu’à une réflexion sur les dérives ou les enjeux de la présidentielle.
Alors resteront certains beaux tableaux,
mais les destins d’un docteur en biologie et son double,
de Marguerite Martin prix Nobel et son double
et d’un chef d’orchestre devenu chef d’état nous importent peu,
pas plus que nous n’ayons pu identifier quelque démon.
De belles voix curieuses engoncées sous de raides postures participent à un intermède, lâchant quelques mots grossiers sur fond de musique atonale, tout en se défaisant de leurs masques. Le thème est récurrent dans la pièce déstructurée où  des effets de panneaux mobiles sont intéressants, comme sont inquiétants des regards aux lentilles hallucinées.
L’effet de curiosité qui m’avait fait revenir après une première expérience risque d’être épuisé: 
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Je reprends la publication d'articles lundi 4 septembre.
Bel été à mes lectrices et lecteurs.

samedi 1 juillet 2017

Un été avec Machiavel. Patrick Boucheron.

Dans la clarté d’un jour d’été qui a attendu la délivrance des orages, ces 145 pages reprenant une série d’émissions de radio, en conservent toute la fluidité pédagogique.
Nous sommes conviés à aller au-delà de la réduction au « machiavélisme » de l’œuvre du florentin sans cesse renaissant :
«  Tenter la fortune car elle est l’amie des jeunes gens et changer selon les temps ».
Nous y sommes.
« Il m’est apparu plus convenable d’aller tout droit à la vérité effective de la chose qu’à l’image qu’on en a ».
Le moment serait « machiavélien » : « Cette indétermination des temps dès lors qu’un idéal républicain se confronte à sa propre impuissance, à l’usure des mots et à l’opacité de la représentation, à ce qu’on appellerait aujourd’hui la fatigue démocratique. »
Nicolas « annonce les tempêtes, non pour les prévenir, mais pour nous apprendre à penser par gros temps.»
Sommes nous ces princes à qui était destiné «  Le Prince » écrit dans un moment de disgrâce, comme les notations biographiques le précisent, pas seulement pour égayer le propos, mais percevoir comment se relient action et réflexion ?
Comment ne pas rapprocher les propos de Frédéric Lordon lors des « Nuits debouts »:
« Nous ne sommes pas ici pour être amis avec tout le monde, et nous n'apportons pas la paix»  
avec le lucide conseiller né en 1549 ?
«  Aussi est-il nécessaire à un prince, s’il veut se maintenir, d’apprendre à pouvoir ne pas être bon et d’en user et de n’en pas user, selon la nécessité. »
Ces désordres qui fascinent, effraient ou attirent, sont, comme le précise l’historien à la mode, bien en chaire au Collège de France, des « humeurs », utilisant une métaphore de la médecine d’alors :
« La bonne santé du corps social résulte de l’équilibre de ses humeurs, c'est-à-dire non pas d’un ordre politique qui nierait les troubles, mais d’une organisation des désordres sociaux. »
Il reste du travail, car tout le monde est loin d’être animé par le principe du doute, «  premier ressort de la connaissance » :
« Dans ce pli s’énonce la politique, qui ne vaut que si elle est mise au défi des contingences et des fatalités par la reconnaissance d’une puissance d’agir indéterminée.»
Hollande aurait dû travailler son Machiavel, même dans cette version «  pour les nuls » qui m’a parfaitement convenu.

Le dessin est de Soulcié qui dessine à Télérama ou pour Médiapart.

vendredi 30 juin 2017

Le Postillon. N° 41 Eté 2017.

Les rédacteurs anonymes du trimestriel satirique peuvent regretter leurs ancêtres de 1886 :
«  Aussi les amants de l’imprévu, du désordonné, du fantasque apprendront-ils avec plaisir que le Postillon reprend dès aujourd’hui, ses libres et capricieuses allures… »
Cette livraison m’a semblée bien pépère en ces temps où l’actualité a pourtant turbulé.
Mol compte rendu d’une soirée de résultats des législatives à la préfecture et immersion dans le fan-club de Benoît Hamon où l’heure n’est pas à l’auto critique : le monde ancien a beau être à 6%, il persiste à être plus content que jamais.
Concernant le « street art » nous  apprenons qu’il y avait du  gâteau quatre-quart à la conférence de presse, mais pas l’ombre d’une info en dehors du litige corporate concernant l’affichage sauvage, les opposant à la mairie.
Ils regrettent une inscription à la bombe à peinture, rue Abbé Grégoire, rare tache d’humour:
« Le travail est à la vie ce que la mer est au pétrole »… à moins que ce ne soit l’inverse.
Ils ouvrent une rubrique qu’ils sauront alimenter de leur verve toujours critique envers les technologies particulièrement bavardes dans la cuvette grenobloise: « La noix connectée »:
Une première avec la « Love box », boite en bois connectée à la wifi, surmontée d’un cœur qui tourne quand un message d’ « amour avec un grand@ » est reçu.
Le récit de deux descentes des fleuves en kayak, puis 57 ans après en radeau, de Grenoble à Cassis aurait pu être captivant, mais l’enchaînement déroutant des paragraphes appellerait plutôt une reconstitution d’un puzzle, genre devoir de vacances.
Plus réussi est le jeu de l’oie en divers moyens de locomotion :
«  Départ de l’hyper marché de Saint Martin d’Hères, tu as acheté des chips et du rosé pamplemousse avant de partir pour St maxime (du rosé pamplemousse ? Franchement).
J’apprécie Le Postillon quand il n’est pas là où on l’attend : critiques quant au Cairn, monnaie locale, compliquée, adossée au crédit coopératif dont ils ont dénoncé auparavant des fonctionnements pas très progressistes.
Au sujet du logement, avec un regard intéressant concernant des bureaux vides, leur approche à partir des squats aurait pu rester dans les marges : un dossier documenté apporte de la matière pour insister sur un problème clef en matière de justice sociale.
Un reportage dans une ferme à Vif respecte la dose habituelle d’humanité, bien que le dessin manque de poésie. La popularisation d’une lutte inventive en moyen d’actions chez EDF ou un compte rendu d’audience au tribunal à propos d’histoires de drogues sont utiles ; leur place est naturelle chez les ananars.
Une nouvelle cultive la nostalgie des boites aux lettres personnalisées du temps où les facteurs pouvaient prendre du temps.
Ce supplément est à découper : mais pourquoi  le format A 4 cohabite-t-il encore avec A 3 ?
Le massicot est-il d’une technologie contondante trop avancée et libertairement incompatible ?
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La photographie choisie en tête de cet article recopiée dans ce numéro, peut donner à s’inquiéter des indulgences de manifestants syndicaux avec les cagoulés qui tiennent à leur tenue hivernale malgré la canicule qui vient. Là dessous, c'est du "Canard":

jeudi 29 juin 2017

Anselm Kiefer. C. Loubet.

L’artiste allemand vivant en France présenté par le conférencier devant les amis du musée de Grenoble, met plomb, pierre, paille et peinture en jeu pour traiter de l’Apocalypse (la révélation).
Trois de ses oeuvres viennent d’être achetées par Le Louvre. Il fallait bien le Grand Palais en 2007 pour accueillir ses constructions gigantesques et Beaubourg pour l’honorer en 2015.
Il est né sous les bombardements de 1945 entre le  lac de Constance et la forêt noire.
Beuys sera son professeur à Düsseldorf, les happenings tournaient alors à la provocation.
En se photographiant faisant le salut nazi, « Occupation » dans un cadrage évoquant Friedrich, il a l’intention d’assumer la tragique histoire germanique avec « emphase et gravité ».
Dans un « Paysage d’hiver » la civilisation saigne.
Le serpent survit dans un paysage calciné, l’artiste brûle le territoire pour le reconstruire : « Resurrexit »
« Vol de Hanneton » illustre la berceuse :
«Le hanneton vole,
Papa est à la guerre,
Maman en Poméranie,
La Poméranie est brûlée. »
La baignoire de sa grand-mère est dérisoire pour rappeler l’« Opération lion de mer », nom de code désignant le projet d’invasion de l’Angleterre par les nazis.
Il évoque les figures mythiques : « Brunehilde endormie » (Catherine Deneuve) oubliée par Siegfried, les évènements fondateurs, Hermann le Vercingétorix Teuton, les grands auteurs : Goethe, Nietzsche et compagnie…
Puis entre Icare et l’alchimie, il va citer souvent Paul Celan, poète rescapé des camps, pour exprimer sa « fascination horrifiée » pour la shoah. « Ligne de chemin de fer ».
« L’Athanor », le four alchimique de l’oeuvre au noir, de la recherche de la pierre philosophale, de la régénération, et de l’étincelle de vie, a atteint des records à la vente à New York.
Fasciné par la Kabbale de Louria où Dieu a créé le monde par son retrait, il produira de nombreuses toiles jusqu’à  « Alkahest », le dissolvant auquel aucun métal ne résiste y compris l’or.
Installé un moment à Barjac sur 35 ha, il accumule des matériaux dans « Les maisons » de la Ribaute.
Il synthétise ses visions d’autres cosmogonies où l’homme est pris entre microcosme et macrocosme. Dans « Le camp des étoiles » chaque élément céleste est numéroté ainsi que le furent les déportés.
Si le renouveau peut être issu du chaos, « La tombe dans les airs » de notre culture prométhéenne est bien bancale.
« Danaé »: depuis des livres calcinés fleurit un tournesol. Le retour du chaos et de la renaissance est cyclique.
Et avec «Le dormeur du val » rimbaldien les fleurs poussent sur une terre fécondée.
«  Je suis dans la matière, dans la couleur, dans le sable, dans l’argile, dans l’aveuglement de l’instant »
Me reviennent à la fin de l’exposé dont je n’ai retenu que quelques images d’une production très abondante, ces vers d’Eluard, quand tant de matériaux divers furent rassemblés pour accomplir un travail de mémoire endeuillée et s’élargir à une quête spirituelle embrassant mystique et occultisme : plomb, ongles, paille, photos, suie, sable, salive, tessons de verre et de porcelaine, laque,résines… 
« Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Liberté. »