mercredi 10 février 2016

La terre et l’ombre. Cesar Augusto Arcevedo.

La terra y la sombra.
Une maison aux volets fermés au milieu des champs de canne à sucre boliviens.
Le rythme lent convient bien pour accompagner la fin de vie d’un travailleur épuisé par le travail.
Son père revient l’assister, lui qui est parti loin depuis des années.
Sous ses allures de macho latino, il va à l’encontre du cliché et se fait tout doux avec son ancienne épouse, restée sur ses terres et avec son petit fils qu’il initie aux chants d’oiseaux.
L’entreprise qui emploie aussi cette vieille  femme et sa belle fille est intraitable et surexploite les coupeurs de canne.
Etouffant et fort.

mardi 9 février 2016

Où sont passés les grands jours ? Jim & Alex Tefenkgi.


Est ce que le deuxième volume d’une histoire au titre séduisant sauverait une première partie décevante ? http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/06/ou-sont-passes-les-grands-jours-jim.html
Les amis entrant dans l’âge adulte sont toujours aussi immatures et agaçants. La mort d’un des leurs étant un prétexte qui dure pour justifier en particulier Hugo, le personnage principal, tragiquement puéril.
Il vient de mettre enceinte sa maîtresse et continue d’harceler sa légitime, mère de sa fille. 
L’histoire qui met en scène beaucoup de personnages irresponsables, nous présente des  aspects  dominants de notre société. 
Le jeune papa veut montrer les étoiles à sa fille, comme c’est romantique! Il dégomme alors les ampoules de l’éclairage public au lance-pierres.
Tant d’intensité, sans véritable distance prise pour se maîtriser, avec par exemple la mère d’un âge avancé et ses recherches sur Meetic, est typique de notre humanité, pathétique, hystérique,  où s’affrontent les solitudes  entre deux coups d’affects.
Intéressant, malgré des défauts persistants, un trait conventionnel avec pourtant des notations justes par ci par là qui ne gagnent rien à se placer sous la formule ronflante et banale :
« C’est l’histoire de la vie. La vie plus forte que tout »

lundi 8 février 2016

No land’s song. Ayat Najafi.

Une jeune iranienne compositrice à l’énergie  communicative essaye d’organiser un concert international avec Jeanne Cherhal entre autres, où des femmes chanteraient pour un public mixte.
Mais ce n’est pas normal aux yeux des décideurs mâles qui ne regardent pas leur interlocutrice en face. Des femmes fortes, intelligentes qui au-delà de l’irrévérence à chanter en solo en reviennent aux fondamentaux de la liberté, de la dignité.
Quand tant de volonté, d’opiniâtreté sont dépensées pour des motifs qui semblent dérisoires, ces petites victoires paraissent grandioses.
Film utile où la production permet l’avancement de projets, comme avec « Benda Bilili », la troupe d’handicapés passés des rues de Kinshasa à une tournée européenne,

dimanche 7 février 2016

Origines. Baptiste Lecaplain.

Merci aux programmateurs de La Vence Scène à Saint Egrève qui après
Proust Gaspard
et le Comte de Bouderbala
ont permis à une salle comble d’assister au début de la tournée de celui qui doubla un gladiateur dans « Astérix, le domaine des Dieux » et appartient désormais à l’équipe de Ruquier dans « Les grosses têtes » sur RTL ; pas vraiment non plus le perdreau de l’année que j’imaginais.
Il joue sur son ancienne timidité avec ce qu’il faut d’improvisations pour vivifier un spectacle de deux heures, bien écrit, où se retrouvent un canard à qui il ne faut pas donner du pain, le revers de la main de son père et la clope de la mère.
Autobiographie tendre et drôle où le jeu périlleux avec les blagues nulles est parfaitement réussi et des références tellement contemporaines que je n’ai pas tout saisi : haschtag plus-dans-le -coup.  Il regrette le temps ou tout petit on le couchait sur deux chaises et il se réveillait en pyjama dans son lit ; devenu adulte cette situation est plus problématique.
Comme le stand up est pétillant, rythmé, on peut excuser l’ancien enfant roi devenu papa, pour le cliché des sempiternelles flûtes des cours de musique dont seul un cobra peut saisir les nuances, ou les affres déjà bien parcourues du romantique qui ne conclura qu’à 23 ans.
Il s’accompagne de toute une série de personnages intermittents, retrouvés avec plaisir : chiens et chats, taupe ou kangourou livreur de pizza chez des végétaliens qui le récusent car ils n’acceptent pas ce qui vient d’un animal. 

samedi 6 février 2016

Un printemps 76. Vincent Duluc.

Pour avoir souhaité en ces années, être nommé du côté de Vienne parce que c’était plus près de Saint Etienne … pour du foot, je me retrouve mot à mot dans ces 213 pages qui savent de quelle couleur furent ces années : vertes !
Je voulais reprendre une formule : « Qui n'a pas vécu dans les années… »  et je m’aperçois  qu’elle est de Talleyrand : «… voisines de 1789 ne sait pas ce que c'est que le plaisir de vivre.»
J’ai connu ces chants, cette communion avec les foules folles de Geoffroy Guichard.
Quand les élèves de polytechnique à la mi-temps faisaient la parade : « A la mine ! »
Ce livre qui revient sur les années adolescentes, à Bourg-en-Bresse, du responsable de la rubrique football de « L’Equipe », se lit d’un trait :
 « Francis Perrin s’arrêtait à un carrefour, se tournait vers sa passagère, et lançait cette réplique immédiatement entrée dans l’histoire du cinéma : Alors Bourg-en- Bresse ou les Bahamas ? »
Bien sûr, pour qui Herbin ne dit rien, ni Curkovic, ni même Rocheteau, passez votre chemin.  Parce que cet échange dans le vestiaire vous sera étranger, quand le président Rocher se plaint auprès des équipiers de Larqué :
« Vous vous rendez compte, votre capitaine refuse le contrat que je lui propose pour jouer avec vous ! Même ma femme n’en dort pas »
Larqué répond : «  Ne mêlez pas votre femme à l’affaire. Germaine est une sainte femme… »
Les femmes allaient au paradis et les agents réglaient la circulation.
Bien sûr, l’écriture fait du style, trop dribbleuse, mais je manque de gadins pour lui lancer des pierres. Et cela va bien à ma nostalgie, bien qu’il n’en fasse pas des tonnes et trouve les mots justes pour parler de ce stade, ce qui lui avait valu des remontrances d’un maire qui  aurait voulu que Saint E soit la ville du design. Sans se mettre en surplomb, il parle bien du devenir de ces hommes qui furent au cœur du chaudron, et ont vieilli  si vite, en allant chercher ce qui fonde une équipe et forge des individualités.
Et ça, ce n’est pas que l’histoire de onze manchots qui courent après leur enfance.

vendredi 5 février 2016

Manif, sniff !

J’ai accompagné ma prof en exercice à la manif de mardi dernier et je ne l’ai pas perdue car ce n’était pas la foule des grands soirs. Les slogans étaient faiblement repris par les manifestants brandissant parfois quelques cartons rouges, mais évitant d’accompagner l’antienne :
«  Najat, si tu savais ta réforme, ta réforme, ta réforme, où on se la met ! »
La charmante prenant la suite d’une série de ministres oubliables.
Et «  Motivé ! » de Zebda à la sono faisait comme un cruel contrepoint qui aurait ignoré le temps.
Les profs opposés à la réforme du collège ont rejoint la manif fonction publique concernant le pouvoir d’achat, et les médias n’ont  bien voulu retenir que les réclamations concernant le point d’indice et les pneus brûlés des taxis du matin. Il a été aussi question de la galère pour faire garder ses enfants. Les journalistes s’aperçoivent lors des grèves de l’utilité de l’école en tant que garderie, car pour ce qui est de la mission éducative : l’école leur parait essentiellement stressante. Et les opposants à la réforme du collège : des passéistes, coincés de droite, c’est Libé qui l’a dit.
Face à ce conformisme médiatique qui a perfusé jusque dans les rangs des personnels qui ne se sentent pas forcément concernés, voire des grévistes montés au ski, j’ai mis en ouverture de ce texte, le panneau qu’avait confectionné une manifestante.
Travail personnel appliqué qui se développait sur deux faces, pas siglé, pour lequel je crains qu’il ait été peu lu : l’ampleur de la déception, du malentendu, ne tenant pas en une sentence.
Mais la forme de cette protestation, inadaptée à nos temps laconiques, marque bien la distance entre ceux qui défendent une école où les mots seraient choisis et les petits marquis tweeteurs des ministères et leur presse à eux attachés.
Face aux désarrois des établissements publics en banlieue, qui pourraient recevoir des propositions nouvelles de réforme d’une façon favorable, les réponses ne sont guère plus enthousiastes à ce qu’on peut en savoir, la mode n’étant pas au débat éducatif, ni à de dépressives incursions dans ce qui apparait comme des « territoires perdus de la république » : un surveillant, pardon, un aide éducateur de collège public : 
« Dis Mouloud on ne t’a pas vu à la mosquée hier au soir » (« Marianne », l’hebdomadaire)
Une amie des temps expérimentaux qui consacra des temps de soutien gratos aux élèves en difficulté et force réunions de coordination entre profs divers, pourrait-elle recevoir ces élèves car aujourd’hui il s’agit de ne pas stigmatiser ? Tout est hystérisé: la déchéance de nationalité qui toucherait quelques individus qui font la guerre à leur pays, la note, la couleur rouge, la moindre remontrance, voire le moindre apprentissage, le moindre travail, la moindre page, sans parler de l’orientation : tous chômeurs et bac pour tous. Qui veut devenir prof ? La société est bien plus malade qu’on le croit, qui ne sait répondre que par les sous.
Jaime Semprun :
« Quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : « Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? », il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : « À quels enfants allons-nous laisser le monde ? ».
………..
Dessin de Pessin sur le site de Slate :

jeudi 4 février 2016

Les précurseurs de l’art du mouvement. Thierry Dufrêne.

Dans la recherche des origines d’un mouvement qui inspira le futurisme, le cubisme, le constructivisme, le surréalisme… faut-il remonter à la préhistoire comme le fit le conférencier devant les amis du musée avec Tinguely en homo faber et Giacometti modelant la terre dans un style certes plus élancé que les premières vénus ? Le geste et la parole. Il est vrai que les bisons sur les parois éclairées à la torche intermittente galopaient.
Nous sommes pleinement dans le sujet de l’exposition «  Persona » présentée jusqu’en novembre 2016 au quai Branly à Paris, qui interroge « Comment l'inanimé devient-il animé ? » à laquelle le professeur d’histoire de l’art à Nanterre qui nous tint ce langage, collabore.
Alors, l’art cinétique à ses débuts : contredisant Dali qui demandait à une sculpture surtout de ne pas bouger, l’ingénieur Calder qui avait suivi le cirque Barnum, va réaliser en fil de fer des personnages pour une composition appelée le « Grand cirque Calder ».
Le mot «  mobiles » attaché à celui qui donna son nom à nos rendez vous de manifs grenobloises partant de la gare - en l’occurrence un « stabile » - vient de Duchamp.
Restant dans les arts populaires, Alexander Archipenko avec « Medrano », polychrome, a cherché à bouger.
Les costumes de Picasso - il est encore là lui aussi - pour « La parade » de Satie, sont plus que des habillements.
Delaunay dans son « Hommage à Blériot » (musée de Grenoble)  autour d’une hélice fait tournoyer « chromomotricité » et « chronomotricité ».
Duchamp joue avec des spirales de mots :   
« Sur Demande des moustiques Domestiques (demi-stocks) for the cure d’azote sur la Côte d’Azur. »
Il reprendra l’idée de rotation dans des « Rotoreliefs ».
« The Rock Drill » dont Jacob Epstein ne conserva que le haut fut installé sur un marteau- piqueur.
« L'Homme en mouvement » est créé par Boccioni, théoricien du futurisme, du temps des machines triomphantes qui pourtant tant asservirent et tant massacrèrent pendant les guerres :
« Tandis que les impressionnistes font un tableau pour donner un moment particulier et subordonnent la vie du tableau à sa ressemblance avec ce moment, nous synthétisons tous les moments (temps, lieu, forme, couleur, ton) et construisons ainsi le tableau. »
Se mouvoir et s’émouvoir peuvent se confondre et depuis Héraclite :
« Ce qui existe, ce n'est pas l'être mais le devenir : Il n'y a de réel que le changement. »
Dans un tourbillon de références, Proust croise Bergson, le calme Hegel, Kant le serein et Descartes le mécanique, les photographes Muybridge, son zoopraxiscope et Marey.
« Le poète, selon Lessing premier historien de l’art, dans « le Laocoon », travaille pour l’imagination, et le sculpteur pour l’œil. Celui-ci ne peut imiter toute la réalité qu’en blessant les lois du beau ; il ne reproduit qu’une situation, qu’un instant, tandis que le poète développe l’action tout entière. »
La vibrante « Kinetic Construction » de Naum Gabo, qui ne fut pas qu’un penseur, ouvre le chemin.
Son arachnéenne « Linear Construction in Space » résout l’opposition d’Apollinaire entre sculpture et nature.
Le « Monument à la III° Internationale » d’Atline resta à l’état de maquette pour une tour qui devait s’élever à 400 m de haut, en fer, verre et acier, « constituée d'une double hélice en spirale avec en son centre trois structures géométriques en rotation, le cube (sur un an), le cône (sur un mois), le cylindre (en un jour). »
Finalement, le téléphone au homard de Dali, l’homme aux propositions  inattendues, symboliques et fantomatiques, n’est pas inerte, il s’intitule « Le Téléphone aphrodisiaque ».
Pour le Groupe de Recherche d'Art Visuel (GRAV), remis en lumière par Yves Aupetitallot en 1998 au Magasin de Grenoble, directeur aujourd’hui contesté par son personnel : «  Les œuvres ont pour vocation de toucher tout le monde, les badauds comme les connaisseurs. »
Morellet, un des fondateurs de ce groupe éphémère, est au musée de Grenoble, avec sa « sphère-trames » .
Une de leurs œuvres « participatoires », fut érigée à côté de la « maison de la culture » qui venait d’être inaugurée par Malraux en 68 dont je ne peux me dispenser de rajouter un morceau  du discours :
« Nous voici au point capital de notre entreprise. Supposons que la culture n'existe pas. Il y aurait les yé-yé, mais pas Beethoven; la publicité, mais ni Piero della Francesca ni Michel-Ange; les journaux, mais pas Shakespeare; James Bond, mais pas le Cuirassé Potemkine ni la Ruée vers l'or. Pourtant il y aurait une création, il y aurait un art, il y aurait des maîtres vivants. Mais si nous pensons aux nôtres, aussitôt nous découvrons comment ils se rattachent à ceux du passé. Hemingway est parent de Shakespeare plus que du New-York Times. Parce que ce qui unit tous les maîtres, c'est leur référence à autre chose que la vie. Le domaine de la culture, c'est le domaine de ce qui s'est référé à cette autre chose, d'ailleurs variable. Et à une image de l'homme acceptée par lui, et est simplement l'image la plus haute qu'il se fait de lui-même. C'est cette référence qui permet à l'œuvre de survivre à son auteur. Dans une civilisation religieuse, ce qui assure la vie des valeurs, c'est la religion elle-même. Dans une civilisation non religieuse, c'est ce domaine de référence qui délivre l'œuvre de sa soumission à la mort. »