jeudi 4 février 2016

Les précurseurs de l’art du mouvement. Thierry Dufrêne.

Dans la recherche des origines d’un mouvement qui inspira le futurisme, le cubisme, le constructivisme, le surréalisme… faut-il remonter à la préhistoire comme le fit le conférencier devant les amis du musée avec Tinguely en homo faber et Giacometti modelant la terre dans un style certes plus élancé que les premières vénus ? Le geste et la parole. Il est vrai que les bisons sur les parois éclairées à la torche intermittente galopaient.
Nous sommes pleinement dans le sujet de l’exposition «  Persona » présentée jusqu’en novembre 2016 au quai Branly à Paris, qui interroge « Comment l'inanimé devient-il animé ? » à laquelle le professeur d’histoire de l’art à Nanterre qui nous tint ce langage, collabore.
Alors, l’art cinétique à ses débuts : contredisant Dali qui demandait à une sculpture surtout de ne pas bouger, l’ingénieur Calder qui avait suivi le cirque Barnum, va réaliser en fil de fer des personnages pour une composition appelée le « Grand cirque Calder ».
Le mot «  mobiles » attaché à celui qui donna son nom à nos rendez vous de manifs grenobloises partant de la gare - en l’occurrence un « stabile » - vient de Duchamp.
Restant dans les arts populaires, Alexander Archipenko avec « Medrano », polychrome, a cherché à bouger.
Les costumes de Picasso - il est encore là lui aussi - pour « La parade » de Satie, sont plus que des habillements.
Delaunay dans son « Hommage à Blériot » (musée de Grenoble)  autour d’une hélice fait tournoyer « chromomotricité » et « chronomotricité ».
Duchamp joue avec des spirales de mots :   
« Sur Demande des moustiques Domestiques (demi-stocks) for the cure d’azote sur la Côte d’Azur. »
Il reprendra l’idée de rotation dans des « Rotoreliefs ».
« The Rock Drill » dont Jacob Epstein ne conserva que le haut fut installé sur un marteau- piqueur.
« L'Homme en mouvement » est créé par Boccioni, théoricien du futurisme, du temps des machines triomphantes qui pourtant tant asservirent et tant massacrèrent pendant les guerres :
« Tandis que les impressionnistes font un tableau pour donner un moment particulier et subordonnent la vie du tableau à sa ressemblance avec ce moment, nous synthétisons tous les moments (temps, lieu, forme, couleur, ton) et construisons ainsi le tableau. »
Se mouvoir et s’émouvoir peuvent se confondre et depuis Héraclite :
« Ce qui existe, ce n'est pas l'être mais le devenir : Il n'y a de réel que le changement. »
Dans un tourbillon de références, Proust croise Bergson, le calme Hegel, Kant le serein et Descartes le mécanique, les photographes Muybridge, son zoopraxiscope et Marey.
« Le poète, selon Lessing premier historien de l’art, dans « le Laocoon », travaille pour l’imagination, et le sculpteur pour l’œil. Celui-ci ne peut imiter toute la réalité qu’en blessant les lois du beau ; il ne reproduit qu’une situation, qu’un instant, tandis que le poète développe l’action tout entière. »
La vibrante « Kinetic Construction » de Naum Gabo, qui ne fut pas qu’un penseur, ouvre le chemin.
Son arachnéenne « Linear Construction in Space » résout l’opposition d’Apollinaire entre sculpture et nature.
Le « Monument à la III° Internationale » d’Atline resta à l’état de maquette pour une tour qui devait s’élever à 400 m de haut, en fer, verre et acier, « constituée d'une double hélice en spirale avec en son centre trois structures géométriques en rotation, le cube (sur un an), le cône (sur un mois), le cylindre (en un jour). »
Finalement, le téléphone au homard de Dali, l’homme aux propositions  inattendues, symboliques et fantomatiques, n’est pas inerte, il s’intitule « Le Téléphone aphrodisiaque ».
Pour le Groupe de Recherche d'Art Visuel (GRAV), remis en lumière par Yves Aupetitallot en 1998 au Magasin de Grenoble, directeur aujourd’hui contesté par son personnel : «  Les œuvres ont pour vocation de toucher tout le monde, les badauds comme les connaisseurs. »
Morellet, un des fondateurs de ce groupe éphémère, est au musée de Grenoble, avec sa « sphère-trames » .
Une de leurs œuvres « participatoires », fut érigée à côté de la « maison de la culture » qui venait d’être inaugurée par Malraux en 68 dont je ne peux me dispenser de rajouter un morceau  du discours :
« Nous voici au point capital de notre entreprise. Supposons que la culture n'existe pas. Il y aurait les yé-yé, mais pas Beethoven; la publicité, mais ni Piero della Francesca ni Michel-Ange; les journaux, mais pas Shakespeare; James Bond, mais pas le Cuirassé Potemkine ni la Ruée vers l'or. Pourtant il y aurait une création, il y aurait un art, il y aurait des maîtres vivants. Mais si nous pensons aux nôtres, aussitôt nous découvrons comment ils se rattachent à ceux du passé. Hemingway est parent de Shakespeare plus que du New-York Times. Parce que ce qui unit tous les maîtres, c'est leur référence à autre chose que la vie. Le domaine de la culture, c'est le domaine de ce qui s'est référé à cette autre chose, d'ailleurs variable. Et à une image de l'homme acceptée par lui, et est simplement l'image la plus haute qu'il se fait de lui-même. C'est cette référence qui permet à l'œuvre de survivre à son auteur. Dans une civilisation religieuse, ce qui assure la vie des valeurs, c'est la religion elle-même. Dans une civilisation non religieuse, c'est ce domaine de référence qui délivre l'œuvre de sa soumission à la mort. »

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