dimanche 16 février 2014

Lisa Leblanc.

Du fort, du puissant : la ronde acadienne communique une énergie revigorante par ses musiques folk-rock pétaradantes, même si ses paroles sans détour parlent de solitude, de vie difficile.
Il vaut mieux lire les paroles avant écoute parce qu’à la première fois, on risque de perdre du sens même si son banjo endiablé nous remue.
Avec un lexique:
« Chum = ami, yeule = gueule, câlisse moi = lâche moi, quétaine = craignos,
Kraft dinner = macaronis au fromage, j’pète ma coche = je suis à bout,  … »  
C’est qu’elle chante en chiac(ou chiacque), un parler du Canada avec une voix à réveiller les assoupis.
Sa verdeur est sincère et sa santé tranche avec bien des productions récentes.
Les papillons qui lui « rongent le cœur » n’en ont que plus d’éclat.
Au pays des igloos, il arrive qu’il fasse trop chaud, et le motel  au bord  du hihway n’est pas très romantique, le tapis orange est « déteindu », le mur « en bois castor ».
Mais si elle n’est pas un cow boy, elle aime prétendre l’être : « elle a un bonne paire de bottes Boulet ». Elle se garde de chanter des toune pour fifilles mais  pour passer le temps, écrit une chanson d’amour, « le cœur tordu ».
Sa chanson « ma vie c’est d’ la marde » a été emblématique du printemps d’érable :
 « À matin mon lit simple fait sur de me rappeler que je dors dans un lit simple.
Avec les springs qui m'enfoncent dans le dos comme des connes.
J'ai pu l'goût qu'on me parle de conte de Disney.
Le prince charmant c't'un cave pis la princesse c't'une grosse salope.
Y'en aura pas de facile.
Peut-être que demain ca ira mieux mais aujourd'hui ma vie c'est de la marde.
Peut-être que demain ca ira mieux mais aujourd'hui ma vie c'est de la marde. »

samedi 15 février 2014

Quelle histoire. Stéphane Audouin-Rouzeau.

L’auteur était venu présenter son livre à la librairie du square
L’historien spécialiste de la guerre dont on commémore le centenaire a rédigé en 140 pages un récit de filiation.
«… je m’en suis tenu à ce que la Grande Guerre a fait aux miens, à la manière dont elle a traversé leur existence, quitte à inscrire ses effets au-delà même de leur propre vie. »
Il ne met certes pas ses tripes à l’air au bord de la tranchée éditoriale, mais avec la rigueur de l’universitaire remonte aux souvenirs familiaux qui portent bien au-delà des quatre ans de conflit. Chaque mot a son poids : le titre sans point d’exclamation situe l’enjeu d’un témoignage personnel interrogeant la matière de son enseignement ;  « quelle histoire » ce sont aussi les derniers mots de son père à la veille de sa mort lorsqu’il l’emmène à l’hôpital, comme celui-ci avait conduit le sien à la fin d’une vie détruite.
Les lettres manuscrites qui sont un support essentiel de la mémoire, dans ce conflit en particulier, même lorsqu’elles mentent, sont signifiantes. En prenant le temps de les replacer dans leur contexte, nous en percevons le retentissement tout au long des événements qui ont suivi : seconde guerre, aventure surréaliste pour le père de l’auteur, 68 en France, en Tchécoslovaquie, et surtout la répercussion des silences !  
Bien des thèses à propos de la « Grande » guerre sont unilatérales entre le bourrage de crane et le départ vers une guerre fraiche et joyeuse. Nous sommes amenés depuis le témoignage stéréotypé d’un arrière grand père cocardier jusqu’au pacifisme exalté deux générations plus tard, à revisiter à nouveau nos histoires et réviser l’histoire.
«Le tueur qui avait fracassé les relations des pères et de des fils sur trois générations, je n’ai jamais abandonné sa poursuite. Robert était sorti indemne de la guerre mais il l’avait perdue. Faute d’avoir compris la défaite de son père, Philippe perdit à son tour d’autres guerres. J’ai voulu comprendre leur défaites, j’ai tenté de la faire par l’histoire. Ceci bien sûr, à mon insu. » écrit Stéphane, frère de Fred Vargas.

vendredi 14 février 2014

La gauche à Saint Egrève : « cul par-dessus bu* »

Parce que j’ai partagé avec d’autres une certaine idée de la Gauche, et essayé d’œuvrer à sa réussite à Saint Egrève, je ne peux en rester à la sidération devant les péripéties d’une campagne électorale où de sales coups sont portés à l’éthique progressiste comme on disait dans les années avant J.C. (Jérôme Cahuzac).
L’éloignement de deux acteurs majeurs des dissensions dans notre famille politique :
P. Ribeaud et F. Vergès, aurait pu constituer un épisode ultime des duperies qui ont découragé tant de bonnes volontés citoyennes depuis de longues années, mais le processus de construction d’une liste unie comme cela a été possible à Meylan n’a pu aboutir ici.
Et c’est une liste menée par les plus constants opposants aux projets déjà lointains d’une municipalité alors orientée à gauche que soutient le parti socialiste. Celui-ci y perd son âme, ou ce qu’il en restait, lors d’assemblages où l’intérêt général disparait derrière l’addition d’intérêts particuliers.
« Tout cela s’inscrit dans le virage à droite de la société française. Il est spectaculaire jusqu’au théâtral. Il submerge la presse, il colonise les sondages, il triomphe dans les débats médiatiques. Le PS s’assume social-démocrate, le centre s’enracine à droite, la droite décomplexée n’en finit pas de se radicaliser et le FN voit surgir une extrême droite encore plus inquiétante que lui.  Le mouvement est général. Il imprègne l’enquête annuelle du Cevipof, grande référence qui tourne au cauchemar : institutions dévalorisées, personnel politique méprisé, sentiment d’échec absolu partagé, pessimismes ravageurs, déclinisme triomphant, amertume noire vis-à-vis de la société, demande pressante d’autorité, nostalgie du chef charismatique. Pour la droite, un risque. Pour la gauche, un fiasco. » A. Duhamel dans Libé.
Cette liste s’intitule « Autrement » par antiphrase, comme lorsqu’on dit  ironiquement :
« Bravo ! Continue comme ça ! Tu es sur la bonne voie !... »
De leur première expression publique ressortait le mépris de la culture et l’absence de toute proposition par exemple en matière de logements sautait aux yeux, leur posture exclusive d’opposant écartant toute démarche positive.
Leurs promesses de démocratie ne sont pas crédibles, tant les débats au sein de la gauche dans notre ville ont été constamment sabotés par des responsables dont le courage n’est pas la vertu cardinale, pas plus que leurs habitudes, participatives. Toute tentative de recherche de rapprochement entre écologistes et socialistes a été gâchée, aucune vision politique pour l’avenir de la ville n’a été partagée, la course aux places en dernières semaines faisant office de dynamique.
L’épuisement des élus minoritaires, inaudibles lors de la dernière législature est un signe supplémentaire d’une défaite annoncée y compris par la direction fédérale du PS qui ne compte  même pas sur Saint Egrève comme municipalité à « conquérir ».
Malheureux, les valeureux militants qui subsistent ! Cette drôle de gauche ne fait pas rire.
Parce que nous ne pouvons laisser une telle inversion des valeurs s’opérer, sortons de notre silence, face à ces conservateurs qui galvaudent les beaux mots de loyauté, de solidarité.
Quant au front de gauche ils étaient deux (d’où le nom front « deux » gauches) et trouvent moyen d’être sur deux listes différentes.
Les écolos qui l’ont joué Placé au niveau national, voient quelques arpents d’un terrain de foot où doit se construire une maison de l’enfance comme une atteinte à la forêt amazonienne : pathétiques.
Pour certains de mes amis en bougonneries, ce goût persistant de la défaite ne peut s’expliquer que par des arrangements dépassant les protagonistes tenus par des fils et allant bien au-delà de l’aire d’une municipalité aux pouvoirs bien relatifs.
Mes bottes sont pleines de petits cailloux, que ceux qui  se sentent le pied léger se mettent en route !
Au moment des bulletins à glisser dans l’urne, le blanc signifiant silence, la fidélité à nos convictions passe par l’abandon d’étiquettes qui ont perdu la tête, qui ont perdu tout sens commun.
* bu : la tête en patois.
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"Est-ce que tu peux le mettre en commentaire dans ton blog ? 
Merci Philippe"
Comme il était trop long pour passer en commentaire, je l’ajoute à mon article même si je ne suis pas d’accord avec tout, surtout si je ne suis pas d’accord.
Parler politique à la première personne devient si rare :
"Et bien Guy, tu fais comme Bernard Guetta sur France Inter, tu te lamentes du virage social démocrate du PS favorable au FN et à ses amis, là tu as tort , le FN a une droite ( Soral , Dieudonné , Boutin mais ils se retrouvent tous au bar du skin nazi Serge Ayoub ou aux manifs de l’Extrême droite à Paris...)A St Egrève on n'échappe pas à cela pas plus que le Front de gauche local n'échappe aux ambiguïté de sa tête bicéphale PC / Parti de Gauche, les tentatives des quelques forces antilibérales qui tournent autour ne renverseront pas la vapeur d'une paralysie inscrite dans la constitution de ce cartel. Le PC ne mettra pas en danger ses places d'élus auprès du PS. Ce faisant, où vont les électeurs quand ils n'ont pas de perspectives à gauche? Et bien en s’abstenant ou en allant vers un parti qui profite de sa virginité reconstruite et du fait qu'il n'a pas gouverné. Ceci d'autant plus qu'il utilise la vieille recette national socialiste en reprenant à son compte de façon démagogique nos critiques sur cette Europe de la finance.
Quant à la perte de valeurs du PS ou son dernier virage vers la sociale démocratie, ne pleure pas cela commence avec les conclusions du Think tank "Terra Nova" animé aussi par François Chérèque de la CFDT: il n'y a plus de classe ouvrière en France gouvernons au centre en faveur des classes moyennes. Seulement s'il n'y a plus de classe ouvrière massive, il y a des couches populaires toujours aussi importantes et dont certaines parties se retrouvent dans la misère. Et la continuité de la politique libérale assujettie aux recommandations et traités de cette Europe est dans la logique de ces choix fondamentaux.
Bon une élection locale c'est pas pareil qu'au national , argument facile, on n'échappe pas au contexte national et le vote à gauche des St Egrèvois pour le national même s'il apparaît en contradiction quand il s'agit du local, n'est pas en contradiction avec le vote des classes moyennes. D'ailleurs si Kamovski n'a pas en face d'elle une gauche au sens idéal où tu l'entends, c'est qu'il y a un accord de fait ,tacite entre elle et le PS via Ribeaud « je te fiche la paix sur le coin il y aura des renvois d'ascenseur ».
Il y a 25 ans en arrière quand grâce aux verts et à la frange rocardienne du PS nous avons perdu St Egrève , à Ecologie et Société nous avons dit que la ville était mise au congélateur, elle y est encore. Nous avons perdu les élections locales à chaque fois et le PS n'a jamais été clair pour ne pas dire autre chose et nous avons perdu le lycée au passage. Nous avons perdu la possibilité de la reconquête de la ville, le prix du M² garanti par la droite pas « de logement social » a modifier la sociologie de la ville durablement. Même si aujourd'hui Kamovski a fait du logement social pour ne pas payer les pénalités ; elle tient le pouvoir
Je ne comprends pas le choix d'une militante du Front de Gauche de rejoindre la liste Verte. Ce n'est pas politique surtout quand on voir ce que les Verts (EEVL) font au national et entre eux... mais cela résulte là aussi du manque perspectives au sein du Front de Gauche.
Bon je ne vote plus à St Egrève mais je pense qu'il faut reconstruire une « gauche » ou une alternative en s'appuyant sur la jeunesse qui critique radicalement le choix de société en cours marchandisation, technologisation avec l'Homme augmenté.... . Le problème qui se pose est une question de vitesse avec l'Extrême droite qui saisi l'opportunité offerte grâce aux choix de la droite et de la gauche avec cette Europe dont au final la traduction c'est austérité paupérisation pour les peuples et profit pour la bourgeoisie. Et la montée de l'Extrême s'inscrit dans le durcissement prévisible de cette contradiction. Le fascisme reste le chien de garde du capitalisme.
Alors si j'ai pris la peine de te répondre c'est parce que je pense que ton blog est tout aussi intéressant que le Postillon à faire vivre 
Salut Philippe
……
 Dans « Le Canard » de cette semaine :

jeudi 13 février 2014

Poussin vs Rubens.

" La querelle du coloris" se poursuit au XVII° siècle où marchands, collectionneurs et critiques s’expriment vivement comme le rapporte Michel Hochmann http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/01/le-titien-vs-michel-ange.html dans sa deuxième intervention sur le sujet aux amis du musée.
Colbert avait souhaité que l’Académie débatte devant les collections royales.
Philippe de Champaigne de l’académie s’y colle, le 12 juin 1671, à partir du tableau  du Titien « Vierge à l’Enfant » : il convenait alors de ne pas se laisser séduire par « la belle apparence, qui ne peut subsister seule, quelque beauté qu’elle puisse avoir ».
Dans ces conférences, Raphaël était présenté en alternance avec les vénitiens où finalement Poussin apparut comme le peintre universel qui savait la beauté du moelleux du pinceau tout en maintenant les belle formes aux dessins corrects. Tous les talents lombards ou romains se retrouveraient chez le français.
Lettres et pamphlets opposent  les coloristes qui aiment  la couleur, « la belle enchanteresse », aux dessinateurs tout en décence, modestie et perfection.
Le coloris unit, fait jouer l’harmonie. Comme un enfant, bouton d’or sous le menton, à qui on demande « t’aimes le beurre ? » les reflets jouent et les ombres ne sont pas noires.
Le dessin est une propédeutique, une grammaire, mais les règles ne suffisent pas à faire naître les poètes.
La hiérarchie des genres où l’histoire trônait tout en haut est remise en question.
Roger de Piles, un lettré comme on disait alors, apporte sa part.
« Si un peintre en représentant vous instruit, il ne le fait pas comme peintre mais comme historien »
Dans l’ « Enlèvement des Sabines », la vision érudite de Poussin (ci-dessus) joue dans un espace segmenté alors que la violence chez Rubens (ci-dessous) est globale, le choc immédiat.
Dans bien d’autres tableaux du peintre du nord, la couleur est éloquente : dans sa « Descente de croix », l’effet de lumière provoque la passion du spectateur.
La touche du pinceau nous touche. La chaleur du sang s’éprouve sous le vernis.
Le duc de Richelieu, neveu du Cardinal, ayant revendu ses tableaux de Poussin, s’est mis à Rubens.
Les français ont renouvelé les débats nés chez les italiens  même s’ils ont pu apparaitre comme des commentateurs avant d’être des producteurs de beauté.
Désormais le mateur de l’instant  a remplacé le connaisseur enraciné dans le temps.

mercredi 12 février 2014

Ethiopie J 20, J 21 : Addis Abeba et retour.

En attendant le réveil de tous, nous grimpons sur le toit de l’hôtel, notre regard sur la ville a changé, la boue et les travaux du tram sont prometteur pour une ville en devenir nous voyons les petites cahutes comme appartenant à un tissu économique vigoureux. Sur un terrain cimenté épargné par les pluies quotidiennes, des jeunes jouent au foot avec conviction. Au petit déjeuner nous sommes seuls dans l’hôtel et nous nous « enfarnassons » de pan cakes et de jus de fruits frais, mangue-goyave ou mangue-avocat.
 Le musée national est un peu vieillot mais sa visite qui nous fait traverser l’histoire de l’Ethiopie vient opportunément en conclusion de notre voyage. Nous restons un moment à contempler les restes de grand maman de 3.5 millions d'années Lucy (Australopithèque afarensis) : oui  Lucy celle des Beattles « in the sky with diamonds (LSD)» et  de deux autres aïeux dont nous avons oublié les noms. Des poteries et des bronzes de l’époque sabéenne, quelques statues ou bas relief sur un trône rappellent les représentations égyptiennes et mésopotamiennes. Une maquette figure le palais d’Axoum. Au centre du même étage les vitrines protègent des habits de notables, surprenant avec leurs broderies de fil d’or dignes des uniformes de l’Empire napoléonien avec un trône démesuré destiné au roi des rois. L’étage intermédiaire expose des peintures de différentes époques qui ont le mérite de raconter des évènements historiques de manière plutôt naïve accompagnées  de quelques sujets religieux. De magnifiques chaises taillées directement dans un tronc excitent notre convoitise. Le dernier étage est consacré à l’ethnographie, les objets sont classés par thème : belle révision de ce que nous avons pu voir.
Lorsque nous sortons, le ciel se charge de nuages sombres, dans le parc, nous nous approchons d’une vieille Ford première voiture d’Ethiopie appartenant à Hailé Sélassié « avant que les routes existent » précise notre guide. Il nous raconte aussi comment le propriétaire d'un chien qui venait d'être écrasé réclamait une compensation financière qui prendrait en compte le préjudice des récoltes qui ne seraient plus protégées des bêtes.
Nous nous élevons à 3200 m d’altitude sur la colline d’Entoto encore couverte de forêt d’eucalyptus fins et serrés, peu à peu remplacés par des essences d’origine (avant Ménélik 2).
Le temps de plus en plus bouché et la pollution empêchent d’apprécier pleinement le paysage. Le minibus nous laisse devant l’église St Raguel très fréquentée jusqu’au 15 août en raison du grand jeûne. Les écharpes blanches des fidèles drapées sur la tête ou les épaules émergent de la brume. Une file de mendiants sévèrement encadrés par un responsable attendent de percevoir l’aumône favorisée par cette période religieuse.
Un guide nous conduit vers l’ancien palais de Ménélik II et de l’impératrice Taitu. Il s’agit de deux grosses bâtisses modestes chaulées surmontés de toits de chaume dont l’armature tient avec des liens de cuir. Du chaume dépassent des morceaux de bois. Nous visitons la maison de réception qui contient la salle à manger contigüe à la resserre munie de cornes de bœuf pour suspendre la viande. La plus grande salle comporte cinq portes d’entrée, chacune attribuée à des personnes bien définies. Seule la porte donnant accès à des personnes peu importantes est plus basse, les forçant à s’incliner.
Lorsque nous sortons, la cohorte des mendiants s’est dissoute, nous longeons le campanile et la première église provisoire, une chapelle voulue par Ménélik.
Dès que nous revenons au centre ville s’abat une pluie diluvienne dans une circulation compliquée par l’absence de feux rouges et de priorité respectée. L’eau s’infiltre dans le minibus par les caoutchoucs fatigués des fenêtres. Nous gagnons l’Alliance Française où nous devons manger. Le temps de passer du minibus au restau de l’Alliance nous sommes trempés mais trouvons porte close car le restau est en réfection. Le minibus fait le maximum pour récupérer notre troupeau éparpillé. La cour de l’Alliance se transforme en torrent déferlant d’une eau marron dont la terre saturée ne veut plus. La seule chose aperçue de l’Alliance restent les taupières recouvrant le mur d’enceinte comme un bas relief de verdure où se dessine la tour Eiffel.
La solution de repli est vraiment pleine de charme : le « Taitu hôtel » est le plus vieux restaurant d’Addis créé par l’impératrice Taitu en faveur des visiteurs pour qu’ils y trouvent repos et confort. C’est un très joli endroit avec plusieurs salles, un escalier en bois conduisant à un large salon à peine meublé et aux chambres aujourd’hui sommaires mais qui laissent  place à l’imagination. Tout le monde se régale et goûte au charme des lieux, rendus nostalgiques par un piano un peu répétitif et discret. Nous séchons.
Une accalmie nous permet de faire notre shopping au marché artisanal. Les marchands refusent de baisser leurs prix mais dès que l’on repasse le seuil de leur boutique, la plupart du temps ils nous rappellent ; M. déclenche l’hilarité générale lors du marchandage d’un petit bonnet pour ma petite fille en utilisant un langage expressif ou « tricoti tricota » a du succès. Nous dépensons nos deniers birrs et même davantage, M. et JJ. jouant les banquiers.
Un dernier tour de ville en minibus nous donne la mesure d’une ville beaucoup plus moderne que dans nos premières impressions, des immeubles se construisent, les magasins des nouveaux quartiers s’européanisent, la voirie s’améliore.
Nous buvons le pot de l’amitié après avoir rempli le questionnaire de l’agence  Nous nous séparons à l’aéroport : Girmay prolonge son séjour d’une semaine pour rencontrer des amis. Au  contrôle J. doit se séparer de boutures de plantes et d’euphorbes soigneusement emballées dans son sac de voyage.
Nous n’avons pas été prévenus d’une escale à Khartoum avant de monter dans l’avion, elle dépasse largement les 16 minutes annoncées par l’hôtesse. A notre réveil  nous nous apercevons que le pilote a pratiquement récupéré les retards accumulés.
Le temps du retour par Francfort parait court.



mardi 11 février 2014

Happé par Sempé. Christophe Carlier.

Un hommage au dessinateur pleinement accordé à son sujet, tendre et mélancolique, léger et émouvant, miroir de nos émotions et découvreur d’horizons nouveaux.
Un "petit réduit" de 70 pages, comme on dit d’une gourmandise en pâtisserie, disposé opportunément à côté de la caisse de la librairie du Square. Même si sa présence sur les vastes linéaires d’une grande surface aurait pu fournir un dessin de Sempé quand le modeste ne manquant pas d’ambition rêveuse se trouve face à l’immensité.  
« Jean Jacques Sempé a changé le monde. Si Kafka a révélé l’emballement des machines administratives et la culpabilité sans cause qui étreignent l’homme moderne, Sempé, lui, a mis en scène ces moments simples où l’absurdité nous sourit au lieu de nous détruire, où les gens se regardent avec une tendresse et une timidité confondantes, porteuses d’un double message également rassurant : « l’homme est un grand mystère » et « nous sommes bien peu de choses ».
Bien souvent les dessins de l'octogénaire sont sans paroles, alors quand une dévote s’adresse à Dieu, son bavardage va à l’essentiel :
« Quand tout le monde parle à tort et à travers, vous épie et surveille vos propos pour après les déformer, quel repos de s’adresser à quelqu’un qui ne dit rien, ne vous voit peut être pas et, probablement, ne vous écoute pas ! » 
La dernière fois que  je parlais de Sempé c'était à la Noël :
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/12/bourrasques-et-accalmies-sempe.html

lundi 10 février 2014

Au bord du monde. Claus Drexel.

Paris, la ville lumière, la ville minérale, sans ses employés, appartient la nuit à ses marginaux qu’il ne convient pas d’appeler ici SDF mais plutôt « clochards », à l’ancienne, tels qu’ils sont montrés dans toute leur humanité. Le réalisateur nous fait partager son empathie pour ceux que l’on croise sans les entendre. Sur fond de Seine avec ses ponts majestueux et ses monuments superbement éclairés, la diversité des portraits proposés est passionnante. Nous découvrons au fil des entretiens leurs fêlures, mais aussi parfois une philosophie de la vie qui nous interroge au plus profond. Si loin, si proches, l’un d’eux balayant un morceau de trottoir minutieusement avant de poser sa tente qui contiendra aussi son caddy, levant le camp à 5h du matin avant l’arrivée des travailleurs : ni vu ni connu. Avec son allure de saint Jérôme du Caravage, une dernière apparition d’un homme pieds nus sous la pluie froide, silencieux, nous hantera encore un moment.
Un air de Puccini clôt ce beau film :
« Que personne ne dorme ! Que personne ne dorme !
Toi aussi, Ô Princesse,
Dans ta froide chambre
Tu regardes les étoiles
Qui tremblent d’amour et d’espérance »