samedi 4 janvier 2014

Long cours. N°5. Automne 2013.


XXI a beau être mon chouchou, je me réjouissais de trouver sur  le présentoir de la libraire du Square un trimookstriel qui lui ressemblait d’autant plus qu’il contenait un article concernant Rimbaud en Afrique. Mais si la revue au joli titre montée par l’Express est agréable au toucher il est moins lourd que le modèle de tous les mook (magazine+book), il l’est aussi dans le contenu, plus léger. L’ancêtre XXI a beau être imité dans le format, la longueur des articles, la volonté d’aller aux quatre coins du monde, sa profondeur, son originalité, ne sont pas égalées, au vu de cette livraison de ce concurrent.
Ce n’est pas indigne non plus. Mais le dossier concernant la géopolitique de l’Islam n’apporte pas vraiment du neuf en  évoquant le trésor de Kadhafi, les touaregs du Mali, la guerre fratricide des sunnites et des chiites, la série Homeland miroir tendu à une Amérique dans l’incompréhension du monde musulman et une nouvelle d’un écrivain : Enard  pour le retour d’un homme en Syrie.
Une BD en antarctique : classique, un reportage photos sur des nostalgiques des années 50 en Australie, sur les touristes chinois en Chine ou d’excentriques anglais : pas vraiment novateur.   Le reportage sur Istanbul, j’ai l’impression de l’avoir lu plusieurs fois et Djian qui se met à narrer son voyage à Shanghai à travers sa traductrice, a été en meilleure forme d’autres fois.
Par contre le récit de la construction d’un nouveau port à côté de Tanger montre les difficultés du développement quand le clientélisme n’a pas disparu et apporte des éléments nouveaux à l’idée traditionnelle d’un rif voué au kif. Le parti pris de se mettre dans les traces de Tom Wolfe à Miami est une excellente idée. Et une enquête sur les insectes nous emmène au-delà d’assiettes sensationnelles en évoquant tous les enjeux alimentaires qui se posent à la planète, les blocages et aussi les innovations possibles pour assurer par exemple une alimentation raisonnée des poissons ou des volailles. Le portrait d’un chercheur qui écoute les animaux est intéressant et la déambulation de Léonardo Padura Fuentes en front de mer à Cuba ne renvoie pas à des cartes postales mais à nos dualités suivant qu’il se tourne vers la ville pour regarder la vie ou vers la mer pour aller vers lui-même, ayant choisi de vivre « à proximité de mes regrets, de mes souvenirs, de mes frustrations et, bien entendu, de mes joies et de mes amours. »

vendredi 3 janvier 2014

Bon an mal an.


Il faut changer les calendriers, les aiguilles ont tourné.
Alors essayer de prendre la mesure du temps et pendant qu’on y est des espaces emboités:
le ciel au dessus de nos têtes est noir de charbon, les eaux sont poisoneuses.
Mondo : Les conférences environnementales à l’échelle de la planète ne font plus illusion.
Euro : Le bleu du drapeau européen comporte plus de taches que d’étoiles.
France : Mon président blague. J’avais voté pour lui à la primaire socialiste pensant qu’il susciterait moins de rejets qu’Aubry : je m’en enfonce le bonnet jusqu’aux yeux. Cahuzac.
Ceux qui ont toujours estimé que la gauche au pouvoir était illégitime par nature, arrêtés dans l’après guerre quand les chars soviétiques devaient stationner sur le mail de Voiron, ont repris du poil de la bête. Et le pouvoir est paralysé.
La mise à plat de l’impôt semble relever de la tactique et l’ajustement des rythmes scolaires qui rencontrait  pourtant le consensus passe mal ;  le « mariage pour tous » hystérisa des manifs par touffes.
Au-delà de ces péripéties surjouées, faut-il faire tout un plat des « quenelles » ?
Descendu de sa voiture de luxe, Anelka parle d’un « geste anti système », lui dont le système  en a fait un de ses rois. Il entretient la connivence avec toute une partie de la société dont la haine se cultive sous des excuses bidon, qui savent emprunter les codes clean pour continuer à pourrir le « vivre ensemble ». Bras d’honneur, doigt d’honneur et faux semblants.
Deux fractions du pays ne se voient plus.
L’école fut au moins un lieu de rencontre, mais lorsque les conditions d’apprentissage sont compromises, pompiers et vigiles sont requis. Avec des cours en ligne qui s’ouvrent dans les universités, on pourra économiser sur les profs.
Certains jeunes  pourront filer fissa, quand d’autres végèteront sur canapé, que dira PISA ?
Ariane Mnouchkine dans ses vœux sur Médiapart décrit ce climat de pessimisme qui me mine puis donne du souffle :
« Je nous souhaite d’abord une fuite périlleuse et ensuite un immense chantier.
D’abord fuir la peste de cette tristesse gluante, que par tombereaux entiers, tous les jours, on déverse sur nous, cette vase venimeuse, faite de haine de soi, de haine de l’autre, de méfiance de tout le monde, de ressentiments passifs et contagieux, d’amertumes stériles, de hargnes persécutoires.
Fuir l’incrédulité ricanante, enflée de sa propre importance, fuir les triomphants prophètes de l’échec inévitable, fuir les pleureurs et vestales d’un passé avorté à jamais et barrant tout futur. »
Les chantiers sont boueux : quand les portails écotaxe crament, la solidarité est absente, et nos souliers collés : le chômage s’aggrave et qu’y faire ?
A Saint Egrève, sous l’affichage d’une fleur tenue dans un gant, un assemblage d’intérêts particuliers concourt pour les municipales, où les opposants d’hier qui contrarièrent jadis tout projet proposé par la gauche, sont de retour. Fidèles à eux même, eux, dont la motivation essentielle est que rien ne se construise demain : illustrant avec leur divorce de la majorité actuelle, qui nous avait vaincu aux dernières élections, que les étiquettes sont trompeuses : les plus conservateurs en rosissent.
......
 Après les cadeaux de Noël, depuis Internet cette image simple:

jeudi 2 janvier 2014

Watteau Antoine.


Prononcer Ouateau comme  à Valenciennes où il est né.
Depuis 28 ans de conférences aux amis du musée, le peintre des fêtes galantes n’avait pas été présenté, le manque est désormais comblé avec Eric Conan.
Watteau, élève à Paris de Gillot, illustrateur, décorateur, peintre, fréquente le marché Saint Germain où se donnent des parodies des succès théâtraux de l’époque, « libertin d’esprit mais sage de mœurs ». Son œuvre sera marquée par la commedia del arte et s’il apprend les arabesques, les singeries, il apporte sa propre fantaisie au cours de la Régence dont il incarne par ses toiles, la légèreté, la délicatesse.
Pourtant il ne vécut que six ans après le règne de Louis XIV (54 ans au pouvoir).
En 1717, il est élu membre de l’Académie de peinture après avoir présenté  le « Pèlerinage à l’île de Cythère» dans une catégorie crée spécialement pour lui : «  peintre de fêtes galantes ». Jardin d’amour inspiré de Rubens qu’il avait eu l’occasion de voir au musée du Luxembourg.
Rodin a écrit: « … les pèlerins font monter leurs amies dans la nacelle qui balance sur l'eau sa chimère dorée, ses festons de fleurs et ses rouges écharpes de soie. Les nautoniers appuyés sur leurs rames sont prêts à s'en servir. Et, déjà portés par la brise, de petits Amours voltigeant guident les voyageurs vers l'île d'azur qui émerge à l'horizon. »
Greuze y vit des « fricassées d’amour ». Les amants s’en vont.
J’aime ses dessins aux traits efficaces. Dans les scènes bucoliques, les frottis sont légers pour des frondaisons presqu’impressionnistes. Quand s’effacent les décors, la frontière entre le réel et sa représentation est floue. La mélancolie se mêle à  la futilité, la sensualité s’esquisse.
Les musiciens accordent leurs instruments, dans un décor pastoral, les tourtereaux content fleurette.
« L’enseigne de Gersain » fut sa dernière œuvre, aux belles dimensions alors que souvent la taille de ses productions est modeste, en milieu urbain cette fois.
Des commentateurs y voient un précurseur de Degas ou Daumier pour cette scène de la vie parisienne.
Depuis la rue pavée nous entrons dans la boutique idéalisée qui permet de citer Rubens, et les flamands. La palette est lumineuse, s’anime de personnages aux tenues soyeuses, se regardant dans un miroir, un portrait de louis XIV est mis dans une caisse, alors qu’un marchand présente une scène mythologique.
En 1721, il meurt de tuberculose, il a 37 ans.
Alors que beaucoup de ses tableaux sont à l’étranger, au Louvre le grand  « Pierrot » longtemps appelé «Gilles », le clown immobile lumineux et triste, nous interroge.

mercredi 1 janvier 2014

Bon an

La photographie est prise sur le vieux port à Marseille sans montage, les reflets sont ceux d’un miroir de 46 sur 22 mètres de  Norman Foster.
Je prends un petit morceau d'un texte d'Ariane Mnouchkine paru sur Médiapart  pour présenter mes voeux aux lecteurs de ce blog :
« Et surtout, surtout, disons à nos enfants qu’ils arrivent sur terre quasiment au début d’une histoire et non pas à sa fin désenchantée. Ils en sont encore aux tout premiers chapitres d’une longue et fabuleuse épopée dont  ils seront, non pas les rouages muets, mais au contraire, les inévitables auteurs. »

mardi 31 décembre 2013

The beats. Pekar. Piskor. Buhle.



Une histoire de la beat generation aux Etats Unis.
Les dessins de Piskor, très ligne claire, sont un peu raides pour transcrire la folie de l’époque qui est mieux traduite par d’autres dessinateurs qui ont collaboré à cette anthologie graphique.  Dans la dernière partie du livre, ils se sont attachés à décrire la biographie de personnages moins fameux que Kerouac, Burroughs, Ginsberg dont on apprend qu’ils ne furent pas toujours glorieux. La femme de Burroughs meurt d’une balle dans la tête, son Guillaume Tell a été maladroit.
Les œuvres respectives de ces géants de la littérature au mitan du siècle d’avant : « Sur la route », « Howl », « Le festin nu »  développent les thèmes des grands espaces, où la description de voyages par les drogues, l’alcool, le sexe, firent scandale et succès dans une Amérique coincée.
Il est des épisodes intenses comme l’histoire de cette toile de Jay Defoe « the rose » qu’elle a mis 8 ans à peindre et sous ces 30 cm d’épaisseur pesait une tonne, il a fallu découper un mur pour la déménager.
Mais les 200 pages ne rendent pas toujours compte de l’effervescence de l’époque.
Pourtant il est frappant de voir l’importance de la poésie dans les années 50 et l’influence de la culture « Hobo », les chemineaux des trains de marchandise, sur les beats et beatniks dont les recherches spirituelles et formelles les menèrent souvent vers le pacifisme, le surréalisme, et pour quelques femmes vers le féminisme.

lundi 30 décembre 2013

Le géant égoïste. Clio Barnard.


« Un Ken Loach sans l’humour » m’a dit une amie qui m’avait précédé au cinéma : pas mieux.
L’amitié est-elle un luxe ?
En tous cas elle est chaotique entre deux jeunes exclus de l’école amenés à récupérer des métaux dans des quartiers à l’abandon du Nord de l’Angleterre.
Des chevaux pâturent sous la lune et courent sur la route.
Qu’il est dur cet enfant hyper actif échappant à toute patience pédagogique qu’il faut tirer de dessous le lit ! C’est sa sauvegarde.
Il ne peut se cacher dans un trou de souris d’une enfance encore si proche, comme il en existe dans les livres qu’il n’a pas lus.
Ce film fort décrit la misère sans détour et aussi la vitalité de certains, l’amour des mères. La tendresse aux ongles noirs y est furtive, cependant les tours de la centrale électrique peuvent paraître belles.
La réaliste réalisatrice est subtile, pénétrante et juste, les acteurs vrais et émouvants.
Même s’il faut aller chercher loin la signification du titre tiré d’un conte d’Oscar Wilde qui éclaire d’une belle lumière cet impitoyable récit contemporain.
Un géant a chassé les enfants qui jouaient dans son jardin, alors l’hiver s’y est installé…

dimanche 29 décembre 2013

Le crocodile trompeur. Samuel Achache Jeanne Candel.



Il parait qu’il ne subsiste qu’un tiers du long livret de « Didon et Enée » de Purcell écrit en 1689 dans ces deux heures de spectacle, le reste étant de la farce (« Le Didon de la farce » n’est pas de moi), sauce Monty Pithon, en tous cas humour anglais, réservé plutôt aux « happy few ».
Je suis de ce public qui essaye d’accéder à des domaines qui ne me sont pas familiers : « opéra- champagne-caviar » quand sur le plateau, les voix disent, dit-on, les passions.
L’opéra est un genre qui ne se laisse pas aborder facilement, mais j’étais content après l’avalanche de propositions loufoques, que les chanteuses mêlées avec bonheur aux musiciens puissent montrer tout leur savoir.
Les dieux contrarient  l’amour de la reine Didon envers Enée qui la quitte, elle en meurt de chagrin.
Devant la faveur critique qui présentait ce mix théâtre/opéra, je m’attendais à apprécier pleinement un spectacle « déjanté » bien que le qualificatif devienne un passage désormais banal dans un monde de « péteur de câbles » et de « grimpeur de tours ».
La mode est au collage si possible hétéroclite. Pourtant si je reconnais volontiers auprès de mes amis qui ont apprécié en majorité cette soirée à la MC2, des séquences sympathiques, des digressions curieuses, l’ensemble baroque m’a paru de bric et de broc destiné à devenir « gravataire », c’est que nous sommes dans les débris.
J’ai aimé quand Enée traine Didon sur un tapis rouge et inversement, quand la reine amplifie les battements de son cœur et que la musique se déchaine, quand elle s’installe à la batterie.
Mais l’esthétique des ruines me lasse quand  m’assaillent des images de Sarajevo ou de Haïti, de préférence à Carthage contrée si proche des dieux dans ces temps où Cupidon fréquentait les demi-dieux et les demi-sels. Un emblématique skieur fournit une prestation spectaculaire et originale mais je n’en ai pas perçu l’utilité dans cette œuvre dont j’ai eu l’impression d’avoir attendu trop longtemps qu’elle démarre enfin.