vendredi 21 octobre 2011

« Barnave n’était pas un amoureux transi. »

Robert Chagny donnait conférence à Saint Egrève sur le grand homme de la ville, né il y a 250 ans :
« Antoine Barnave : biographie et représentations ».
Pourquoi l’avocat guillotiné à 32 ans a-t-il conservé cette notoriété ?
La prétendue liaison amoureuse du héros stendhalien avec Marie Antoinette en constituait un des ingrédients essentiels, beaucoup plus que ses écrits pourtant traduits en chinois et redécouverts par Jean Jaurès :
« Introduction à la révolution française ».
Son approche théorique annoncerait Marx puisqu’il pointe l’évolution des forces productives. La révolution marque le passage d’une économie agricole gérée par un pouvoir féodal à une économie dans laquelle l’industrie et le commerce prennent toute leur place avec la bourgeoisie aux manettes.
Les légitimistes au XIX° l’ont utilisé comme témoin de la révolution « qui dévore ses enfants » et les Orléanistes se sont identifiés à lui : en mouvement au départ, puis résistant aux réformes ensuite.
Alexandre Debelle, le voisin de Voreppe, par son tableau représentant l’assemblée de Vizille qui trône à présent au conseil général de l’Isère, a mis en valeur le brillant orateur des Alpes :  
« Monts sacrés d'où la France vit naître le soleil avec la liberté. »André Chénier.
La jeunesse des acteurs de la révolution m’impressionne une fois encore.
De famille protestante, Antoine accède à 20 ans à la charge d’avocat à la suite de son père.
Sa mère Marie-Louise de Pré de Seigle de Presle, fera partie de son réseau d’informateurs qui relie le constituant à sa province.
Il acquiert une connaissance des réalités économiques et peut éloigner les critiques à l’égard d’un penseur qui serait resté bloqué à l’étage métaphysique.
Quand il s’agit de « consommer la révolution », il fut plus que le lieutenant impétueux d’un Mounier grave et profond. Il pousse à une transformation des institutions, à une réforme des municipalités et l’emporte sur le futur préfet de Napoléon qui ne tenait pas à l’amoindrissement des pouvoirs du roi.
Le rédacteur de libelles déterminants tels l’Esprit des Édits dès 1788 en défense du Parlement de Grenoble, devra subir des coups violents : « monstre parfait à l’éloquence de Caligula ».
Il avait tenté d’éloigner l’émotion dans les débats qui suivirent un lynchage :
« Messieurs, on veut vous attendrir en faveur du sang versé hier à Paris. 
Ce sang était-il donc si pur ? »
Lui, le fondateur du club des Jacobins s’en trouvera exclu, et le club des Feuillants qu’il va créer n’aura qu’une brève existence. Il ne souhaitera pas cumuler son mandat de maire de Grenoble avec sa place à la constituante dont il sera président pour 15 jours comme il était d’usage.
S’il avait pressenti que la vente des biens du clergé attacherait les nouveaux propriétaires à la révolution, il a perdu de sa popularité quand au comité des colonies il s’opposera à l'égalité des colons blancs avec les hommes de couleur libres, il n’était même pas question des esclaves ( 60 000 à Saint Domingue) :
« le nègre ne peut croire qu'il est l'égal du blanc »
Depuis le retour de Varennes dans le « corbillard de la monarchie » et ses conseils politiques à la reine, par personne interposée, il ira à l’encontre d’une opinion qui prend conscience de la trahison du roi, quand nait le sentiment républicain.
Lui, qui savait qu’ « une révolution doit finir », va affronter courageusement sa propre fin.
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Dessin de Sempé

jeudi 20 octobre 2011

La peinture « Pompier »

A travers l’histoire de l’Ecole des Beaux Arts de Paris et la tradition des prix de Rome, Gilbert Croué revient en deuxième semaine, présenter aux amis du musée, des peintres qui connurent la gloire au XIX° siècle et l’oubli au XX°.
Il ne fait qu’évoquer Gérôme dont il présenta le travail récemment ; le chef de file des orientalistes fut un membre émérite des « académistes ».
Académiciens pour la plupart, dont les casques brillent comme ceux des soldats du feu, figés dans les références antiques d’un Pompéi sous les cendres, voire pompeux parfois : les « pompiers ». La pompe et les ors pour une peinture finie.
Le dessin est la base de tous les enseignements à l’Ecole des Beaux arts de Paris avec l’anatomie, la perspective, l’histoire. C’est là qu’étaient choisis, jusqu’en 1968, les lauréats du prix de Rome qui pouvaient bénéficier d’un séjour de trois ans dans la ville mère des arts.
Chaque candidat avait une centaine de jours pour réaliser dans sa loge « La mort de Thimophane » ou « Thémistocle au Pays d'Adméte » : bien que tant de grecs et de cadavres commençaient à sérieusement lasser au sein même de l’école.
Il fallut attendre 1925 pour que la première femme obtienne le prix convoité qui ouvre les portes des salons, et les commandes de l’état.
Les ateliers sont gérés par « les massiers » ainsi que la rémunération des professeurs et des modèles. Ils organisaient aussi Les Bals des Quat'zarts. Mythique moment de réjouissance dont les thèmes : « Enlèvement des Sabines », « Orgies romaines, « Entrée des barbares dans Rome » respectent la tradition antique et permettent de développer la créativité des étudiants rejoints par les carabins avec lesquels ils partageaient les cours d’anatomie qui invitaient à quelques blagues macabres.
Le style « pompier » projette les gestes emphatiques des héros anciens dans les périodes révolutionnaires et impériales.
Jean Louis Ernest Meissonnier : «Le siège de Paris » et ses sujets militaires, ses peintures animalières remarquables est cité par Dali comme un peintre éminent, est-ce de la dérision ?  
Charles François Jalabert: « Les nymphes écoutant le chant d’Orphée »sont mignonnes.  
Evariste Luminais : « La fuite du roi Gradlon », se consacre à des sujets mérovingiens
et Laurens Jean Paul : « L'Excommunication de Robert le Pieux », retourne au moyen âge.  
Alexandre Cabanel cite Le Tintoret, Michel Ange, Raphaël, il a formé douze prix de Rome, et a peint, entre autres portraits à succès, une magnifique« Albaydé » dont Hugo disait :  
« Car elle avait quinze ans, un sourire ingénu, 
Et m'aimait sans mélange, 
Et quand elle croisait ses bras sur son sein nu, 
On croyait voir un ange ! »
Sur les 12 000 tableaux présentés aux salons, 5 à 7000 étaient retenus dont un tiers de nus féminins aux lueurs plâtreuses, ce qui n’est pas le cas de la « naissance de Vénus » de William Bouguereau, un maître du genre érotico kitch dont les sujets mythologiques sont un bon prétexte pour dévêtir les modèles.  
« Charlotte Corday » pose en héroïne dans le tableau de Paul Baudry.  
Léon Bonnat, le bayonnais a peint les hommes célèbres du XIX° et son « Job » ni trop vrai, ni trop faux est resté dans le patrimoine de nos rétines ;  
Carolus-Duran (Charles Durand), portraitiste mondain, fit cependant scandale avec une « femme au gant » qu’elle venait de laisser choir.
La frontière est ténue entre chef d’œuvre mièvre et croûte séduisante.
« La leçon de catéchisme » et les scènes campagnardes de Jules Alexis Muenin peuvent se rapprocher de Courbet, alors que « mère et fille au jardin » d’Édouard Debat - Ponsan sont baignées de lumières impressionnistes. Lui qui signa « une Vérité sortant du puits » empêchée par un spadassin et un ecclésiastique, évoquant l’affaire Dreyfus, fut acquis par la famille Debré (« L’entonnoir ») pour figurer en bonne place dans la mairie d’Amboise.

mercredi 19 octobre 2011

Lisbonne# J2. Tram historique dans l’Alfama et Graça.

Nous quittons les lieux silencieux après une nuit musicale vers 9h15, à pieds dans les rues traîtres car très pentues, dont la déclivité n’apparaît pas sur le cartoville. Nous hésitons entre marcher sur la route ou sur les trottoirs toujours recouverts de petits pavés inégaux. A la sortie de la casa, Michèle tombe sur un billet de 5 euros : hier elle avait ramassé déjà une piécette de quelques centimes. Bons augures…
Nous nous acheminons vers le Jardim da Estrela (jardin de l’étoile) par la rue Amaro. Celle-ci découragerait le plus aventureux des cyclistes à cause du pourcentage impressionnant de la pente. Le jardin est agréable, il a son aire de jeux pour les enfants, sa mare avec cygne noir et canards et des installations sportives pour lutter contre l’ostéoporose, vélo, poignets pour étirement, moulinet pour les muscles des bras…. Nous visitons la Basilica Estrela, très mexicaine de l’extérieur mais sans grand intérêt à l’intérieur. Une vieille dame nous indique le musée Fernando Pessoa. Mais la dernière demeure du poète dont la façade affiche quelques uns des vers n’ouvre pas le dimanche. Nous nous replions sur le cimetière anglais, que nous contournons avant d’en trouver l’entrée. Des croix celtes, des tombes de différentes époques s’amassent autour d’une église anglicane, dans le respect du panneau « sans fleur artificielle ». Le lieu appartient visiblement à une multitude de chats qui en ont fait leur royaume. Nous remontons l’avenue Alvares Cabral afin de prendre le métro à la station Rato. Nous bataillons un moment devant les machines tactiles pour obtenir pass et billets ; plusieurs personnes nous aident à parvenir à nos fins (17€80 les 4 pass pour la journée dont 0,50€ pour chaque carte valable un an et à recharger quand elle est épuisée). Le métro est flambant neuf, ses lignes se repèrent à leur couleur. Nous empruntons d’abord la bleue (Azul) puis la verte pour la correspondance et ressortons à la station Martin Moniz. Nous repérons rapidement devant l’hôtel Mondial l’arrêt du tram n°28, recommandé par le routard pour son trajet pittoresque à travers l’Alfama et Graça. Nous prenons notre tour dans la queue calme et disciplinée et apprécions la réputation des portugais qui détestent la resquille.
Nous nous installons dans la vieille voiture en bois bringuebalante pleine de charme désuet, côté gauche pour profiter au mieux de la vue. Les fenêtres ouvertes laissent pénétrer l’air léger. Nous grimpons péniblement des rues, en descendons d’autres juste assez larges pour le passage du tram, piétons plaqués contre les murs. Des à coups, des avertissements sonores entre cloche et scie sauteuse rythment le voyage cahotant jusqu’au terminus, au Cemiterio dos Prazeres. Nous remontons illico dans le tram 28 à contre sens pour chercher un restaurant vers le belvédère de santa Luzia. Nous nous repérons plutôt bien pendant le trajet mais pas besoin d’appuyer sur le bouton « parar » pour stopper l’antique voiture, car beaucoup de monde descend à cet endroit. Le point de vue panoramique sur le Tage (Teja) et sur la ville vaut la peine malgré le mendiant éclopé qui nous sollicite et le sénégalais décidé à nous « donner » un cadeau et « vexé » de notre refus. Nous cherchons un restaurant à l’adresse « beco (passage) Esperito Santo » en descendant dans un quartier de petites maisons blanches serrées. Des décorations, des guirlandes et autres ornements en papiers colorés témoignent de fêtes de quartier sur les placettes populaires. Les façades supportent des objets insolites, comme cette jambe de mannequin servant de pot de fleur ou ce baigneur faisant un doigt voisinant avec des représentations de Saint Antoine (= moine qui porte une enfant).
Arrivés à la bonne adresse, le restau signalé par le routard est bondé. Les gens se régalent à de longues tables communes dressées à l’extérieur, assis et serrés sur des bancs. Nous nous rabattons un peu plus haut et nous installons sous des parasols Praça Sao Miguel où nous nous restaurons de bacalhau, calamar, daurade, arrosés de deux bières chacun. Un sénégalais italien, frère francophone, parvient à nous vendre deux bracelets. Le temps pris pour la cuisson de cette cuisine familiale dépasse celui des plats décongelés et réchauffés au micro ondes, et il est presque 16h à la fin du repas. Nous remontons vers la route principale et grimpons vers le Castelo de Sao Jorge (7 € l’entrée). Il nous offre une belle vue surplombant la ville et le Tage. Nous flânons sur les remparts restaurés, au son d’une guitare habile et amplifiée juste comme il faut. Dans l’enceinte, un paon à la queue aussi encombrante qu’une traîne de mariée exhibe ses couleurs et sa crête de bonne grâce et surveille ses femelles et sa progéniture. Nous retournons une dernière fois au point de vue près de Santa Luzia derrière l’église, au lieu dit « Portas del sol », profiter dans un petit jardin du soleil déclinant sur le Tage. Nous retrouvons le chemin de la maison sans risque de nous tromper de rue, bruit et musique nous guident depuis la place aux fleurs. Mais des fenêtres du gite, nos gestes de sioux sont bien compris et les décibels diminuent.

mardi 18 octobre 2011

Pierre qui roule. Lax. Donald Westlake.

Dans la collection rivages/ noir chez Casterman, Lax, dessinateur réaliste aux atmosphères brumeuses réussit bien l’adaptation d’un polar américain rythmé, à l’humour noir comme il se doit.
Un cambrioleur inventif mais malchanceux va être contraint avec sa bande de « bras cassés » de forcer la sécurité d’un musée où trône une émeraude énorme, puis carrément un commissariat, la salle des coffres d’une banque, et un asile de fous bien gardé. Chaque fois, leurs plans "géniaux" échouent, ils sont contraints à l’inventivité et à des procédés de plus en plus spectaculaires jusqu’à une locomotive pour accéder à leur cible qui fuit sans cesse. Pierre qui roule.
Bien que le lettrage rende le texte inconfortable à lire, avec un arrière plan politique quelque peu caricatural, le scénario est simple et enlevé. Certes oubliable mais un moment agréable.

lundi 17 octobre 2011

Et maintenant on va où ? Nadine Labaki

La belle actrice-réalisatrice de Caramel a de l’ambition avec ce film qui traite agréablement du conflit religieux en terre libanaise, voire au delà.
Elle mêle les genres : conte musical, comédie, tragédie, des portraits pittoresques et des échappées poétiques grâce à de belles images.
Les hommes sont décidément benêts, hormis les chefs religieux qui eux ne sont pas des extrémistes, et les femmes sont tellement jolies et futées. C'est  également réjouissant de voir une voilée sortant de sa cache alors que celle qui ne jurait que par la vierge adopte Allah.
Bien que le message premier : « ce n’est pas bien de faire la guerre » soit éculé, des scènes à foison sont bien trouvées et l’humour fait parfois pardonner un simplisme inopérant.
Une des leçons annexe de ce moment plaisant pourrait être : « pour vivre heureux vivons en ignorant les nouvelles d’ailleurs », ce qui gène un peu le dévoreur de journaux.
Je me retrouve dans la même situation que lors du succès de « Good bye Lénine » basé d’après moi sur le mensonge, qui m’avait mis en minorité auprès de tous ceux qui s’étaient régalé.

dimanche 16 octobre 2011

Le sacre du printemps. J. C. Gallotta.

Ravi. Le souffle coupé.
Rien qu’après cette heure magique, je sais déjà que la saison culturelle 2011-2012 sera réussie.
Il est des moments où je ne sais voir les intentions d’un auteur au moment de leur représentation.
Eh bien ce soir, j’ai tout aimé : une « Elue » dans le prologue dont la multiplication pourrait faire penser aux primaires socialistes.
La puissante musique vieille d’un siècle est un sommet que nous fait atteindre notre chorégraphe maison qui peut se permettre de tutoyer Igor Stravinsky tant il se sait fragile ; audacieux et modeste.
Des chemises comme des ailes d’oiseau, une sensualité furtive mais puissante et toujours le galop Gallotta, ses gestes que j’ai plaisir à retrouver où la maladresse touche la légèreté ;
moi le danseur coincé du paturon, j’avais des envies d’entrechats à la sortie.

samedi 15 octobre 2011

Traverses. Jean Rollin.

De « l’Hôtel de la Marne » à Tarbes jusqu’à l’hôtel « Alizé » rue Paradis à Marseille, l’écrivain cherche et trouve l’ennui au cours d’une errance en France, arrosée de pluie et d’alcool. Il ne cesse d’accabler son désenchantement, et pourtant nous le suivons.  
« En face de l’hôtel de ville, le monument à Danton et à la levée en masse est couvert de graffitis « Nique la police » et plusieurs personnages du groupe sculpté, à commencer par Barra, le petit tambour, ont été amputés de leurs mains ou de leurs bras. »
Que dire de plus pour décrire un pays harassé, arasé ?
En passant par la Lorraine des friches industrielles et du parc Walibi-Schtroumpf, au Creusot, les mémoires se vident.
L’ancien mao est toujours d’une sincérité rassurante, d’une précision décapante.
« Ici mes notes reprennent, et, contrairement à ce qui s’est passé avec l’épisode du train, tombé dans un trou noir, je dispose au sujet des suivants [ les épisodes] d’une multitude d’informations très précises bien que d’un intérêt discutable. »
L’humour est désabusé, le livre s’avale comme un alcool de poire qu'on apprécie si parfumé, si fort, et pourtant on sait qu’il vous ruine la santé.