mardi 10 mars 2009

Gran Torino

Du cinéma : des dialogues âpres, des personnages typés, des destins problématiques, des questions essentielles, du rythme, des acteurs, une ambiance, de la nostalgie et un présent bien brutal. Du cinéma américain avec une conclusion qu’on aimerait plus elliptique, mais avec son efficacité : Clint Eastwood nous émeut et nous fait rire. Je me suis trouvé du côté de ce vieux ronchon qui n’apprécie pas que sa petite fille joue de son téléphone pendant l’enterrement de sa grand-mère, et il aura le temps de se racheter de son racisme caricatural du début. Les cinéphiles lisent cette œuvre comme une manière de testament ; ce qui fait la grandeur de ce film c’est bien le jeu avec son trajet singulier d’acteur et de réalisateur. Une entreprise qui nous concerne en tant que citoyen qui ne trouvera pas de réponse à ses questions sur la délinquance mais aimera ce moment d’humanité d’autant plus palpitant qu’il est haut en couleurs et fort en gueule.

lundi 9 mars 2009

35 Rhums

Une caméra entre assiette avalée devant le frigo et voies de RER aurait pu composer une vision originale des solitudes en banlieue, qui ont plus l’habitude de traîner, avec le cinéma français, du côté de Saint Germain des Prés. Mais le film de Claire Denis s’étire, nous n’apprenons que peu de choses sur les personnages tellement mutiques qu’ils restent énigmatiques. L’alcool est triste. La relation père fille, mise en avant par les critiques, ne m’a pas paru non plus très convaincante : pourquoi sont-ils attachés ?

dimanche 8 mars 2009

« Arrêtez le monde, je voudrais descendre »

La phrase au présent avait servi aussi de titre à Bedos pour un livre, et des émissions sur mai 68 ont utilisé l’expression qui rappelle « on arrête tout on réfléchit et c’est pas triste » des années 01. Ici pas de subversion dans cette succession de scénettes. Dans une cabane à l’extérieur de la MC2, la scène est circulaire comme chez les frères Forman qui nous avaient régalé avec Obludarium, dont les anciens compagnons de Bartabas de ce cirque Dromeko, se sont inspirés sans arriver à créer une atmosphère aussi originale. Il y a bien un orchestre sur la scène, des machineries apparentes, des animaux, un manège final et un coup de vin rouge à la sortie, mais nous l’avions déjà vu. Le rythme est alangui, et comme dans certains gags, les dialogues détaillant la prostate, il n’y pas que le papier toilette qui soit insuffisant. L’occasion de faire quelques clichés estampillés poétiques, mais rien de rare.

samedi 7 mars 2009

Aboiements dans la nuit.

J’ai croisé des souvenirs enfantins et des impressions d’aujourd’hui quand j’ai trouvé cette phrase : « les journalistes sont comme les chiens qui lancent des aboiements dans la nuit en pensant qu’ils la feront fuir ».
Même si nos paroles n’éclatent sûrement pas dans le silence ni l’obscurité, je trouve dans mes expériences associatives, politiques, bien des mots à connotations magiques.
Quand des marchands ont proposé les poupées de Nicolas et de Ségolène à piquer d’épingles, ils pensaient faire sourire avec cette transposition de malédictions vaudoues. Ils matérialisent nos impuissances à agir dans le réel, alors la parodie, le miraculeux déboulent. En flattant notre goût à moquer, plutôt qu’à approuver, ils participent aux clivages de la société qui se définit plus volontiers par ses oppositions que par ses adhésions.
Qu’ils sont collants, les prosélytes ! Ils font fuir le sympathisant, avec leurs manières de représentant à l’ancienne, du genre qui coince la porte avec son pied ou se présente en doublette Jéhovah avec ses patenôtres!
Mais je suis dans l’incompréhension la plus totale quand je constate, dans bien des groupes, des stratégies sophistiquées et têtues pour rester entre soi, surtout. Il y a bien sûr l’historique de l’assoc’ intouchable qui ne veut pas lâcher le manche, les si peu sûrs d’eux-mêmes que tout nouveau est un importun, les cercles qui se sentent toujours attaqués et qui n’osent plus entrouvrir une porte…
D’ajouter à chaque détour de phrase : « signe des temps », ne fait pas avancer les pratiques ni reculer la nuit. Pourtant avec les machines participatives que peuvent être les ordinateurs qui ont mail à partir, la montée des urgences écologiques, économiques, sociales, les engagements et aussi les bonnes volontés ne manquent pas. Mais il n’y a pas forcément rencontre, et les mots de Jean Prévost restent des mots : « il faut défendre avec violence des idées modérées ».
Les grincements, les soubresauts dans nos groupements peuvent signifier encore une manifestation de vie, est ce que ça ira jusqu’à la mise en mouvement ?
Teuf ! Teuf !

vendredi 6 mars 2009

Dominique Fernandez au Square

A bientôt 80 ans, l’académicien invité à la librairie du Square ( on dit encore « librairie U » voire « l’Université ») est bien vert. Quelle chance de pouvoir écouter le fils de Ramon, s’exprimant avec précision, élégance, humour, simplicité sur son dernier roman : « Ramon ». Histoire d’une famille haute en contrastes et en couleurs, où le père brillant spécialiste de Molière et de Proust, ami de Jean Prévost mort au Vercors, s’est engagé auprès de Doriot au PPF, aux heures noires de la collaboration. Ce mondain abandonnera la mère si provinciale. Dominique leur fils, en fouillant l’énigme de ces vies, décrit la singularité d’une époque, la complexité des liens, les mystères d’un homme, un peu les nôtres ? Duras résistante habitait au troisième étage de l’immeuble dont Fernandez le collabo occupait le quatrième. Le fils de Dominique, qui s’appelle… Ramon, est directeur du trésor, c’est un proche de Nicolas. Il ne nous lâche pas celui là.

jeudi 5 mars 2009

La lumière dans l’art contemporain

Rien que pour cette citation d’Hannah Arendt, la conférence des amis du musée valait le coût« Ces pensées figées, semble dire Socrate, sont tellement pratiques à l’usage qu’on peut s’en servir tout en dormant ; mais si le vent de la pensée, que je vais maintenant se faire lever en vous, vous arrache à votre sommeil, vous réveille pour de bon et vous rend plein de vie, vous verrez que vous n’avez que des incertitudes à quoi vous raccrocher, et ce qu’il y a de mieux à en faire, c’est de les partager avec les autres. »
Comme bien souvent avec l’art contemporain, un détour, cependant un peu long, s’imposait du côté des classiques avec Georges De La Tour, les hollandais du siècle d’or, l’or des icônes, Turner et les meules de foin de Monnet.
A partir de Soulages qui fait sortir les couleurs du noir, le spectateur participe au jaillissement de la lumière. Plaisir de revoir des œuvres comme les récipients en verre de Kounellis ou les projecteurs de Boltanski braqués vers la mémoire.
J’avais bien aperçu des néons dans les musées : ce sont ceux de Dan Flavin, figure majeure de l’art minimal comme dit Wikipédia, stimulant.
Et la pièce remplie de brouillard que j’avais traversée à Lyon, pourrait bien avoir été installée par Mathieu Briand créateur de mondes flottants et émouvants.
Claude Lévèque connaît maintenant la consécration avec le pavillon français à Venise après avoir mis du temps à être reconnu : ses lits au plafond qui ouvraient et concluaient la conférence disent la solitude et la mort.
Mais la révélation forcément fulgurante a été pour moi, la découverte de Walter Di Maria qui a installé dans une zone désolée et très orageuse du nouveau Mexique, 400 poteaux métalliques pour attirer la foudre. Quelle entreprise est plus ambitieuse pour essayer de saisir la lumière qui est le projet de tout photographe, de tout peintre ? Cette entreprise fait de l’artiste le concurrent de Zeus. Prométhée qui s’y était essayé avait mal fini, mais nous a laissé une belle légende.

mercredi 4 mars 2009

Lecture. Faire classe # 23

Il existait jadis dans les bibliothèques un lieu qui recueillait les livres interdits : l’enfer.
Il se paraît ainsi de tous les attraits.
Dans beaucoup de familles le même usage sévissait : il fallait avoir lu quelques classiques avant de dévorer en cachette le moindre Yan Fleming (c’était Bond).
Pour appâter le client, quelques rescapés de ces temps de frustrations et donc d’envies ont pensé mettre le polar à la portée des nourrissons.
Ces briseurs de tabous déjà morts, ces tueurs de fantômes de pimbêches moralisatrices d’un autre siècle, ont disposé en tête de gondole des romans prêts à penser : « ma sœur se drogue », « mon frère est homo », « mon père est ouvrier », « ma mère fait même la cuisine »,« mon grand-père est trotskiste »…
Ils ont été les premiers à souligner que Cendrillon participe à un conte cruel, et que le chaperon persiste en rouge mais ils n’ont jamais tant parlé de littérature enfantine que lorsqu’ils tentaient de l’assassiner.
Les modes d’emploi supplantent la poésie.
Les réponses arrivent avant les questions.
Les prescriptions trop précoces durcissent les consciences.
Si le paradis enfantin tourne parfois au vert, il ne se teint pas en noir total comme Yann Pavloff nous le décrit.
Lecture en CM2:quelques trucs, quelques tics, quelques traces :
- Donner un outil de repérage quantitatif des romans lus, cette liste est un moyen pour dialoguer avec l’élève, et mesure pour beaucoup le chemin parcouru. Il arrivait que des lecteurs en herbe dépassent une centaine d’ouvrages de plus de 100 pages dans une année scolaire. Le nombre de romans lus figurait sur le bilan trimestriel. Peuvent se relever, à part, sur un autre support, les titres des bandes dessinées découvertes. Cela concerne les livres de toute provenance (fond de classe, bibliothèque, maison…)
- A la fin de l’année scolaire dans la classe de CM1 qui passera en C.M. 2 à la rentrée, j’invitais à rédiger une fiche de lecture pour un roman, une sorte de devoir de vacances pour amorcer la liste de l’année à venir. J’exigeais un résumé en trois phrases maximum, différent de la quatrième de couverture, une argumentation pour justifier son choix.
« Comme un roman » de D. Pennac nous aide en donnant le droit de ne pas aimer un livre et de l’abandonner. Alors, il ne reste plus qu’à apprécier.
Il fut fort mal vu à une époque de lire des textes aux élèves et eux-mêmes se devaient de ne pas lire à haute voix. D’avoir traversé tant de modes qui se révélèrent ridicules, j’aurai tendance à cultiver le bon sens volontiers basique donc :
- lire des passages, des pages, des livres aux élèves.
Laissons pour les intervenants extérieurs d’autres taches que celle qui touche au cœur du métier. Nous sommes invités chaque jour à investir (cling !) des domaines nouveaux au rythme des engouements médiatiques d’un jour, et nous délaissons les bases. Tout floue le camp !
« Ah ! La brave petite chevrette, comme elle y allait de bon cœur ! Plus de dix fois, je ne mens pas, Gringoire, elle força le loup à reculer pour reprendre haleine. Pendant ces trêves d’une minute, la gourmande cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe ; puis elle retournait au combat, la bouche pleine… Cela dura toute la nuit. » A.Daudet
A quarante ans, nous sommes en mesure de juger par nous-même que madame Bovary peut accéder au titre de chef-d’œuvre alors que ce fut la bouche de Lagarde et Michard qui l’exprima à l’époque où il fallait émettre sur la question. La culture s‘édifie peu à peu, elle se constitue de beaucoup de reconnaissances, y compris de productions qui nous ont été indifférentes. J’écoute beaucoup mieux des musiques déjà entendues, proposées par des passeurs voire des repasseuses, professeurs à plein temps. Quel plaisir de s’appuyer sur des références, mesurer les évolutions ! Nos goûts présumés personnels se mitonnent avec les conformismes de l’heure.
De garder trop le nez dans les livres, « on se fait des films » où l’on se voit volontiers en tant que membre d’une caste en voie de disparition mais tellement distinguée. Si la fréquentation des librairies, des bibliothèques devient moins naturelle, nous perdrons de nos capacités à approfondir le temps, à peser subtilement nos connaissances des humains. Les brillances des écrans appellent la vitesse, les ricanements.
Dans des lieux dits d’expérimentations, les enfants apprenaient, disait-on, à cuire des gâteaux en classe alors que les parents étaient invités à installer l’apprentissage de la lecture après leurs heures de travail. Il leur était recommandé de montrer l’exemple de leur appétit de lecture. Est-ce que l’usage du livre, du journal est en voie d'épuisement chez les enseignants ? Où les intellectuels du terrain vont-ils aller pour happer des idées, des réflexions, des certitudes ?
Tragique impudence des mots quand nous employons le même terme « illettrisme » pour désigner les enfants dans le monde qui ne savent pas lire parce que leur pères achètent plus volontiers des armes que des crayons et pour les nôtres pour qui l’activité d’apprentissage est contrariante. Il faudra leur dire que le savoir est une arme. La corrélation entre le développement d’un pays et son taux d’alphabétisation n’est-elle pas assez évidente que le pourcentage d’enfants ne maîtrisant pas bien la lecture ne suscite pas plus d’indignation !
Pour notre zone hors les murs de la ville centre, le travail soutenu par les bibliothécaires assure une continuité entre l’école et ce pôle culturel du quartier. L’apprentissage du bon usage de la bibliothèque favorise les recherches personnelles, arase les différences sociales avec des animations inventives et riches, le suivi de prêts. Nous avons mené des défis lecture accélérateurs.
- Défi lecture : pendant une période de deux mois un lot d’une vingtaine de livres en double exemplaire est mis à la disposition des élèves séparés en deux équipes. Les compétiteurs doivent élaborer des questions pour leurs rivaux. Peut se jouer avec une classe parallèle, les correspondants…
Deux temps forts closent la période : l’un festif accompagné de sirop et bonbons présenté sous forme de jeu (« trivial pursuit », « question pour un champion »…) avec buzzer et applaudissements, les deux équipes s’affrontent collectivement en une mobilisation joyeuse.
L’autre dans les rites scolaires où s’évalue l’efficacité de lecture à travers quatre questions pour cinq livres (dont des B.D.). Chaque élève reçoit sa liasse de questions personnalisées.
La proximité de la bibliothèque intégrée à la maison d’école facilitait les demi-groupes propices à des entretiens individuels autour du livre que l’élève détenait pour l’heure dans son île.
- Chaque semaine amène son quatre pages de lecture silencieuse autour de thèmes liés au calendrier : rentrée des classes, Noël, 1er avril et 1er mai et des sujets abordés dans d’autres matières : les planètes, la poste, Napoléon, l’appareil photo… pour varier les types de textes : dialogues, recettes, documentaires, mode d’emploi, articles de journaux, récits qui engagent à des corrections tout au long de la semaine. Une corbeille reçoit tous les travaux exécutés dans un délai d’une semaine. Les questionnaires recueillis sont corrigés dès leur dépôt. Pour ceux qui ont attendu la dernière échéance et ceux qui n’ont pas apporté les réponses satisfaisantes : correction collective. Les autres bénéficient tranquillement d’un temps de lecture libre.
Des livres en lecture suivie s’étalent sur une quinzaine de jours voire un mois pour avancer au rythme de la classe : « L’œil du loup » de Pennac, l’inusable « Claudine de Lyon » de Marie Christine Helgerson captive toujours mes C.M. 2 : 1880 dure condition d’une petite fille de canuts, son désir d’école…
Quels livres pour les jeunes lecteurs ? :
Certes le marché regorge de produits à la recherche d’un créneau, leur style court après la dernière mode et se démode ainsi « hyper »vite : ces clips de papier ne mènent nulle part. Sûrement pas à la littérature, celle qui nous élève au-dessus de notre ombre, de nos soucis immédiats, qui nous donne les clefs pour comprendre le monde, enchanter nos jours. Heureusement il est de belles réussites sensibles, attractives, où l’auteur ne prête pas systématiquement aux enfants ses « à priori » d’adultes.
La semaine prochaine sur le blog une liste de livres pour les écoliers.