vendredi 8 février 2019

Chaudrons fêlés.

Mes incertitudes vacillent quand les mots en sont à raser des interlocuteurs dès qu’ils dépassent le calibre sujet / verbe / complément, sans smiley.
Les émoticônes se sont diversifiés en petits cacas pour enrichir les échanges sur les réseaux sociaux. Ceux-ci devaient ouvrir à la diversité, ils ont restreint les groupes qui s’excitent et minent la confiance, ingrédient essentiel à la vie démocratique, en voie de rupture de stock.  
Alors je ramasse quelques mots tombés des emballages, des emballements et les relance sur les voies électroniques : paradoxes et contradictions, reniements et renâclements.
A défaut de saisir les significations de l’heure, j’essaye de regarder le travail du temps, bien que nos oreilles paresseuses ne saisissent plus les tics et tacs contradictoires qui tressent de la sagesse.
En ce moment, dans nos sociétés repues, respirer, boire de l’eau ou du vin, manger notre pain, appellent des excuses et des précautions.
Présentement les casaques jaunes sont en tête de gondole, si bien que les bolchos tolèrent les fachos pour faire la peau des libéraux.
Les démagos mouillent le maillot mais ne savent répondre : comment payer plus de justice sociale ?
Pédagos, bobos devenus, nous avions voulu des esprits critiques et nous avons gagné des sites complotistes où est mise en doute jusqu’à la rotondité de la terre.
Qui ne réclame pas l’intervention des corps intermédiaires ? Mais où sont-ils passés ?
Sabre et goupillon rouillent dans les vide-greniers et les syndicats sont à la rue.
Nous avions voulu la réduction du temps de travail, et le labeur n’est plus une valeur.
Nous voulions « vivre et travailler au pays » : il n’y a plus guère de taf et le pays n’est plus.
Nous estimions toute profession respectable ; le terme « boulot de merde » est advenu.
Nous rêvions de légèreté, nous avons récolté l’indifférence.
Nous aspirions à une intelligence collective : ah non pas de prise de tête !
Nous croyions que les dieux étaient morts ; les culs bénits tournés vers la Mecque nous tournent le dos.
Qui n’a pas condamné l’apartheid en Afrique du Sud, aboli en 1991 ?
En 2019 dans des facs françaises sont installés des ateliers de « non mixité raciale ».
Les élus sont moins bien considérés que les porcs des abattoirs, alors que les discussions politiques n’ont jamais été aussi vives.
Les symboles de la République, ses lieux, ses défenseurs, la presse, sont agressés violemment et ce sont les agresseurs qui couinent.
Nous avions tellement ri : Charlie a été flingué et les degrés de l’humour se sont brouillés.
J’avais choisi Hollande car il pouvait le mieux rassembler; la France est divisée comme jamais.
J’ai choisi Macron pour le renouveau, et tous les conservatismes de se déchaîner. 
A quoi pourraient servir tous ces remords morts ?
 « La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. » Flaubert
Et Jean Louis Murat en fond sonore :
« Le paysan est mouru
Qu’est ce qui nous a fait ça ? »
......  
Les illustrations proviennent d'une exposition de photographes italiens à l'ancien musée de Grenoble.

3 commentaires:

  1. "Nothing is so good it lasts eternally,
    Perfect situations must go wrong,
    Yet this has never yet prevented me
    Wanting far too much for far too long."

    "Rien n'est si bon qu'il dure éternellement,
    Des situations parfaites sont appelées à se détraquer,
    Mais ceci ne m'a jamais encore empêché
    De trop vouloir pendant trop longtemps".

    (Chanson "I know him so well" ("je le connais si bien"), de Benny Andersson, Bjorn Ulvaeus, Tim Rice. En l'occurrence, la chanson parle d'une déception amoureuse...)
    L'heure sonne, Guy. La génération baby-boomer n'a plus vingt ans. Elle ne peut plus ignorer que la fin approche, et que la fin... et bien, c'est Montaigne qui a dit que "philosopher, c'est apprendre à mourir". Peut-être que faire la philo, c'est apprendre à vivre, mais... nous n'avons toujours plus 20 ans.
    C'est un grand mystère tout cela, qui appelle certaines forces, et qui appelle du courage, et la capacité d'accepter certaines choses. La tentation du PECHE de la désillusion, et de l'aigreur est très grande, et pour un très grand nombre d'entre nous. Je le sais ; je vis cette tentation, comme d'autres, je crois.
    Les péchés de la vieillesse sont bien les plus redoutables, car ils ne sont pas, dans l'ensemble, des péchés éclatants. Ils sont les péchés de créatures qui s'affaiblissent, et... le jour où les faibles, simples d'esprit héritent de la terre, et bien, ce sera l'enfer. Si, si.
    Il en a toujours été ainsi ; et je doute fort qu'on change tant que ça la condition humaine, malgré nos... folles aspirations faustiennes que nous pourrions identifier si nous accordions plus de valeur à notre grande littérature, n'est-ce pas ?...

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  2. C'est sûrement de la délectation morose, mais j'apprécie une nouvelle fois ton commentaire.

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  3. Je ne suis pas une bonne chrétienne pour deux sous. En négociant de jour en jour, ce passage o combien délicat du vieillissement il m'arrive de temps en temps de me... féliciter d'éviter certains écueils. Le plus difficile dans la vie, d'après moi, est d'avoir un regard... tendre sur soi en tant que faible créature. Pas dur comme l'acier, mais pas complaisant non plus.
    Personne ne nous a jamais dit que ce serait facile, hein ? Et bien, ça ne l'est pas du tout.

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