mercredi 30 janvier 2019

Lacs italiens # 8. La maison de d’Annunzio (suite)

Cette maison et ses dépenses ont incombé au peuple par la grâce de Mussolini.
Il  comparait d’Annunzio  à une dent cariée:  « on l’arrache ou on la couvre d’or ».
Il a choisi la 2ème solution pour ce héros populaire qui avait survolé Vienne en la bombardant de … tracts.
- Le poète avait prévu une chambre mortuaire à son usage, avec un lit qui ressemble aussi bien à un lit d’enfant qu’à un lit de mort. Deux dépouilles de guépards recouvrent les quelques marches qui y conduisent.
- Dans toutes les pièces étouffantes et confinées, un bric à brac incroyable à épousseter devait  bien occuper les 7 domestiques attachés à la maison pour l’entretien.
Seule l’immense cuisine échappe à la folie collectionneuse de cet hypocondriaque adepte de la cocaïne, amateur d’objets religieux et orientaux à la mode à cette époque.
La guide nous abandonne dans la partie art déco que d’Annunzio n’a pratiquement pas eu le temps d’habiter, avec des pièces plus spacieuses notamment la chambre où il fut exposé à sa mort (et pas dans la chambre funéraire) dont le lit est encadré par des copies des statues du tombeau des Médicis de Michel- Ange.
Cette partie de la maison s’inspire de l’esthétique des bateaux à travers la présence importante du bois et les fenêtres en forme de hublots. 
Elle dévoile surtout des objets et costumes  militaires, des hélices,  des drapeaux  de Fiume, aujourd’hui ville de Croatie mais dont d’Annunzio fut gouverneur d’une république et dont il voulut toujours le rattachement à l’Italie. La fin de la visite passe par un petit cinéma assez grand pour exposer l’avion qui survola Vienne suspendu dans les airs.
Quel drôle de personnage habita cette endroit, que la guide nous présente plus comme un « anarchique » (anarchiste) qu’un fasciste en rivalité avec Mussolini, dandy et dépensier, semant des dettes de partout (à Arcachon par exemple)  payées par les états, « séparé » de sa femme, non croyant et vivant librement avec une pianiste…. Petit homme d’un mètre cinquante- huit à peine, patriote et « héroïque » !
En sortant, nous nous abreuvons à la fontaine de la cour et partons à l’ascension du prétentieux mausolée circulaire qui domine tout le paysage au-dessus du lac. Comme celui d’un empereur, le catafalque est au sommet, écrasant, avec à ses pieds des statues de chiens assez expressives, couchés, remuant la queue, dans des attitudes vivantes et un style évoquant Giacometti. La vue est splendide.
Nous redescendons en faisant un crochet par le cuirassé mi construit mi reconstitué, impressionnant par sa dimension et son incongruité dans ce jardin.
Nous terminons notre visite par le musée installé sous le théâtre « romain » , (encore utilisé pour des spectacles), où sont exposés  une collection impressionnante de chaussures très fines pour pieds presque féminins, des tenues d’intérieur de dandy, quelques vêtements féminins, 
 
et des flacons magnifiques de parfum, objets ayant tous appartenus à d’Annunzio.
Le bonhomme sut très vite utiliser la « réclame » à son profit en se servant de son nom. Un petit film intéressant  est diffusé sur des écrans, il manque juste quelques sièges pour l’apprécier  car les sous-titres en anglais permettent assez facilement de comprendre les images d’époque qui défilent.
Nous quittons ce site quelque peu délirant vers les 17h 30 et récupérons la Clio que l’olivier ne protège plus du soleil depuis sans doute un bon moment. La caisse de paiement du parking utilise un système de pictogramme optique tout à fait efficace et magique mais c’est quand même avec un léger soulagement que nous franchissons la barrière automatique. 
Nous prenons le chemin du retour avec l’intention de faire une halte à SALO au bord de l’eau. La circulation est beaucoup plus dense de ce côté du lac, la route, plus étroite et plus montagneuse.
Nous bifurquons vers la bourgade célèbre dans l’histoire du fascisme après le film de Pasolini et trouvons une place assez centrale dont le parcmètre nous est gentiment  offert par un couple de nordiques qui part avant l’échéance de son ticket de stationnement. Nous suivons la promenade piétonne du bord de l’eau sur un chemin très urbanisé et agréable, où aucune bouteille ou déchets ne traînent.
Nous remarquons que les amoureux  comme toujours visent les recoins charmants  pas dans le but de se compter fleurette, mais pour consulter chacun son portable. Les petits bateaux à moteur rentrent de leur virée au « large » sans tapage ; pas de bruit agressif ne s’échappe des bars de bon goût qui inévitablement attirent autant pour  se désaltérer que pour profiter de la vue. Nous en choisissons un pour étancher notre soif, Guy se lance dans la découverte d’une boisson à base de cédrat ; plus classiques, les filles optent pour un jus d’orange pour moi, et de citron pour J. et D. malgré la grimace du garçon pour le citron et sa proposition rejetée de le mixer avec de l’orange. Elles en comprennent vite la raison : le jus est pur, sans eau,  tiède et sans sucre : acidité 100 ! La tête et l’expression de J. sont éloquentes D. s’empresse de trouver glace et sucre auprès d’un jeune homme qu’elle imagine volontiers vêtu en page d’une autre époque.
Nous regagnons la voiture vers 19h et comme nous nous sommes trompés de sens, le demi-tour sur la route fréquentée et peu large à 2 voix s’avère périlleux. Le GPS veut absolument nous imposer l’itinéraire de l’aller malgré mon injonction à border le lac et finit par s’y résoudre.  Nous rentrons tranquillement, la lumière rasante du soleil déclinant en plein dans les yeux.
Un bon plat de carottes râpées, quelques tranches de charcuterie ou du fromage blanc nous suffisant amplement avant de nous faufiler assez rapidement dans nos draps.

3 commentaires:

  1. Pourrais-tu me dire ce qui était sur les tracts d'Annunzio qui ont atterri sur Vienne, stp, Guy ?
    Je le demande, car c'était un projet de Kurt Gerstein, qui avait infiltré les SS sous Hitler, de dénoncer les meurtres en masse de Juifs dans les camps en faisant larguer des tracts sur Berlin afin de faire révolter le peuple allemand contre tant de... barbarie (je crois que je peux employer le mot sans discussion dans ce cas...). Kurt Gerstein était un idéaliste issu de milieu religieux. Nous... les modernes hobbesiens que nous sommes (en quoi la modernité est souvent le retour violent et sauvage de l'ancien sous une autre forme, car Hobbes n'est pas nouveau pour deux sous), n'avons pas ? plus ? ces "illusions"...
    La maison est belle ; elle me fait penser à certaines demeures de philanthropes autour de Nice (maison Kerylos, et une autre dans les parages, si mes souvenirs sont exactes).
    Le statut d'artiste autorise une certaine excentricité, à nos yeux. Non seulement il l'autorise, mais... il le commande, presque, je trouve.
    Mais en sentant monter de manière féroce la pression de se.. diluer dans la masse en ce moment, je peux comprendre le désir de cet homme de s'entourer de beauté singulière. Son désir de vivre dans le meilleur ("ton ariston", sans l'alphabet). Je ne peux pas lui cracher dessus pour cela.
    Merci pour la visite ! Je tacherai d'y aller moi-même un jour, avant que l'on arrache la dent, qui sait...par les temps qui courent, les couronnes se font rares.

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  2. Il s'agit de tracts pendant la guerre de 14-18. Je n'ose me montrer précis, car cette visite est chargée et gêné,je ne me suis pas beaucoup renseigné.Wikipédia précise pour les tracts:
    Le 9 août 1918, à la tête de la 87e escadrille de chasse, il effectue un vol de plus de mille kilomètres avec son compagnon de vol Aldo Finzi pour larguer au-dessus de Vienne des tracts bilingues rédigés par l'écrivain Ugo Ojetti incitant les Autrichiens à demander l'armistice7. :

    « Viennois !

    Apprenez à connaître les Italiens. Nous volons au-dessus de Vienne, nous pourrions larguer des tonnes de bombes. Nous ne vous lançons qu'un salut tricolore : les trois couleurs de la liberté. Nous autres Italiens ne faisons pas la guerre aux enfants, aux vieillards et aux femmes. Nous faisons la guerre à votre gouvernement, ennemi de la liberté des nations, à votre gouvernement aveugle, obstiné et cruel, qui ne parvient à vous donner ni la paix, ni le pain, et vous nourrit de haine et d'illusions. Viennois ! Vous êtes réputés intelligents. Mais pourquoi donc avez-vous revêtu l'uniforme prussien ? Vous le voyez, désormais tout le monde est contre vous. Vous voulez continuer la guerre ? Continuez-la, c'est votre suicide. Qu'en attendez-vous ? La victoire décisive que promettent les généraux prussiens ? Leur victoire décisive, c'est comme le pain en Ukraine : on meurt en l'attendant. »
    De façon caractéristique, l'État-major italien avait approuvé et planifié le vol, mais rejeté le texte du tract écrit par D'Annunzio, un long poème jugé trop complexe et intraduisible en allemand ; finalement, seul l'avion de D'Annunzio emporta et largua quelques milliers d'exemplaires de ce texte.

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  3. Merci, Guy. C'est magnifique. Une oeuvre de culture, de civilisation, si je puis dire. On peut comprendre que l'état major italien eut rejeté le long poème de d'Annunzio, il y a des limites à l'acte de grâce, tout de même.
    Si on peut obtenir des effets en s'adressant à un sujet, personne singulière, c'est beaucoup plus difficile de les obtenir en s'adressant de manière anonyme...à des anonymes...

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