Je n’ai pas vécu impunément dans les écoles depuis ma plus
tendre enfance où l’on m’a protégé des saloperies du monde jusqu’au temps
d’être grand-père, pour ne pas aimer voir la vie avec des lunettes joliment
colorées. Je persiste en ne voulant pas que le monde des Barbapapas que mes petits adorent, s’efface
trop vite, mais je m’agace quand surjouent les gnangnans qui appellent les
féroces. Dans l’univers universitaire et en amont prospèrent quelques
autruchons qui ne veulent surtout pas voir ce qui pourrait déranger, la tête
dans le sable.
« L’oreille en
coin » : A la radio, une comique se moque de TF1 ; je change
et tombe sur France Culture dont l’animateur se moque de TF1. Après, ils
viendront pleurer sur la fracture culturelle qu’ils ne cessent d’envenimer et
dire que « le mépris, c’est pas bien ».
« Arrêt sur
image » : Nos photographies, amoncelées dans les nuages
s’oublient aussitôt prises, tandis que tout le monde, tout le temps prend tout
le monde en photo ; tout se déprend.
« Jour du soigneur »:
Parmi d’autres signes du temps, les cierges endormis des cathédrales se
reconvertissent en lumignons pour deuils médiatisés avec ours en peluche et
fleurs sous cellophane. Me sautent aussi aux yeux, ces cœurs dessinés à quatre
doigts, alors qu’un seul suffit pour les
détestations. Sur les peaux, des
arabesques de tribus lointaines comblent le vide des mémoires effacées. Les calligraphies
se sophistiquent quand plus grand monde n’écrit à la main, elles envahissent les murs, les rideaux de fer des
magasins et nos coins les plus intimes en nappes hégémoniques.
« Paralympiques » :
Au cours d’une conversation, pour montrer que j’avais bien entendu
l’information à propos d’une candidate au CAPES de lettres (Certificat
d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement du Second degré) ayant passé
l’épreuve avec une AVS (auxiliaire de vie scolaire) pour cause de
dyslexie, j’avais dit que c’était comme si on confiait l’entraînement d’une
équipe à un paralytique. Outre l’archaïsme du terme « paralytique »
remontant à des lustres, je restais en dessous de l’indignation que pouvait
faire naître cette aberration. On a déjà vu des entraîneurs apporter leurs
compétences avec succès à des jeunôts bien
plus talentueux qu’eux ; mais confier l’enseignement du français à des
dyslexiques multiplie les embarras, même si l’on sait que l’on enseigne avec
plus de délicatesse les matières où l’on est moins à l’aise. Ainsi j’aurai pu
faire un bon prof d’anglais.
Les AVS sont devenues les sous traitants des professeurs
défaits des taches de transmission, n’ayant plus qu’à lier le social, quand
c’est possible.
« L’émission
politique » :
« La haine des médias et de ceux qui les animent est juste et
saine. » Mélenchon.
Cette brutalité entretenue dans le débat social est
délibérée, théorisée, et non l’effet d’une
bouffée caractérielle, elle est le pendant d’attitudes tartignoles,
complaisantes ou d’indulgences surjouées.
La bienveillance par exemple à l’égard du handicap est venue
après des siècles de relégation, mais il me semble que la compassion s’est
étendue au-delà du raisonnable. Dans l’éducation, l’intégration a bien arrangé
les comptables. La médicalisation de toute difficulté d’apprentissage devenant
massive, la relativisation des exigences en découle. Les cours quand ils ne
sont pas inversés s’adressent à des individus à l’identité souffrante mais plus
à un collectif. Pourtant « équipe », « travail de groupe » ont
envahi les discours : c’est justement parce qu’il n’y a plus guère
d’échange ni de rencontre avec « l’autre », chacun étant « différent »
que « l’universel », « le
fédératif » sont devenus juste bons à être célébrés parce que disparus, par
ceux qui ont mis leurs enfants hors du commun, hors du public.
Ces jours-ci, l’heure consacrée au handicap qui a bien
diverti les collégiens avec les fauteuils mis à leur disposition, a été prise sur
une heure de français qui aurait pu leur proposer « Le crapaud »
d’Hugo et ainsi faire d’une pierre plusieurs coups.
L’âne évite d’écraser
le crapaud martyrisé par des hommes et des enfants :
« Cet âne abject,
souillé, meurtri sous le bâton,
Est plus saint que Socrate et plus grand que Platon.»
Est plus saint que Socrate et plus grand que Platon.»
………….
Le dessin du « Canard » de la semaine :
Figure-toi, il y a plusieurs sonnets de Shakespeare qui sont entièrement à propos pour la situation (sociale) que nous vivons en ce moment. Si, si.
RépondreSupprimerQuand tu réalises ça, tu as un moment de silence perplexe pour te demander... mais comment j'ai fait pour ne pas le voir avant, parce que, vraisemblablement, cette situation a toujours du être la nôtre...
Je pense que c'est surtout un effet de l'âge, mais je n'excuse pas pour autant notre turpitude.
Effet de l'âge + décadence de la civilisation, ça plombe pas mal.
Peut-on séparer l'un de l'autre, d'ailleurs ? Peut-être pas.
C'est La Fontaine, et avant, Esope qui disait "le mieux est l'ennemi du bien".
Un de nos problèmes les plus... modernes est d'avoir troqué la sagesse pour la science. Je crois.. qu'on peut se passer de beaucoup de science, alors que, se passer de la sagesse ? C'est plus difficile. Pour la transmission de la civilisation en tout cas.
Nous avons mis la sagesse à la porte en discréditant notre littérature, et sa capacité de nous enseigner.... des choses utiles, en plus d'être belle.
Triste plan qui ne nous agrandit nullement.