dimanche 24 novembre 2019

Un instant. D’après Marcel Proust. Jean Bellorini.

J’ai le souvenir dans le Off d’Avignon de la mention « d’après… un auteur prestigieux » qui  avait le don d’attirer l’attention parmi des sollicitations nombreuses mais s’avérait parfois décevante.
Cette fois à la MC 2, dans la grande salle qui se prête plutôt aux mises en scènes spectaculaires, j’ai été ému et trouvé pleinement réussie cette approche d’un géant de la littérature dont la précision va au cœur de notre intimité.
Les souvenirs d’une grand-mère vietnamienne prennent une dimension universelle quand ils s’entrecroisent avec les mots attentifs de Marcel P. Le morceau qui aurait pu être de « bravoure » concernant la madeleine est habilement contourné : après avoir englouti « un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint- Jacques » l’acteur se sent des envies d’écrire.
Mais il sera plutôt question d’un porc au caramel  dont les saveurs permettent de se rappeler : 
« … quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. »
Pendant une heure trois quarts nous pouvons déguster les mots qui expriment l’intensité de vivre, et une ardente « présence au monde » à travers le rappel de la vibration d’un instant passé. Nous prenons le droit d’aller faire un tour vers les territoires de nos mémoires et de cet amour absolu, tyrannique accompagnant souvent l’enfance, qui avec la mort omniprésente pourraient se mettre en triptyque pour composer un titre Lelouchien : la mémoire, l’amour, la mort.
Ce serait to mutch, mais ces absolus vont bien à l’essentiel de nos vies, non ?
Des chaises encombrent la scène, grenier de la mémoire, surplombée par une pièce silencieuse d’où les mots proviennent. A défaut de faire revivre la grand-mère et la mère tant aimées, la subtilité des longues phrases nous aide cent ans après à mieux vivre avec nos fantômes, avec nous mêmes.
« … depuis peu de temps, je recommence à très bien percevoir si je prête l’oreille, les sanglots que j’eus la force de contenir devant mon père et qui n’éclatèrent que quand je me retrouvai seul avec maman. En réalité ils n’ont jamais cessé ; et c’est seulement parce que la vie se tait maintenant davantage autour de moi que je les entends de nouveau, comme ces cloches de couvents que couvrent si bien les bruits de la ville pendant le jour qu’on les croirait arrêtées mais qui se remettent à sonner dans le silence du soir. »

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