jeudi 1 décembre 2022

Peindre les faits divers. Alexis Drahos.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a choisi de présenter d’une façon chronologique la criminologie dans l’histoire de l’art en commençant par l’affiche du film   « L’homme de glace » : Ötzi, mort d’une flèche dans le dos, il y a 5000 ans, retrouvé en 1991 lors d’un épisode de fonte d’un glacier italien. 
Ces temps étaient-ils si violents, comme « Le rapt à l’âge de pierre » de Paul Jamin en témoigne ?
Dès 2000 ans av. J-C, à Babylone « Le Code de Hammurabi » gravé dans le basalte noir cherche à établir la loi anticipant celle du talion.
Les mythologies rivalisent en horreurs avec l’histoire de l’antiquité.
Le bel Apollon, dieu vengeur, a beaucoup inspiré les peintres : Turner en représentant« Apollon et Python » célèbre la victoire du bien sur le mal en figurant un monstre inspiré des dernières découvertes paléontologiques. On peut penser à l’iconographie chrétienne quand Saint Michel ou Saint Georges terrassent le dragon.
« Apollon tue Coronis » (Goltzius) qui le trompait, et arrachera Asclépios (Esculape), le bébé, du ventre de la mère enceinte de ses œuvres.
Dans  « Le Supplice de Marsyas »,  ( Le Titien) Apollon également dieu de la musique et du chant, écorche à vif le satyre qui a osé le défier dans son domaine de prédilection.
Abraham Bloemaert
a peint la  « Mort des enfants de Niobé», douze parmi ses quatorze enfants dont elle était si fière qu’elle vexa Léto qui n’en avait eu que deux : Artémis et Apollon seront chargés de la venger.
Les sciences naturelles documentent le tableau de Rubens et Snyders «  Méduse », la gorgone.
Un énigmatique amphisbène, à deux têtes vient ajouter à l’horreur de cette décapitation par Persée.
Lors du procès d’Harvey Weinstein, face à la Cour pénale de New York, « Méduse »  ayant coupé la tête de l’artiste Luciano Garbati pour dénoncer les viols, va déplaire malgré tout à quelques féministes…
car l’auteur de la sculpture inspirée de Benvenuto Cellini est un homme.
Pour « Caïn » fuyant après avoir tué son frère Abel, Cormon, un des maîtres de Van Gogh, s’inspire de l’anthropologie.
« Le Jugement de Salomon », par Poussin, consista à couper en deux un enfant réclamé par deux mères.   
Jean-Léon Gérôme peint « Le roi Candaule »  qui offre la beauté de sa femme au regard de son général.
Elle demandera au voyeur de tuer celui qui l’a humiliée, Pittoni.
Girodet :« Nabuchodonosor fait tuer les enfants de Sédécias en présence de leur père » celui-ci aura les yeux crevés, sera déporté et Jérusalem sera brûlée.
Les décapitations d’Holopherne, la tête de Cyrus le Grand plongée dans un vase rempli de sang, la décollation de Saint Jean Baptiste, Brutus qui tue ses enfants sont peut être (relativement) moins affreux que « Le jugement de Cambyse » par Gérard David où la peau du juge corrompu va revêtir le fauteuil où son fils devra s’asseoir.
« Le Supplice de Régulus »
Panfilo Nuvolone, est lui aussi particulièrement révoltant : revenu de Rome à Carthage conformément à sa promesse lorsqu’il avait été libéré, les yeux cousus,
il devra fixer un soleil que Turner peint brillamment, « Régulus ».
https://blog-de-guy.blogspot.com/2020/01/turner-au-cinema-jean-serroy.html
Alexandre Cabanel
représente une reine fatale indifférente : «Cléopâtre essayant des poisons sur des condamnés à mort ». Elle s’est donné la mort par serpent interposé installé dans un panier de figues.
Après tant de « Massacre des Innocents » comme Poussin en peignit un déjouant les vues panoramiques habituelles, et tant de héros tragiques, la coupe sanglante est pleine, rien qu'à réviser
ces horreurs des temps antiques.
« La Mort de Germanicus » Poussin
 
« Les horreurs des années suivantes augmentèrent encore la gloire de Germanicus et le regret de sa perte, car tout le monde estimait, non sans raison, qu'inspirant à Tibère du respect et la crainte il avait contenu sa férocité, qui éclata bientôt après » Suétone
Néron a fait tuer sa mère Agrippine, fille de Germanicus, remariée avec Claude qui commanda le meurtre de Messaline sa première femme à la réputation scandaleuse.« Néron devant le cadavre d'Agrippine » Appert.
L’empire entre en décadence après Caligula, plus d’un siècle après J.C. , Commode, l’empereur gladiateur, qui se prenait pour Hercule, va connaître une fin tragique, empoisonné par sa maîtresse. Mais toujours vif, un esclave devra l’étrangler.« La Mort de Commode » Fernand Pelez.
La cruauté, la folie, la violence de ces époques  retentissent encore aujourd’hui Cy Twombly « 9 discours sur Commode » (1963)
 

mercredi 30 novembre 2022

Nantes # 5

Avant de repartir, 
nous pouvons encore  inclure une virée à CLISSON et y voir l’exposition des œuvres d’Eva Jospin. Clisson se situe à une trentaine de kilomètres, que nous effectuons en voiture dans une circulation dense.
Plutôt connue pour le Hellfest,
son festival de musique métal, la cité possède aussi un riche patrimoine moyenâgeux et apparait comme un bourg paisible loin des fureurs de la modernité. 
De magnifiques et immenses halles du XIV° siècle sur un sol légèrement  en pente occupent le centre-ville. Elles servent encore aujourd’hui pour le marché, à l’abri de leur imposante charpente faite de chêne et le châtaigner.
A proximité, l’Office du tourisme s’est installé, il combine  tourisme et cave viticole (vente de muscadet).
Nous obtenons un plan et quelques informations concernant les centres d’intérêt  comme le pont de la vallée, le pont  Saint-Antoine, reposant sur des arches gothiques ou le château, aujourd’hui fermé.
Heureusement, nous pouvons accéder au domaine de la Garenne Lemot où expose Eva Jospin. Acheté par le conseil général en 1968, cette propriété du XIX°siècle s’étend sur plusieurs hectares.
Elle comprend :
- un grand parc à la disposition de joggers ou  aux promeneurs
- les  maisons du jardinier et du portier
- la villa Lemot.
Tout dans le domaine, s’inspire de l’Italie selon la volonté du baron François Frédéric Lemot. Rentré à Clisson après son 1er prix de Rome en 1790 en tant que sculpteur, il éprouve la nostalgie de ce pays, de son art et de son mode de vie.  Il veut recréer une villa à l’italienne en insérant dans les jardins des statues antiques mais désire quand même utiliser  des essences végétales endémiques.
La maison du jardinier  ressemble à une ferme de Toscane ou d’Ombrie, bâtie en brique, ouverte de baies cintrées  couverte de tuiles rouge et d’éléments architecturaux caractéristiques(loggia, galerie..).
Le baron confia sa conception à l’architecte du théâtre quartier Graslin, Mathurin Crucy. La villa de style néo palladien ne recourt pas à la brique, elle se distingue par sa cour d’honneur fermée avec une colonnade en hémicycle, un belvédère, une loggia  et une galerie. Derrière la colonnade, un jardin constitué de pelouses cernées par des allées, est ponctué  de statues et de cratères posés sur des socles.
Le résultat des gros travaux consentis  pour l’élaboration, les plantations du parc « naturel » et de l’architecture des bâtiments impressionna puis influença les natifs de la région de Clisson ; un style architectural italianisant se dégagea alors et se retrouve dans d’autres constructions.
L’exposition d’Eva Jospin se déploie à l’intérieur  sur les 2 étages de la maison: une vraie découverte !
Sculptrice, découpeuse, raboteuse de carton, elle imagine des utilisations de ce matériau, des savoirs faire inédits au service d’œuvres originales… 
Elle puise son inspiration dans les forêts («Les bois de la Gorgone »), dans  les grottes, dans les cités troglodytes d’Italie (Matera).
Les nymphées l’amènent à élaborer des architectures antiques, « des ruines d’une ville romaine sur deux plateaux rocheux où alternent arènes, pavillons, escaliers, bassins, colonnades et promontoires ».
Dans ses réalisations, la nature est toujours présente, un champ d’herbes  devient une histoire en laissant apparaître subtilement la trace d’un corps qui s’y serait allongé.
Pour présenter l’artiste, un film  montre ses expositions dans une cour au Louvre et à Montmajour. Nous la découvrons aussi  à travers des photos en plein travail, dans des situations qui prouvent un investissement physique et de la prévoyance face aux obstacles éventuels.
Nous ressortons de là enchantés. En redescendant vers le parc, une jeune italienne pétillante et mignonne nous demande la sortie, à croire que l’ODT nous a programmé cette apparition  juste pour coller à l’esprit et à l’ambiance voulus par Lemot ! Nous retournons tranquillement à Nantes.
Comme notre vagabondage prend fin demain, nous nous offrons pour notre dernière soirée un repas à la pittoresque Cigale, servi par un personnel portant le tablier noir d’autrefois.
Nous commandons du lieu grillé accompagné de rizotto noir recouvert d’une carotte jaune, une île flottante en dessert et un verre de muscadet.
L’établissement attire une clientèle variée, il se remplit immédiatement à chaque table quittée et débarrassée. Nous nous amusons de 2 messieurs à la table près d’une fenêtre qui se tapent la cloche avec un plaisir évident notamment devant un plateau de fromages bien approvisionné et une bonne  bouteille 75 cl dont il ne reste plus une goutte.
A la nuit tombée, nous  faisons un détour par l’île de Nantes, quai des Antilles. Nous peinons à nous garer même si peu de monde circule dans le quartier mais nous y parvenons.
Près du hangar à banane, « Les anneaux » de Buren modernisent ce lieu chargé d’histoire  maritime de la ville.
Dix-huit anneaux lumineux de couleurs différentes se succèdent dans un axe,  en enfilade, à intervalle régulier, et se reflètent dans la Loire tandis que l’ombre envahit les alentours, dessinant les silhouettes plus sombres des bâtiments.
Avec ce concept, la nuit s’accorde mieux à l’installation que le jour, et contribue à rendre l’ensemble très photogénique. Malheureusement la pluie et le vent s’invitent, ils  nous chassent vers la voiture puis vers la maison.
Demain, nous rentrons.