dimanche 23 décembre 2018

Magnétic. Jérôme Thomas.

Lumières pour balles, cannes et plaques.
Lorsqu’un spectacle n’est pas convaincant on se rabat parfois sur les lumières qui ont pris depuis un moment de l’importance sur les plateaux.
Ici les éclairages sont au centre de la représentation d’une heure et magnifient ballets de balles, vertiges autour de longues tiges et variations d’images sur plaques.
Le quatuor de circassiennes virtuoses dans le maniement d’objets  joue entre apparitions et disparitions, éclat de blanc et profondeur des noirs, et compose de magnifiques tableaux abstraits bien accordés à des musiques stridentes ou explosives, concrètes.
Les effets cinétiques nés de l’élasticité des matériaux, de la précision des dispositifs nous ont offert à l’Hexagone de Meylan un moment original et poétique.

samedi 22 décembre 2018

La seule histoire. Julian Barnes.

L’épigraphe m’avait mis en appétit :  
« Roman : une petite histoire, généralement d’amour ».
Cette légèreté ne s’est pas démentie jusqu’aux dernières phrases :
« …de fait, je pense en avoir fini avec le sentiment de culpabilité. Mais le reste de ce qui faisait ma vie, tel qu’il était, et serait ensuite, me rappelait à lui. Alors je me suis levé et j’ai regardé Suzan une dernière fois ; aucune larme ne m’est venue aux yeux. En sortant, je me suis arrêté à la réception et j’ai demandé où se trouvait la station-service la plus proche. L’homme a été serviable. »
L’histoire d’amour entre un jeune homme de dix-neuf ans et Suzan, trente huit ans depuis une partie de tennis en double, tient 260 pages, ironiques et profondes, so british.
« Un premier amour détermine une vie pour toujours : c'est ce que j'ai découvert au fil des ans. Il n'occupe pas forcément un rang supérieur à celui des amours ultérieures, mais elles seront toujours affectées par son existence. Il peut servir de modèle, ou de contre-exemple. Il peut éclipser les amours ultérieures ; d'un autre côté il peut les rendre plus faciles, meilleures. Mais parfois aussi, un premier amour cautérise le cœur, et tout ce qu'on pourra trouver ensuite, c'est une large cicatrice. »
Le narrateur passe au fil des chapitres de la première à la troisième personne, accumule les citations puis les rature, y revient :
« En amour, tout est vrai, tout est faux ; et c'est la seule chose sur laquelle on ne puisse pas dire une absurdité » (Chamfort). Il avait aimé cette remarque depuis qu'il l'avait découverte. Parce que, pour lui, elle ouvrait sur une pensée plus large : celle que l'amour lui-même n'est jamais absurde, ni aucun des participants. »
Cette liaison située en banlieue aisée dans les années 60 a des allures de scandale mais à bas bruit. La passion absolue est décrite tout en nuance et même le lecteur qui a pu lire d’autres livres à ce sujet peut apprécier la virtuosité de l’écrivain au service d’une honnêteté revigorante.
Conversation de bar, lieu pas si anecdotique que ça, puisque les amants auraient plutôt tendance à dire la vérité, au moins entre eux, alors que l’alcoolique ment :
« Elle disait qu’elle voulait reposer sur mon épaule aussi légèrement qu’un oiseau. Je trouvai cela poétique […] L’homme inhala la fumée et la souffla dans l‘air parfumé.
«  Primo, les oiseaux s’envolent n’est ce pas ? C’est dans leur nature. Et secondo, avant de partir, ils vous chient sur l’épaule. »

vendredi 21 décembre 2018

Super demain. Lyon 2018.

Sous les hauts plafonds du palais du commerce de Lyon datant du second empire, l’association « Fréquence écoles », engagée depuis 20 ans dans l’éducation aux médias,  proposait aux familles,   le dimanche après La Fête des Lumières, de tester jeux vidéos et autres dispositifs numériques, tout en apportant un regard critique sur les mutations induites par ces outils.
Vaste programme sous forme d’ « espace de médiations » bardés de #  et de « playroom » où j’ai accompagné mes petits enfants que les parents épargnent plus des écrans que moi qui ai  souvent la partie belle à leur faire découvrir des films : fastoche, la pelloche.
Nous avons testé Super Mario et réalité virtuelle, coloriages à animer : ainsi Perrette a vu disparaître cochons et couvée. Quand La Fontaine se redécouvre ainsi, j’adore, comme la rencontre des lambris et des hastags.
Et puis le nostalgique des forums de Libé, que je suis, a  retrouvé dans deux conférences quelque plaisir lointain, bien que le format d’une heure m’ait paru trop petit, d’autant plus qu’était introduit un dispositif interactif de questions-réponses par téléphone portable que les geeks présents ont investi promptement.
Peut-on élever ses enfants grâce à Internet ? « Grâce » ou « Malgré » ?
Michel Guillou  aime se présenter comme un observateur et avec Louise Tourret journaliste à France Culture, ils ont distingué information et savoir alors que le numérique s’est affranchi de ses racines informatiques pour devenir plus culturel et social. Ceux qui diabolisent ces machines permettant un accès à une masse d’informations colossale et un accès inédit à la liberté d’expression appellent plutôt à un rappel des apports essentiels d’Internet.
Vis-à-vis des enfants, un peu d’attention, un accompagnement, une surveillance, un apprentissage de la frustration leur permettront d’avancer vers des choix éclairés. 
Qui consulte encore des encyclopédies ? Qui lit encore des journaux ? J’ai bien aimé l’image d’un bambin lâché dans une bibliothèque, il faut lui donner un mode d’emploi. Pour le web c’est pareil ,  bien que pas facile, alors que se jouent les problèmes éternels du temps.
Après coup j’ajoute : plus que jamais les enjeux sont cruciaux depuis que les tutoriels s'apprêtent à tuer les tuteurs. Qui émet ? Qui aime ? Qui est entendu ?  Quand nous sommes assaillis par tant de porteurs de casques et de cagoules, et tous ces pseudos, que peuvent encore la littérature, la culture ? Qui veut du lien ? 
Ces grains de sel viennent tardivement en n’ayant pas osé poser la question qui me semblait trop conventionnelle pour une tribune de spécialistes.
« Pourquoi les enfants des ingénieurs de la Silicon Valley sont inscrits dans des collèges où l’on utilise moins les écrans que dans les écoles publiques du coin ? »
Ceux qui passent le plus de temps devant les écrans sont davantage issus de milieux modestes, comme l’obésité d’ailleurs.
Peut-on s’aimer grâce aux réseaux ? Plus de liberté ou plus de servitude ?
Emily Witt auteure de « Future sex » livre apprenant à ses lecteurs ce qu’est la « méditation orgasmique » et Lucile Belan qui tient le courrier du cœur sur Slate.fr pensent que la technologie permet de partager des singularités et rappellent aussi quelques évidences : le corps n’est pas une entité secondaire, que pour bien aimer il vaut mieux bien s’aimer, et que l'époque où les opportunités se résumaient au garçon qui t’inviterait au prochain slow n’était pas forcément folichonne. 
Le terrain de jeu «  safe » s’est élargi et l’échange épistolaire en est revigoré dans un usage aux allures psychanalytiques puisque la parole est reine. Les relations peuvent y être superficielles ou enrichissantes mais à défaut de trouver l’amour, se sentir moins seul est déjà un bienfait, quand désormais nous sommes condamnés à "habiter Internet".     
Le titre de ces journées avait bien sûr attiré l’Insoumis de service qui ne pouvait supporter l’affichage d’un tel optimisme : « Super demain ! » : quelle provocation ! Il a pu distribuer ses tracts, qui ont coûté un certain nombre d’arbres, en lui permettant d’épancher quelques onces d’une bile noire toujours prête à servir. Quant à moi je me suis régalé d’un petit pain viennois au bœuf  Teppanyaki  qui n’avait rien de virtuel, échappant pendant un court instant aux GAFA, nos monstres indispensables. 
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Dessin découpé dans "Le Point" :

jeudi 20 décembre 2018

Art russe religieux du XI° au XVII° siècle. Marie Ozerova.

Venue de Saint-Pétersbourg  où elle est attachée scientifique au Musée de l'Ermitage, la conférencière devant les amis du musée de Grenoble, rappelle la fonction spirituelle des icônes et de l’architecture, chargées d’expliquer les vérités éternelles, loin de toute fonction décorative.
A l’origine une « icône », le même mot en russe et en français, du  grec eikona, « image de l’infini », est un  objet religieux destiné à la prière. Le bâtiment d’église représente l’univers vu dans sa totalité, tout en verticalité de la terre vers le ciel.
Comme l’homme, son aspect doit être modeste de l’extérieur et riche à l’intérieur.
Le bulbe apparu tardivement est semblable à la flamme d’un cierge.
Dans la moindre chapelle orientée vers l’Orient, la lumière révèle la présence et la gloire du Seigneur.
Chaque forme a un sens : le cercle énigmatique sans début ni fin représente le caractère infini de Dieu alors que la carré symbolise le monde créé.
A Kiev, la plus ancienne église orthodoxe du XI° siècle est enchâssée dans une enveloppe du XVII°. Avant cette époque, la Russie était un pays païen. Le prince Vladimir après avoir envoyé des ambassadeurs dans plusieurs pays d’Europe, adopte les rites de Byzance, la cité plus puissante. Il se fait baptiser, répudie ses femmes, fait venir une princesse byzantine et des artistes.
La cathédrale Sainte Sophie de Kiev, « la mère de toutes les villes russes » comporte 13 coupoles (12 apôtres et le Christ).
 La lumière insaisissable, forcément divine, inaccessible, provient de mosaïques composées de morceaux de verre transparents, comportant une feuille d’or, rouges comme le royaume de Dieu ou opaques, collés selon des angles différents.
Le Christ Pantocrator (en majesté) est entouré des quatre archanges dont les intervalles entre leurs ailes forment une croix au dessus des quatre évangélistes représentés sur les quatre pendentifs qui ont permis de passer de la coupole ronde au carré d’ici bas.
La Vierge orante au visage calme, aux yeux, tournés vers l’invisible, ne nous regarde pas, elle prie pour l’éternité, les bras levés au ciel comme Moïse au moment où son peuple pénétrait en terre promise, car lorsqu’il les laissait retomber, le peuple d’Israël perdait sa force.
Le Christ est doublement présent lors de la communion des apôtres, brandissant le calice rempli de son sang et le pain de l’hostie. Les perspectives, la pesanteur sont abolis.
Le petit embrasse sa mère, la Vierge de Vladimir, dite de la tendresse. Saint Luc, le protecteur des artistes, l’aurait peinte selon la légende; commencée par les byzantins elle aurait été complétée par des russes. Cette icône vénérée fut volée, mais lorsque les chevaux qui la transportaient refusèrent d'aller plus loin, l’un s’agenouillant devant l’apparition de la Vierge, c’est à cet endroit que fut érigée la cathédrale de la dormition.
Kiev perdit de l’influence et la petite ville de Vladimir prospéra.
Le XIIIe siècle est tragique, le pays morcelé en principautés est envahi par les Mongols. Novgorod, la ville la plus septentrionale, résiste aux pillages.
La Sainte-Face de Novgorod  icône acheiropoïète (image qui n’a pas été faite de la main d’un homme) est peinte sur un tissu, depuis que le christ eut envoyé à Abgar, un roi grec, le lin blanc dont il s’était lavé le visage et qu’il l’eut guéri ainsi de la lèpre.
Dans L’Annonciation, la Vierge porte déjà l’enfant Jésus.
Celui-ci tient dans ses bras un enfant représentant l’âme de sa mère au moment où on lui annonce qu’elle va le rejoindre, lors de La dormition aux nuages.
Sur un fond au rouge énergique Saint Georges terrasse le dragon.
Alors que bien des artistes sont restés anonymes, celui « qui croit en Dieu », Théophane le Grec, s’est fait connaître avec  « le Christ au regard de feu » aux touches originales.
Il est appelé pour décorer le monastère Saint Andronic à Moscou dont les princes vont réunir toutes les forces de Russie pour chasser les Tatars.  Il est aidé par un jeune moine André Rublev. Au centre de « La Trinité », le christ deux doigts levés (la double nature de Dieu) et trois doigts repliés (la Trinité) forme un cercle avec les deux anges qui l’accompagnent.
Dès le XVI° siècle, l’art dût servir le tsar considéré comme semblable à Dieu et l’extérieur des lieux de culte se pare de riches ornements ; mais les tambours par lesquels entraient la lumière sont devenus aveugles.

mercredi 19 décembre 2018

Lacs italiens # 3. Verone suite

Le palazzo della Ragione prépare lui aussi une scène qui doit accueillir le songe d’une nuit d’été.
Nous repoussons à plus tard la visite et retournons sur les bords de l’Adige en quête d’un petit restau sympa et frais. Nous le trouvons dans une venelle près du quai Donatelli sous les grands parasols de toile blanche tendue sur une armature de bois. Le menu affiche des plats maisons et du terroir, donc prière de ne pas demander de pizzas : pasta fatti in casa, fettucini frizzoli (petits pois), bigoli au pesto de roquette et bœuf, ou bigoli asinus (âne), petites bières, un parfait à l’amande pour le gourmand Guido et caffè stretto pour tous.
Prêts pour aborder les visites suivantes !
D’abord, la Torre dei Lamberti. Grâce à un ascenseur, nous nous élevons à  83 mètres du sol  sans difficultés et sans scrupule. Le point de vue vaut le coup sur les toits de tuiles et nous redécouvrons  les lieux visités sous un autre angle, ce qui nous permet de bien nous imprégner de la configuration des places et des bâtiments historiques de la ville.
 
 
Contigu à la tour, le palazzo della Ragione abrite un musée d’art moderne accessible avec le même billet. 
La jeune gardienne prend plaisir à nous fournir des explications en français sur les peintures dont les décors sont souvent des lieux de Vérone. Nous sommes pratiquement seuls dans les salles, face à des artistes la plupart italiens méconnus de nous.
Ensuite, nous nous promenons en direction des arènes en évitant les rues commerçantes bondées de monde car bien que ce soit dimanche,  les magasins sont ouverts. Nous nous acquittons du droit d’entrée et par les vomitoires, nous pénétrons à l’intérieur du monument romain. Au début, nous sommes un peu déçus ; des strapontins dissimulent les gradins et les sièges envahissent l’arène face à une scène en pleine préparation technique. Mais peu à peu nous apprécions les proportions de l’amphithéâtre, en grimpant tout en haut où nous nous asseyons pour profiter des jeux de lumière  du soleil et des nuages.
Enfin, retour vers le Ponte Pietra car il est déjà 18h : halte obligée  au 13 de la via Ponte Pietra, où le guide Géo annonce un super glacier et où nous testons les produits vantés avec délice.
On se laisse orienter  par le GPS du téléphone : infaillible !
Une fois à la maison, Guy s’empare de son smartphone et s’aperçoit avec stupeur que la finale de la coupe du monde France/Croatie se déroule depuis un bon moment et non pas à 20h comme il le croyait ! Vite on allume la TV pour entrevoir les cinq dernières  minutes : 4 à 2, on est les champions !

mardi 18 décembre 2018

Pour tes yeux. Bastien Vivès.

Flirt avec une étudiante en lettre qui lit très peu.
La rousse ingénue est dans chaque dessin d’un narrateur invisible.
L’auteur rend admirablement les vibrations des sentiments, la légèreté et la poésie, sous un regard amoureux quand la réalité devient plus lumineuse. Les dessins au crayon de couleur saisissent des situations banales et en expriment tout le charme. Comme il y a très peu de mots, ceux-ci prennent toute leur importance. 130 pages originales et attrayantes.
La tentation est grande de faire la distinction entre cet album gentiment érotique avec « Polaris ou la Nuit de Circé » de Fabien Vehlmann et Gwen De Bonneval qui pourrait entrer dans la catégorie pornographique. Mais le dessin pataud, le propos bavard, le scénario emberlificoté rendent ces 150 pages simplement ennuyeuses, quand une commissaire de police enquête dans un milieu d’échangistes esthètes.

lundi 17 décembre 2018

Les Veuves. Steve McQueen.

Le film est réussi car on a bien envie que les quatre femmes parviennent à leur fin.
Twists dans le thriller. Résilience pétards au poing. 
Les retournements de situations ne manquent pas pendant plus de deux heures qui passent allègrement : le réalisateur anglais a monté efficacement les scènes où les actrices s’amusent bien, sans nous étourdir.
A Chicago, les jeux politiques sont ahurissants, les nanas ne se laissent pas aller et chacune dans son genre essaye de se sortir de situations difficiles avec un entrain communicatif.
Les hommes rivalisent de cruauté, de cynisme, de lâcheté, et la violence ne vient aux femmes qu’à la dernière extrémité : la caricature va bien au genre quand l’humour vient s’en mêler.