jeudi 31 mai 2018

Bonnard, des Nabis aux intérieurs feutrés. Damien Capelazzi.

Les amis du musée de Grenoble avaient encore matière à apprendre à propos de celui qui avait d’autres qualités à faire valoir qu’une ascendance dauphinoise : « une figure essentielle pour comprendre l’évolution picturale qui va de l’académisme à la fulgurance de la modernité ». Nu dans le bain. Pierre Bonnard né en 1864 à Fontenay- Aux- Roses est devenu incontournable en ce siècle, de Paris à Dallas, depuis l’exposition organisée par Jean Clair en 1984, sans oublier son Musée au Cannet où il a fini sa vie en 1947. http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/01/misia-au-musee-bonnard-du-cannet.html
En parallèle d’études de droit, il fréquente le cours Julien et les Beaux Arts où il rencontre Vuillard. Pendant l’exposition Universelle de 1889, les jeunes gens sont fascinés par les œuvres des artistes qui suivent Gauguin. Ronde des petites Bretonnes
Dans le groupe des « Nabis », il est jugé « très japonard ». Son paravent à la détrempe, technique de ceux qui réalisent des décors de théâtre, capte bien la lumière.
Le peignoir, huile sur velours, au format inhabituel, gagne en profondeur avec ses lignes sinueuses.
Et il convient d’aller regarder de près les touches qui donnent tant de vitalité au chien bondissant à côté de ces Femmes au Jardin représentant les quatre saisons.
La recherche de la lumière est couplée à celle de l’instant : Le chat blanc s’étire.
Sans s’engager dans la modernité d’une façon obsessionnelle, il fait « provision de vie » dans la ville. L’omnibus.
Chaque fois qu’une danseuse est par là, Degas n’est pas loin. Le ballet, rassemble comme de « petites marguerites ».
Il dessine aussi des affiches pour La revue blanche.
Le timide, le silencieux est foudroyé par la beauté de Marthe de Meligny qui lui cachera son âge et sa réelle identité pendant trente ans d’une vie commune où il réalisera 150 toiles, 700 dessins où elle est le modèle, bien qu’il ne soit pas un « peintre de modèle » car il s’exprime de mémoire. Elle l’a désamarré du groupe des nabis qui la détestait. 
L’indolente ouvre les jambes et se couvre pudiquement le haut, en une chorégraphie rythmée par le maître de l’équilibre.
Au tournant du siècle, Duchamp a déjà proclamé la mort de « la peinture rétinienne », Gauguin a essayé de se suicider, Toulouse Lautrec n’a plus envie de vivre. 
L’homme et la femme fait allusion à un drame de Maeterlinck où les parents ont appris la mort de leur enfant. Ombre et lumière se scindent, la construction est pyramidale d’un côté du paravent, rectangulaire de l’autre.
Les reflets dans les miroirs permettent des cadrages forts dans ses nombreux sujets de femmes à la toilette. Effet de glace (Le Tub)
Le corps noyé par la décoration est inondé de lumière dans Le Cabinet de toilette au canapé rose.
La toilette rose en serait presque d’un cubisme décoratif.
Il s’installe à quelques kilomètres de Giverny au pays de Monet, l’irrévérencieux, devenu le père de la peinture française. Fenêtre ouverte sur la Seine.
Le temps qu’il fait s’invite dans le temps qui passe et exacerbe le présent. Ainsi dans ses Agendas.
« Les fauves » avaient donné leur point de vue du côté de la Salle à manger à la campagne.
Les jardins, les maisons ont toujours une grande importance : Le grand jardin.
Au Grand Lemps, L'après-midi bourgeoise se passe avec la famille Terrasse du nom du compositeur, époux de sa sœur.
C’est elle dans Le corsage à carreaux avec une véritable installation de chats.
Les tableaux dans le mouvement urbain, Scènes de la place Clichy, alternent avec ceux du sud. 
La Méditerranée est exposée à Saint Petersbourg. 
« Il ne s'agit pas de peindre la vie. Il s'agit de rendre vivante la peinture »
La symphonie pastorale présente un travail dans une double temporalité. Alors qu’il était établi que le dessin accompagnait la pensée et la peinture l’émotion, le dessin saisit aussi la sensation.
Les couleurs sont radieuses, mais je ne saurai plus voir un autre Nu dans la baignoire, emblème du bien être, de la même façon, depuis que ceux-ci étaient devenus une obsession pour Marthe qu’il épousa sur le tard, 
juste avant que Renée, La jeune fille dans le jardin, se donne la mort.
Son autoportrait en Boxeur est assez inattendu pour cet homme réservé ; la formule « beaucoup de petits mensonges pour une grande vérité » s’appliquerait au-delà de l’art quand la soif de vivre peut s’accommoder de la mélancolie.
L’ Intérieur Blanc a été acquis par le musée de Grenoble, en 1933, l’année suivant sa réalisation. Lui qui s’amusait à retoucher ses toiles déjà accrochées, laissera le soin à son beau frère Terrasse de terminer sa toile ultime, L’amandier. « Oeuvre d’art, un arrêt du temps »

mercredi 30 mai 2018

La « fièvre » du japonisme. Catherine De Buzon.

Qu’est ce qui dans les arts décoratifs et l’architecture a voyagé, s’est enrichi, entre l’Extrême Orient jusqu’à l’Extrême Occident ?
The  Farnsworth house, manifeste de l’architecture contemporaine (1950), de Miers Van der Rohe a introduit devant les amis du musée de Grenoble, les propos de la conférencière qui nous avait déjà donné des repères historiques
et picturaux
La sobriété, la richesse ornementale, les sujets, les motifs, le style, la philosophie qui ont influencé les arts décoratifs, constituent le « japonisme » en ses soies, laques, paravents, porcelaines et ses kakemonos.
Dès le XVII°, Mazarin avait commandé 26 coffres dont ces Fleurs de magnolias et oiseaux, mais peu après l’empereur du Japon interdira toute exportation d’objets en laque, sous peine de mort.
La compagnie des Indes Orientales des Provinces Unies (Pays Bas) était la seule habilitée à commercer au pays du soleil levant. Pour renouveler les contrats auprès du Shogun, le directeur, qui était assigné à résidence à Dejima, une île artificielle située près de Nagasaki, devait chaque année traverser le pays en un trajet de trois mois. 
Une Plaque en faïence de Delft du XVIIIe siècle imite la porcelaine avec les oiseaux branchés en décor, sans soucis de réalisme ni d’échelle.
Un Secrétaire en acajou de Cuba et panneaux en laque du Japon dans le style Louis XVI est représentatif des influences croisées dans le mobilier qui pouvaient se retrouver dans des formes aux lignes plus sinueuses telle cette Commode à décor de laque du Japon (1755).
Le prince de Condé créa la manufacture de Chantilly
où sont reproduits des porcelaines Kakiemon dit “A l’écureuil”
alors qu’à Dresde était découvert enfin le secret de la cuisson du kaolin.  
Porcelaine de Meissen.
En arrière plan de Madame Monet en costume japonais par Monet, se devine une image de poissons comme ceux de  Braquemond dont  Mallarmé disait : 
« Je devrais particulièrement citer, comme traduction du haut charme japonais faite par un esprit très français, le service de table demandé, hardiment, au maître aquafortiste Bracquemond : où se pavanent, rehaussés de couleurs joyeuses, les hôtes ordinaires de la basse-cour et des viviers » Plat à poisson Manufacture de Creil & Montereau.
Exemple éclatant du style anglo-japonais, La chambre du paon de Whistler est comme un coffret précieux.
Si les estampes sont parfois expressives ou bavardes quand il s’agit d'un dragon (Ryu) d’ Utagawa Yoshitsuya, les affiches qui en sont inspirées avec des moyens réduits sont efficaces. 
Steinlen fait la réclame pour un cabaret de Montmartre. 
Peut on parler de « japoniaiserie » quand cet arrosoir de Boucheron est en vermeil or et argent,
ou avec cet audacieux collier de Charles Boutet de Montvel
Ce serait hors de propos pour les enchantements venus de l’art nouveau, appelé Arts and Crafts en Ecosse avec Mackintosh et sa maison pour un amateur d’art.
Son mobilier est construit autour du carré : Willow chair.
Toute l’architecture japonaise s’organise à partir des dimensions d’un tatami (91 cm X 182 cm), deux carrés, c’est l’unité de mesure, on parle ainsi d’une pièce de 8 tatamis.
Dans cette veine harmonieuse, Hoffmann appartenant au mouvement de La Sécession viennoise réalise Le Sanatorium Westend.
Avec l’immémorial pavillon de thé nippon, modeste, dépouillé, tout fait sens depuis le jardin et le chemin qui y conduit, le choix des matériaux et du lieu.
A Kyôto Tokujin Yoshioka en a reproduit un en verre sur la terrasse d’un temple, insistant sur le contact avec la nature.
Les structures rythmées conviennent aux standardisations contemporaines, le modernisme rejoint la tradition, la simplicité convient à la profondeur du temps. Peut on lier plus intimement l’homme et son environnement que Frank Lloyd Wright « architecte organique » et sa maison sur la cascade ?
« L'art du thé en général implique l'harmonie entre les Trois Pouvoirs: le ciel, la terre et l'homme. Le ciel fournit la lumière du soleil, la brume et la pluie qui sont nécessaires à la culture du thé; la terre donne le sol qui nourrit toutes sortes de plants du thé, l'argile qui sert à façonner toutes sortes de céramiques dont on use pour le thé, les sources jaillissant du rocher qui procurent l'eau pure pour l'infusion. À cela l'homme ajoute le talent qui associe les feuilles de thé, l'eau et les céramiques pour donner naissance à un art plein de séductions. » John Blofeld


mardi 29 mai 2018

Paysage après la bataille. Eric Lambé Philippe De Pierpont.

Excellent titre pour ce gros livre, un livre fluide dont on parcourt les 400 pages, curieux de découvrir le mystère d’une femme s’installant hors saison dans un camping.
Les dessins, touchent à l’abstraction à force de dépouillement et leurs attraits graphiques approchent subtilement une réalité où un drame passé se révèle et se surmonte.
Des citations ne seraient pas significatives, tant les mots sont rares, mais chers, dans cet univers silencieux. 
Les paysages sobres se peuplent d’images d’un passé à recomposer.
Le gardien reconstitue des puzzles, un bûcheron  ancien boxeur nous apprend ce qu’est un « shadow partner », un couple de gentils retraités se montre parfois indiscret.   
Le Fauve d'Or du  festival d'Angoulême 2017 a récompensé cette œuvre poétique, variante bienvenue dans la bande dessinée où humour, reportages, séries fantastiques, occupent plus volontiers les rayonnages.

lundi 28 mai 2018

Le ciel étoilé au dessus de ma tête. Ilan Klipper.

Les états d’âme d’un écrivain quinqua hystérique ne constituent pas qu’un film - comme on ne dit plus - germano pratin de plus. La famille juive caricaturale à souhait donne un caractère comique au film. Mais il  a d’autres ambitions : telles que d’emprunter la ligne de crête qui passe entre folie et raison, créativité et conformisme, solitude et perte de personnalité. Les relations transitant par les réseaux sociaux sont vivement traitées, ainsi que la précarité des situations, la volatilité des accointances, la lucidité dissolvante et les dénis les plus butés.
Les acteurs sont excellents. Le film empruntant les pistes les plus inattendues, nous assourdit et nous secoue, nous renseigne sur l’époque, tout en nous fournissant un moment agréable de distraction.
La formule complète de Kant parle après « le ciel étoilé » de « raison morale au fond de mon coeur » ; celle-ci morale ou non a déserté la chambre encombrée de l’éternel étudiant.

dimanche 27 mai 2018

Achterland. Anna Teresa De Keersmaeker.

Je ne savais rien avant cette représentation sauf le plaisir de spectacles précédents
que j’avais quittés en état de lévitation.
Alors plus dure a été la chute, même pas amortie par le fait d’apprendre qu’il s’agissait de la reprise d’une création de 90. C’est qu’en particulier concernant l’image de la femme, les temps ont changé, depuis que les porcs se sont fait charcuter. Le jeu avec les stéréotypes, petites culottes, talons aiguilles, a pris un coup de vieux. Et ce n’est pas en ridiculisant un incongru bonhomme sans pantalon aux mouvements de bassin pathétiques que les coups se rattrapent.
La chorégraphe nous a toujours enchantés par sa précision encore présente et aussi par la concordance des gestes avec la musique. Et là, les compositeurs György Ligeti peu délié et Eugène Ysaÿe aux sonorités très expressives pour elles-mêmes, ne facilitent pas la tâche, malgré d’excellents interprètes au violon et au piano.
Quand la musique s’arrête, les tapotements discrets ou les courses ténues parfaitement coordonnées nous font retrouver notre chorégraphe bien aimée.
J’ai tenté de prendre ma revanche sur mes camarades de MC2, lassés de Galotta qui présente aujourd’hui moins de danseurs courant sans cesse sur le plateau que ce soir.
Mais passer la moitié de l’heure et demie en installation de plateau avec danseurs couchés par terre m’a lassé tout en me rappelant des élèves friands de glissades dès qu’ils voyaient une surface lisse.
Les huit hommes et femmes se rejoignent parfaitement avec pour chaque tableau, l’un d’eux « à la bourre », mais ils paraissent solitaires et ne produisent guère d’émotions.
L’harmonie ne tient pas, le temps est long dans cette arrière pays daté.

samedi 26 mai 2018

Le mec de la tombe d’à côté. Katarina Mazetti.

Lu d’un trait comme on s’envoie un verre d’aquavit, avec des rires quand ça arrache.
Un agriculteur vient fleurir la tombe de sa mère et rencontre une jeune veuve bibliothécaire.
Sur la trame classique d’un amour entre deux êtres que tout oppose, l’humour et le romantisme de ce livre en ont fait un best seller en Suède (500 000 exemplaires pour 9 millions d’habitants).
Tous les stéréotypes sont revisités: chacun donne son point de vue en chapitres alternés, surjouant son personnage.
L’humour permet les explorations les plus intimes: horloge biologique, identité et concessions,  les amis, les maisons... Jamais le style ne méprise:
« Impossible de décrire ce sourire là sans plonger dans le monde merveilleux des vieux standards de bal musette. »
La fracture culturelle est explorée, labourée avec une vigueur en aucun cas vulgaire :
« J'étais tombé amoureux d'elle. Ce n'était pas exactement un déclic. Plutôt comme quand je touche la clôture électrique sans faire gaffe. »
Sentimental et expérimental, quand il s’agit de « réparer une bulle de savon éclatée » :
«  Je veux bien utiliser les moyens du bord et faire flèche de tous bois. Mais tout ce que j’ai sous la main, c’est une poignée de brindilles toutes tordues. »
Très d’actualité :
«  Ce n'est pas parce que je suis un homme que je vais endosser ce que font les autres hommes ! Est-ce que toi tu endosses la culpabilité de toutes les saloperies que les blancs ont faites aux autres races ? Et toi, tu es une vraie blanche ! » Beige, même.
Ces 250 pages se concluent d’une façon ouverte et inattendue avec ce qu’il convient de gravité.
A votre santé !

vendredi 25 mai 2018

Un arbre en mai. Jean Christophe Bailly.

« Les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles  à certaines heures pâles de la nuit » chantait Ferré, alors que dire pour les auteurs qui m’ont déçu comme Djian ou Despentes, méprisant leur public à Bron où j’étais venu les écouter, ou Bailly contredisant sa volonté d’accueillir des paroles singulières et s’énervant bien vite quand un intervenant cite un auteur qui ne lui convient pas ou minimisant le rôle des cathos de gauche ?
J’ai pourtant aimé ce dernier livre fin, sensible, nuancé, chaleureux, honnête, plus poétique que politique, du magistral auteur du "Dépaysement" http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/09/le-depaysement-voyages-en-france-jean.html
Il a su retranscrire la fièvre d’alors et le souffle qui nous emmena au dessus de nos conditions.
Il mesure le temps qui a passé, depuis ces jours entre Nanterre et le quartier Latin qui ont nourri son travail  d’écrivain au-delà de la thématique de 72 pages écrites en 2004, édités pour le cinquantenaire. 
«  Plus l’action politique devenait astreignante et répétitive, plus la part de poème se chargeait d’illusion, de nostalgie, elle protestait en face d’une efficacité d’ailleurs de moins en moins probante, elle protestait contre le fait même d’être une part, un contre-chant, une évasion. »
Après une nuit d’émeute, le chant des religieuses qui l’ont caché avec quelques comparses, affirme la beauté des matins.
« Peut être pourrait-on dire que de mai la mort fut absente » écrit-il alors que la belle métaphore de l’arbre de mai enraciné dans l’histoire et porteur d’avenir lui semble mort aujourd’hui.