samedi 31 mars 2018

Alias Caracalla. Daniel Cordier.


Prendre le nom que lui avait accordé Roger Vaillant dans son livre « Drôle de jeu », comme titre de cet imposant témoignage historique, insiste sur la dimension romanesque du destin de Daniel Cordier qui porta bien d’autres noms.  
Engagé à 18 ans dans la France libre, il faut bien 1144 pages pour décrire l’évolution personnelle qui mène le jeune admirateur de Maurras au secrétariat de Jean Moulin, et à travers les péripéties vécues parmi les membres éminents de la résistance, mesurer à quoi tient le destin d’une nation.
En entendant en juin 40 Pétain demander de cesser le combat, l’indignation du jeune homme va le conduire vers des responsabilités énormes telles que les portaient les révolutionnaires de 89 :
« Les boches seront impuissants si quarante millions de français se lèvent contre eux. Il faut soulever le pays d’une fureur sacrée, l’organiser et combattre. »
Les termes employés sont obsolètes et les restituer ainsi ajoute à la sincérité du récit :
«  Ma patrie, l’orgueil de ma vie, la gloire de l’univers, désignée par Dieu pour défendre sa foi, pour répandre la civilisation, modèle du genre humain… »
Il ne reverra pas sa famille, une fois revenu en France après sa formation en Angleterre,  clandestin exilé dans son propre pays.
« Je contrôle tous les courriers, la liaison avec Lyon (il est alors à Paris), les transmissions avec Londres, les codes et surtout, le magot. »
Si l’on peut se perdre dans la profusion des personnages rencontrés aux identités masquées, des permanences de comportements politiques ont traversé le siècle :
« Le trotskisme : Un militant c’est un parti ; deux : un congrès ; trois : une scission »
Et si les stratégies des mouvements politiques peuvent sembler dérisoires en ces heures qui ne paraissaient sombres qu’à une minorité, elles préparaient la Libération, ce ne fut pas facile. Moulin qu’il ne connut alors que sous le pseudo de Rex disait :
«  Les français ne changeront jamais ! Même dans les situations désespérées, ils sont incapables de s’unir. Les Allemands sont à Marseille, Pétain à Vichy, Giraud à Alger, De Gaulle banni à Londres, et les mouvements se comportent comme si nous avions déjà gagné pour établir leur pouvoir »

vendredi 30 mars 2018

En progrès.


J’ai hésité, en ces jours plombés, à publier mon article tel que je l’avais préparé avec un ton quelque peu décalé, et puis finalement Jaurès, même redécouvert à l’occasion de France - Angleterre de rugby, conviendra :
« Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remord pour le présent, et une confiance inébranlable pour l’avenir.»
L’idée de progrès n’en finit pas d’être mise en question, Jaurès a été assassiné à la veille de la première guerre mondiale. Mais il a fallu encore bien du sang dans le dernier siècle pour que les utopies totalitaires se calment alors que d’autres s’incrustent et « que nous regardons ailleurs ». Il était banal de repérer la distance entre les progrès techniques et les perfectionnements humains mais l’un impacte l’autre, sans aller forcément vers le mieux. Quelques hallucinés moyenâgeux peuvent avoir le portable « dernier cri » à l’oreille.
Le poids des traditions s’est allégé et la technique nous a libérés de bien des taches répétitives. Mais nous voilà sous la coupe d’autres contraintes qui ont transformé nos rapports au monde et nos personnalités. Nos grands parents avaient connu l’arrivée de l’électricité et de l’automobile, quant à ma génération, avons-nous pris la mesure de la révolution de l’information ?
Et au-delà des machines à café, les bestioles que nous sommes qui ne manquent pourtant pas de vitres où se mirer, se sentent mal. «  La vaporisation de soi dans un monde sans limite » dans le magazine « Lire » à propos de la crise de la psychanalyse dit bien l’ivresse contemporaine, notre évanescence et la difficulté de cerner les problèmes.
Faut-il remiser sur une étagère le kaléidoscope où se superposent images et mots qui affolent nos raisons ? Et prendre ses croquenots pour s’en aller sur les pentes ou sur les boulevards?
C’est alors que le mot « En Marche » ressort. La marque déposée se fait secouer dans l’exercice du pouvoir, mais persiste à désigner l’énergie, le courage, voire « one step » pour aller vers le haut. Notre pays est gouverné, par celui qui ne confond pas La France et un parti politique, prenant en compte la diversité de ses opinions, redonnant à notre pays un rôle ambitieux dans le concert discordant des nations.
A titiller les métaphores galopantes, reviennent des images de chevaux ferrés à l’envers pour tromper les poursuivants, valables  pour les « Marcheurs » comme pour leurs opposants, tant les directions semblent brouillées.
Qui est le plus rétro ? Marcheurs contre Marchais, tchatcheurs contre Thatcher ?
Je ne suis plus, de ces contemplatifs des grands soirs dès le matin, ni de ces preneurs de palais d’hiver chaque printemps; j’en fus.
L’inépuisable : «Il faut que tout change pour que rien ne change ! » du Guépard désigne quels conservateurs? Ce qui donne en version Lacan: « La répétition demande du nouveau .»
Et tant qu’à miser sur les mots, j’aime revenir sur l’insistant « en même temps », honnête lorsqu’il évite d’être paralysant. Il porte nos ambivalences, Mr Hyde double face, gentil/méchant,
« La tendance la plus profonde de toute activité humaine est la marche vers l'équilibre. » Piaget.
A jouer sur la focale, passant du local au général, de l’anecdotique à l’acrobatique, le perroquet en a les plumes ébouriffées.
Dans un monde où les clameurs populistes montent, nous ne sommes pas si mal chez nous avec nos plaintifs coutumiers, nos batailles aux décors en carton mais nous savons reprendre une pinte d’estime de nous mêmes à voir notre pays dans le regard des autres locataires de la planète.
Je me sens moins seul dans mon ignorance crasse en économie, tant les commentaires sont rares en cette matière, mais il me semble qu’il y a de la reprise dans l’air, que le chômage cesse d’augmenter et que le déficit public se réduit : ce n’est pas rien, non ?
……………
En tête un dessin de « Charlie » et ci-dessous Plantu du « Monde ».

jeudi 29 mars 2018

Les papes Médicis. Serge Legat.


A la suite de Jules II, malgré des temps furieux, deux papes cousins, vont prolonger leur engagement envers les arts, ce qui justifie le titre du cycle de conférences devant les amis du musée «  Fastes et splendeurs de Rome sous les papes de la Renaissance » par Serge Legat (du pape).  
Léon X. 
Giovanni de Medicis (1475-1521) fut souverain pontife pendant 18 ans sous le nom de Léon X. 
Il est le second fils de Laurent le Magnifique dont le buste en terre cuite de Verrocchio, le maître de Léonard de Vinci, est saisissant.
Il figure sur la Confirmation de la règle franciscaine de Ghirlandaio, maître de Michel Ange, avec  au premier plan, Pierre son frère aîné. Celui-ci  surnommé « Le malchanceux » ou « Le fat »devint maître de Florence mais devra fuir la ville. Giovanni, préparé très tôt pour une carrière ecclésiastique, reçoit le chapeau de cardinal à 13 ans. Cette scène religieuse parasitée par les puissants de l’heure fournira des arguments à un Savonarole qui ne voyait pas d’autre glorification que celle de Dieu.
Peint par son triomphant surintendant artistique, Raphaël, Léon X, sous son camail, est accompagné de deux conseillers, dont Jules de Médicis, le futur Clément VII. Grand protecteur des arts possédant une bibliothèque exceptionnelle, le gourmand esthète, dont quelque flatteur disait : « Après César, Auguste règne » eut des funérailles très modestes en contraste avec  les fastes qu’il déploya. Les offices multipliés et les indulgences devenues monnaie courante ont alimenté l’opposition frontale avec la religion réformée. Il ne voulut pourtant pas exacerber la lutte avec eux et juste au moment de la cassure du monde chrétien, lorsque Luther est excommunié pour avoir brûlé la bulle papale dénonçant ses erreurs, sa sainteté meurt . Les problèmes religieux sont imbriqués avec les tracas politiques.
Le diable est en face du pape entouré par Henri VIII (à gauche) et Charles Quint (à droite).
Raphaël, « Le maître de Rome » très sollicité, représente dans « la chambre de l’incendie » un autre Léon, Léon IV, éteignant L’incendie du Borgo d’une bénédiction. L’élégante et puissante porteuse d’eau sera souvent citée par ceux qui pensèrent comme Vasari: « Quand Raphaël mourut, la peinture disparut avec lui. » http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/01/raphael-un-genie-de-la-renaissance-c-de.html .
Il meurt épuisé à 37 ans. Ses élèves ont pris la relève au Palais apostolique du Vatican. Dieu sépare la terre et les eaux  dans la loge dite de Raphaël 
où des « grotesques »  copiés de l’antique apparaissent. C’est de ce temps là que date le mot quand un jeune romain crut tomber dans une "grotte" aux motifs surprenants : c’était la « Maison Dorée » ensevelie, celle de Néron.
Clément VII.
Julien de Médicis dont le portrait a été exécuté par Botticelli, n’a pas survécu au complot des Passi. Le fils qu'il avait eu avec sa maîtresse devint pape sous le nom de Clément VII (1478-1534) après le pontificat très court (1522-1523) du plus vertueux des papes, Adrien VI, mais aussi le plus détesté : il n’était pas italien.
Avec Clément VII, ici par Sebastiano del Piombo, peu préoccupé de théologie, qui a été conseiller de son cousin, le luxe et les artistes reviennent. Mais son pontificat fut dramatique avec l’hémorragie des fidèles anglais suivant leur souverain Henri VIII dans sa séparation avec  l’église catholique suite au refus du pape d’annuler son mariage.  
Il eut fort à faire aussi avec Charles Quint (par Rubens). Il s’allie avec François 1er  qui a été fait prisonnier à Pavie, mais le Charles V en question, de l'empire romain germanique, dit Charles II en Bourgogne et Charles Ier en d'Espagne, va encourager les Colonna, rivaux des Médicis, à envahir Rome pour se poser en sauveur après avoir humilié le pape, obligé de se réfugier dans le château Saint Ange et qui devra le couronner empereur.
La population de Rome va passer de 50 000 personnes à 10 000 sous les coups horribles d’une armée composée de lansquenets allemands et de troupes espagnoles et italiennes : c’est à nouveau un abominable Sac de Rome, (Francisco J. Amérigo ) qui va durer un an jusqu’à une épidémie de peste. La Renaissance est morte.
Parmi quatre cents personnages, le Christ du Jugement dernier que Michel Ange a réalisé pour le mur de l’autel de la chapelle Sixtine, condamne l’humanité d’une main vengeresse malgré l’intercession de la vierge et de Marie Madeleine. Le maniérisme ne laisse plus d’espace. Le pape défendra cette vision douloureuse mais ne verra pas achevée l’œuvre qu’il avait commandée.
Et malgré les repeints de pudeur de Daniele da Volterra « Il Braghettone» et les attaques très dures de la curie, la « Terribilita’ » nous est parvenue. Merci seigneur !
« La Renaissance ne se présente pas comme un progrès continu. La beauté y a constamment côtoyé la cruauté, et l'ombre la lumière. » Jean Delumeau

mercredi 28 mars 2018

6 mois. Printemps été 2018.


En 2050, 70% de la population mondiale vivra dans les villes : « la bombe urbaine ». 
Dans ce numéro consacré aux « villes folles »: Lagos, Vientiane, Dubaï,
j’avais remarqué une photo d’un gars habillé d'un ensemble d’un blanc éclatant s’apprêtant à prendre une barque au dessus du cloaque où il survit.
Je l’avais montrée à un ami qui vit une période difficile pour qu’il essaye de relativiser ses problèmes et assurer les apparences ; une autre amie y a vu la patte d’une femme en arrière plan qui assure toujours dans les moments les plus délicats.
Pendant les 300 pages du semestriel nous pouvons être étonnés, choqués et aussi sourire, tant les reportages photographiques dans leur diversité sont de haute tenue.
En 2018, pas un pas sans un réfugié : cette fois avec des enfants en Turquie.
Nous revenons à ce qui fut Stalingrad et suivons de jeunes américains dans un camp patriotique, nous pouvons comparer, en vis-à-vis, des amérindiens dans leur costume traditionnels ou ayant revêtu le maillot du PSG, alors que celui de l’OM est bien plus seyant.
Nous posons un regard qui se veut différent de celui des touristes dans une île d’Estonie où les femmes des pêcheurs comptent sur le tourisme pour perpétuer leurs coutumes en costumes traditionnels…
Le monde des jeux vidéos me parait très exotique, des jeunes en font profession, avec écoles, sponsors, chaîne de télévision dédiée, 12 000 spectateurs à Bercy pour un show.
Les domestiques natives des Philippines sont une véritable manne pour leur pays, comme les marins.
L’album du voyage autour de la terre d‘une famille de Fontainebleau parait fade à côté de diapositives familiales dans une Angleterre des années 60 sans prétention mais qui ont la profondeur du temps.
La photobiographie de notre Gégé, Gérard Depardieu, est épatante, le monstre est costaud.
J’espère que le fiasco de l’ « Ebdo » qui appartenait au même groupe de presse ne  compromettra pas la sortie d’un prochain numéro de cette entreprise éditoriale originale.
Comme pour XXI, la périodicité a été déterminante dans leur succès. Et lorsqu’ils ont déboulé dans la jungle des hebdos, leur tendance à donner des leçons à la profession n’a pas attiré beaucoup de compassion quand ils sont sortis du jeu, surtout après avoir mis en scène l’affaire Hulot qui s’est révélée foireuse.

mardi 27 mars 2018

Vive la marée ! David Prudhomme & Pascal Rabaté.

Belles planches dessinées.
- Si ça vous intéresse pas, faut le dire ! Je fais ça pour vous !
dit un papa à tatouages avec son foulard noué à la pirate et sa brioche, à ses enfants plus intéressés par le match de volley.
Ainsi va une journée à la plage où il ne faut pas confondre mouette et goéland.
Le bruit des tongs « le string des pieds » amuse deux ados qui fument derrière des arbustes assoiffés dans leur jardinière de béton.
Tout le monde s’affaire : des familles, des solitaires, des anciens promènent leurs chiens.
Tout ce qui se dit et s’invente est parfaitement saisi, pendant ce temps vacant où les crevettes se font rares même pour un monsieur hyper motivé.
Les couleurs franches du plein été adoucissent les portraits de personnages souvent malveillants à l’égard de leurs semblables, maladroits, bruts de décoffrage, snobs : comme nous. Une humanité mise à nu ou pas loin.
Des adultes font des châteaux de sable, « ils restent les enfants qu'ils ont toujours été ».
Les enfants qui apportent d’autres points de vue au dessinateur sont épargnés par cette vision que beaucoup de critiques trouvent poétique alors que l’ennui m’a semblé le principal protagoniste de cette fresque originale. La banalité parfaitement rendue fait le charme de ces 120 pages mais ne m’a  guère donné envie de poser ma serviette au bord de cette plage, sauf pour y lire une BD telle que celle-ci.

lundi 26 mars 2018

L’intruse. Leonardo di Costanzo

Le portrait d’une « juste » qui veille tard le soir sur son institution recevant des enfants défavorisés en milieu mafieux, est juste.
Cette forte personnalité ne s’en laisse compter ni par ceux qui font profession de violence ni par ceux qui voudraient faire peser sur les gosses la responsabilité de leurs pères.
Les acteurs sont crédibles dans cette fiction documentée.
Il fait bon savoir qu’il existe des îlots destinés aux petits, peuplés de lézards en carton, de machines brinquebalantes avec de belles personnes faillibles, courageuses et énergiques pour mener la farandole qui clôt tout film italien digne de son histoire.

dimanche 25 mars 2018

La danse de mort. August Strindberg. Benjamin Moreau.


Strindberg, ce sont de stridentes scènes de cruauté et de mensonges.
Avec trois excellents acteurs dont celui qui accompagne nos saisons depuis quelques années, Gilles Arbona, nous passons un bon moment au petit théâtre de la MC2
Un couple vieillissant, à l’approche de leurs noces d’argent (25 ans), jouit de ses dialogues empoisonnés, n’ayant même plus à répéter leurs méchancetés, tant ils se connaissent, sur la crête de l’attachement et de la détestation.
Solitude absolue : sur une île, dans une tour qui fut prison, la folie d'Alice et du Capitaine s’est accordée pour se couper de toute vie sociale, ils finissent abandonnés par leurs domestiques et séparés de leurs enfants.
Un cousin qui passait par là, d’abord bien accueilli, sera victime du couple toxique.
Ce visiteur révélateur, prononce de sages remarques: 
« De l'instant où tu auras cessé de te demander à qui la faute, tu éprouveras un soulagement. »
Le mari est un sous officier raté, en principe autoritaire, mais égotique à n’en plus pouvoir, elle, qui devait être actrice surjoue quelques pathétiques envolées et joue quelques notes au piano.
« Tu ne voudrais pas jouer pour moi ? »
« Tu pleures ou tu ris ? »