jeudi 13 avril 2017

Fantin Latour. Etienne Brunet.

A la suite de notre guide habituel nous faisant partager ses passions
aussi bien pour les artistes contemporains que pour les peintres patrimoniaux,
nous pouvons compléter notre approche récente d’un illustre grenoblois
resté fidèle à sa ville natale, bien qu’il n’y ait passé que les quatre premières années de sa vie commencée en 1836. 
Son père l’a inscrit à l’école des Beaux arts de Paris, la Petite Ecole, comme Rodin.
Il est renvoyé au bout de trois mois et fréquente beaucoup Le Louvre où il recopie par exemple cinq fois les noces de Cana.http://blog-de-guy.blogspot.fr/2017/03/deux-miracles-dans-la-bible-pierre.html
Ses natures mortes plaisent aux anglais, il va en produire autour de 400.
« Je n’ai jamais eu plus d’idée sur l’art dans la tête, et je suis obligé de faire des fleurs. En le faisant, je pense à Michel-Ange, devant des pivoines et des roses. Cela ne peut durer. »
Membre de sociétés, de cénacles, il se montre critique à l’égard des impressionnistes qui ne constituaient d’ailleurs pas vraiment un groupe, et poursuit un destin singulier, se montrant plus tard, proche des symbolistes. Après la disparition de ses parents et de ses sœurs qui furent ses premiers modèles, il trouve une nouvelle famille auprès de sa femme, elle aussi peintre, Victoria Dubourg« Nature morte ».
Parmi ses autoportraits, loin d’être fixés pour l’éternité, sont perceptibles les influences de Rembrandt, incontournable pour ce genre, et celle de Courbet qu’il a fréquenté.
S’il a pu se détacher des portraits de commande, il reprend des œuvres de jeunesse, revisite ses souvenirs, travaille avec peu de moyens et si Baudelaire ou Proust s’intéressent à lui, c’est qu’ils sont allés au-delà d’un premier coup d’œil qui aurait classé ses productions du côté de l’académisme, l’esthétiquement correct d’une époque, alors que Napoléon III fut à l’initiative du « Salon des refusés ».
Pois de senteurs et pieds d’alouettes ne sont pas des fleurs sophistiquées mais sous leur lumière hollandaise, aux fonds japonisants, ces fleurs correspondent au goût anglais.
« L'étude, portrait de Sarah Elisabeth Budgett », en attente avant l’expression, est remarquable et peut enrichir une citation qu’il avait fait sienne :
« On peint les gens comme des pots de fleurs» qu’il est utile de compléter par :
« ... heureux encore si on dessine l’extérieur tel qu’il est, mais l’intérieur, l’intérieur ? L’âme est une musique qui se joue derrière le rideau de chair, on ne peut pas la peindre, mais on peut la faire entendre. »
L’incommunicabilité qui apparaît dans ses fameux portraits de groupe, est-elle volontairement révélée ? Un pot de fleurs a remplacé un invité jugé indésirable par les autres poètes aux égos à vif.  
 Il est réjouissant d’apprendre que le lecteur au centre du« Coin de table » est Ernest d'Hervilly auteur d’un « Manuel du gêneur, ou l'Art d'être désagréable en société »
« Léon Maître » peut sortir de la toile et nous accompagner pour mesurer le travail nécessaire à la préparation d’un tableau avec des étapes consacrées à la couleur, à la composition, à la lumière.
Les lithographies vibrantes d’Ignace Henri Jean Théodore Fantin-Latour, témoignant d’un travail toujours appliqué, sont moins connues que ses natures mortes ou ses portraits tels « La lecture » où Victoria, alors sa fiancée, semble plus réservée que la vigoureuse Charlotte au ruban bleu « pétant ».
L’exposition garde des traces d’un tableau « Le toast » qu’il avait détruit
et présente notamment dans la tour des photographies de femmes nues qui lui servirent de modèle pour « La Nuit » par exemple.
 « La danse » tourne sous toutes ses faces.
153 œuvres parmi 2500 répertoriées sont présentées, provenant d’autres musées français mais aussi des Etats-Unis, du Danemark, du Portugal, de Belgique, d’Irlande…
« Nature morte au coupe papier » 
C’est Eugène Carrière dont le tableau « La tendresse » appartient au musée de la place La Valette qui prononça l’éloge funèbre en 1904 du plus classique des modernes.
« Nature morte de fiançailles » « Chaque tableau apporte avec lui un carré de silence et une raison à notre ramage intérieur de s'interrompre. » Paul Claudel

mercredi 12 avril 2017

Equateur J 18 : Agua Blanca Salango.

Pas besoin de se lever aux aurores ce matin, nous prenons le petit déj’ à huit heures face à la mer derrière les vitres du premier étage de l’hôtel. Le temps n’est plus au beau comme hier et ne se lèvera pas.
Aujourd’hui, nous visitons dans le parc de Mechalilla la commune autogérée de Agua Blanca.
Nous avons droit à un guide local, Paul, descendant du peuple manteña (VII° au XVI° siècle) que traduit José.
On commence par un musée modeste et émouvant, car les Manteñas promeuvent et tentent d’exploiter leur culture sans financement de l’état, qui ne peut pour l’instant les soutenir.
D’où une urne funéraire réparée au chatterton. Sans aucune recherche scientifique officielle, les descendants protègent comme ils peuvent les vestiges mis à jour.
Note guide nous engage à le suivre sur un sentier aménagé dans la forêt, et déjà échaudés nous nous bombardons de 5/5 au cas où.
Un pont de singe nous conduit vers un secteur archéologique où trois reproductions d’urnes funéraires sont exposées in situ sous des boites en verre.
Puis nous nous promenons dans la forêt sèche, traversons un petit ruisseau en marchant sur des sacs de sable, parmi les cochons qui farfouillent.
Ce petit ruisseau n’est que la reste d’une grande rivière navigable utilisée par les Manteñas sur de bateaux en balsa afin de commercer. Autrefois, il montait jusqu’à 4 ou 5 m, comme en témoignent les parois creusées par l’eau. De l’autre côté du gué le sentier longe la rivière dans la forêt.
Nous pouvons apercevoir un oiseau spécifique du coin, un geai bleu,

des papillons,qui adoptent la couleur de l’arbre pour échapper à leur prédateur, des écureuils plutôt gris qui sautent habilement de branche en branche et un petit cardinal rouge qu’aucun appareil photo n’a pu capturer.
Nous franchissons des barbelés grâce à de petites échelles en bois, poussons différents portillons de bois, pour voir les cultures maraîchères, et des  bananiers, protégés des chèvres et des cochons.
Sur un espace en hauteur et dégagé il y a un site manta. Des vestiges d’un temple du soleil sont balisés par des piquets au sol pas encore déblayés et exploités mais repérés.
Plus loin nous voyons des kapokiers entourés de flocons cotonneux, volatils et sur le chemin du retour, nous surprenons cachées par les arbres, des femmes qui font leur toilette et leur lessive.
Nous retraversons le gué et nous nous dirigeons vers la piscine d’eau sulfureuse bien arrangée de forme circulaire derrière une petite barrière de branches qui sert plus de décoration que de protection.
Paul nous abandonne là et José s’occupe de trouver deux employées en uniforme d’aide soignante pour enduire de boue argileuse notre petite équipe qui s’est mise en mailllot de bain sous une bruine vaporisante.
Je ne tente pas l’expérience mais prends des photos de mes compagnons barbouillés des orteils jusqu’au crâne. Ils prennent des allures de primates lors du séchage d’un quart d’heure, bras écartés et yeux écarquillés, chair de poule et poils collés. Pour se réchauffer, ils « dansent » sur la terrasse en bois puis  grimpent dans un arbre. On dirait des statues de Munoz, l’argile change de couleur peu à peu, et annonce le moment de passer dans le bain d’eau sulfureuse. Elle leur parait presque chaude et agréable malgré l’odeur. Après une douche d’eau douce et avoir réglé les deux employées (3 $/ personne) nous finissons le circuit qui ramène au village où nous attend Sixter notre chauffeur.

mardi 11 avril 2017

Un océan d’amour. Lupano . Panaccione.

Sur la quatrième de couverture un aperçu parmi les seuls mots figurant dans ces 245 pages :
« Ce livre ne contient que des idées pêchées au large, selon des techniques artisanales respectueuses de l’environnement… »
C’est bien vrai : dans cet album en forme de grande boite de sardines, on ne se sent pas serré; 
l’air du large nous parvient entre stéréotypes bretons rigolos et préoccupations contemporaines, tendresse et dérision.
Une réussite sans parole donc, mais très parlante, originale et valant pour tous les âges et toutes les conditions.
Le marin est maigrelet et sa  bigoudène bien en chair, le graphisme forcément efficace pour rendre cette histoire fluide, épouse les détours d’un scénario fantaisiste
mais par ses couleurs nous fait part des pollutions océanes, et de quelques solitudes.
Les mouettes ne sont pas muettes. 

lundi 10 avril 2017

The Lost City of Z. James Gray.

Grand film d’aventure, 2h 20, avec quelques longueurs nécessaires pour relater une épopée exploratrice qui a pu enflammer les imaginations au début du XX° siècle.
D’après une histoire vraie, le destin héroïque de Fawcett envoyé de la Société géographique royale d'Angleterre se prêtait bien à une adaptation cinématographique en couleurs.
Le militaire père d’une famille qui s’agrandit à chacun de ses retours depuis l’Amazonie où il essaie d’atteindre une citée perdue incarne la quête d’un ailleurs, entre jubilation face à la découverte et difficultés de rencontrer l'inconnu.
La cartographie du monde est à compléter. Et les violences indiennes sont semblables aux folies qui se déchaînèrent en Europe entre 14 et 18. La condition de la femme est plus subtilement traitée dans ce film ambitieux que les rapports père/fils dont on peut se demander si les dilemmes paternels étaient vécus de cette façon à cette époque.
Les causes du désir de revanche sociale du héros sont peu explicitées, mais il y tant de sujets à traiter depuis une chasse au cerf intense jusqu’à une conclusion où dans l’épaisseur d’une nuit inquiétante peuvent naître des interprétations diverses. Ainsi, sans insister, comme le serpent qui se faufile au moment d’un relevé topographique, sont revisités les rêves et les blocages d’une société corsetée, les découvertes épiques et la permanence des petitesses, loin des tartarinades, mais avec quelques émotions, du spectacle, du cinéma.
   

dimanche 9 avril 2017

La résistible ascension d’Arturo Ui. B. Brecht D. Pitoiset.

Brecht : oui, il n’y a pas si longtemps :
Pitoiset aussi à la MC 2 
La pièce de 1941 alerte sur la montée du fascisme.
La satire assimile le tyran dans sa soif de pouvoir à un voyou qui n’a pas que sa foi pour avancer, mais aussi un révolver, elle voudrait éclairer notre présent présidentiel.
Mais on a eu beau répéter la phrase du dramaturge allemand qui ne figure d’ailleurs pas dans la pièce : «  le ventre est encore fécond d’où est sorti la bête immonde », nous sommes toujours aussi impuissants face à la haine et aux mensonges. Ah que le doute, la fragilité sont enviables quand tant d’aplomb et de cynisme balaient tout sur leur passage, irrésistiblement.
La  présente réalité politique, saugrenue et violente, dépasse tellement le théâtre qu’une représentation, même brillamment mise en scène avec d’excellent comédiens, ne peut nous aider. Les allusions à la France sont bien plus présentes dans cette version que le contexte mafieux américain d’origine mais les gangsters ont beau avoir adopté le costume-cravate, ils sont toujours des gangsters, leurs règlements de compte nous importent peu.
« Oh ma patrie si belle et perdue ! »
« Le cœur des esclaves» de Verdi  ouvre les deux heures et quart d’un spectacle clôt par « O Fortuna » de Carl Orff qui accompagne un discours sans parole de Torreton : ce sont pour moi deux moments d’émotion. Je n’en ignore pas les ambiguïtés : la retransmission introductive provient d’un moment où les spectateurs en Italie se levaient et chantaient pour accompagner l’orchestre jouant devant Berlusconi et marquer leur désapprobation d’une diminution des budgets de la culture, mais cette musique accompagnait aussi Le Pen père dans ses meetings ; en outre l’attitude de Orff pendant le nazisme fut très discutée. Des images de l’incendie du Reichstag arrivent sur les écrans après celles d’une voiture de police qui flambe et des violences qui eurent lieu lors des manifestations contre la loi travail.
Le théâtre est en principe le lieu des dialogues et je suis frappé après coup par leur carence.
Ui monologue, les autres si peu des interlocuteurs ne lui servent qu’à ponctuer ses discours, jusqu’au moment fort de la gesticulation finale muette et glaçante, à rejouer en coupant le son des téléviseurs lors des retransmissions de meeting.

samedi 8 avril 2017

Oui, mais quelle est la question ? Bernard Pivot.

Difficile de ne pas voir dans ces 250 pages sautillantes vivement parcourues, une biographie fantasmée, tant nous aimerions mieux connaître l’auteur qui a accompagné nos lectures.
La promotion du livre prête à ces ambiguïtés.
Sa carrière de questionneur commença précocement quand il retourna les demandes adressées par un prêtre au confessionnal. 
Les talents d’interviewer développés par l’affable lyonnais devaient être infernaux pour ses multiples compagnes qu’il n’hésite pas à mettre en scène sous le feu roulant de ses questions.
Le carburant des discussions est une marque d’attention mais grignote la liberté de l’autre.
Si la curiosité est un moteur intellectuel  efficace, dans le domaine privé elle peut être un étouffoir.
Au bout d’un silence : « A quoi tu penses ? » peut susciter rebuffades et jérémiades du débusqué outragé.
La légèreté du célèbre animateur  d’ « Apostrophes » se donne libre cours est l’anodin :
«  Tu tires ou tu pointes ? »  peut révéler  celui qui  
«  voit juste, sa main ne tremble pas »  ou celui qui  
« parie sur la réflexion, la lenteur, l’habileté, la ruse. » 
Les chapitres qui portent des prénoms de femmes et quelques points d’interrogation :  
«  Et alors ? »  « C’était bien ? » » Tu m’aimes » « Combien ? » « ? » 
sont séparés par des questions qu’il aimerait poser au Seigneur quand il l’accueillerait au paradis :
« Seigneur, les Gaulois ayant inventé le tonneau, comment expliquer que Diogène, dit le Cynique, qui vivait à Athènes plus de trois siècles avant Jésus Christ, avait élu domicile dans un tonneau ? »
Le titre  de ce livre plaisant vient tout droit de Woody Allen :
« La réponse est oui. Mais quelle était la question ? »