vendredi 31 janvier 2014

Travail bien fait.



Perles :
Nos boites mails aiment bien les perles d’élèves, mais les profs en exercice goûtent modérément les contre-sens, les incongruités des jeunes qu’ils ont à enseigner.
Alors quand dans ses piles de copies ma prof extrait un devoir remarquable par son expression, sa finesse, son savoir : c’est un moment précieux, mais destiné à être tenu caché.
Elle se demande si ce ne serait pas desservir l’auteur de ses lignes devant sa classe à qui ne sont pas épargnées pourtant les récriminations quant aux incivilités de quelques uns, ni les grossièretés d’autres, participant à une atmosphère où il vaut mieux cultiver l’indifférence, le mépris que l’exigence. L’excellence se doit d’être discrète dans un établissement où demander à un élève de ramasser un papier frôle la maltraitance.
Les Star Academy, les agences de notation ne cessent d’imposer leur loi, les classements abandonnés depuis longtemps à l’école fleurissent dans les hebdomadaires qui daubent par ailleurs sur les notes à l’école.
Taf :
Sur une radio où « Les grandes gueules » sont une image de marque, un conducteur de chantier intervenait au téléphone :
« Quand je suis au taf, je regarde pas les gonzesses » à propos de François et sa Julie.
Je ne pouvais qu’approuver car il se faisait visiblement une haute idée de la fonction présidentielle.
Sur ce coup le maçon est plus respectable que le Vespasien.
Besogneux :
Le mot « travail » fut inscrit au dos de pièces qui n’ont plus court depuis longtemps et la réhabilitation des métiers n’a pas été favorisée par l’Exorbité à la barbe de trois jours, pourtant je frise l’aventure, si de surcroit, je qualifie la besogne de « bien faite ».
Alors que ceux qui ont un job sont souvent en mode stress, la conscience professionnelle pourrait devenir un sujet pour musée du folklorique, tant elle se dissimule et se fait rare.
Lorsque dans une conversation le sujet arrive sur ceux qui rénovent les façades, les plombiers, les profs, les policiers, les femmes de ménage, les aides soignantes, les dentistes, les cuisiniers, les employés de mairie, de la poste …  les footballeurs, le robinet à bile s’ouvre en grand, et les politiciens !
Désormais au pays où le ministre du budget planquait son pognon en Suisse, il vaut mieux se la jouer détaché des contraintes de sa tâche que de laborieusement, servilement se mettre au service de ses administrés, de ses clients. Et se payer un coach pour méditer.
Nous avons tellement perdu le sens des valeurs et du prix de notre liberté que nous aurons vite oublié que des personnes avaient envie de l’Europe depuis l’Ukraine.
Cette liberté dans laquelle nous baignons, nous ne la voyons plus, nous ne savons plus en user quand d’autres aspirent à y accéder, à en mourir.
.............Dessin d'Aurel:
 

jeudi 30 janvier 2014

Cornell et les surréalistes. Musée des beaux arts Lyon.

Parce que les surréalistes étaient la modernité en nos années lycée, leurs collages à l’heure de Photoshop ont certes le goût familier du passé déposé sur un  coin de trottoir un dimanche matin de brocante, mais font dépassés, leur audace éventée, leur originalité dévaluée par une profusion d’images qu’ils ont influencées.
Jusqu’au 10 février à côté de l’Hôtel de ville, nous pouvons découvrir après le MOMA, les productions de Joseph Cornell qui rencontra Dali, Duchamp, Ernst, Man Ray… entre 1930 et 1940 quand l’Amérique recevait des bannis de l’Europe et que le surréalisme vivait à New York, son âge d’or.
Les assemblages peuvent être insolites, détournés, le merveilleux tient dans une poche.
Rêves, trompe l’œil et poésie de l’ordinaire.
Le quotidien s’enchante, les objets s’animent, le plus ténu des ressorts, le plus fin des fils, le plus banal des écrins prennent toute la place que nos imaginations appâtées leur inventent.
Mis en boites, derrière leur vitre, les sables, les verres, les boules nous invitent à  les regarder et à voir le monde différemment.
De Chirico, Eluard, Breton jouent leur partition.
Cornell rencontre aussi des néo-romantiques qui officiaient beaucoup dans les décors de théâtre ou de danse. Il constitue une collection de remontages de séquences au cinéma qui fait référence : films collage.
Et plus ça va, plus l’influence de Duchamp me parait déterminante, celui-ci embaucha Cornell pour construire de petits musées portatifs.
Il travaille aussi le mouvement,  les effets d’optique, confectionne des jouets ; un moment proche de l’expressionnisme abstrait, il aborde aux rives du minimal art et du pop art.
En 1972, il meurt à 69 ans

mercredi 29 janvier 2014

Ethiopie. J 18. Harar Diré Dawa.


Nous prenons le petit déj’ dans un  hôtel qui possède un cyber café que nous investissons d’emblée.
A 9h, notre guide d’hier au soir est ponctuel. Il a perdu un peu de son côté vénérable depuis qu’il a troqué son calot pour une casquette américaine et qu’il a abandonné sa canne et son foulard drapé élégamment au profit d’un blouson en cuir.
Nous partons à pied depuis la place où se trouve la statue de Ras Mekonnen le père d’ Haïlé Sélassié et commençons par la cour de justice, construction d’origine italienne, dont on aperçoit les vitraux de la salle des jugements à travers les carreaux au dessus de portes malheureusement fermées le matin.
Nous nous rapprochons des murailles (XVI° siècle) et nous nous engouffrons dans le souk. La foule colorée est dense, un ballet incessant de "toctoc" et 404 bleues déversent leur lot de clients à l’entrée du marché couvert.
Nous traversons le quartier des tissus made in Indonésia, le quartier des épices toujours aussi photogéniques, le quartier de la récupération (plastique, métal). Le guide nous amène sur des promontoires qui surplombent d’énormes bidons bleus et des monceaux de bidons jaunes, indispensables réservoirs d’eau utilisés dans toute l’Ethiopie, ils contenaient à l’origine de l’huile importée de Malaisie.
Il nous introduit dans la demeure d’un cheikh où nous retrouvons la même pièce entrevue hier dans une maison avec des divans rouges recouverts de tapis sur plusieurs niveaux, un escalier extrêmement raide conduit aux chambres cachées derrière un moucharabié. Les murs sont décorés de vanneries et de plats émaillés. Jouxtant l’escalier une minuscule pièce est destinée aux jeunes mariés qui y logent une semaine et communiquent par une petite fenêtre. Après notre passage une jeune servante interrompt sa lessive dans un bassin et ferme la pièce. Nous accédons près de la mosquée du Cheick à une pièce de discussion et de prières gardé par un homme qui en notre honneur fait résonner les tambours. Avant de pénétrer dans la vieille ville, depuis le haut d’un immeuble commercial nous dominons une partie des marchés et apprécions une vue panoramique jusqu’aux montagnes. Nous plongeons sur une activité de fourmilière dans un bruit de circulation de klaxons et d’odeurs de moteur dignes de Cotonou, notre référence en matière de pollution.
Nous nous laissons diriger dans les ruelles de la vieille ville. Partout les marchands occupent les rues ne laissant qu’un passage étroit à la foule et aux ânes. En passant par des cours intérieures, nous parvenons jusqu’au marché de la viande de dromadaire à côté du parking des ânes et du marché au bois.
Nous entrons dans la maison dite de Rimbaud où le poète n’a jamais habité. Cette bâtisse construite par un marchand indien ne manque pas de charme avec sa structure en bois et son balcon rond à l’intérieur, ses peintures au plafond, ses vitraux colorés. Les quelques documents exposés sont émouvants. Rimbaud fit là commerce de café et d’armes et ce fut sa dernière étape avant de revenir à Marseille pour y mourir.
La maison du père d’Haïlé Sélassié est construite sur le même  modèle avec un Ganesh sculpté au dessus de la porte. Elle abrite actuellement un petit musée. En passant par une cour intérieure,  nous discutons avec des jeunes filles en français, elles profitent des vacances scolaires pour fuir la chaleur de Djibouti (45°).
« Farenji ! » Transformation du mot « français ». Ce mot nous accompagne tout au long de la balade. Nous déjeunons après  presque 5h de visite dans un restau fraichement repeint en noir dont le menu est réduit mais honnête.
Sur la proposition de Girmay nous ne séjournons pas à Harar comme le prévoyait le programme nous partons pour la ville de Diré Dawa. Nous prenons  la direction d’Addis puis tournons à droite sur une jolie route qui nous fait descendre de 1800 à 1200 m d’altitude. Nous entrons dans la deuxième agglomération du pays, une ville propre avec trottoirs et route goudronnée ou pavée très arborées. Nous sommes surpris par la chaleur de l’été qui nous a fait défaut jusqu’ici. Nous logeons à l’African Village, un ravissant hôtel de bungalows .Tout fonctionne ! Les prises tiennent au mur, les ampoules éclairent, il y a même un variateur de lumière, le lavabo ne branle pas et les ventilos brassent efficacement, le nouveau testament est à disposition sur une étagère, le bar ne vend pas de bière sans doute pour des raisons religieuses; dehors une volière emprisonne un perroquet du Gabon et deux autres oiseaux du même genre.
 Nous profitons du lieu et nous nous posons un moment autour d’une table à l’extérieur, mais je ne résiste pas à une petite sortie photos dans les environs avec mon complice en images. Nous nous apercevons de la connotation française de la ville, étape majeure de la ligne de chemin de fer construite jadis par la France, dont le personnel parlait notre langue et joue encore aux boules pour certains.
Girmay a retrouvé un copain d’enfance qu’il n’a pas revu depuis 15 ans et s’accorde un petit moment avec lui. Nous dinons dans un restaurant classieux.

mardi 28 janvier 2014

Chroniques de la vigne. Fred Bernard.


« Conversations avec mon grand père ».
Nous partageons les anecdotes et le bon sens fortifiant d’un  pittoresque vigneron bourguignon sans le vernissé habituel des hommages au terroir.
Le nonagénaire a commencé à consommer du vin en pension à 10 ans, il y avait alors un quart de litre pour 4 garçons et un litre à 14 ans, il reconnait les terroirs au hameau près, même si pour les millésimes c’est plus délicat sauf pour les cuvées exceptionnelles.
Il a consommé 40 000 bouteilles, l’apéro ne comptant pas.
Il nous distille quelques vérités sur les tricheries, les snobismes du milieu. Son petit fils dans ses aquarelles restitue avec tendresse ces années de plaisir marquées pendant longtemps par la guerre. Ses dessins sont moins à mon goût.
Sur le linteau d’une cave: 
«  Les vins de Savigny sont vins nourrissants, théologiques et morbifuges ».
Cette BD peut reprendre la formule à son compte en célèbrant avec humour, une tradition, tout en nous éclairant sur les évolutions, et en nous faisant part de textes de Edmondo de Amicis qui décrit d’une façon savoureuse les effets du vin suivant les personnalités. 
.............
Dans Libé du week end. Cliquez sur l'image pour aggrandir.

lundi 27 janvier 2014

Mère et fils. Calin Peter Netze.


Mère protectrice, police corrompue : ces sujets ont été déjà été abordés. Mais la tension entre mère et fils est racontée ici dans une forme renouvelée servie par une actrice omniprésente : Luminita Georghiu. Les rapports violents et les différences de classe évidentes sont traités subtilement. J’ai retenu quelques scènes remarquables entre la bourgeoise et sa femme de ménage, sa belle fille,  avec un plan final qui emporte le morceau.
Le mensonge à soi même est un poison et les mots, des leurres qui disent une bonne volonté mais demeurent impuissants devant les actes commandés ou interdits par des liens noués tellement forts depuis tellement longtemps.
En choisissant d’aller voir un film roumain (http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/12/mardi-apres-noel-radu-montean.html) le risque existe de passer pour un snob, surtout si le dernier parisien ne vous a pas convaincu, mais pour ce que j’en connais, les dialogues sont efficaces, les sujets puissants et habilement troussés, la caméra prenante, les acteurs excellents, l’émotion au rendez-vous, avec un arrière plan social intéressant.

dimanche 26 janvier 2014

Stéphane Grappelli. Antoine Hervé.


Pour sa leçon de Jazz de cette saison 2014, Hervé, le pédagogue pianiste virtuose est venu avec Sébastien Guillaume au violon, car il s’agissait d’honorer le père des violonistes de jazz.
Un moment agréable même si l’ardeur du maître de cérémonie le conduit parfois à tirer un peu la couverture à lui, mais c’est vraiment du travail de pro alliant une didactique joviale pleine d’humour, aux jubilations du jazz, « à consommer sur place » comme disait Sartre.
Stéphane Grappelli fils de marquis italien a gardé toute sa vie une certaine élégance.
Ayant perdu sa mère très tôt, il vécut six mois décisifs à l’école de danse d’Isadora Duncan où il s’enthousiasma pour le langage impressionniste de Debussy et Ravel. Mais très tôt comme Piaf il doit se produire dans les cours d’immeubles avec son violon, puis au piano pour accompagner des films muets. Aux alentours des années 30, il rencontre Django Reinhard (http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/02/jeangot-1-renard-manouche-joann-sfar.html)dans l’orchestre du club la Croix du Sud, puis fonde avec lui le Quintette du Hot Club de France.
Il reste pendant la seconde guerre en Angleterre où il est apprécié, et quand les deux complices aux relations orageuses se retrouvent, ils enregistrent « Echoes of France » cette Marseillaise qui swingue qu’Hervé a mentionnée mais pas jouée.
Par contre il a ont ouvert le concert avec son complice en interprétant « Les feuilles mortes » de Kosma puis « Belleville », « Evelyne » , « Piccadilly stomp » et « Nuages »… au rappel comme je l’attendais, la musique du film Lacombe Lucien dont le titre est « Minor swing ».
Sur les musiques noires qui venaient d’un nouveau monde « speedé », les compères  apportèrent des tonalités manouches avec leurs cordes qui suppléent la batterie à s’en péter les crins. L’accentuation sur les temps 1 et 3 des européens nous fait repérer facilement aux states où les mains claquent sur 2 et 4.
Sa collaboration n’a pas été exclusive avec le guitariste gitan, il a travaillé avec Oscar Peterson, Petrucciani, Menuhin et même les Pink Floyd, toujours « classe ».  
C’est lui qui a composé la musique du film les « Valseuses »http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/06/schnock-n7-ete-13.html où Depardieu disait :
« On n'est pas bien là ? Paisible ? À la fraîche ? Décontracté du gland… »
Il est mort en 1997 à 89 ans

samedi 25 janvier 2014

Trois poèmes en patois grenoblois du XVI° siècle. Laurent de Briançon.


Je ne m’attendais pas à trouver autant d’échos à l’actualité dans cette brochure éditée par le centre alpin et rhodanien d’ethnologie dont la moitié des pages est en franco-provençal, le patois que je ne sais prononcer, mais qui m’a valu le prêt de cet ouvrage pour avoir évoqué lors de lecture en maison de retraite, quelques expressions locales tirées de l’Almanach du vieux dauphinois.  
Ces poèmes bien troussés sont traduits par Gaston Thuaillon.
Ils célèbrent la liberté des femmes, tout en ne manquant pas d’être paillards :
« …  dans la nature, il serait plus facile
De retenir le vent de tempête ou l’eau dans une grille
Que de pouvoir retenir les gens
De goûter un si bon et si grand plaisir
D’elle-même la nature exige toujours accouplement
Et ne peut supporter qu’une ouverture
Reste vide et privée de bouchon. »
Briançon, consul de Grenoble, auteur de ces alexandrins n’a rien à voir avec le chef lieu des Hautes Alpes, il n’a pas sa langue dans la poche même quand il va à Blois pour de états généraux et qu’il dresse un vert portrait de la cour :
« Monsieur » est, pendant ce temps, renversé sur un siège
Plus fier que n’est un porc dans un champ de raves, »
Avec verve, il dénonce les rigueurs calvinistes dans Lo Batifel de la Gisen « le bavardage chez l’accouchée », et dans Lo Banquet de le Faye « le banquet des fées » il met en scène au col de Vence, bien avant « La Vence scène », cent petites fées-ministes dont la Fleurie arrivée en retard  
« était si aguichante, si vive
Qu’un roi se flatterait d’avoir fait une très bonne affaire,
S’il pouvait  l’avoir tout à son aise, un soir, dans ses bras. »
Elles imaginent mille tourments pour un mari violent :
« aux poils hérissés comme les poils du cul d’un verrat en colère »
Avec ce qu’il convient de notes pour situer et préciser ces mots qui ont traversé le temps, nous passons un bon moment.
« Adonque et fut iour, & lo polet chantit.
Alors ce fut le jour et le coq chanta. »