vendredi 30 novembre 2012

Domination et émancipation.



Le rendez-vous proposé par la villa Gillet, décentralisé à la MC2, portait comme sous-titre : « pour un renouveau de la critique sociale ».
Volontiers disponible pour ce genre de débats type forum de Libé ou de « La République des idées », j’en étais à regretter des approches plus journalistiques, plus percutantes. Je suis moins familier des manières universitaires.
Philippe Corcuff pourtant engagé dans les mouvements sociaux, est resté trop souvent le nez dans ses textes ainsi que Luc Boltanski sociologue et Nancy Fraser philosophe.
Quand Boltanski demande que la sociologie dépasse son rôle d’expertise et renouvelle son langage, il illustre cette remarque par  sa propre prestation, trop guindée, surtout au début.
« Ne parvenant à modifier la réalité ni vers le bas, ni vers le haut, la critique est devenue un genre littéraire parmi d’autres et même une sorte de discipline universitaire »
Les temps sont à la déploration mais la répétition des constats est stérile.
Oui, « l’asymétrie des revenus » entraine l’obéissance et  certes, l’autonomie permettrait de s’arracher aux dominations.
Mais que de difficultés à exprimer les régressions présentes où les victimes des inégalités sont jugées comme des coupables !
 « Le néo libéralisme et l’état-nation en interaction sont au faite de leur puissance et profondément en crise. »
Les positionnements des acteurs politiques se situent autour du libéralisme qui en oublient les critiques vis-à-vis de l’état.
A la tribune leur ancrage libertaire leur interdit de jeter l’émancipation avec les eaux usées du libéralisme.
 « Parce qu’il pousse de plus en plus férocement à marchandiser la nature et la reproduction sociale, le néolibéralisme érode les bases mêmes sur lesquelles repose le capitalisme »
Boltanski caricature des féministes, des « laïcards » qui se retrouvent avec les xénophobes  en se polarisant contre le voile qui serait même la « cause du déséquilibre de la balance des paiements !» Tous des néo cons’. 
Par contre sa vision des « responsables » qui « sont en charge de tout, mais responsable de rien » rejoint le bon sens populaire. Et  les alternatifs qui espéraient en un grand soir sont également bien passifs.
De l’auditorium bien rempli, vint la remarque que l’état providence apporte d’abord ses aides aux banquiers ; alors, nous sortons des généralités.
Et quand l’animateur finit sur le mot  magique qui réunit pratique et théorie : « praxis »,  après avoir insisté sur le verbe émanciper qui ne peut  prendre réalité que sous sa forme pronominale : s’émanciper, là je le suis.
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jeudi 29 novembre 2012

Philippe Cognée au musée de Grenoble.



Au risque de taquiner le professeur Brunet, notre guide, je n’hésite pas, dès qu’il y a occasion à jeu de mots : « pour la mort de la peinture, avec Cognée vous repasserez ! »
En effet la révélation des œuvres du quinquagénaire natif de Nantes s’effectue après l’application d’un fer à repasser sur un plastique sous lequel les couleurs vont fondre, le fusain s’écraser, donner des effets d’arrachement, de brouillage qui enrichissent la variété des textures.
Les commentaires sur l’art contemporain se contentent parfois de décrire seulement les matériaux, les formats : le plus émouvant des portraits n’est plus qu’une couche d’acrylique.
Cependant c’est intéressant de savoir qu’une certaine utilisation des pigments, des cires, n’est pas étrangère aux séjours en Afrique de l’artiste  qui expose une centaine d‘œuvres jusqu’au 3 février 2013.
Les tableaux dans la série des carcasses qui occupent une salle entière du musée de la place Lavalette sont du même format que Le bœuf écorché de Rembrandt. Cette information illustre la tendance de l’art d’aujourd’hui à se référer au passé avec par ailleurs des retours aux origines du côté de Courbet, Richter.
Le blanc domine et participe à une dématérialisation qui n’aboutit pas à la disparition de la représentation, celle-ci  transfigure le réel, nous interroge et nous séduit.
Les vanités de Cognée, ses têtes de morts aux couleurs flashy ont des allures de papier peint,  mais les références joyeuses au Mexique disparaissent sous nos souvenirs de charniers.
Son regard sur les grands ensembles, les super marchés déserts, les routes vides, ses recherches avec Google Earth nous intéressent, la géométrie a du beau.
Sa Médina est animée,  et il avait aimé le brouhaha qui entourait  la vaste toile au moment de son accrochage au « Bon marché ».
Ce n’est qu’après avoir pris le temps de se mettre  en face d’un autre  grand tableau que les occupants d’un gymnase au moment d’une tornade apparaissent.  
Le peintre se voit en chien et joue  avec les photographies de son quotidien qu’il recouvre de peinture, accumule agréablement les petits formats. 
Quand un congélateur, une baignoire, des baraques de chantier deviennent des objets à regarder,  c’est que l’artiste est fort.
Ses paysages sans perspective sont ceux que l’on croise derrière les vitres du train et ses champs de colza me parlent.
J’ai aimé ses tables après l’anniversaire du père ou ses draps d’un lit défait.
Devant un mur doré, des ordures s’ordonnent comme au théâtre.
Les sachets plastiques dans un arbre en Inde  l’ont appelé alors que souvent il trouve dans la nature  seulement ce qu’il va chercher.
Dans une bibliothèque rouge sang la couleur devient le sujet principal.
Chacune des toiles porte des contradictions : beauté/ laideur, gris/ couleurs, construction/ destruction, désert/ foule, froideur/ émotion, la nature/ la ville, instantané/ toujours, humour/ mort, loin/ près, petit / grand…
Mon plaisir lors de cette présentation excitante, inondée de lumière, fut sans mélange.

mercredi 28 novembre 2012

Bordeaux # 1. Patrimoine.



Venant de Grenoble,  ville «  compagnon de la Libération », j’avais quelque curiosité pour la « belle endormie »de Chaban mais aussi quelque à priori défavorable envers l’agglo de Juppé « droit dans ses bottes », qui ne dit s’intéresser qu’à  sa ville mais accepte volontiers des missions où désormais il apparaît comme un sage.
Sa cité est belle et il n’y est pas pour rien. Celui qui modernisa le plus la métropole girondine n’était pas le plus bondissant.
Pour aborder la capitale de l’ancienne Guyenne, désormais Aquitaine (pays des eaux) nous sommes montés sur la tour gothique Pey Berland.
Haute de 50m, construite au XV° à côté de la cathédrale Saint André par crainte des vibrations d’un bourdon de plus de huit tonnes, elle offre un beau point de vue sur les toits à proximité et sur la tour de la grosse cloche en bordure du territoire médiéval. 
Sur cette porte de la bourgade, seul monument civil datant du moyen âge, d’où était donné le signal des vendanges, un léopard  d’origine anglaise figure en bonne place et témoigne des liens très anciens avec nos meilleurs ennemis rugbystiques.
Difficile d’échapper à la rue Sainte Catherine qui traverse la vieille ville, la plus longue voie commerciale piétonne d’Europe.
Nous ne sommes pas les seuls touristes en route vers la monumentale fontaine érigée place des Quinconces, dédiée aux Girondins victimes de la terreur.
Les chevaux  de bronze enlevés pendant l’occupation réapparaissent à la veille des élections municipales de 1983 : le Routard titre : « Chevaux de retour ».
 A proximité, Le grand théâtre aux airs antiques est construit aux abords du château Trompette dont les canons étaient tournés vers la ville, il a été vite rasé.
 Au centre du triangle d’or qui rassemble les boutiques  de luxe, la place des grands hommes est occupée par une halle moderne.
Ouverte sur la Garonne, La place de la Bourse appelée  auparavant place Royale, place de la Liberté, place impériale, comporte en son centre la statue de trois grâces (l’impératrice Eugénie, la reine Victoria et Isabelle II d’Espagne).C’est un remarquable exemple architectural du XVIII° siècle, genre place Vendôme,  qui se reflète sur un immense miroir d’eau, aménagement original bienvenu en temps de canicule.
Cette œuvre inspirée par la beauté de la Place Saint Marc à Venise quand elle est recouverte d’une eau  où se mirent les monuments, est une réussite mais les incivilités ne l’épargnent pas et le journal Sud Ouest parle de tonnes de verres cassés à ramasser à ses abords.
Pour expliquer l’origine de l’ancien nom de la ville, les interprétations divergent. Les bituriges, dont le nom signifiait « maîtres du monde », fondèrent  Burdigala. Cette appellation viendrait de burd signifiant marais en basque et gala, abri. J’ai aperçu une banderole de supporters de l’équipe de Bègles-Bordeaux qui portait ce nom.
Du II° siècle, reste un pan de l’amphithéâtre dit maintenant palais Gallien, il pouvait contenir 15 000 personnes.
La basilique Saint Seurin datant du XI° recèle des stalles intéressantes : un homme trimbale son ventre dans une brouette,  un chien est déguisé en moine, des langues sont cuites sur une grille. Ces personnages sont sculptés sous une console qui apparaît lorsque le siège est replié et qui permet un appui : c’est une miséricorde ou patience.

mardi 27 novembre 2012

Le château des ruisseaux. Poincelet. Bernière.



Plongée dans les groupes de paroles de toxicos qui essayent de décrocher.
La bande dessinée sans cases restitue la fragilité des personnes qui exposent leur expériences douloureuses, avec malgré tout de l’humour, parfois.
La forme tout en délicatesse convient bien à cette autofiction sensible nous plaçant à côté de ces hommes et femmes qui ont cherché une vie plus intense et ont côtoyé le vide suicidaire au bout des vertiges.
A l’issue d’un processus de cure exigeant, juste, humain, ils ne seront que 15% à ne pas retomber.
« Monsieur et madame P’tite goutte ont trois filles. Comment elles s’appellent ?
 Anne, Justine et Corine.
 Anne p’tite goutte, Justine p’tite goutte, Corinne p’tite goutte… »

lundi 26 novembre 2012

Thérèse Desqueyroux. Claude Miller.



Oui, il y a des belles images des Landes, des intérieurs d’entre deux guerres, mais c’est décoratif, je n’ai pas ressenti l’importance de la terre dans ce milieu, ni la complexité de cette femme qui se veut au-delà de  la simplicité. Pas d’étouffement, trop lumineux. Alors que Bovary, c'est nous, les enjeux dans ce film sont lointains. Miller chez Desqueyroux, j'ose: ça change du tout au Tautou.
D’accord Thérèse fume et la forêt est inflammable mais pas de coup de chaud pour moi.
Les critiques parlent d’ambigüité, mais le récit  m’a semblé tellement linéaire, je n’ai pas ressenti de dilemmes, la  relation est plus intéressante entre Thérèse et sa belle sœur qu’avec le mari chasseur, cassant, finalement bon.
Je suis tout de même reconnaissant au réalisateur de distribuer aussi quelques traits antipathiques du côté d’Audrey Tautou, mère impassible, amie peu fiable, elle lit Gide mais le lit est vide.

dimanche 25 novembre 2012

H 3. Bruno Beltrao.



Une rumeur lointaine de la rue accompagne le début du spectacle qui tient  alors davantage de la danse contemporaine que du hip hop.
La virtuosité de cette danse de la rue revue par la capoeira prend de l’ampleur quand les duos passent aux trios puis au grand groupe.
La tension, dans les nerfs de cette danse qui a traversé les océans et commence à prendre de l’âge, parcourt la représentation.
Des reflets sur le parquet  brillant et des effets avec l’obscurité apportent de  jolies nuances à des mouvements qui utilisent, plus que de coutume, le sol.   
La musique que l’on attend apparaitra par bouffées, ainsi que les acrobaties furtives, les brefs  moments d’harmonies.
L’énergie, la vivacité montent en intensité tout au long de l’heure  qui passe vite, le spectacle est intéressant et certaines figures sont originales comme des courses à reculons vigoureuses;  par contre la cambrure des corps à l’arrière m’a plus torturé que séduit.
Depuis ma bonbonnière j’étais plus en recherche de concorde que de violence même si celle-ci a des séductions fulgurantes.

samedi 24 novembre 2012

Crépuscule. Michael Cunningham.



«La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles » 
L’auteur américain joue des variations autour de cette phrase de Flaubert que j’aime ressortir.
J’ai d’autant plus apprécié ce livre que je me suis ennuyé au début dans la frivolité d’un milieu arty newyorkais aux conversations superficielles.
Et je me suis laissé embarquer ensuite pendant 300 pages par les indécisions du personnage que j’ai cru principal,  avec sa décapante lucidité, ses emballements, ses lâchetés, sa recherche sans illusion de la beauté.
Reprendre la quatrième de couverture comme le répercutent tant de sites Internet pourrait laisser croire à une simple accumulation de clichés (la quarantaine fringante).
L’arrivée d’Ethan, surnommé Mizzy, diminutif de « mistake » (erreur),  au milieu d’un couple bobo pourrait ouvrir un dilemme homo conventionnel ; ce jeune gars va  permettre de poser quelques questions essentielles, sans réponse téléphonée.
L’hypocrisie semble bannie entre tous ces gens tellement bien et pourtant, ils se cachent, ont des insomnies, vivent « la mort aux trousses », réfléchissent à la meilleure musique pour leurs funérailles alors que le vin est délicieux, les œuvres si intelligentes, les hommes si beaux.
« Le monde ne s’intéresse pas aux petites silhouettes qui vont et viennent, fantômes qui tremblent et se prosternent, ratissent les sentiers gravillonnés et construisent parfois un jardin de pierres, l’éphèbe de bronze, l’urne martelée destinée à recevoir la neige. »