lundi 23 avril 2012

38 témoins. Lucas Belvaux.

Ce film interpelle sur la fragilité de nos témoignages, le poids de nos lâchetés, la culpabilité, la tranquillité, les silences.
Il est question aussi de la défausse banale : « je ne veux pas juger » qui ouvre la porte à tous les renoncements et fertilise un monde où n’existe plus ni bien ni mal.
Même si certaines scènes peuvent paraître artificielles, et si parfois moins d’exaltation aurait mieux convenu à l’atmosphère du film, des sujets essentiels sont abordés à la fois personnels et politiques.
Je n’ai pas boudé non plus mon plaisir esthétique où l’océan, le port du Havre, la rue sont davantage qu’un décor.
Quand on entend Apathie, symbole de ces médias donneurs de leçons et ordonnateurs des émotions collectives, nous sommes au cœur de nos quotidiens.
La recherche du coupable du crime est reléguée au second plan, c’est notre position de « voyeur » permanent qui est interrogée alors que les témoins qui n’ont rien entendu sont sous les feux.
Les films que nous consommons à la pelle, ne sont-ils pas des variantes des reconstitutions policières ?
Si j’ai compris après coup les agacements que peuvent susciter le personnage féminin, proclamant son amour mais ne parvenant pas à aider son fiancé, cela n’avait pas perturbé mon intérêt.
La « non assistance » va bien au-delà de celle qui s’est fait poignarder.
J’ai pu approfondir « le syndrome de Kitty Genovese » apparu lors du fait divers qui avait inspiré le livre de Didier Decoin et le film :
plus il y a de témoins, plus la responsabilité se dissout, et moins chaque individu prend ses responsabilités.

dimanche 22 avril 2012

« L’histoire à nous, s’il vous plaît ». Erri de Luca Gianmaria Testa.

L’Italie que l’on voit plutôt en beauté depuis que le Cavalière n’est plus en selle, ce soir à la MC 2, avait l’allure d’un bras tendu à travers la Méditerranée avec la Sicile comme foulard.
Le chanteur et l’écrivain ont parfois échangé leurs rôles pour nous délivrer une heure et demie de complicité chaleureuse sous des airs de guitare jazzy.
Les deux compères nous ont rappelé les flux migratoires et la fraternité avec les gueux déplacés :
ils s’y connaissent en voyages, les ritals.
Depuis une poète russe évoquant la force d’attraction céleste qui pousse les arbres à aller à l’encontre des pesanteurs,
à leur ami yougoslave Izet Sarajlic qui a perdu son frère sous les balles des chemises noires et qui aimait l’Italie,
 ils évoquent aussi Hikmet le turc.
Et la chanson du déserteur de Vian que je croyais désuète a été remise au goût du jour quand De Luca retrouve à Belgrade le son des sirènes d’alarme qui avaient hanté sa mère depuis les bombardements de Naples.
Le récit de la correspondance entre deux analphabètes révèle des inventions touchantes.
C’était bien du vin rouge et non de l’eau en bouteilles plastique que les deux complices sirotaient entre un texte et une chanson.
Ils ont évoqué Quichotte
« Ce n’est pas celui qui gagne toujours qui est invincible, mais celui qui jamais ne se laisse mettre en déroute par les chutes, qui jamais ne renonce à se battre encore » 
Ils ont repris un éloge des pieds, d’un amour absolu, et la figure du Che pour lequel il n’était nul besoin de poétiser la vengeance d’une femme qui a tué le tueur de Guevara.
Ils n’ont pas chanté cette chanson, mais un ami l’attendait :
« Les semeurs de blé 
Ils sont arrivés,
 il faisait jour, 
hommes et femmes à l’altiplano 
avec le pas lent, silencieux,
 prudent des semeurs de blé 
et ils ont cherché ce qui n’existait pas
 entre la décharge et la voie ferrée 
et ils ont cherché ce qui n’existait pas
 derrière les jumelles de la police 
et ils ont plié les mains et les yeux sous le vent 
avant de s’en aller jusqu’à la route 
et avec la nuit à l’entour 
ils sont arrivés de l’altiplano 
hommes et femmes avec l’air pensif des semeurs de blé 
et ils ont laissé ce qui n’existait pas à la décharge 
et à la voie ferrée et ils ont laissé 
ce qui n’existait pas aux yeux transparents de la police 
et ils ont tendu les mains contre le vent qui les emportait. »

samedi 21 avril 2012

07 et autres récits. Jean Jacques Salgon.

Bien qu’elle soit exigeante avec le langage, l’Ardéchoise qui m’a prêté ce livre m’a bien averti que l’auteur abuse parfois du subjonctif.
Depuis la sortie en 1993 de ce livre qui plaira à tous ceux qui ont été élevé à la Burle et à la crème de marrons, l’auteur s’est sûrement allégé.
 Il s’agit d’un premier recueil parfois un peu empesé:
« …notre exaltation n’était pas loin d’atteindre celle d’Howard Carter et de lord Carnarvon entrant pour la première fois dans le tombeau de Tout-Ankh- Amon. »… 
« Une de ces banastes qui, dans la cave recueillait les plus opimes dépouilles et sur laquelle on aurait du graver ces mots : « aux petites choses cassées, l’humanité reconnaissante. »» 
Mais qui n’a pas péché, quand des années de complexe de classe vous amènent, nouveau riche, à vous pousser du col (de l’Escrinet) ?
Moi, régulièrement, obstinément, je faute.
Le goût de la précision chez ce fils d’instit Freinet à la main pourtant leste convient parfaitement à l’évocation de la machine à coudre :
« Je ne sais pourquoi, lorsque ma mère se mettait à l'ouvrage sur sa machine à coudre, j’attendais avec une telle impatience le moment où elle aurait à « faire les canettes ». Cette opération qui consistait à regarnir les canettes de leur provision de fil se pratiquait sur la machine ; la canette placée sur un pivot qui l'entraînait en rotation se rechargeait automatiquement, le fil oscillant de haut en bas et régulant ainsi de lui-même. La bobine sur laquelle le fil était prélevé sa propre répartition tournait à toute vitesse, effectuant des petits sauts sur son axe, comme pour protester d'être si brutalement dépouillée. » 
Ces 100 pages exploitent le registre abondamment garni des souvenirs d’enfance enrobés de nostalgie, avec « Chèques Chic », Dinky toys, buvards, et terreurs enfantines quand s’explorent les sous terrains et les jardins de derrière la maison.
Mais il sait dire aussi quand les greniers ne sont pas toujours débordants de trésors, ils peuvent ne contenir que de la poussière et les dimanches après midi être saturés d’ennui.
« Les bouches des Chambord et des Cheverny nous paraissaient outrageusement maquillées, mais elles souriaient. C’est quand les DS noires du gaullisme ont commencé à sillonner nos campagnes que les voitures ont cessé de sourire »

vendredi 20 avril 2012

Morne campagne : tant mieux !

Sondeurs journaliers et journaleux songeurs disent que la campagne des présidentielles est ennuyeuse alors qu’ils ont leur part dans l’insipide.
Dès qu’un mot dépasse, les tweets maniés par les pourvoyeurs de bla bla, bêlent. En territoire grossier qu’ils épaississent à pleines louches, ils jouent les effarouchés.
Sur le fond, Libé énonçait les dossiers occultés ces dernières semaines :
la santé, la dépendance, l’environnement, la justice, la grande pauvreté…
auxquels peut s’ajouter la dette subliminale.
En 2011, les opéras Bastille de Mélenchon, en plein air sur les places et les plages ont attiré l’œil, mais les rouges images ont-elles imprimé ?
Oui un président « normal », peut redonner dignité à la politique, ce ne sera pas du luxe.
Qu’il n’y ait pas eu déchaînement de promesses, qui s’en plaindrait ?
Dans les mots apparus lors de la présidentielle précédente, il y a cinq ans, une éternité, celui de la « démocratie participative » m’avait réencaustiqué quelque vieille utopie et puis nous étions passés à d’autres choses, le « pacte écologique » avait duré lui ce que durent les modes et chacun était reparti chez son automobile.
Avec d’autres équipes qui vont se mettre en place, ce sont d’autres exemples qui doivent apparaître à une société qui ne s’aime plus, où l’acculturation à l’œuvre pose des mines qui éclateront dans les jambes de nos enfants.
Les stratèges du court terme qui ont fait crisser leurs pneus finissent sur la jante, il va falloir réapprendre le temps long, lire.
Lorsque la gauche s’approche du pouvoir, ils ont osé ressortir les chars sur les champs Elysées, alors relire  Jean Richepin et non Victor Hugo comme je l'avais hâtivement noté, ainsi me l'a fait remarquer une lectrice attentive :
« Les bourgeois sont troublés 
De voir passer les gueux »
(Le texte intitulé  "Les oiseaux de passage" mis en musique et chanté pour une partie par Brassens est chanté aujourd'hui dans son intégralité par Rémo Gary me précise -t- elle).
Comme jadis, j’aime aller à l’encontre de cette illégitimité, qui nous valut tant de bonheur en 81.
Allez François, on remet ça !
Petite dame aprçue à La Concorde qui mettait ton pouce en bas pour désigner la place de la gauche, fais toi peur !
Je fis profession de professeur et je sais l’agacement que suscite la gauche donneuse de leçons, nous sommes inaudibles chez les inquiets des fondamentalismes qui n’ont gardé de leur baptême qu’un croisillon pour exorciser d’autres obscurs et ont oublié toute générosité.
Même si les incertitudes économiques nous brouillent la vision, je préfèrerai encore des velléités de justice aux calculs qui jouent avec des peurs bien peu catholiques.
...
Dessin de Willem:

jeudi 19 avril 2012

Espagne Pays Bas au XVII° dans les collections du musée de Grenoble.

Conférence de Valérie Lagier.
En ces temps l'art est lié au sacré.
Si la France a connu la contre réforme avec retard, l’Espagne en est la championne avec quelques saints notoires : Ignace de Loyola, jésuite, Thérèse, carmélite, et Jean de la croix.
 Le monde s'agrandit à cette époque et en ses nouvelles terres , il doit être converti et se couvrir de monastères.
 En Europe, les Habsbourg ont perdu leur influence dans les provinces unies protestantes, alors que les Pays-Bas espagnols et la Flandre sont restés fidèles aux très catholiques rois d’Espagne.
 A Grenoble, quatre toiles peintes par Zurbaran données par le général de Beylié forment un ensemble exceptionnel de peintures espagnoles en France, elles faisaient partie d’un retable gigantesque destiné à la Chartreuse de Jerez, pour lequel avaient œuvré un architecte et un sculpteur:
Marie assez jeune figure dans l'annonciation, sa gestuelle est codée: la main gauche sur le cœur en signe de réflexion, la droite ouverte accepte.
Une jeune paysanne regarde le spectateur et crée le lien dans l’adoration des bergers.
Une autre adoration celle des mages marque le caractère universel de la révélation et permet de présenter des tissus variés.
La circoncision préfigure les souffrances du Christ, cette fois la vierge est absente.
Les artistes voyagent.
Ribera, « l’Espagnolet », a vécu en Italie, la mère des arts. Il revient influencé par Le Caravage qui touchera aussi Zurbaran. Parmi ses nombreuses représentations de martyrs, Saint Christophe est tout près d’être écorché. Dans chaque tableau un soin particulier est apporté à la représentation des objets chargés de valeurs symboliques, l’agneau du sacrifice est magnifique, mais c’est surtout en Hollande que« les scènes de genre, paysages et natures mortes nous montrent comment une forte dimension morale imprègne toute la production artistique en pays protestant ». Catholiques et protestants se distinguent : luxe ou austérité, lieu public ou pièces à vivre, personnages religieux identifiables ou natures mortes chargées de symboles . Rubens, avait une activité diplomatique importante, il travaillait en équipe, 1400 œuvres sont sorties de ses ateliers. Son Grégoire le pape d’alors, entouré de sainte Domitille, saint Maurice, et saint Papien, a beaucoup voyagé, refusé par ses commanditaires, il est le plus imposant du musée. Ses lumières sont remarquables mais le vernis brillait trop dans l‘église où le tableau était prévu, l’original va être placé dans la chapelle où repose la mère du prolifique peintre officiel à Anvers. II sera découpé en 9 morceaux pour permettre le transport et sera restauré 4 fois.
Beert Osias présente ses fleurs, fruits, vases et autres objets d’une façon individualisée. Des tulipes symbolisent la vanité : des fortunes se sont évanouies avec des paris sur la couleur probable qui sortirait de l’oignon.  
Van Schrieck a collé de vrais papillons sur ses toiles parmi lézards et feuilles. Moderne.

mercredi 18 avril 2012

« On refait le voyage » : Saint Petersburg 2004 # 7

Une fois le plein fait dans une station d’essence flambant neuve nous sortons de la ville. Nous parcourons environ 200 km en 3 heures à travers la campagne russe ; c’est une longue plaine plantée de bouleaux et sapins, parfois défrichée avec des isbas le long de la route : pauvres petites isbas modestes alignées, colorées mais pour certaines bien bancales ! Le chauffeur maîtrise bien la conduite sur une route qui ressemble parfois à de la latérite à cause du sablage. La neige joue à « je tombe, je tombe pas ». La monotonie du paysage, la chaleur du véhicule, le bercement nous entraînent pour quelques-uns uns dans une douce somnolence. Les éveillés aperçoivent un renard.
A l’entrée de la ville, Novgorod n’est pas très séduisante même sous la neige. Notre chauffeur hésite un peu, demande puis s’arrête devant un hôtel classieux gigantesque et vide. C’est là notre point de rendez-vous avec Tatiana, notre guide fourni par Bolshoï Tourism. Elle a vraiment le visage qui correspond à son prénom, blonde, la figure ronde et les pommettes prononcées ; quelques rides et un peu d’embonpoint indiquent les marques du temps.
Elle commence sa prestation de manière très académique et monocorde, récitant son commentaire dans le micro inefficace du Mercedes. Ça s’arrange un peu au Kremlin, la forteresse moyen âgeuse de Novgorod. Le rouge des briques de la muraille du 14e (la citadelle au départ se protégeait derrière des remparts en bois) ressort merveilleusement sous la blancheur neigeuse. Nous sommes surpris que le fleuve Volkhov coule et ne soit pas pris dans les glaces, comme la Neva. Mais l’histoire raconte que tant de sang des boyards tués par Ivan le terrible fut versé dans l’eau que celle-ci en fut réchauffée (et ça dure encore) ! Tatiana nous conduit tout d’abord devant la statue au millénaire de la Russie, trônant au centre du Kremlin. Ce monument reproduit sous forme de saynètes statufiées toute l’histoire de la ville de Novgorod (ou ville nouvelle), depuis STO jusqu’à la fin du 19e : STO signifiant l’an 862 puisqu’à cette époque, les tribus varèques qui fondèrent la ville ignoraient les chiffres arabes. Le soleil fait des tentatives sympathiques pendant cet exposé à l’extérieur pour percer entre les nuages. Nous nous intéressons ensuite au « plat de résistance » : la cathédrale Sainte Sophie, la plus vieille église de Russie encore debout puisqu’elle date du 12e siècle. L’extérieur fait preuve de sobriété car ses murs sont entièrement blancs, sans décor pictural ni frise ni stuc, seul un reste de fresque se protège sous un auvent peut-être pas d’époque. Elle est surmontée de six bulbes dont un seul est doré, les autres sont revêtus de zinc qui remplace le plomb trop lourd. Nous tournons autour, admirons la porte en bronze à l’ouest promise à une autre destination et arrivée là on ne sait ni pourquoi ni comment (800 kg quand même) Si nous pouvons encore l’admirer ici, c’est parce que les habitants l’ont protégée et cachée des Allemands lors de la guerre. Nous pénétrons dans la cathédrale par une autre porte, celle-ci est réservée à l’archevêque les jours de fête. L’intérieur dévoile une architecture très différente (car tellement plus ancienne) de tout ce que nous avons visité jusqu’à présent. C’est une forêt de piliers peints de fresques face à un iconostase très riche de cinq rangées. A droite de l’autel et protégée sous une vitrine, une très vieille icône est l’objet de la déférence des fidèles.
Elle date du 12e, elle ressemble à force de « décati » à une peinture impressionniste. Un 2ème iconostase plus petit mais plus éclairé par une fenêtre latérale, met en évidence le travail de l’école d’artistes de Novgorod, réputée pour son rouge chaleureux. Les icônes s’appuient sur du bronze doré ou argenté et la petite porte de même matière laisse filtrer la lumière et les couleurs de la pièce de derrière par les interstices volontaires de l’encadrement. Il reste aussi le trône d’Ivan le terrible. Nous pouvons voir encore une partie de l’église en fouilles et une fresque très ancienne protégée derrière un écran de verre de Constantin et sa mère Hélène. Dommage tout de même ces deux chapelles modernes avec leur iconostase en contre plaqué et leurs icônes de pacotille ! Comme dans toutes les églises ouvertes au culte, il règne ici une odeur d’encens agréable attachée au passé. Nous sortons et nous dirigeons vers le beffroi que nous ne visiterons pas. D’énormes cloches sans battant attendent encore de retrouver leur place ; elles aussi furent protégées et cachées par les habitants de la convoitise allemande

mardi 17 avril 2012

Dolor. Catel. Paringaux.

Vaut surtout par l’évocation du destin d’une actrice, Mireille Balin, d’une grande beauté qui joua les femmes fatales.
Elle eut Jean Gabin et Tino Rossi comme amants mais aussi un officier de la Wehrmacht.
Cette liaison la précipita vers l’anonymat et la pauvreté.
 Ce destin tragique était suffisamment fort pour que les auteurs n’aient pas besoin de rajouter du romanesque de pacotille pour relater cette histoire. J’aurai du me méfier avec « Dolor » comme nom de la belle fille conductrice ; la subtilité ne serait pas au rendez-vous.
Bien que les décors de la Côte d’Azur soient plaisants, le procédé narratif est daté, le père disparu insupportable avec ses confidences suicidaires.
Et toutes ces vies dévastées à partir d’un bisou à un gosse à la porte d’un palace, s’accommodent trop vite de destins taillés à la hache.