mardi 24 janvier 2012

Le Petit Prince. Joann Sfar, Saint-Exupéry.

Le monument de notre littérature (134 millions d’exemplaires dans le monde) qui relie les générations plus sûrement que Les Misérables de Josée Dayan d’après V. H., french book des républiques antérieures, a été mis en bande dessinée.
J’ai eu le privilège de faire découvrir le petit bonhomme qui jamais ne renonce à une question, une bonne trentaine de fois à mes élèves. Il fournissait un prétexte formidable à leurs inventions en matière de dialogue à ambition – philosophique - comme on ne disait pas. Je demandais après le récit des voyages dans un univers peuplé de personnages féconds :« Invente la planète suivante ».
Sfar, touche à tout de la BD est totalement fidèle à l’esprit, à la poésie, à la tendresse, à la sagesse de l’original. Il apporte sa touche avec subtilité : sa rose avec ses rondeurs féminines met au jour ce qui n’était divulgué que récemment des amours de Saint Ex, tout en restant respectueux de l’auteur. L’aviateur apparaît au cours des dialogues avec un Petit Prince aux grands yeux qui s’embuent souvent comme les nôtres en relisant la fin d’une histoire mélancolique où l’idée de la mort comme dans tant de contes pour enfants est très présente.
Le Prince n’a pas été épargné par la marchandisation, ce travail de Sfar n’entre pas du tout dans la sarabande des trousses, drap et autres produits dérivés, il est comme le Forestier interprétant Brassens, fidèle tout en restant lui-même : un enfant qui s’étonne.

lundi 23 janvier 2012

Les nouveaux chiens de garde. Gilles Balbastre Yannick Kergoat.

Entre marchands de canons, de béton et celui des Rafales, je croyais tout savoir sur la faible indépendance des médias ; hé bien, l’effet d’accumulation concernant les connivences, l’omniprésence des mêmes « experts » éditorialistes, donne le vertige. Les responsables de journaux dans les tournantes de la « chefferie » sont ridicules.
Il y a de quoi rire, mais aussi d’être accablé quand Julliard dont j’apprécie pourtant les éditoriaux se montre tellement d’accord avec Ferry (Luc).
Joffrin fait peine dans une question tellement déférente à Chirac, et comme pour Duhamel, cible très prévisible, ses cumuls nuisent à la profondeur de ses analyses.
Pujadas demandant aux Conti de ne pas embêter les patrons, se faisant envoyer sur les roses, c’est vraiment plaisant.
Giordano et ses « ménages » parmi tant d’autres : Sinclair, Ockrent, belles illustrations du mélange des genres, qui se réjouissent de la fin de l’époque Peyrefitte lorsque le ministre de l’information venait expliquer à Zitrone les nouvelles formes de l’information : au moins il y avait moins d’hypocrisies et Val chantait : « rien n’est plus beau que l’autogestion ».
Dans un secteur en crise grave avec des journaux « aux jarrets coupés », des évolutions ont eu lieu, depuis le livre d’Halimi , « les chiens de garde », illustré dans ce montage plaisant. Plenel par exemple ne tient plus tribune commune avec Minc et Colombani. Avec Médiapart, il a ouvert un espace alternatif sur le web, lieu essentiel d’infos, dont il n’est aucunement question dans le film.
Tout bouge rapidement, les têtes de marionnettes devraient se renouveler, pourtant la longévité est la caractéristique dans ces cercles là : Elkabbach et Drucker prêchent la mobilité et Attali les vertus du nomadisme : ils n’ont guère bougé des studios où ils campent.
Le titre est inspiré du livre de Paul Nizan « Les chiens de garde »:
« Que font les penseurs de métier au milieu de ces ébranlements ? Ils gardent encore leur silence. Ils n'avertissent pas. Ils ne dénoncent pas. Ils ne sont pas transformés. Ils ne sont pas retournés. L'écart entre leur pensée et l'univers en proie aux catastrophes grandit chaque semaine, chaque jour, et ils ne sont pas alertés. Et ils n'alertent pas. L'écart entre leurs promesses et la situation des hommes est plus scandaleux qu'il ne fut jamais. Et ils ne bougent point. Ils restent du même côté de la barricade. Ils tiennent les mêmes assemblées, publient les mêmes livres. Tous ceux qui avaient la simplicité d'attendre leurs paroles commencent à se révolter, ou à rire. »

dimanche 22 janvier 2012

L’histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge.

Je savais que Mnouchkine avait monté la pièce d’Hélène Cixous il y a bien des années déjà (26 ans), alors j’avais pris des billets à la MC2, les yeux fermés.
Mais il s’agit d’une nouvelle version en Khmer surtitrée de trois heures vingt. Après l’entracte, je ne suis pas revenu. J’avais cependant rencontré une autre admiratrice du Théâtre du Soleil qui avait été enthousiasmée par la création de deux fois quatre heures, elle reconnaissait que cette interprétation était un peu raide et didactique. Quant aux anciens élèves que ma femme connaissait qui n’avaient pas d’éléments historiques à leur disposition ils étaient face à une énigme, tant les détours de l’histoire là bas sont compliqués.
La vraie vie du Roi « père du Cambodge » et par ailleurs correspondant du Canard Enchaîné était faite pour être portée au théâtre même avant d’être mise en lumière par des acteurs pour beaucoup orphelins depuis les années rouges. C’est une jeune fille qui interprétait en hurlant le rôle de Norodom.
La démarche de faire jouer cette pièce par les Cambodgiens eux-mêmes est bien sûr sympathique, mais leur jeu m’a paru appuyé, frontal, peu approprié pour évoquer les ambigüités, les finesses du personnage principal surnommé « l’insubmersible ». Celui-ci considérait que la monogamie était monotone, il avait eu sept épouses et quatorze enfants dont cinq ont péri sous le régime khmer rouge.
Ces 25 acteurs et 5 musiciens sur leurs tréteaux ont présenté un travail indispensable pour leur pays dont les habitants à la mémoire ravagée m’avaient semblé si fragiles. Mais pour moi, spectateurs de la MC 2, la barrière de la langue, la complexité des sujets abordés, la longueur de la représentation ont dominé ma bonne volonté.

samedi 21 janvier 2012

Assommons les pauvres. Shumona Sinha

L’auteure Bengalie sait de quoi elle parle ; interprète auprès des demandeurs d’asile, placée entre deux mondes, elle n’y va pas avec le dos de la cuillère et son style poétique ne brode pas la métaphore mais révèle les faux semblants, les mensonges, et crie la misère du monde.
« Les enfants soldats protègent leur foyer avec leurs bras d’allumettes. Ils remplissent leur cage d’os d’un grand souffle et se plongent dans la piscine sale de la pluie, dans les larges trous des trottoirs. Le fleuve déborde et noie la ville. » 
Un fois encore c’est une étrangère qui régénère notre langue comme Makine le fit.
Sa colère qui éclate d’une façon fortuite se développe comme dans un ralenti, en ménageant les flous.
L’écriture précieuse n’atténue pas la brutalité des faits. La romancière ne se place pas en surplomb avec pourtant une expression, une précision qui nous séduisent sans tomber dans le formalisme. Sa sincérité est un garde fou.
« Dès l’entrée ces hommes rappelaient l’arrière des boutiques et des restaurants faussement chics de la ville. Ils me rappelaient la crasse, l’eau sale et le tintement mélancolique des vaisselles bon marché, le parfum âpre des tissus exotiques. Ils étaient le revers de la broderie, ils étaient le dos noir des poêles trop usées, ils étaient la face cachée de la mascarade. Les officiers les interrogeaient, ils répondaient, je traduisais, je faisais le trait d’union entre eux. »

vendredi 20 janvier 2012

Comment aimer l’impôt ?

« Les riches se sont considérablement enrichis, mais ils rendent moins à la société qu’autrefois. »T Pech
L’affaire Bettencourt a eu un effet de dévoilement du Bouclier fiscal, révélateur des pratiques où Woerth était un des acteurs des plus emblématiques. Le ministre du Budget garant de l’état conseillait ainsi publiquement une association de guides chamoniards pour payer moins à la collectivité (août 2010. Dauphiné Libéré). C’était du temps où ce pilier de la Sarkosie réservait l’honneur des médailles aux gestionnaires de fortune. Tellement ordinaire, que cela me choque presque plus que ses abus, magouilles, (conflits d'intérêts, financement de l'UMP, cession de l'hippodrome de Compiègne…) auxquels nous nous étions familiarisés.
Puisqu’il était question en ce mois de novembre de « refaire société », une fois encore j’ai choisi de suivre un débat sur la réhabilitation de l’impôt lors des journées de la République des idées. Etaient invités un historien, un syndicaliste et l’économiste Camille Landais qui a écrit avec Thomas Piketty et Emmanuel Saez le livre faisant désormais référence « Pour une révolution fiscale ». Quand il s'agit de simplifier la fiscalité et la rendre plus équitable, la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu, individualisé et progressif est une des mesures les plus marquantes.
Le terme contribution a remplacé le mot impôt qui se trouva affublé par Franklin lui-même de la même certitude que la mort.
Et pourtant sans impôt pas de société et il est loin le temps où le citoyen s’honorait en payant ses taxes. C’est que l’opacité, la complexité sont devenues des données structurelles. Et l’érosion de la morale publique le bruit de fond de nos feuilletons.
Alors améliorer l’information avec un accès aux statistiques comme dans les pays nordiques serait logique avec bien sûr, évidemment, nécessairement, l’accroissement de la pression fiscale sur les plus aisés :  
« prendre le superflu, plutôt que le nécessaire »
Un référendum en Californie où s’était exprimé un refus de l’augmentation de la fiscalité a mis en évidence une explosion des coûts pour les individus quand la mutualisation n’est plus là. Pour rendre l’impôt plus aimable, l’aborder par la contre partie : le coût d’un élève…
La retenue à la source demande une gestion plus fine et n’abaisserait pas forcément le coût de la collecte, là les experts ne sont pas forcément d’accord.
La crise va accélérer les mutations et les délais seront peut être raccourcis par rapport à l’impôt sur le revenu conçu en 1848 et appliqué en 1914. La France affiche souvent des intentions plus égalitaires, mais à force d’abattements et des niches fiscales, le niveau de l’impôt à payer est bien faible pour les plus riches des riches, même s’ils ne pourront à eux seuls combler tous nos déficits.

jeudi 19 janvier 2012

L’art change-t-il le monde ?


« L'art ne vient pas se coucher dans les lits qu'on a faits pour lui. Il se sauve aussitôt qu'on prononce son nom. Ce qu'il aime c'est l'incognito ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s'appelle » Dubuffet .
Avec ce sujet style baccalauréat, le débat de la République des idées électrisa pourtant la salle et mit à mal nos bonnes volontés tolérantes quand une artiste présenta son travail à coup de Power point et de langage branchouille qui touille les absconseries de l’art contemporain et les mots du management.
Un artiviste travaillant au service du mouvement social, plus séducteur lui succéda, mais lui aussi n’échappait pas aux contradictions. Les portes de la Tate se sont ouvertes pour lui mais n'a pas pas supporté ses postillons dans la soupe, les portes ne se sont plus ouvertes: victoire! Mettre des nez rouges dans les manifs entre aussi dans une production d’images qui s’autodétruiront quand le sens aura été raboté par les machines déchiqueteuses d’informations.
V. Hugo fit avancer la cause de l’abolition de la peine de mort, et avec « Halte aux démolisseurs » préserva le patrimoine, A. Londres fit fermer les bagnes et un T. Roosevelt prit des idées chez des romanciers.
Le film « Indigènes » fut un succès et J. Chirac remit à niveau les pensions qui attendaient depuis belle lurette « un acte de justice et de reconnaissance envers tous ceux qui sont venus de l’ex-empire français combattre sous notre drapeau ».
« L’art contemporain a toujours été un accessoire de la très grande richesse » et la bulle spéculative a beau être teintée de poésie, dans le monde arty règne une compétition impitoyable, avec ses réseaux, sa précarité : tous les traits du capitalisme dans ses féroces pratiques.
Le monde a changé l’art.

mercredi 18 janvier 2012

Chatillon sur Seine.

La commune bourguignonne, au nom qui chante, située dans les courbes d’une Seine à ses débuts, recèle aussi la source de la Douix dont une résurgence était un sanctuaire guérisseur.
L’église pré romane abrita des pillages normands, les reliques de Saint Vorle à qui on prète le don de l’ubiquité.
Datant de l’an mil, elle comporte une mise au tombeau dans le style champenois aux drapés qui valent le détour. A ses pieds la vieille ville avec des maisons remarquables tel cet hôtel renaissance d’un bourgeois qui se ruina dans cette construction et une allée d’arbres financée par les amendes qu’ont dû acquitter des boulangers réticents aux taxes au XVII° siècle.
La ville est calme mais pas sans histoire, Napoléon y passa et Garibaldi s’y battit, Joffre lança la bataille de la Marne depuis là.
La bourgade essentiellement agricole conserve des activités métallurgiques qui remontent à fort loin.
Dans une ancienne abbaye est installé le musée du Chatillonais dont la pièce maîtresse est le cratère de Vix. Trouvé dans une tombe, ce service à boire de 200 kg pouvant contenir 1000 litres de vin aromatisé, il accompagnait sous un tumulus depuis 2500 ans une princesse gauloise. Fabriqué en Italie par des grecs, il est le vase antique en bronze le plus vaste jamais découvert. La dame de Vix dont le corps reposait sur un char dont les roues avaient été démontées, était richement parée en particulier avec un collier (torque) en or. A cette époque, fin de l’âge du fer, la communauté celte qui était établie autour du mont Lassois faisait commerce de l’étain indispensable pour la fabrication du bronze.