samedi 24 janvier 2009

Les profs


BD aux éditions Bamboo qui ont aussi commis des albums sur les gendarmes, les pompiers, les rugbymen, les maîtres nageurs… mais le succès de cette série consacrée aux profs, comportant 11 volumes, prouve qu’il y avait un marché pour cet humour de bon aloi à déguster entre professionnels. Si un assureur est aussi adepte de la pétanque, voilà deux bonnes raisons de vendre des albums pour cette maison d’édition. Ce n’est pas d’une innovation folle, mais parfois Pica et Erroc tapent juste. J’en avais feuilleté quelques exemplaires vite oubliés dans les rayonnages de super marché, un double cadeau me permet de réviser ces portraits rigolards et sympathiques. La série tient plus « des bronzés en salle des profs » que d’ « entre les murs » mais les auteurs sont documentés et leurs traits valent ceux des responsables des rubriques éducation de bien des publications dont je m’abreuve. Dans la comédie humaine, une dose d’humour est salutaire comme le café en gobelet issu de la mythique machine à café. Les échantillons allant de la prof séductrice, au pleurnichard, au froussard sont vraiment fidèles à la réalité, de même que leur volonté de réduire l’ignorance d’une bande d’élèves qui cherchent à en faire le moins possible. Gentillet.

jeudi 22 janvier 2009

« Eduquer, c’est mourir »


Soit le silence qui suit cette sentence est porteur de pensée, soit la consternation vous gagne et vous n’entendez plus le ronron qui se rattrape aux branches des paradoxes « parce qu’il faut vivre pour mourir ». « Cause toujours ma poule, j’tembrouille »
J’aime parfois les psychanalystes, ils vous bousculent grave, ils sont tellement joueurs de mots, bienvenus au club des poètes ! J’ai eu, récemment, l’occasion d’en écouter une, au milieu d’éducateurs, autour de la question d’éduquer, action qui m’a occupé jusque là pas mal d’heures. Depuis longtemps je n’avais pas brandi mon appartenance à l’éducation nationale, mais quand j’ai jugé que trop de torts étaient attribués aux travailleurs de l’école, j’ai eu un retour de refoulé corporatiste.
Puisqu’il semble qu’éduquer soit une façon de parler, bien que son institution soit construite sur le vide (la parole), les mots, gros, n’ont pas manqué : "béance", "impossibilité", voire "éduquer, c’est mourir". Mais je suis mithridatisé.
La forte connotation psy autorise les jeux de mots (expert=ex-père), les images symboliques (« l’éducation, c’est une façon de disposer les fleurs dans le vase narcissique ») et l’autodérision : « en psychanalyse si vous prenez un voyou, à la sortie vous obtiendrez un voyou psychanalysé ».
Mais sur ce constat, on ne peut plus vide, il semble qu’à l’impossible soient tenus les éducateurs, non pas pour réduire les symptômes, bien que la demande politique avec ses grilles évaluatives penche de ce côté, mais pour aider à affronter la douleur d’exister, sacrifier ses pulsions. Il s’agit de surmonter la jouissance qui vous laisse au lit tout le temps pour entrer dans le désir qui vous fait gagner le lit, de temps en temps. J’ai bien voulu être frappé par le nombre important de cas dont les souffrances sont liées aux troubles du sommeil. Cela rejoint une de mes perceptions concernant les décalages sociaux entre le monde de la nuit peuplé de solitaires engloutis par leurs machines informatiques et le temps ensoleillé où peuvent s’apercevoir les autres, en vrai. Au fait quel temps fait-il, aujourd’hui ?
En ces temps de souffrance économique, j’ai mis du temps à comprendre qu’ « inscrire les gens dans la dette » (devoir) pouvait être positif, pour que ceux-ci sortent de la demande qui empêche le désir. Renoncer à être un objet dévoré par les images, mais s’inscrire dans une histoire en évitant de s’en raconter, des histoires, se réordonner. Même si remettre ses affaires en place peut faire du bruit.
La tache des travailleurs sociaux est des plus difficiles, envahis par les comptages administratifs, les formations là aussi tendent à devenir technocratiques.
La question d’Hölderlin « Pourquoi des poètes, en ces temps de détresse ? » risque de rencontrer le silence, même si c’est bien dit.

ACDA


Je fréquente cette année les Ateliers de Création et de Développement Artistique (ACDA) sur la zone industrielle de Saint Egrève.
J’ai choisi « modèles vivants » avec « maître » Blanc Brude qui dirige avec énergie cet atelier. Mais pour 270€, je peux avoir accès à d’autres cours de gravure, de modelage, d’aquarelle… (30h par semaine). Je réapprends à dessiner en essayant de saisir le mouvement d’une danseuse, ou la grâce d’une jeune femme prenant la pose un instant.
Je redécouvre le plaisir enfantin de m’amuser avec des crayons neufs, des papiers nouveaux quitte à gâcher pas mal de feuilles. Un travail, un plaisir.
Le premier jour au bout de trois heures j’étais épuisé pour avoir manié mon seul crayon 8B, alors que la jeune femme, qui en gestes déliés, avait évolué tout ce temps, restait tout à fait fraîche.

mercredi 21 janvier 2009

Géo. Faire classe # 18


Science de l’extérieur, elle tapisse l’intérieur de la classe.
Au mur, 1. une carte de la commune est affichée et montre l’école, des quartiers, des bâtiments caractéristiques. Le pourtour de la ville est reporté sur 2. une carte de Cassini voisine représentant une partie du département au XVIIIième siècle, son contour s’inscrit sur 3. la carte en relief de la région, indiquée elle-même sur 4. la carte de France, reportée à son tour sur 5. la carte politique de l’Europe, elle aussi en évidence sur 6. la carte du monde.
De chacune de ces cartes gigognes partent des fils de laine reliés aux cartes postales des vacances, de photographies de lieux évoqués dans les entretiens. Equivalent collectif de « mes mots » en orthographe : « mes images ». Présente depuis toujours, une photographie d’une classe du Cameroun rappelle les conditions de travail très difficiles dans ces contrées. Les élèves de là bas parcouraient une bonne dizaine de kilomètres par jour pour se rendre à des cours bien déficients, dans des locaux délabrés.
« D’où je parle ? » « Savoir où j’habite. »
Chaque année des volontaires prêtaient à la classe leurs globes terrestres qui restaient bien sûr toujours à portée de main et de rêve des camarades, pas en haut de placard fermé.
« Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! »
Baudelaire
Dans le couloir conduisant à la bibliothèque, dans de beaux cadres, des photographies aériennes de l’agglomération, du quartier avant et après son urbanisation, égayaient les murs.
Bien sûr, nos sorties dans le Vercors pour le ski, nos classes de mer en Bretagne furent des moments privilégiés pour contredire l’ idée toute faite qui prend les français pour des nuls en géographie.
Terre à terre : retour de vacances, le littoral et les visages de la France en liaison avec l’expression artistique ; le nez bourgeonnant de la Bretagne. Les climats : liaison avec les sciences et les instruments de mesure : reprise des climats du monde ; nuances chez les tempérés. Après les rides des reliefs, la population de la France et le travail des hommes, la région Rhône Alpes la physique et l’humaine. Diapositives, petits films, papiers calques et crayons de couleurs.
Autour de l’Europe : un exposé à préparer à deux s’élabore autour d’une bonne douzaine de pays avec des statuts différents : lettre aux ambassades, calendrier prévisionnel pour la programmation des présentations, grille commune de renseignements à rechercher, notes évaluées par les acteurs et les spectateurs, critiques. Les duos rivalisent d’originalité depuis le jour légendaire où une maman a préparé, dès le petit déjeuner, des frites destinées à chaque auditeur se formant ainsi une idée plus vivante de la Belgique. D’autres s’attirent les faveurs du jury par des musiques, bienvenue dans la langue du pays, petits drapeaux montés sur de cure-dents, interro-écrite par les présentateurs, gâteaux.

mardi 20 janvier 2009

Michel Zevaco , la fureur de lire

Premier épisode: Atelier d’écriture
Quelle idée d’avoir proposé « bibliothèque » ! Tout à coup tu te dessèches, crevant d’ennui sur un banc d’école, rêvant à tes cabanes dans le bosquet aux sources de la Riante. Tu aimes les livres pourtant… La perspective d’un devoir à accomplir a-t-elle réveillé en toi la rébellion enfantine ?
Et pourtant tu aimes les livres et fréquentes « la » bibliothèque municipale.
Le mot imposé « bibliothèque » t’a agacée comme l’aurait fait un acouphène, une piqûre d’insecte, une fuite de robinet !
Jouer sur le mot, faire de l’esprit. Bof !
« Bon d’accord ? On prend ce mot comme déclencheur d’écriture … »
Et sniff ! A nous la poussière !
Bibi t’es toqué, la bibine en teck, la bible high tech, la bible en tchèque, l’habit bio-tech. Bref ça te « gratte » comme disent les gosses à juste titre : tu ne connais point de relation plus intime que celle d’une peau avec une puce. Et quand puce il y a on ne sait plus qui est tu et qui est moi.
De gratter le papier, aucune envie, mais l’obsession de t’y mettre te persécute au coucher, au lever, au petit déj, pendant les balades en montagne.
Et pourtant tu fréquentes une bibliothèque fort bien pourvue. Et pourtant tu aimes lire, et pourtant tu dévores des livres. Tu en as souvent trois en chantier que tu laisses bavarder entre eux : cela te repose de les laisser se critiquer ou s’aduler tandis que tu somnoles, que tu ronfles doucettement au tiède d’un fauteuil.
Deuxième épisode : Retour dans le passé
Tu as 13 ans. Ce que tes mère et tantes nomment « livres » ce sont des magazines édités après guerre : Confidences, Nous Deux, Bonnes soirées. Elles se les refilent. Tu les dérobes, les emportes dans ton coin secret ces éducateurs de vie sentimentale absolument cons. Et tu te gaves de feuilletons sucrés et moralisateurs. Tu sors de ces lectures les yeux hagards, les guibolles flageolantes : « T’as encore passé l’après midi à lire, tu ferais mieux de m’aider, dit ta mère. » Tu considères, vaguement honteuse, cette femme si terre à terre, aux ongles mal soignés, aux préoccupations grossières (comment finir le mois !) Ne voit-elle pas en sa fille l’émergence future (l’an prochain) d’une princesse adulée, d’une star du cinéma (Paramount), d’une assistante (faut quand même pas en demander trop !) de grand savant. Hein comment peut-elle l’ignorer ? Seuls les livres te comprennent et ton chien Adam si bien nommé, car il a de fameux crocs.
Au village de Caudry-en-Cambrésis (59), à l’époque, il n’y a pas de bibli. municipale. Il y a bien la bibli. de la paroisse tenue par une célibataire d’âge canonique pourvue d’un sublime jardin où nous pouvons nous égarer avec les abeilles et une Vie de Sainte. La vie des saintes est plus passionnante que celle des saints parce que les premières réagissent mieux aux différents martyrs, qu’elles laissent à leur passion des morceaux d’elles-mêmes. Mais leur vie est quand même insipide. Pas d’amants, de prétendants, d’amoureux. Vouées à des morts précoces, elles aiment un homme qui n’existe que dans le ciel, un homme sans bras vigoureux, sans voiture de course, sans compte en banque. Elles passent leur vie à se faire bouffer par des lions, ou dans le meilleur des cas à astiquer les parquets sous les quolibets des non initiées jusqu’à ce qu’elles choppent la tuberculose. Alors on les aime car elles vont avoir l’auréole.
D’autres mystères essentiels t’intéressaient mais les « livres » des tantes n’étaient guère explicites en la matière et que dire des leçons « live » du bouc et de la chèvre si dépourvues de poésie ?
Il y avait bien la bibli laïque : cinquante volumes dans l’armoire de la classe de quatrième du cours complémentaire : « Petite Fadette » , « Sans Famille », « En Famille », « Fabiola », « Ben Hur ». Les martyrs ne sont jamais loin même chez Jules Ferry.
Vous vous battiez pour les deux ou trois volumes les plus croustillants. Il y avait une liste d’attente. En juillet vous recouvriez de papier craft les livres usés ; on vous apprit même à les relier. Refaire un livre était passionnant, requerrait habileté et affection. Les grillons chantaient, vous attendiez les mois d’ennui des grandes vacances. Peut-être que l’amour ? Ce grand escogriffe aux mollets prometteurs sur son vélo de course et qui ne vous regardait pas.
Troisième épisode
La rencontre survint pourtant et ce ne fut pas dans une bibliothèque. Présidèrent à cet événement un film suivi d’un larcin.
On projetait au village, sur un drap tendu dans le parc municipal, un film qui mit en émoi toutes les cellules de ton organisme. Cela se passait dans la Tour de Nesle ; une terrible Marguerite de Bourgogne s’y livrait à des orgies. Ah le beau mot ! Comme il t’a fait rêver, imaginer ! Le héros ? Un magnifique personnage à la Mandrin, à la Robin des bois. Amoureuse folle du personnage, tu assistas aux trois épisodes de samedi en samedi et morte de chagrin après la disparition de l’élu, tu t’es traînée en état second de la maison au collège, de l’évier au lavoir, de ton lit à ton lit. C’était donc fini cet enchantement ? Tu ne verrais plus bondir le héros, de chevaux en murailles, de murailles en chevaux, de bras de belles en bras de plus belles, et bientôt dans tes bras à toi !
Il y avait une librairie à Caudry-en-Cambrésis (59)… Timidement tu as demandé si se vendait un livre dont on avait fait un film récent, Tour de Nesle et compagnie.
- Je dois le commander, te dit le libraire poupin. C’est un très gros roman vous savez. Cher (on n’avait pas encore inventé le pocket book) L’auteur, Mademoiselle, est Michel Zevaco.
Tu as commandé. Tu as volé dans la caisse de la boulangerie maternelle. Une pièce chaque jour pour masquer le larcin. La transgression est-elle nécessairement l’entrée en liberté ?
Un jeudi tu as réceptionné un gros bouquin qui n’entrait pas dans ton cartable.
Tu es entrée en religion. Tu ne quittais plus ta tour, te nourrissant d’eau, de sang, d’amours pirates.
Quand la lecture fut terminée, que ton amour t’eut quittée, il fut bien inutile d’essayer de réparer la rupture en relisant ici et là un passage. La passion ne fait pas marche arrière, quand bien même s’agirait-il d’une passion de papier.
Epilogue
Bien des années plus tard, te remémorant tes émois de lectrice devenue autonome, tu as constaté, mortifiée, que tu avais oublié le nom du héros volatile, sans avoir perdu pour autant celui de la sanguinaire bourguignonne.
Google a colmaté le trou de mémoire. Ton héros avait le sourire de ton père sur la toile blanche du parc municipal. L’aventurier intrépide se nommait Buridan. Rien à voir avec Buridan et son âne.
A treize ans tu as englouti les romans de Zevaco et autres auteurs de cap et d’épée. Jamais tu n’as retrouvé le goût du premier roman acheté en douce à Caudry-en-Cambrésis(59).
Alors de désespoir tu as épousé un rat de bibliothèque.

Marie Trèze

lundi 19 janvier 2009

Les plages d’Agnès

Ce film personnel d’Agnès Varda parle à chacun.
Un puzzle, malin et espiègle, épatant, pudique, inventif, pétillant, si peu mélancolique, intuitif et complètement maîtrisé, Sète et Noirmoutier, la « nouvelle vague », des miroirs, des couleurs vives, les photos, les films, les manifs, l’enfance, les enfants, Demy, Calder, Magritte, Los Angeles, les veuves, les filets, les bateaux, la voile latine, Braque.
Elle glane et chine et c’est plein de trouvailles.
Un bol de jouvence par une cinéaste enfantine qui joue ; elle joue à avoir 80 balais.
C’est ça le cinéma, du grand, de l’intime, celui qu’on aime.

dimanche 18 janvier 2009

Les possédés.


Un monument. Six heures de spectacle avec bortch à l’un des entractes : une expérience pas forcément fatigante, même s’il faut reconnaître des fléchissements de l’attention. Quelle chance d’accéder à cette œuvre majeure grâce à Chantal Morel, sans s’encombrer avec les multiples patronymes russes, en se délectant des questions éternelles posées violemment par Fédor Dostoïevski ! « Autant de richesse et si peu de joie - c’est dégoûtant pour moi »est une petite phrase mise en évidence sur le document distribué à l’entrée, mais il y en a tant de ces pensées qui tapent juste, que même si certaines échappent, assister à cette pièce, c’est comme ouvrir un coffre rempli de pépites de théologie, de politique, de psychologie, de dramaturgie, de poésie. Ecrit en 1870 : c’est ébouriffant d’actualité par exemple quand l’humaniste parasite mais émouvant demande ce qu’il y a de plus important : Shakespeare ou une paire de bottes ? Je me retrouvais dans une discussion récente au sein de notre association politique. L’observation aigüe des comportements humains, des passions, du fonctionnement des groupes, semblait datée de cette nuit. Les interrogations concernant Dieu, la mort ne sont pas plaqués sur une agitation de personnages, mais incarnées, les mots ne sont pas qu’un bruitage. La mort peut venir des mots. Nous sortons plus riches.