dimanche 8 juin 2025

Cher cinéma. Jean-Claude Gallotta.

J’aime retrouver, à chaque saison, les gestes du chorégraphe célébré bien au-delà de nos montagnes. Cette familiarité s’illumine à chaque fois de nouveauté. 
Pas de vidéo, ni de parodie pour cet hommage au septième art,  vibrant, fringant, fougueux.
De sa voix espiègle, il dit qu’il doit « le métier tout simplement » à Federico Fellini, 
que le cinéma avec Anne-Marie Mieville comme la danse « se fait à deux ». 
Il a appris l’insolence avec Bertrand Blier, 
le dépassement avec Nadège Trebal 
et la vérité des mensonges avec Raoul Ruiz. 
Il reconnaît l’exigence de Leos Carax, 
l’élégance de Nani Moretti, 
la dignité de Tonie Marshall, 
la fidélité de Claude Mourireas. 
Jean-Luc Godard fut le réalisateur de sa propre vie. 
Avec Robert Guédiguian, il ne faut pas oublier d’où l’on vient. 
S'il devait l’intensité à Patrice Chéreau,il la lui rendait bien dans la séquence qu'il lui a consacrée. Comme il rend un hommage sensible et léger à chacun des cinéastes, nous surprenant encore et encore au bout de ces 35 ans de scènes sautillants, où il sait si bien mettre en harmonie, la beauté qui nous « guérit » comme il dit.
Epatant.

samedi 7 juin 2025

Clamser à Tataouine. Raphaël Quenard.

Les cadavres divertissants, déjà abondants chez Fabcaro,  
s’accumulent dans ce roman du comédien à la mode, un « narvalo » comme on dit à Echirolles, sa ville d'origine,  
« Près de chez nous » du nom du film culte dans le même genre déjanté.
Les 190 pages plaisantes du « gadjo » punchy se lisent en un souffle. 
« La société doit s'acquitter de ce mal-être dont je la tiens responsable.
Pour que l'anéantissement soit total et que mon action porte, je dois frapper symboliquement. Je vais tuer un représentant de chacune des classes sociales.»
Le narrateur, tueur en série, a choisi de supprimer 
une aristocrate, 
une ingénieure, 
une jeune active, 
une femme de footballeur, 
une caissière, 
une SDF, 
avec en prime un homme qui l’agace.
Le psychopathe, mot plus familier dans les cours de récréation que le mot « maçon », 
est volubile. 
« Certains affirment que nos vies ont le sens qu'on leur donne. Je n'y crois pas. 
Pour moi, nos vies ont le sens que les autres lui donnent. 
Notre entourage fait de nous ce qu'on devient et non l'inverse. 
La mer érode le rocher pour lui donner sa forme. Elle le travaille, le façonne. Imparfaitement, bien sûr. Les mouvements d'eau sont aussi erratiques que ceux de nos entourages respectifs. Se fracassant sur nous comme la mer sur son rivage, ils nous donnent forme. Libre à nous d'aménager la côte pour contenir ses assauts. »
L'écrivain, en son premier roman, a le sens de la formule et des paradoxes que j’aime tant traquer :  
« Comme tous les conseils sortant d’une bouche plus âgée, on ne les comprend que plus tard. Nul pédagogue n’égale le temps qui passe. »
« Nos recoins les plus obscurs ont ceci de paradoxal qu’ils nous éclairent. »
« A Paris, la concentration démographique annihile toute individualité.
C’est là que j’ai commencé à prendre conscience de mon insignifiance.
C’est dans le trop-plein que l’idée du vide est née. »
« On rêve de tout donner à celui qui ne veut rien.» 
Un amour des femmes manifesté de façon expéditive participe à un ensemble politiquement incorrect. 
Son humour noir dispensé à jet continu permet de conclure brillamment par une fin morale. 
Il était temps ! Délicieux. 

vendredi 6 juin 2025

Distance.

 L’ « éco anxiété » n'affecte guère les enfants du Bangladesh mais plutôt les nôtres
enclins au burn out, au stress, maintenant atteints de « politico anxiété ».
Une flemme subite m'évitera de disserter cette fois sur les fatigues dues au travail.  
Notre vocabulaire s’appauvrit et dans le même temps se gonfle de mots périssables, 
mais sur ce coup « politico anxiété » reflète une réalité qui conduit à éviter les flashs d'informations et les prescriptions moralisatrices de Sandrine Rousseau.
« Les soubresauts de nos petites humeurs 
se révèlent les répliques de tremblements de terre mondialisés ». 
Roger Pol Droit
Que pouvons-nous pour l’Ukraine, le Soudan, Gaza ? 
Ce qui s’y déroule pourtant nous pèse, même si notre capacité à nous émouvoir se fatigue.
Les témoignages les plus poignants, les analyses les plus fines n’abolissent pas les kilomètres. 
A l’abri des drones, la distance dans l’espace nous sauve, comme celle que nous pouvons prendre avec le temps.
On se défendra de faire preuve d’indifférence, mais il est possible de parler d’hygiène mentale permettant de discerner ce qui est à notre portée et les vaines paroles.
Il est à noter que ceux qui refusent de dire leur mot quand on le leur demande lors d’un scrutin, sont les plus virulents commentateurs de faits envers lesquels ils sont impuissants.
Les ravis d'eux mêmes n'en abandonnent pas leur mantra contre le néo libéralisme bien qu'il soit difficile de savoir si la version capitaliste des golfeurs américains est plus nocive que celle des Chinois, fut-elle de rouge revêtue.   
Dans les intervalles qui séparent les individus, « les autres » mis à distance, souvent source de peur et de mépris, sont désignés comme responsables.  
« Je » a beau jouer à être un autre, il fait bien souvent peser sur autrui des blessures passées et quelques péripéties défavorables du présent. 
« Ils » sont coupables de tout et moi je geins : la troisième personne passe au premier rang.  
L’essentialisation devient habituelle, on parle en général pour éviter les remises en causes intimes. 
Dans les changements de focales entre grand et petit, fort et faible, ici et là bas, "se donner la main" ou "en prendre plein la gueule", la France coloniale qui assouvissait les peuples n'arrive même pas à faire libérer un écrivain octogénaire emprisonné dans un pays émancipé depuis soixante ans de l'autre côté de la Méditerranée. 
Les décisions de justice contradictoires concernant une autoroute, un établissement sous contrat, ne renforcent pas l'autorité de l'état, que ses propres représentants affaiblissent en votant par exemple la suppression des ZFE ou rétablissant l'autorisation d'un pesticide d'ailleurs utilisé ailleurs
...............
Dans "Charlie" 

jeudi 5 juin 2025

Histoire de l’art en BD. Marion Augustin Bruno Heitz.

Que la BD traite de l’histoire de l’art, cela va de soi, puisque celle-ci met en images l’Histoire  tout court, avec ses bruits et sa fureur déjà illustrée avec humour par Bruno Heitz dont j’avais abondamment exploité pour mes élèves le sens de la pédagogie. 
Cette fois ce sont mes petits enfants qui me servent d’alibi pour l’achat d’un coffret de 7 albums depuis les premières traces de l’homme de 75 000 ans d’âge jusqu’au graff tout frais au coin de la rue. 
Les révisions peuvent avoir la même saveur que les découvertes qui ne manquent pas, malgré l’ampleur de l’entreprise laissant de la place à de pittoresques anecdotes.  
Trois livrets consacrés à Léonard de Vinci, à Van Gogh et l’autre à Monet précisent par ces biographies les étapes majeures de l’évolution de la représentation du monde par les peintres, sculpteurs, architectes qui exprimaient leur temps, le précédaient.
C’est un grand père qui conduit ses héritiers de Venise au Louvre à Orsay, Beaubourg, comme celui de Mona dans un ouvrage plus exhaustif : 
Botticelli, Bruegel, Dali, le cheval de Lascaux se reconnaissent sur les couvertures de chaque volume d’une soixantaine de pages comprenant quelques reproductions pour compléter ce voyage agréable dans le temps. 
Il est plaisant de voir évoquer la période impressionniste par un adepte de la ligne claire, ou la période baroque avec des personnages dont un point suffit à figurer les yeux. Le regard de Picasso, lui, est différent.

mercredi 4 juin 2025

Soissons, Evry

Ce matin le temps s’annonce bien gris.
Nous nous apprêtons à continuer notre périple mais avant de quitter Soissons une saisissante silhouette accroche notre attention : elle se détache sur une petite colline, au-dessus d’une impasse : c’est l’abbaye Saint Jean-des-vignes, fondée en 1070 pour des chanoines réguliers soumis à la règle de Saint Augustin.

Nous nous rapprochons de l’entrée en voiture jusqu’au portail.
Outre la grille, il ne reste qu’une haute façade rythmée par 3 portes décorées, percée étonnamment par les encadrements intacts des vitraux et de la rosace disparus qui sertissent des morceaux de ciel.
Il subsiste des gargouilles et des sculptures dont celle d’un Christ en croix sur la flèche gauche (rare parait-il) ; quelques motifs stylisés sur des plaques décorent des parties plus basses. Le bâtiment se prolonge sur la droite, avec l’apparence d’une nef.
Faisant face à l’église, la maison de l’abbé, ou d’un gradé religieux supérieur, comporte une tour curieuse, il ne serait pas surprenant qu’elle renferme un escalier. Des travaux de réhabilitation financés surtout par une association et du mécénat s’appliquent  à tout l’ensemble architectural, mais que de travail encore en vue !

Loin du tourisme, inattendue dans notre programme, nous apprécions cette découverte d’un site historique en voie de renaissance après les dégradations du temps et des hommes. Nous remontons en voiture direction Sermaise. 
Nous obliquons en cours de route vers EVRY à la recherche d’une librairie. Nous  déposons la voiture au parking souterrain de la mairie et de la cathédrale, sous la place caractérisée par une architecture moderne en briquettes rouges.

La cathédrale de la Résurrection Saint Corbinien de l’architecte Mario Botta ne ressemble en rien à une église et la croix qui l’identifie se fait très discrète. Elle date de 1995.
De forme ronde, elle rappelle les 1ères habitations humaines. Les briques de Toulouse choisies symbolisent les quatre éléments car elles sont confectionnées avec de la terre, de l’eau, séchées à l’air et cuites au feu. Le sommet du cylindre s’incline, découpé  en biseau et porte une chevelure faite de 24 tilleuls verts opposée au rouge des briques. Le campanile extérieur, sorte d’excroissance  soutient les 5 cloches. A proximité, une simple porte, donne accès au sanctuaire. Cette ouverture discrète ne s’intègre pas dans une façade arborant un portail avec les symboles et les attributs de l’église, aucune statue, aucune peinture, n’apparait, place à la  sobriété.
Passés le seuil, au niveau de la tribune de l’orgue, nous dominons l’intérieur  et profitons d’une vue d’ensemble en léger surplomb.  2 rampes latérales en marches décalées conduisent  en bas à la « nef » circulaire.  Du granit noir du Brésil recouvre le sol, il valorise les murs de briques et la couleur miel  des bancs  en bois de chêne de bourgogne, bien alignés, privés d’agenouilloirs, mais plutôt inconfortables.
Je n’apprécie pas tellement les vitraux abstraits, par contre je reconnais l’originalité du chemin de croix à base de photos où figurent de vraies personnes. 
La lumière pénètre par un toit ou un plafond des plus modernes bien étudié pour accentuer une impression d’espace de grandeur et de clarté. Avant de sortir, nous visitons la  petite « chapelle du jour » de forme octogonale  placée sous l’entrée. Malgré l’horaire ne correspondant à aucun office, malgré le jour de la semaine, des fidèles  fréquentent le lieu (pas des touristes), en majorité des gens de couleur, dont  la ferveur nous émeut : il y a cet homme à genou qui prie à haute voix et les yeux fermés du fond de l’église et puis ce groupe de femmes unies dans une récitation et des chants responsoriaux pratiqués en cercle dans l’intimité de la chapelle : 
Nous découvrons une église moderne mais une  église vivante. Nous nous éclipsons de cet endroit de recueillement sur la pointe des pieds pour rejoindre un monde moins spirituel, à la recherche d’un "Guide du routard".
Derrière la gare est implanté un grand centre commercial du type La Part Dieu. Là aussi nous croisons une population majoritairement noire, à croire que tous les blancs ont émigré pour les vacances. Nous déambulons de galeries en galeries, du rez-de chaussée aux étages, sans dénicher un magasin susceptible de vendre des livres. Pourtant Evry est une ville universitaire et cependant elle ne possède pas de librairie ainsi que nous le confirme  une élue de la mairie questionnée par hasard devant le rayon livres de Carrefour. Par contre, le centre commercial possède un cabinet médical.
Vu l’heure, nous nous installons au restaurant asiatique « Katori » devant un bobun servi avec diligence et retournons à la voiture où une surprise nous attend au moment de payer : nous n’avions pas lu les tarifs en entier ; 4 € l’heure, 8 € les 2 heures, ce qui est déjà cher, 
mais 50 € au-delà, ce qui correspond à notre cas…..

En voiture nous faisons un tour dans le quartier des Pyramides classé comme l’un des  plus chauds et  rendu célèbre par ses jeunes, prompts à la baston avec ceux des Tarterêt de Corbeil-Essonne.

En bordure s’élève une superbe mosquée neuve en béton, construite de 1984 à 1994, contemporaine de la cathédrale de la Résurrection. Elle  répond aux canons du style marocain dont elle reprend les porches, les arrondis lobés des portes et les tuiles vernissées vertes  protégeant les avancées. Un des minarets supporte un bulbe aux couleurs de la France.

Gédéon, ainsi nous avons baptisé notre voiture, nous signale un problème de pneus dégonflés et nous comptons sur les services du GPS pour nous orienter vers un garage Renault mais l’approche du 15 août complique les choses. Nous y parvenons finalement, fausse alerte.

Ainsi tranquillisés, nous nous  acheminons vers notre Airbnb dans un manoir à SERMAISE. Il fait partie d’un ensemble protégé derrière un lourd portail ancien en bois, comprenant une maison de maitre faisant face à  une dépendance actuellement utilisée pour l’entretien de vélos de randonnées  et d’un ancien colombier charmant  transformé en gîte. Les espaces extérieurs bien que propres, manquent cependant d’entretien au niveau de la  « pelouse »  et d’une piscine hors d’usage.

Les proprio attachent plus d’importance à la présence d’animaux parqués dans une partie de la petite propriété. Nous prenons possession de notre pigeonnier après avoir grimpé l’escalier externe jusqu’à une vieille porte. L’intérieur  présente une curieuse entrée où il faut monter puis redescendre 5 marches pour passer dans la pièce à vivre avec kitchenette. La chambre minuscule se trouve à l’étage supérieur comme les sanitaires et ressemble à un petit nid idéal pour roucouler. Il manque juste de prises électriques pour recharger les téléphones.

Il nous faut songer au ravitaillement pour ce soir, et tant qu’à faire,

nous tirons jusqu’à DOURDAN à 6km de distance seulement promettant plus de possibilités qu’à Sermaise. Nous découvrons une petite cité touristique peu fréquentée.
Elle peut s’enorgueillir d’un château fort du XIII° siècle, son église Saint Germain l’Auxerrois ne manque pas d’intérêt  et s’avère à l’intérieur impressionnante de hauteur, hauteur accentuée par un manque de largeur. Elle dispose d’un hôtel Dieu (fermé) et de vieilles halles toujours en activité les jours de marché.
Beaucoup de commerçants ont baissé rideau pour profiter de congés, mais un U bien achalandé près de l’hôtel Dieu nous contente amplement,  alors nous retournons  à notre manoir pour une soirée paisible.

mardi 3 juin 2025

Xana.

Lors de la victoire du PSG, un tifo des supporters a rendu hommage à Xana, la fille de l’entraineur, décédée en 2019. 
Le football, amuseur en chef, dont les banderoles font parfois polémiques, a inscrit cette blessure intime au cœur de la fête. 
L'image rappelant la douleur suprême était brandie parmi tant de fugaces feux de Bengale.
Cette épreuve, Luis Henrique, le coach, l’avait évoquée d’une façon remarquable : 
« Xana est venue vivre avec nous pendant neuf merveilleuses années.» 
Ce malheur sublimé, bouleversant la hiérarchie des évènements, lui a permis, entre autres, de révéler de jeunes joueurs, allégés de « la pression ».
Tel acteur de théâtre peut envisager une carrière, même éphémère, du moment qu'il est rassuré sur son être, sur le sens de sa vie. Un sportif s’épanouira s'il comprend que ce n’est que du foot. 
Ce qui n’empêche pas la passion - au contraire - ni de saisir l’occasion de partager des moments de réjouissances. 
« Le récit de la fête est la moitié de la fête. » Proverbe tadjik 
Lors de cette victoire en finale de la Ligue des champions, les adjectifs hyperboliques, par exemple : « historique », peuvent être lus aussi au second degré. C'est tellement bon d’exagérer, d'oublier d’être raisonnable de temps en temps. Le recul, l’humour, donnent de l’air à la sagesse, rendent le discernement plus aimable.
Avouer avoir apprécié la prestation du PSG, bien que l’OM soit mon équipe préférée, pourrait presque passer pour une audace, tellement la négativité devient plus naturelle qu’un "Perrier tranche".  
« Paris vaut bien une liesse » titrait Libération. 
Mais désormais, ces moments d’effervescence populaire profitent aux casseurs, casseurs d'ambiance, interdisant la rue aux enfants.
Les avis généraux prospèrent en fourrant dans le même sac, les malfaisants, tous les amateurs de football et un conducteur irresponsable de BMW .
Des insultes à l’égard de ces barbares urbains signeraient leur victoire. 
Mais l’incompréhension me submerge incluant aussi ceux qui les excusent.
Il ne fait pas bon devenir de plus en plus bête. 

lundi 2 juin 2025

Marco, l’énigme d’une vie. Aitor Arregi Jon Garaño.

Après 20 ans de travail, les réalisateurs espagnols restituent une histoire vraie:
le président de l’’Association des victimes de l’holocauste était un affabulateur.
Cette imposture révélée par un historien, peu enclin à la médiatisation, avait créé un traumatisme familial et surtout un choc politique qui a pu réjouir les négationnistes.
Même après la découverte de la mystification, le beau parleur avait essayé de partager sa culpabilité avec son public en demande de témoignages bien racontés.
Un camp de concentration:
« Vous entrez par la porte, vous ressortez par la cheminée. » 
A une autre échelle nous sommes renvoyés à nos propres arrangements avec notre passé, comme lui inventant des souvenirs héroïques pour se racheter de ses mauvais choix d’antan.
Eduard Fernández incarne un excellent menteur, quel acteur!