vendredi 20 octobre 2023

La paille et la poutre.

«Lorsque tu ôteras la poutre de ton œil, 
alors tu verras clair pour ôter la paille qui est dans l’œil de ton frère. »  Matthieu
Comment ne pas entretenir des défauts qui nous hérissent chez les autres ?
Ainsi en est-il, en ce qui me concerne de la tendance à généraliser voire à essentialiser.
C’est que la tentation est grande quand un fait mineur donc original semble significatif de l’époque.
Ainsi je voyais volontiers comme accélérateur de l’individualisme contemporain, l’émission des années 2000 «  C’est mon choix » d’Evelyne Thomas où s’exhibaient : « Je m’habille comme ma fille », « Je suis un macho », « Ma passion passe avant ma femme »
Elle fut choisie pour incarner Marianne dans les salles des mariages, son influence était peut être plus grande que celle des plus pertinents éditorialistes.
J’aime aussi voir un basculement des valeurs lorsqu’ « intello » a été admis comme une injure. Dans la même veine, l’abandon de la matinée du samedi a signifié que l’école n’était plus maître du temps.
Nous ne savons anticiper les déplacements tectoniques alors de petits signes peuvent obséder.
Ceux qui échapperaient aux passions de l’heure, ne savent pas forcément mieux analyser les séquences longues.
Le mouvement des lumières a débouché sur la révolution française, dont même la devise liberté, égalité, fraternité est mise à la question aujourd’hui.
Vers quelle obscurité allons-nous, depuis que nous sommes sous pseudos, sous masques, sous voile ?
Notre planète aplatie, en voie d’effondrement, n’est plus au centre du monde depuis Copernic mais suivre cette pente funeste nous dispenserait de réagir comme le lancinant constat de l’école en tant que matrice des inégalités serait l’alibi à tous les renoncements.
Le désespoir démobilise alors que ChatGPT est une chance, si on ne suit pas ce collégien: « A quoi bon apprendre, tout est sur Internet ».
Relever des paradoxes me parait toujours fécond et ne me dispense pas de répercuter une critique contre l’abus d’écrans par écran interposé, vautré dans la contradiction.
Comment célébrer la réflexion, la créativité sans se cacher derrière son pouce à scroller ?
Wikipédia est le Larousse d’aujourd’hui, mais la chèvre de Monsieur Seguin, 
« et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande » 
procure plus d’émotions que bien des  algorithmes.
Fatigué des tics d’aujourd’hui, je ne peux me couper des tik-tok, je viens de voir un de mes amis en train de perdre ses mots dans la douleur de ne plus pouvoir s'exprimer. Si je dois bien chercher pour trouver un titre de film ou de spectacle qui serait dans la langue de Dujardin cela reste anecdotique, mais nos répertoires s'appauvrissent, notre langue n'est plus à la mode que ce soit dans le tram ou dans les lieux branchés.    
Je me sens « out », exclu, quand un évènement lyonnais se présente ainsi :  
« des talks pas chiants, des masterclass pas pompeuses, un playground illustré, des courts-métrages animés, des concerts augmentés, du tatouage, des battles d’illustrateur·rice·s et plein d’autres chic formats. » 
Le vieux dauphinois "y " est allé, nous avons fait une partie de baby-foot, il y avait beaucoup de monde aux Subsistances.
« Les mots qui font fortune appauvrissent la langue.» Sacha Guitry
 

« La cabane est tombée sur le chien »

Vendredi dernier, à l’échéance de ma publication hebdomadaire de bavardages politiques, je n’ai pas publié de texte, j’ai pas pu.
Face aux rumeurs et aux clameurs, les mots manquent quand toute pensée est ensevelie.
Sur ce blog, j’essaye de ne pas délivrer de trop contreproductives leçons; il ne me reste qu’à plaindre profs et parents qui se doivent d’expliquer l’innommable.
De beaux textes se sont multipliés, mais je retiendrai que « Le Monde » a titré «  terrorisme islamiste » et une représentante du SNES a utilisé aussi cette expression auparavant  taboue pour certains. Panot n’a pas les mots : l’ignominie de la responsable des Insoumis à l’assemblée refusant de qualifier les auteurs du dernier pogrom en a peut-être poussé quelques autres à désigner clairement les choses. 
Boko Haram est explicite dès son intitulé qui signifie : « l'éducation occidentale est un péché ». 
« Depuis six mille ans la guerre
Plaît aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs. » 
Victor Hugo
L’inconcevable barbarie ne se dissout pas dans le progrès technique: depuis toujours au cœur des hommes, elle s’accroit chaque jour, favorisée par les marées cliqueuses.
Dans l’actualité de cette mi-octobre devenue une liste des horreurs, n’était pas encore venu s’insérer le poignard de l’assassin d’Arras, alors que les sables du Néguev avaient déjà ajouté une couche à nos découragements.
Les terres brûlées des Dieux uniques obscurcissent nos horizons : rendez nous Zeus et Vénus !
Palestiniens et Israéliens s’accordent pour aggraver leurs situations et l’idée même de discussion apparait plus vaine que jamais, ridicule. Les dessins où se tiennent par les épaules un enfant à kippa et un autre à keffieh sont dérisoires, voire niais.
Les trop chrétiens arméniens du Haut Karabagh, affamés depuis des mois, passent furtivement en bas de nos écrans, réfugiés parmi les réfugiés.
La déraison est sans frontières : alors que le Président en Corse ouvrait un chemin de conciliation, lors d’une « nuit bleue » de plus, explosaient quelques résidences secondaires d’impurs continentaux, sans que soit émise la moindre protestation des Indignés patentés.
« La France, soit tu l’aimes soit tu la quittes » était un slogan du Front National.
Quand « France » est remplacée par « Corse » cela deviendrait-il progressiste ?
En marge de ce maelström d’inhumanités, « la cabane est tombée sur le chien » comme on disait dans les  matchs de rugby. La pittoresque expression serait  appropriée pour dépeindre l’ensemble de nos accablements. Les réactions de  Fabien Galthié refusant d’entrer dans les critiques adressées à l’arbitre viennent confirmer les vertus de ce sport : respect.
Dans le bain des moqueries, des dérisions, des satires, un spot d’une campagne contre le harcèlement scolaire ne peut que s’éteindre aussitôt qu’il s’allume. Le mépris devenu tellement courant dans les relations permet aux dédaignés de jouer les victimes et d’insulter les autres. Les gilets jaunes avaient illustré l’irrévérence contre l’indifférence, mais l’arrogance n’a pas de camp :  dans la provocation crachotante, il y a du Trump chez Mélenchon. 
Comment croire en la force des mots et des modes quand les informés Patrick Cohen et Anne Sinclair s’étonnent que « Meetoo » ne soit pas connue en banlieue ? Seraient-ils à ce point dans l’illusion de leur pouvoir, eux qui savent que de trolls de types pensent que la terre est plate ?
La parole écologiste n’a jamais été autant répandue et pourtant sert de repoussoir dans bien des contrées. Parler du temps qu’il fait n’est plus anodin, mon atavisme paysan me fait souhaiter la pluie et bannir le terme « beau temps » tandis que les thermomètres automnaux explosent. Sale temps.
Pour ne pas me complaire dans le négatif comme tant de mes compatriotes, il me plait d’évoquer un beau moment vécu à l’occasion d’une soutenance de thèse portant sur les atteintes cardio-vasculaires chez des enfants présentée par un jeune homme plusieurs fois opéré du cœur. Le sauvé est devenu soignant et pas seulement des corps, il redonne un peu de vigueur à notre foi en l’Homme. Au moment où l’humanité s’acharne contre elle même, les exigences du jury faisaient plaisir et l’éternel serment d’Hippocrate a concerné et ému ses nombreux amis dans l’assistance. 

jeudi 19 octobre 2023

Art contemporain # 4. Gilbert Croué.

Le conférencier devant les amis du Musée de Grenoble poursuit sa présentation de 5 artistes contemporains de 5 pays différents aux techniques diverses. 
Ori Gersht , 55 ans photographe israélien reproduit des compositions florales de Fantin Latour et les explose « Blow up ». Il relie les époques. 
A partir du tableau de Juan Sánchez Cotán  
« Coing, Chou, Melon et Concombre » (1602) où tout est silence et simplicité,
il détruit d’une balle, une grenade « Pomegranate: Off Balance »
Il filme l’impact et photographie des séquences différentes. 
Morandi peignait avec obstination des natures mortes quasiment monochromes,
aujourd’hui le professeur de l’Université de Rochester en montre la fragilité 
« New Orders, Evertime 02 »
En hommage à Chardin : « Falling Bird » peut se voir en vidéo.
« Falling Bird' Ori Gersht - Martin Testar Cinematographer » 
Cristina Troufa (41ans) peintre portugaise, joue des formes sur fond uni. « Fado » 
« Résistance ».
Le vide est spectaculaire dans le ciel pour « Jeux de cartes »
ou dans l’eau avec la série « Free ».
L’« Armure » peut se fendre,
  alors que les vêtements écartés symbolisaient la colère du temps de Giotto
Romuald Hazoumé (61 ans) Béninois, joue avec les masques tels celui de la « Reine Idia » du XVI° siècle.
« Je renvoie à l'Ouest ce qui leur appartient, c'est-à-dire les déchets de la société de consommation qui nous envahit chaque jour
. »
Il ne manque pas d’humour lorsqu’il dit de lui-même qu’il est un « artiste bidon »,
mais n’oublie pas l’esclavage dans « La bouche du roi » 
allusion à une gravure célèbre représentant un navire négrier.
Depuis que
Liu Bolin (50 ans) avait été chassé par le gouvernement chinois de son atelier avec d’autres artistes, il se fond dans les paysages,
se camoufle en palissade, en fauteuil à la Scala, voire en coffre fort Suisse…

parasite une affiche, ou se fait objet parmi les objets.
Le français Jérémie Brunet (48 ans), artiste digital, représente les formules mathématiques les plus sophistiquées : les fractales s’enjolivent d’algorithmes.
« La pyramide de Sierpiński » peut donner une idée de l’infinité des répétitions 
que les ordinateurs rapprochent de l’infini
comme
« Le chou romanesco » dont la plus petite partie est semblable aux plus grandes.
Les répliques peuvent donner dans la dentelle.
Depuis la mystérieuse « Entrée des élus au Paradis » de Jérôme Bosch,
toutes les surprises peuvent advenir dans les paysages.

mercredi 18 octobre 2023

Paris au hasard.

Entre deux rendez-vous pris à l’avance pour d’incontournables expositions, la richesse de Paris se mesure aux rencontres de hasard entre deux adresses prestigieuses.
Inutile de recenser tous les lieux à spritz et les bonnes fortunes à tartare ; 
les terrasses bien garnies se passent  de recommandations 
depuis « Di tutto un po’» pizzéria du Pré Saint Gervais
au souvenir du « Train bleu » de la gare de Lyon fermé en ce moment.
Il fait bon flâner au bord du port de l’Arsenal à côté de Bastille où les bateaux de plaisance ont remplacé les péniches qui déchargeaient là du blé, du bois et du vin.
Ses quais sont moins couru que ceux du canal Saint-Martin avec ses passerelles, 
son « Hôtel du Nord » reconstitué en studio pour le film du même nom, 
à l’accent parigot caractéristique: 
« Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? »
Proche de la TGB « Très Grande Bibliothèque » comme on disait jadis quand  Mitterrand   l’avait commandée,
la péniche bar restaurant du « Quai de la Photo » expose Martin Parr qui est vraiment à sa place sur le thème de la plage : «  Life’s a Beach ».
Il pourrait faire son miel avec « Paris Plage » installé non loin de Notre Dame enserrée dans ses échafaudages. Elle rassemble pourtant les foules bien renseignées sur l’état d’avancement des travaux colossaux de réfection entrepris depuis l’incendie de 2019.
Le Marais est riche de ses terrasses aux couleurs arc en ciel et de ses restaurants à pitas, falafels, keftas, pastrami comme «  Chez Marianne ».
On a ses snobismes et ses goûts people : en allant chercher un glace chez Berthillon sur l’Ile saint Louis espérait-on rencontrer l’inoxydable Brigitte Fontaine qui habite dans le coin ?
Nous avons fait l’impasse cette fois d’un thé aux Tuileries, préférant les parois du passage sous-terrain de 800 m occupées par des fresques qui finissent par ne plus étonner tant nous sommes abreuvés de toutes parts d’images de Street Art.

mardi 17 octobre 2023

Alex, Brigade Verhoeven. Bertho Corboz.

J’évite pourtant les séries de plus en plus nombreuses également dans la BD et je suis tombé sur la troisième enquête de la brigade inspirée par un roman de Pierre Lemaitre,  si bien que des allusions au passé du commissaire n’ont pas éclairci un récit déjà elliptique, tendu, diabolique.
Mais peu importe, et je peux spoiler sans vergogne, puisque c’est l’atmosphère qui compte, glauque à souhait et on ne peut plus perverse avec belle rousse enfermée dans une cage entourée de rats aux yeux rouges.
« Avec les preuves et le journal intime, le jury ne verra que le monstre que vous êtes. Alex sera une pauvre petite qui a beaucoup souffert et s’est vengée de ses tortionnaires avant de se faire tuer par son frère. » 
Vite feuilleté, bien dessiné et colorié, au bout des 70 pages sordides, on peut respirer.

lundi 16 octobre 2023

Les Herbes sèches. Nuri Bilge Ceylan.

G
rand, très grand film, magnifique et profond, fouissant les ambigüités d’une adolescente, de deux hommes et d’une femme en manège à trois.
L’hiver anatolien est photogénique pour le personnage principal auquel le réalisateur n’a pas donné le beau rôle, mais ce prof de dessin au magistère amer nous interroge. Les rapports qu’il entretient avec son colocataire, ses élèves, le mépris qu’il porte au milieu dans lequel il s’estime relégué est racheté par son regard poétique sur une nature qui ne connaît que deux saisons où les herbes à peine délivrées de l’hiver sèchent très vite sous le soleil.
Il se pourrait bien que ce soit une métaphore de la vie examinée à travers de riches dialogues où il est question d’envies d’ailleurs, de conflits entre liberté et fraternité. 
La mélancolie adolescente peut sévir de part et d’autres du bureau du maître, les questions existentielles ont plus de sens dans un village glacé qu’au bord du bobo canal Saint Martin.
Une fulgurance cinématographique nous rappelle que nous sommes au cinéma et dans le même souffle nous offre un miroir pour nos humaines faiblesses. 
Il fait bon retrouver le réalisateur
dans une durée de 3h 20 convenant parfaitement pour compléter les obscurités non révélées sous une couche de neige crissante.

dimanche 15 octobre 2023

Péplum médiéval. Valérian Guillaume Olivier Martin-Salvan.

Dans ce spectacle de deux heures, le monde des enluminures moyenâgeuses veut échapper aux couleurs sombres qui collent à ces temps oubliés. 
La troupe de quinze acteurs part à la recherche d’une nuit perdue avec ses étoiles.
Les costumes inspirés de cartes à jouer ou d' Errol Flynn, Robin des bois en collants verts, sont éclatants, les lumières ravissantes.
Le plateau est bien garni de personnages Play Mobil qui auraient rencontrés Breughel et Jérôme Bosch au pied d’un château fort à l’esthétique Légo.
L’entreprise s'avère originale mais pour que l’ensemble composé de personnes handicapées puisse atteindre tous les publics, les glossolalies aux intentions poétiques devraient moins embrouiller le propos.
Un tempo plus resserré éviterait des attentes un peu longues entre deux tableaux réussis, telle la prolifération de figures macabres aux airs de fête mexicaine.
L’image autour d’un arbre bourgeonnant est riche bien que soit contestable l’idée que l’amour  puisse être menacé par le travail, l’école et l’église, quand à notre époque les remises en question du travail, de l’école, de l’église occupent toute la place d’où l’amour n’est plus guère à l’ordre du jour. 
Les comédiens se positionnent souvent en spectateurs de leurs farces lues sur les fesses d’un roi plus fou du roi que roi ou lors d’un conte déchiffré sur les paupières d’un peintre.
Le travail de deux ans pour présenter ce spectacle parfaitement réglé force le respect.