mercredi 11 octobre 2023

Paris # 4.

Le parapluie se devait être intermittent pour notre pèlerinage aux puces de Saint Ouen où nous avons dérogé au café / croissant pour un cake délicieux confectionné comme chaque jour par la patronne accablée par la défection de dernière minute d’une serveuse.
Aux abords du site classé par l’UNESCO les allées sont bondées comme à la foire de Beaucroissant pour des chaussures, des foulards et des survêts…
Le plus grand marché d'antiquité et brocante au monde est ouvert seulement le week-end.
Cinq millions de visiteurs pour mille cinq cents vendeurs.
Pour respecter nos traditions nous avons marchandé un masque gabonais en « plein vent » aux abords d’un des douze marchés, dont certains noms chantaient dans nos souvenirs.
Même s’ils se sont spécialisés : le mobilier à Biron et à Serpette (XX°), les livres à Dauphine, les vêtements à Malik, il est toujours possible d’être étonnés, de voir des nouveautés dans toutes ces vieilleries.
Après le cimetière du père Lachaise (70 000 sépultures) et celui de Montparnasse, le cimetière de Montmartre, construit sur d’anciennes carrières et  traversé par le métro aérien ne manque pas de charme avec ses vieilles tombes moussues ou de lierre vêtues, un peu échevelées comme dans les enceintes anglaises destinées aux morts.
Nous n’avons pas cherché d’illustres disparus tels Stendhal ou Zola dans le dédale des dalles parfois effondrées.
Un monsieur explorait son téléphone pour une chanson de Michel Berger devant l’emplacement couvert de vitres qu’il partage avec France Gall.
Sax et Truffaut, Nijinski et Fred Chichin, La Goulue et Berlioz sont là.
Parmi 20 000 sépultures, il parait que celle de Dalida est la plus visitée.
Devenus des lieux où se proclame la biodiversité, les cimetières expriment bien la personnalité d’une région, et offrent, sans baratin, des occasions de trouver de la sérénité, au milieu du fracas des rues environnantes, un moment pour méditer sans le recours aux mitrailles des jeux vidéos.

mardi 10 octobre 2023

Fun home. Alison Bechdel.

Le titre convient parfaitement à cette  tragicomédie pennsylvanienne : il s’agit du surnom de la maison funéraire appartenant au chef de famille par ailleurs professeur féru de décoration et de jardinage. 
Et tout est de cet acabit : ambiguïté des sentiments à l’égard d’un père dont l’homosexualité est révélée petit à petit comme l’affirmation du lesbianisme de la narratrice.
Les citations de Joyce, Colette, Proust, Fitzgerald, James, en territoire littéraire commun à deux générations donnent de la profondeur à un récit autobiographique moins fort cependant que Maus ou Persépolis évoqués en quatrième de couverture.
Il est affirmé également que l’une des plus grandes révolutions du XX° siècle est celle des genres sexuels, alors que sur 240 pages la révélation cernée de non-dits de leurs penchants sexuels est subtile, affirmée, mais pas gueularde. 
« A dix ans, j'étais obsédée par le fait de préserver mon journal de toute inexactitude. Mais avec l'âge, les faits bruts cédèrent aux caprices des émotions et des opinions. Une fausse humilité, une calligraphie énervée et l'auto-dénigrement vinrent obscurcir mon témoignage... » 
Dans ces années Nixon, le puritanisme est présent, mais cette famille ne me semble pas malheureuse. 
« Notre maison était une colonie d’artistes. Nous mangions ensemble mais consacrions le reste du temps à nos quêtes personnelles et dans cet isolement, notre créativité prenait un tour compulsif. » 
Cette relecture du passé est nuancée, contradictoire, et nous interroge aussi sur l’art, nos vies avec les livres, les apparences, les distances entre ville et campagne, entre adultes et enfants… 
« - Les voies du seigneur sont impénétrables.
 - Ça n'a rien d'impénétrable! Il s'est tué parce que c'était un pédé honteux maniaco-dépressif qui ne supportait pas de vivre une seconde de plus dans cette petite ville bornée. »

lundi 9 octobre 2023

Le livre des solutions. Michel Gondry.

Le film du bricoleur 
a prolongé agréablement notre déambulation dans une brocante que nous avons parcourue avant la séance.
«  Le livre des solutions » n’était qu’un gros cahier vierge, et au cours d’une mise au vert dans les Cévennes chez la tante du réalisateur foutraque, il va s’étoffer de trouvailles en pagaille du tyrannique héros à l’égo excentrique.
Il devra passer son temps en excuses, mais nous nous serons bien divertis pendant 1h 42 tant les inventions bonnes ou calamiteuses abondent. 
Légèreté, modestie, originalité composent le portrait d’une valeur sûre et fragile, accessible et ambitieuse, amusante tout en témoignant des méandres de la création et des contours de la production.

dimanche 8 octobre 2023

Bowie-Cage. Miroirs Etendus.

Dans le cadre des concerts du dimanche à 11h à la MC2, les grands parents viennent avec leurs petits enfants car les prestations musicales, moins chères et plus courtes que les spectacles habituels de l’auditorium, sont des initiations de qualité.
Moi, grand parent pourtant contemporain de Bowie, la pop star, je le connaissais très peu et John Cage à peine mieux, sinon qu’il avait proposé « 4′33″» quatre minutes trente-trois secondes  de silence comblées par les bruits des spectateurs : un Marcel Duchamp de la musique. 
J’avais besoin d’être initié. 
Les cinq musiciens venus des Hauts de France organisent finement la rencontre des deux chercheurs. Leurs univers contrastés s’enchainent bien. Les sons expérimentaux paraissent plus soyeux et les mélodies plus étonnantes. 
Un bon moment, comme un éclair au chocolat.

samedi 7 octobre 2023

Les deux Beune. Pierre Michon.

Ce sont deux rivières en Dordogne, bien décrites en 150 pages poétiques baignées de pluie.
«…  un brouillard dense dérobait à mi-jambe les arbres, scintillants mais drapés, cagoulés, harnachés comme pour un sacrifice. Je revois ce brouillard ; je revois ce fourreau que tissaient les eaux perfides et tricoteuses de la Beune, et qui le long de la falaise montait gainer les peupliers, l’auberge, l’église. » 
Elles coulent en bas du village où est nommé un jeune instituteur qui fantasme sur la buraliste.
Ce livre se voulant hors du temps nous épargne les outrances féministes de l’heure, mais la description redondante d’un désir mâle univoque censé être original au départ, ramène à une voix masculine datée. 
« Elle lâcha le flipper, elle tourna les talons et vivement amena dans le brouillard ses façons de glamour, ses aplombs de grue, son fourreau de nuit sous quoi régnait, absconse, absolue, la fente considérable. » 
Me conviennent mieux des mots choisis pour saisir un sourire qui 
« n’était pas une peinture de guerre, cette réclame ou ce bouclier d’ivoire… » 
mais plutôt  
« cet arc en ciel de l’âme, changeant, vibrant. »
Les métaphores sont nombreuses, alors je ne peux m’empêcher de me souvenir que la quintessence des saveurs campagnardes contenue dans la tartiflette peut s’éventer au bout d’un moment, et le plat de fête devenir bourratif. 

vendredi 6 octobre 2023

Zadig n°18. Eté 2023.

Depuis le premier numéro du trimestriel précieux pour la variété de ses points de vues,
un changement s’est opéré  en privilégiant un thème parmi les 170 pages. 
Et puisqu’il s’agit de se plonger dans les passions françaises, « l’amour à la française » tire la couverture à lui dans cette livraison.
L’ouverture par une interview de Charline Bourgeois Taquet et Valéria Bruni-Tedeschi est assez conventionnelle d’autant plus qu’une conversation courant sur 15 pages avec Virginie Efira , actrice à la mode, l’avait précédée. 
L’auteur de théâtre Alexis Michalik se voit sollicité. 
« Jadis l’homme avait droit aux prostituées et la femme devait être vierge. » 
Un retour historique « de la galanterie à #metoo » s'avère par contre intéressant : 
«  changer d’idéal collectif, ce n’est jamais supprimer les problèmes : c’est se débarrasser des anciens et en acquérir de nouveaux ».
Concernant aujourd’hui des experts évoquent « le trouple » (couple à trois), et rappellent qu’en 2021, il y a eu plus de 200 000 victimes de violences conjugales et 94 000 viols.
Au pays rose de Ronsard, pleurent les yeux d’Elsa.
La mémoire de ces réalités ahurissantes va avec la légèreté de l’évocation des « french lovers » des années 40 en Amérique, ou les divertissants récits d’expériences avec l’application de rencontres « Tinder » ou quand persiste le jeu du hasard et que Julie livre les résultats de sa recherche du polyamour.
Sous le titre : « La confusion des sens », les mots sont éclaircis : « embrasser » bien sûr.  « Faire l’amour » a signifié un jour « faire la cour » et amitié et amour se confondaient jadis.
« Les cadenas de l’amour » attachés au Pont des Arts ou à Montmartre éloigneraient-ils de la légèreté ? Les élans ailés perdent-ils en s’accrochant ? Faut-il une preuve ?  
Bien loin de la tendresse et des émois des amants, l’évocation de la colère de jeunes Corses après la mort d’Ivan Colonna remet en lumière un épisode de violence qui avait été éclipsé par le début de la guerre en Ukraine.
Les souvenirs de la Corrèze de Franck Bouysse ressemblent aux miens, et je sais les lueurs opalines de la Bretagne, même si ce n’étaient pas des ballots de cocaïne qui s’échouaient sur les plages.
Vanessa Springora raconte le destin des sangliers de Port Cros venus du continent à la nage et devenant un problème en se multipliant.
 J'ai trouvé la nouvelle de Philippe Claudel, « la bêche » assez plate, mais les planches gourmandes de Guillaume Long toujours aussi savoureuses : « Les gnocchis d’Océane ».  
Les brutaux faits divers choisis par Jaenada ne seraient-ils pas la face ratée de l’amour ?

jeudi 5 octobre 2023

Basquiat & Warhol. Picasso.

A la fondation Vuitton aux larges espaces,
deux artistes majeurs de la seconde partie du XX° siècle, 
Basquiat et Warhol ont joué à quatre mains.
 Picasso en son Hôtel Salé, est présenté dans les mille formes
qu’a pu prendre son travail de toute une vie. 
Nous sommes allés au bois de Boulogne depuis l’Etoile dans une navette électrique parallélépipédique vers le lieu devenu incontournable depuis bientôt 10 ans des expos à voir.
Malgré les témoignages d’amitié consacrés par une salle particulière et les mots de l’habile Andrew Warhola, je suis resté avec l’impression d’une collaboration intéressée plutôt que celui d’un enrichissement artistique entre le maître du pop art et celui de la culture urbaine.
« Je crois que les tableaux que l’on fait ensemble sont plus réussis 
quand on ne peut pas dire qui a fait quelle partie »
Une exposition en 86 annoncée par une affiche représentant les deux maigrichons 
avec des gants de boxe accentue l’idée d’une démarche avant tout commerciale.
Cependant les « punching bags » où sont peints le visage du Christ et le mot judge évoquant les « strange fruits » de Billie Holiday, ramènent au racisme et à la mort présente dans ces années SIDA.
Tous les deux populaires, le lisse convient à l’échevelé, mais je les préfère dans leur spécifité. Warhol avait repris les pinceaux, il amorçait plutôt un dialogue qu’une fusion jouant tous deux avec les répétitions en de vastes compositions.
Si ce blog a déjà parlé de l’auteur undergroud, 
le patron de la Factory est évoqué lui à travers des récits de voyages à Venise, Arles, New York, Bergame, Madrid, Mougins, lors de rencontre avec d’autres artistes ou au cours de thématiques sur le pouvoir, le travail des femmes, les Etats-Unis et une expo au Musée de Grenoble.
Picasso a fait naître
aussi de nombreuses pages sur ce blog,
La visite guidée dont nous avons bénéficié dans l'hôtel particulier construit par Pierre Albert de Fontenay qui percevait l'impôt sur le sel, n’élude pas les violences conjugales de Pablo Picasso mais se consacre essentiellement, avec clarté, à son travail tellement inventif et stimulant. 
Effectivement « la collection prend des couleurs » avec le designer britannique Paul Smith, qui met en valeur avec humour et respect des œuvres majeures de l’espagnol disparu il y a cinquante ans.
« Le Jeune Peintre », si léger, un de ses derniers tableaux, clôt le parcours depuis le laboratoire cubiste, la mélancolie bleue, les voyages imaginaires, ses animaux et scénographies, « Déjeuner sur l’herbe » et « Demoiselles d’Avignon »…
Quelques affiches, comme celles qui furent apposées dans le monde entier invitant à la fête des yeux, de l’intelligence, tapissent une salle entière et donnent une idée du rayonnement du prodigieux artiste.
Nous en ressortons tout joyeux.