mercredi 6 avril 2022

Strasbourg # 3

Les gens quittent progressivement la cathédrale,
l’horloge admirée a rappelé à tous l’heure de nourritures plus terrestres.  
Nous nous sustentons d’une tarte flambée suivie d’une monstrueuse forêt noire bien imbibée de kirsch au restaurant Le Gruber.
Cet établissement occupe une belle maison alsacienne classée au patrimoine culturel de la ville dans le vieux quartier de Notre dame.
La halte est agréable.
Nous réservons notre après-midi à une promenade dans la ville. Proposée par un prospectus de l’Office du tourisme, cette balade  devrait nous permettre de découvrir rationnellement  les lieux les plus emblématiques et incontournables.
Nous traversons le pont du Corbeau, longeons les quais Saint Nicolas et bifurquons sur le pont du même nom (pont Saint Nicolas) pour accéder à l’autre rive.
Nous nous rendons à l’église Saint Thomas. Construite entre le XII et XV° siècles, catholique puis temple luthérien au XVIe, elle a  gardé  son titre d’église et la protection d’un saint patron.
Elle doit sa notoriété au mausolée du maréchal de Saxe, édifié par le sculpteur  baroque parisien J.B. Pigalle,
et au buffet des très belles orgues de Silbermann (18°) dont 
l’« excellente sonorité fut louée par Mozart lors de son passage à Strasbourg en 1778 ».
Mozart l’aurait donc utilisé et apprécié comme le rappelle quelques citations du musicien.
Nous pénétrons ensuite dans la Petite France,
avec ses maisons des tanneurs,
ses canaux, sa maison des glaces et ses bains, expliqués par des panonceaux bien faits qui cultivent le caractère alsacien et renseignent  sur les petits métiers d’autrefois.
La présence de l’eau s’intensifie, tandis que nous approchons des ponts couverts et du barrage Vauban.
Nous parcourons  le barrage sur sa partie haute et piétonne  d’où nous bénéficions d’une belle vue dégagée sur  la Petite France, les tours des ponts couverts et la ville.
Au bout, de l’autre côté, se tient le  MAMCS (Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg).
Ce grand bâtiment actuel se partage en  baies vitrées et en  murs recouverts de dessins noirs et blancs très BD. 
Nous quittons l’atmosphère feutrée du musée et marchons tranquillement accompagnés par le soleil jusqu’à la place de Halles où nous montons dans un bus avec cette fois-ci un titre de transport dûment payé.
Nous achetons une tourte pour 2 à la tomate et au thon (vu la taille de la portion) chez la plantureuse boulangère au bas de notre logement et nous nous accordons un temps de repos et de restauration au calme avant de partir admirer le son et lumière à la Cathédrale.
Mais quand ça veut pas le faire, ça veut pas !Tout d’abord, je m’aperçois une fois à la station de tram qu’il me manque mon masque, et  je dois faire un aller-retour au pas de course jusqu’à la maison. Ensuite, nous prenons le bus en sens inverse : il nous transporte dans des quartiers périphériques, visite by night jusqu’au terminus puis retour à la rotonde point de départ où nous montons cette fois-ci dans la bonne navette. Et pour finir, on nous annonce l’annulation du spectacle ce soir pour des raisons techniques !!
Nous nous contentons alors d’une dernière promenade aux alentours, retrouvant les monuments vus dans la journée sous des éclairages modérés, voire chiches.
Il est minuit à notre retour au bercail

mardi 5 avril 2022

Pucelle. Florence Dupré La Tour.

Autobiographie à l’époque de l’enfance et de l’adolescence dans une famille bourgeoise expatriée en Argentine revenue en France puis repartie en Guadeloupe.
Une conscience féministe s’éveille parmi les mystères de l’église, la violence d’un père absent, l’omniprésence masculine des héros historiques, de la littérature, à l’exception de La « Pucelle d’Orléans » et de la vierge Marie. 
« La chose qu’on ne dit pas » devient le premier sujet de curiosité, de doute, de douleur, quand déboulent les premières règles et que sa jumelle attire les garçons.
Une anecdote familiale annonce habilement le sujet : une grand’ tante s’était enfuie de la chambre nuptiale en criant : « Il veut m’enlever ma culotte ». Tout le monde en rit ou s’applique à rire : l’ignorance, les pudeurs, les maladresses sont héréditaires. 
La vigueur, l’honnêteté, la clarté du scénario sont compromises par un dessin qui m’a semblé  artificiellement maladroit. Le négligé dans le trait est devenu un style, mais les personnages trop éloignés de la forme humaine y perdent de leur humanité. Pourtant il est d’émouvants vilains petits canards.

lundi 4 avril 2022

Entre les vagues. Anaïs Volpé.

Balloté de haut en bas, j’ai aimé l’énergie, l’humour des deux amies et le renouvellement de la question du « mentir vrai » posée par les deux virevoltantes comédiennes débutantes.
La hardiesse du duo échappant aux habituelles connotations homosexuelles, bouscule tout sans nuances, y compris les soignants quand la comédie passe au drame.
Les expressions telles « on lâche rien » fleurissent peut être un peu trop, avant un pathos final qui n’échappe pas à « je suis dans la chambre d’à côté » incontournable des kits funéraires. 
Les excès dans le rire comme dans les larmes des deux épatantes artistes Souheila Yacoub et Déborah Lukumuena participent au plaisir de leur découverte.

dimanche 3 avril 2022

IvanOff. Galin Stoev.

Je suis resté « off » face à cette représentation d’après l’Ivanov de Tchekhov. Elle a bien le droit de ne pas ressembler à l’œuvre montée en 1887. Mais pourquoi la défigurer au point de la rendre incompréhensible en abusant de séquences répétitives, de vulgarités inutiles, obscurcissant la comédie initiale. 
Et même si d’autres toilettages ont pu dérouter
cette version froide « m’a gonflé » pour emprunter au vocabulaire de cette triste expérimentation de 1h 45.
Pourtant le décor immaculé nous introduit bien dans l’univers mental désolé de celui qui « ne veut même plus vouloir », inapte à s’occuper de sa femme et de son domaine. 
Mais très vite des procédés tape à l’œil vont repousser toute intériorité, toute subtilité. 
Des avatars vidéo forniquent mécaniquement avant qu’Ivanov se couche dans sa tente sur Sacha débarrassée de sa culotte. 
Les protagonistes sont étrangers les uns aux autres. Et ce n’est pas le système parodiant nos boites mails, à base de boulettes de papier débouchant de tuyaux après le bip : « vous avez reçu un message », qui va arranger la communication.
Seule la présence étrange de l’actrice Millaray Lobos García permet de ne pas regretter d’avoir choisi ce spectacle, alors que j’ai manqué dans la période à la MC 2, les ballets de Marseille dont mes amis m’ont dit le plus grand bien.

samedi 2 avril 2022

Le cas Sneijder. Jean-Paul Dubois.

« C’est un cas » disait sans plus de commentaire une maîtresse d’avant les euphémismes, 
«  il est grave » comme on l’exprimait il y a peu, pour tous les singuliers avec « un grain » ! 
«… il faut que tu voies quelqu’un ». Il y avait quelque chose de magique dans cette adjuration. Invoquer ce « quelqu’un » qui quelque part au-delà de nous, possédait la clef de l’énigme revenait, pour elle, à énoncer un acte de foi. Elle était certaine qu’il suffisait de « voir » ce chaman-là pour que les soucis et les plaies cautérisent. » 
Dans ce livre épatant comme d’habitude,
https://blog-de-guy.blogspot.com/2020/05/tous-les-hommes-nhabitent-pas-le-monde.html l'écriture légère exprime avec plus d’acuité le tragique de la vie et ses quelques (rares) bons moments. 
« Les faillites aiment les week-ends. Et la vie est pleine de dimanches. »  
La lucidité peut amener à l’enfermement après accident d’ascenseur, deuil, couples problématiques et boulot spécial.
« Je pense à la mémoire, à son emprise accablante, à ces lests écrasants qu'elle dépose en nous avec une constance désarmante. Parfois lorsque je suis en haut, à ma table, ou dans mon lit, à attendre le sommeil, je la sens se glisser à mon côté, serpent à l'épiderme glacial, afin de m'infliger les films de ses archives, tout ce que je n'aurais pas dû voir… »  
Ces 218 pages émouvantes décrivent une solitude fragile et courageuse échappant à la marchandisation des liens : une vie sauvée par l’humour- pas de celui qui fait  ouaf ouaf ! Encore que…

vendredi 1 avril 2022

Le Postillon. N° 64. Hiver- printemps 2022.

Le 20 pages à 3 € reprendra ses « parutions à l’improviste » mais je ne sais pas si j’irai à nouveau à sa rencontre. Mon appétit de connaître des points de vue différents décline devant leurs répétitifs partis pris.
Une tournée des bars pour confirmer le peu de zèle des serveurs à vérifier le Pass sanitaire des clients les rassure alors que me désolent des manquements au civisme.
Leur « technophobie » systématique alimente chacune des brèves : ironique quand le village de Sarcenas est privé de réseau, sarcastiques au sujet de la vidéoverbalisation envisagée par la municipalité de Grenoble, allant jusqu’à fêter en grande pompe l’installation d’une cabine téléphonique à l’ancienne. C'est leur côté "réac" aux rigolos écolos fondamentaux,  les amish de mes amis, quand je me morfonds face à l'érosion de la conscience professionnelle et à la perte de confiance envers son prochain.
Si leur première page est excessive : «  Greenioble : capitale verdâtre », le commentaire d’une partie du discours de Piolle à l’ouverture de Grenoble capitale verte est charpenté :  
«  On veut bien que les montagnes rappellent le pompeux « émerveillement de la nature » mais par contre on ne voit pas le rapport entre les sommets et le « désir de justice sociale ». 
La comparaison avec les jeux olympiques les excite, la présence d’entreprises les contrarie, et toute référence à l’apport des sciences les échauffe, alors que les bruits de couloirs des querelles d’associations peuvent sembler anecdotiques.
Leurs pérégrinations autour des cours d’eau de la cuvette se tarissent et en dehors du rappel historique, le Draquet est perdu : restent des plaques de rue évoquant des îles, le nom d’un quartier : « Les Eaux Claires ».
Le test comparatif concernant l’étanchéité de l’ancien musée de peinture, du « Magasin », ou le prestigieux Musée de la Place La Valette, révèle de sérieux problèmes non traités.
Les reporters anonymes font aussi leur boulot quand ils vont voir de plus près comment se met en place la « ZFE » Zone à faibles émissions » pour les utilitaires et poids lourds ou lorsqu’ils dénoncent les conditions de travail à « Métrovélo ».
Le compte-rendu des comparutions immédiates au palais de justice est toujours révélateur des désarrois, des misères humaines.
Ils savent bien évoquer leur visite en bande dessinée du côté de la PDG, place des géants à la Villeneuve ou un rendez vous manqué avec un ancien SDF.
Lorsqu’Hubert raconte  l’extension du domaine de la méfiance avec portails, badges et caméra apparus dans l’immeuble de son enfance à Pont de Claix, on ne peut que partager ses regrets se gardant cependant d’idéaliser le passé.
Par contre leur invitation à dévisser des panneaux «  Ici la région agit » eux qui n’hésitent pas à coller leur publicité en dehors des emplacements réservés à cet usage est plus problématique comme la divulgation du mode d’emploi pour dégonfler les pneus des 4X4.

jeudi 31 mars 2022

Gustave Courbet. Thomas Schlesser.

Sous l’autoportrait  dit « Le désespéré » devenu célèbre après que les usagers du Métro parisien l’aient vu sur l’affiche d’une exposition de 2007 en le confondant avec Johnny Depp dans le pirate des Caraïbes, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble présentait le natif de Franche-Comté (1819) : « De la révolte pour nature ». 
A cette époque, 1840, il se représente  aussi en « Homme à la pipe » alors qu’il quitte Ornans  pour la bohème parisienne muni de la devise du grand-père : « parle fort et marche droit ».
Du romantisme qui règne alors il gardera au-delà d’une subjectivité exacerbée, le sentiment de son individualité. « L'Après-dînée à Ornans » témoigne de son attachement à ses racines et de son engagement socialiste avec ce violoniste distrayant une assemblée indolente sous des lumières cendrées à l’heure où les banquets républicains vont à l’encontre d’une restriction des libertés.
Il dessine un « 
Révolutionnaire sur une barricade » pour le journal « Le salut public » lors de la chute de Louis Philippe en 1848, mais il passe à côté de ces journées révolutionnaires :
« Je ne me bats pas d'abord parce que je n'ai pas foi dans la guerre au fusil et au canon et que ce n'est pas dans mes principes » 
Bien que plus tard  il déclare à Jules Vallès  
« En 1848, il n'y avait que deux hommes de prêts, moi et Proudhon ».
« L’enterrement à Ornans » est-il celui du romantisme, de la République, d’une de ses sœurs ? Il fit scandale en faisant entrer dans le format de la peinture d’histoire les humbles aux trognes colorées par le grand air.
Son ami Champfleury étudie l’art de la caricature, 
 celle qui exprime le « cri du citoyen ».
Le dessinateur Cham ne l’épargne guère, son acharnement étant même révélateur de la force du peintre réaliste : «  Le chef de l’école du laid ». 
Delacroix devant « Les baigneuses » a beau dire « La vulgarité des formes ne ferait rien ; c’est la vulgarité et l’inutilité de la pensée qui sont abominables » fond et formes font fort.
L
e conférencier nous amène à penser que cet éloignement de l’idéalisation des chairs ouvre des significations nouvelles bien qu’inspirées de la tradition « Le massacre des innocents » de Cornelis van Haarlem.
La transgression se manifeste dans  « Le Sommeil »
, aussi intitulé « Les Deux Amies » ou « Paresse et Luxure », l’une d’elle Joanna Hiffernan, la rousse, eut une liaison avec l’artiste mais ne serait pas le modèle de « L’Origine du Monde »
à rechercher plutôt du côté des photographies d’Auguste Belloc.
« La cribleuse de blé »
, malgré son énergie, fut qualifiée de peinture « sale » ainsi que
 « les casseurs de pierres » anonymes au point d’être devenus emblématiques.
Baudelaire qui figure dans un coin du tableau « L’atelier » avait demandé l’effacement du portrait de sa maîtresse Jeanne Duval qui se trouvait à côté de lui, elle ressurgit avec le temps comme un fantôme.
« Le ruisseau du puits noir »
se rapproche d'une radiographie  
comme « Le coup de vent, forêt de Fontainebleau » 
et ses nombreux tableaux de paysages, proches de l’école de Barbizon.
Juan Miro dira sentir « La vague » dans son dos. 
« Son grand apport, c'est l'entrée lyrique de la nature, de l'odeur des feuilles mouillées, des parois moussues de la forêt, dans la peinture du dix-neuvième siècle » Cézanne.
Le chasseur connaît intimement les animaux, « La Remise des chevreuils en hiver »,
il compatit avec « La Curée »  pour laquelle Edmond About 
voit une proclamation de: « l'égalité de tous les corps visibles ».  
Du «  Retour de la conférence » il ne reste qu’une esquisse puisque le tableau a été acheté pour être détruit. L’artiste qui avait cherché la censure.
Le prudent de 1848 devient audacieux sous la commune et bien qu’il défende le patrimoine malmené par ses camarades, il meurt en exil (1877) veillé par son père, ses biens séquestrés, « otage de la colonne » Vendôme qu’il  a contribué à faire abattre. 
« A quoi sert la vie si les enfants n'en font pas plus que leurs pères ? »