mercredi 9 février 2022

Kaysersberg. Ribeauvillé.

Nous quittons Colmar vers 8h30, sous un beau temps qui ne tient pas et s’ennuage https://blog-de-guy.blogspot.com/2022/02/rouffach-neuf-brisach.html
Notre programme aujourd’hui  tourne autour  des villages réputés de la route des vins.
- KAYSERSBERG, la patrie du Docteur Albert Schweitzer est notre première étape.
Nous déposons la voiture au parking  extérieur place des « Malgré nous » ; cette appellation particulière désigne tous les Alsaciens enrôlés sans leur acquiescement dans les armées allemandes lors de la seconde guerre mondiale, une manière de rappeler leur engagement forcé du mauvais côté.
Habituellement envahi de touristes, ce gros village médiéval s’éveille en douceur, sauf au marché place Gouraud où les chalands  apostrophent  les clients potentiels.
Nous arpentons ensuite la rue descendante bordée de maisons à colombages jusqu’au pont. Là, la voie  dévie  sur la droite et se prolonge, nous menant vers la très belle église Sainte Croix de style roman.
A l’intérieur, un superbe jubé en crucifixion
et un très beau retable doré nécessitant tout l’emplacement du chœur,
établissent  la richesse de la communauté de Kaysersberg.
Durant toute notre flânerie dans le bourg,  nous levons sans cesse  le nez  pour voir les belles et rutilantes enseignes métalliques de Winstubs, de boutiques ou d’hôtels.
A hauteur d’yeux, les vitrines des magasins étalent d’appétissants produits, des kouglofs, des assiettes d’écureuil, des pains d’épices, des saucisses, toutes les spécialités locales d’un pays qui aime la bouffe.
- Nous enchainons notre visite des villages avec RIQUEWIHR. De nombreuses  traces et vestiges du moyen âge survivent  dans les fortifications, la tour des voleurs, ou encore les maisons avec leurs fenêtres à meneaux.
Les façades offrent une grande variété dans le choix des couleurs fraiches des crépis, notamment dans la rue principale où abondent  les boutiques de souvenirs et de gourmandises charcutières ou boulangères.
- Nous ne nous éternisons pas et nous nous rendons à RIBEAUVILLÉ pour notre halte repas. Nous mangeons tôt dans le restaurant « la ville de Nancy » avec quelques hésitations quant à l’option terrasse car le tonnerre et le ciel anthracite nous inciteraient à la prudence.
La météo nous épargne néanmoins  le temps de déguster une soupe froide et une cuisse de canard aux pleurotes et pommes de terre, de même nous évitons les gouttes lors de la traversée de la bourgade dont les caractéristiques architecturales et patrimoniales ressemblent à celles des villages précédents.

mardi 8 février 2022

L’enfant, la taupe, le renard et le cheval. Charlie Mackesy.

«- Qu'est-ce que tu veux être, toi, quand tu seras grand ?
- Gentil », dit l'enfant. »
Succès mondial, concert de louanges sur le web gagné par la bienveillance de ce livre « dédié à ma si gentille maman et à mon merveilleux chien Dill ». celui-ci a laissé la marque de ses pattes sur l’un des dessins. 
Les tracés en pleins et déliés se révèlent plus convaincants que les textes dans cette centaine de pages venues d’Angleterre. 
- Ton verre est à moitié vide ou à moitié plein ?  demanda la taupe.
- Je suis déjà content d'avoir un verre.  dit l'enfant. »
Les conversations sur l’amitié entre les amis en promenade sont d’une mièvrerie confondante de platitude qui donne envie de plonger dans quelque conte où le loup boulotterait la grand-mère, comme ça on saurait pourquoi le Chaperon est rouge !
Le format très bref ne permet aucune profondeur aux personnages réduits à la gourmandise pour la taupe, à la méfiance pour le renard, à la solidité pour le cheval, à rien pour l’enfant, si bien que les grands mots,  liberté, peur, courage, amitié… en sont gâchés, vidés de leur sens. 
« Il est de ces livres dont on tombe amoureux instantanément, qui semblent avoir été écrits rien que pour nous, avec lesquels le lien tissé est si fort que chaque page tournée est un déchirement. »
Le concert d’avis dithyrambiques avec Saint Exupéry en référence m’a conduit de l’indifférence à l’accablement et a réveillé chez moi quelque aversion envers Paulo Coelho dont les maximes douceâtres revenues du diable vauvert me mirent jadis les nerfs en pelote.
Houellebecq ou Mortelle Adèle peuvent servir de contre-poison.

lundi 7 février 2022

Red Rocket. Sean Baker.

Les dithyrambes avec entre autres : « une pépite » pour les Inrocks, figurant sur l’affiche aux couleurs flashy seraient peut être à prendre au second degré, comme si le dynamisme du "éros" principal n’était pas essentiellement toxique. 
Même si j’essaye de ne pas confondre personnage et film, il s’agit d’obscénité, non parce que le mot « pornographique » éborgnerait quelque puritain regard, mais l’ancien acteur porno revenu chez son ex et sa mère va repartir avec une jeune fille qu’il destine à cette industrie. Quelques diminutifs très chewing-gums n’amoindrissent pas l’âpre réalité, avec raffineries texanes en fond d’écran et pas un rond. 
« Red Rocket » signifie un sexe (de chien) en érection et c’est bien de chienne de vie dont il s’agit, à tirer des coups à coup de Viagra, de joints roulés dans du papier aux couleurs de l’Amérique, alors que dans les télés toujours allumées parviennent les échos d’un Trump en campagne. 
Il y a bien longtemps que le terme « rêve américain » a disparu même quand il s’agirait de son envers venu sur les claviers formatés alors que bien d’autres auteurs ont parlé de ces zones déglinguées avec un once de tendresse  de plus 
A voir.

 

dimanche 6 février 2022

Le jour se rêve. J. C. Gallotta.

Notre « classico » de la danse de proximité qui a fait ses classes à New York revient chez lui comme à chaque saison.
Je retrouve dans le plaisir pur ses petits pas et ses réinventions avec une vigueur nouvelle sous les musiques envoutantes de Rodolphe Burger, le complice de Baschung. Les transitions sont magiques et la troupe évoluant dans une harmonie parfaite transmet une bonne dose d’énergie.
D’abord masqués, ils tombent veste et masques, et les cinq hommes et cinq femmes vêtus de couleur vives, dont un en slip kangourou - la marque est déposée - nous régalent pendant une heure trente en trois séquences intenses séparées par un intermède. J.C. Gallotta vient danser comme son maître Cunningham et causer avec une bonne dose d’auto dérision, il imite un lapin.
A part l’expression «  abstraction ludique » que j’ai trouvé féconde, je suis toujours étonné de la reproduction à l’identique sur différents sites internet des éléments de langage soufflés par le service de presse : 
«  Souvent la danse de Jean-Claude Gallotta, afin de souscrire à l’ici et maintenant que le corps des interprètes lui impose s’est cherché des thèmes qui la protègent du présent : les mythologies, le répertoire, les hommages. » Certes.
J’aime broder parfois autour d’une aiguille mais je regrette aussi la complaisance des critiques des spectacles vivants qui n’ont pas trouvé leur équivalent « Allo ciné ». On peut aussi  être simple: ici à la MC2, Jean-Claude galopa et ce soir là la salle comble était ravie.

samedi 5 février 2022

Depuis que je vous ai lu je vous admire. Catherine Sauvat.

« Ah les écrivains !
On s’interrogerait presque sur la persistance du pouvoir d’attraction qu’ils exercent encore à notre époque, si impatiente, où la brièveté et l’immédiateté du message priment sur sa qualité et sa densité. Et pourtant, il suffit de voir les files devant certains auteurs en signature pour en comprendre le phénomène, comme si les approcher permettait de sentir sur soi les lueurs de leur renommée. »
 
Le titre était prometteur, quand hors tournées de promotion, nous sommes tellement sevrés d’exercices d’admiration.
« Gide a visité Verlaine. Qui a visité Hugo. Qui a visité Chateaubriand. Tant qu’il y aura des écrivains, leurs émules chercheront à entrouvrir leur porte. Qui sait si un jour, s’étant à leur tour rendu admirables, d’autres n’entrouvriront pas la leur ? » 
Les critiques du « Masque et la plume » nous avaient mis en appétit. Mais comme parfois tout m’a semblé contenu dans la bande annonce qui avait tout dit de la diversité de ces rencontres. 
«  On cherche l’adoubement dans le regard du grand homme. Un battement de cils suffit pour se sentir élu. La phrase la plus anodine est à graver dans le marbre. Parfois la magie opère pour de bon. Henry Miller envoie son livre à Cendrars, qui le lit sur-le-champ, et sonne directement chez son auteur. Entre Truman Capote et Colette, alors âgée et alitée, l’entente est immédiate. Françoise Sagan, témoin de la tendre amitié qui lie Tennessee Williams à Carson McCullers, n’en croit pas sa chance. » 
La biographe appuyée sur une documentation solide multiplie les chapitres pimentés d’anecdotes, mais je n’avais pas assez d’éléments concernant les auteurs anglo-saxons pour apprécier totalement les récits de l’entrevue de Christopher Isherwood et E.M. Forster, comme j’ai pu savourer la rencontre de Casanova et Voltaire : 
«  Etes vous venu ici pour me parler, ou pour que je vous parle ? » 
Les différences d’âge peuvent accentuer les déceptions mais ne pas faire obstacle à des collaborations voire des amitiés.

vendredi 4 février 2022

Trop.

Je peux regretter la violence des temps et ne pas hésiter à lancer quelques coups de patte épistolaire plus souvent qu’à mon tour. Je râle constamment contre les analystes de pacotille qui ne soupçonnent que de noirs desseins derrière toute décision, pour plonger aussi sec dans la généralisation hâtive.
Lister ainsi ces contradictions vise à mettre le masque de la lucidité, de l’honnêteté à des faiblesses qui appellent l’indulgence de mes semblables. Je satisfais mon  appétit des paradoxes et une propension au « en même temps » qui se donne les illusions de maîtrise tous azimuts dans un monde ayant perdu le Nord. Noire est la nature humaine et mes mains ne sont pas propres.
Les prophètes du « monde d’après » qui ont prêché par écrans interposés n’ont pas vu que sous leurs yeux le numérique avait permis d’avancer pour contrer le virus avec le pass sanitaire et permis à l’économie de moins souffrir avec le télé travail, les services en ligne, culturels, éducatifs, marchands, d’information, sanitaires, à foison. Ces outils numériques sont devenus tellement ordinaires qu’on en oublierait qu’ils ont permis aussi une réponse éclair à la pandémie seulement freinée par des superstitions séculaires. L’intelligence côtoie la bêtise, la générosité, la bassesse. Ainsi loin des intentions généreuses des babas de la Silicon Valley, Internet est devenu le lieu des fake news et un moyen de diminuer, harceler son prochain.
Et que dire de nos compatriotes qui ne supportent ni éoliennes ni mines pour extraire les produits nécessaires aux voitures propres qui leur sont proposées ?
Par nos indignations de W à Z vis-à-vis de Woke ou Zemour, n’avons-nous pas contribué à leur notoriété même si le déni par rapport à leurs succès esquive toute réponse ? De près ou de loin, d’aucun ne veulent voir les avantages du « quoi qu’il en coûte » et ne retenir que les périodes d’esclavage pour les pays qui l’ont aboli. Ils n’envisagent pas ce qui est ponctionné à la sécurité sociale, pas plus qu’ils ne reconnaissent les avancées de la condition des femmes alors qu’ils excusent leur mise sous l’éteignoir sous prétexte de religiosité.
J’avais assisté, il y a cinquante ans de cela à l’arrivée depuis l’Afrique noire de l’expression « trop » à la place de « très » et ne voyais là qu’une couleur sympathique de plus dans nos façons de parler. Aujourd’hui nous exagérons, dramatisons, et nos échanges s’avèrent difficiles: « Castex assassin ! », Mélenchon se « bigarise», un graffeur mélange tout et insulte les déportés... 
Dans la boite à consoler, je cherche quelques mots pour triturer leurs racines et en extraire quelque huile essentielle adoucissante : « délié » dont j’aime les arabesques suivies de quelque « plein » pourrait nous fournir une idée de fluidité dans les rapports sociaux, mais va vite vers la rupture, le délitement. De tels contrastes tiennent au fil d’une plume joliment mais peuvent tout autant faire tache.
Il est des mots plus exigeants, mais plus inaccessibles que jamais : la confiance. J’écoute mon médecin, mon garagiste, mes proches, j’ai les amis que je mérite et la nation à laquelle j’appartiens a choisi, ses chefs : de l’état, son maire, et avec mes voisins un syndic de copropriété… 
Qui suis-je pour juger ce prof qui exerce en 2022 alors que je fus de la partie jusqu’en 2005 ? Je ne m’empêche pas quand même de mettre mon grain de sel tout au long des semaines pour livres et films, regrettant pour les spectacles vivants le conformisme reproducteur ad nauseam des éléments de langage de services de presse. Facebook est le repaire de ces copieur/colleur qui entre deux binettes hilares ou dégueulantes ne s’expriment  dans les commentaires que par jets brefs.

jeudi 3 février 2022

Chaïm Soutine. Marie Ozerova.

La conférencière devant les amis du musée de Grenoble 
a donné d’emblée quelques précisions à partir d’un premier « Autoportrait » de l’inclassable artiste né près de Minsk (Biélorussie) en 1883 ou 84. La présence d’un personnage au dos de la toile rappelle les difficultés de Soutine à accepter que quelqu’un le regarde travailler et d’autre part la grande misère qui le conduisit à peindre sur des toiles déjà utilisées.Il est le dixième enfant d’une famille de onze très pratiquante dont le père était ravaudeur. La religion juive interdisant toute figuration, il est roué de coups quand il représente un rabbin.
« L’homme au chapeau » n’est pas le portrait en question, car il ne reste aucune trace de ses travaux de jeunesse, mais ce témoin d’une religion exigeante, aux mains puissantes, garde aussi en fond les dorures des icônes orthodoxes. 
Sa vie est aussi difficile à Vilnius (Lituanie), où ses parents lui fournissent un pain par semaine, qu’à ses débuts à Paris.
Les fourchettes se tendent avidement vers les poissons dans  « Nature morte aux harengs ». Il arrive en terre promise, dans le quartier du Montparnasse qui vient de supplanter Montmartre,  soutenu par Chagall et celui qui deviendra son ami, Modigliani.
Il fréquente les musées, « Le bœuf écorché » de Rembrandt le fascine. 
Sous le même nom il produit une série, elle le fâche avec ceux qui l’hébergent, quand il entrepose des carcasses impropres à la consommation arrosées de sang frais. 
Ses natures mortes insistent sur l’issue de la vie et reflètent sa pauvreté.
« Les Perdrix au volet vert »
Les
 « Glaïeuls » finissent fanés. 
Il détruit de nombreuses toiles. Il signe parfois mais ne date pas ses portraits qu’il nomme « figurines ». Il est en phase avec Picasso , tous deux considèrent Cézanne comme leur père à tous et pense que l’art n’est pas fait pour décorer.
Il ne se ménage pas dans un autre « Autoportrait »
pas plus qu'il ne ménage un de ses hôtes
« Portrait du sculpteur Oscar Miestchaninoff » bien calé dans son fauteuil.
« La femme folle » entrevoit un monde au-delà de notre vie quotidienne.
Au bord de la Méditerranée, il multiplie les paysages :
« La maison blanche ».
L’
« Arbre au vent » possède des racines solides et des branches énergiques.
Les maisons sont fragiles prises dans le mouvement circulaire de la nature
 
« Paysage avec maison et arbre ».
Devant «  Le petit pâtissier » (1922/23) le collectionneur Barnes a un coup de foudre.
A partir de ce moment là, « le peintre maudit » voit le prix de ses œuvres multiplié par dix.
Le « Portrait de Madeleine Castaing » (1929) une de ses mécènes,
parait presque sage en regard de «  La déchéance » (1920/21),
alors que l’ « Enfant de chœur » (1927/28) exprime la sérénité du croyant.
« La colline à Céret »
se cabre, la terre est houleuse. 
Il meurt en 1943 miné par un ulcère à l’estomac.
Des historiens de l’art discernent chez l’ « emmuré vivant dans la peinture » un précurseur de l’expressionnisme.
« Le marchand Sborowski rapporte de Soutine : « Savez-vous comment il peint ? Il s’en va par la campagne où il vit comme un misérable, dans une sorte d’étable à cochons. Il se lève à trois heures du matin, fait vingt kilomètres à pied chargé de toiles et de couleurs pour trouver un site qui lui plaise et rentre se coucher en oubliant de manger… C’est la lumière d’avant l’aube que cherche Soutine. L’instant où la nuit bascule dans le jour comme basculent les éléments de ses tableaux. Il ne trouve le regard juste, la juste maîtrise de sa main, de son pinceau, qu’au terme d’une immense fatigue physique, comme certains mystiques ne trouvent la révélation et la jouissance qu’au terme d’une souffrance extrême  »