La distinction platonicienne entre « mimésis »,
reproduction mimétique, et « methexis »,
qui agit sur le monde, prend tout son sens à la Renaissance en ce qui concerne les arts. L’individualité
s’invente, les formes s’émancipent, les artistes ne sont pas que des
producteurs de beauté ; en allant contre l’esprit du temps, ils infléchissent
le cours de l’histoire.
L’affirmation humaniste autour des années 1500 a alterné avec des
phases de régression. Savonarole, prescripteur de Laurent le magnifique, fit
brûler instruments de musique, bijoux, livres, « cassone » (coffre de
mariage)… Il a fini sur le bûcher. Autodafé signifie « acte de
foi ». Il voulait faire de Florence une théocratie où aurait
régné la vertu.
Rares sont les représentations de destructions d’images qui eurent lieu au moment de toutes les reconfigurations
religieuses, comme « Le Riot calviniste iconoclaste du 20 Août
1566 »,
alors que la «
Dans le « Polyptyque des Sept Œuvres de
miséricorde du Maître d’Alkmaar », les yeux des mortels sont
effacés, ils ne peuvent regarder Dieu en face.
L’acte de vandalisme en 2011 contre le « Piss Christ »
de Serrano voit la confrontation de la liberté de bafouer et celle de se sentir
offensé. Les œuvres écrites de Prévert parodiant la prière « Notre
père » ou de Rimbaud avaient moins choqué :
« Seigneur, quand
froide est la prairie,
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux. »
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux. »
Dans les offenses contemporaines, « Dirty corner » d’Anish Kapoor rebaptisé par les journalistes « Le vagin de la reine » quand
il fut exposé à Versailles, a été couvert d’inscriptions hostiles que l’artiste a voulu conserver, mais
pas pour longtemps, suite à des plaintes concernant la nature antisémite de
certains graffitis : censure dans la censure.
Lorsque Courbet a peint
« Le retour de la conférence »,
il savait bien : « J’avais
fait ce tableau pour qu’il soit refusé. J’ai réussi. »
Louis Philippe avait acheté « La liberté guidant le
peuple » de Delacroix pour ne pas l’exposer, il rendait
ainsi hommage à la force du peintre. La censure qui reconnaît le génie est donc bien différente d’un refus pour cause
d’insuffisance. Le censeur ne se revendique pas comme tel, il est désigné par
les autres.
« Il faut se méfier des idoles », pourrait
constituer la morale du tableau de Poussin,
« L’adoration du veau d’or », mais la sensualité des
corps face à Moïse, figé par l’indignation, peut aussi plaider pour l’allégresse
des vivants.
De Michel Ange, il fut question,
et aussi du Bernin dont les charmes d’ « Apollon et
Daphné » ne sont pas amoindris par la formule qui dût être
inscrite sur le socle : « Celui
qui aime à poursuivre les formes fugaces du plaisir ne trouve que feuilles et
fruits amers sous sa main. »
Les périodes où la liberté est proclamée peuvent porter
aussi un rigorisme qui avait amené Louis Leopold Boilly à esquisser
en 1793 un « Triomphe de Marat »
avant une visite d’inspecteurs plutôt que d’insister sur une « Toilette »
à la superficialité aristocratique.
Malevitch pour qui "tout le peuple russe m’apparaissait en
elles dans toute son émotion créatrice" avec les icônes, auteur du « Carré noir sur fond
blanc » après avoir été commissaire politique et avoir mis à
l’écart Chagall, se verra interdit de peindre abstraitement.
L’ « Origine du monde » est censurée
par Facebook, non plus par intervention humaine, mais algorithmiquement, comme
la « Vénus
de Willendorf » de 25 000
ans d’âge pour cause de vulve visible.
La petite fente discrète de la « Diane »
de Houdon
avait été bouchée dans sa version en
bronze.
Quand « Libé » titrait « Larry Clark censuré »,
l’interdiction aux moins de 18 ans permettait à l’exposition de se tenir, sans le
public à qui l’auteur destinait ses photographies. Dans nos sociétés, ce n’est
plus l’état qui censure, mais la justice est saisie de plus en plus souvent par
des regroupements de citoyens qui estiment que l’artiste n’est pas forcément
légitime pour aller au-delà de la loi.
Que penser de Nathalia Edenmont qui
pour dénoncer la cruauté à l’égard des animaux, enfile, tels des gants, des animaux
fraichement tranchés, « Existence » ?
Depuis « Le sapin », plug annal de McCarthy qui fut dégonflé, les
« mutins de panurge » s’autorisent à trouver à la suite de Dagen,
critique du « Monde », que c’était vulgaire, quant à la suédoise au
lapin, c’est peut être « dégueulasse ».
Dérisoires et obscènes querelles de temps où l’on ne
mourrait pas pour un dessin jusqu’à ce que des dessinateurs de Charlie tombent sous
les balles. Le dessin de Plantu « Je ne dois pas dessiner
Mahomet » a été refusé en couverture par l’éditeur du livre que
consacre à la censure Thomas Schlesser, notre dynamique et convaincant
conférencier de ce soir.
« Ce qui vient au monde
pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. » René
Char. Dans ce monde imparfait où la
confiance envers l’intelligence du public est un pari risqué, il y aura
toujours la poésie pour jouer des ambiguïtés et des artistes pour provoquer des
avancées.