jeudi 17 janvier 2019

« Servir les Dieux d’Egypte » au musée de Grenoble.

Nous abordons, à la suite de 100 000 visiteurs, l’exposition autour d’un monde complexe qui n’a pas encore livré tous ses secrets dans la période dite « intermédiaire » située de 1000 à 600 avant J.C.
La division entre au Nord, le delta du Nil ( Basse Egypte) où règnent, avec des hauts et des bas, les politiques et la Haute Egypte au Sud est atténuée par la présence des filles (vierges) des rois dans Thèbes,  la religieuse, « la puissante » , dont nous explorons la nécropole et le temple d’Amon,  reconstitués en partie place Lavalette.
Voir http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/01/trois-empires-le-long-dune-vallee.html
Grenoble la ville de Champollion qui a donné son nom au lycée où officie notre guide dédié, http://blog-de-guy.blogspot.com/2016/09/paysages-au-musee-de-grenoble-etienne.html
doit aussi la richesse de son musée à Louis de Saint-Ferriol qui, parti avec des explosifs, est revenu avec quelques caisses chargées de trésors pour son cabinet de curiosités d’Uriage. Parmi les 270 objets exposés certains proviennent aussi de Londres, Berlin, Vienne, de Boulogne - sur- Mer ou du Louvre.
Les pillards avaient pris leur part mais aujourd’hui se retrouvent jusqu'au 27 janvier 2019 sarcophages en pierre et cercueils en bois. Les membres d’une même famille sont réunis. Cercueil de Pamy.
On parle de "trousseau funéraire" pour les nombreux objets qui accompagnent hommes et femmes dans l’au-delà. Ma petite fille qui a bénéficié d’un temps à l’atelier du musée en sait plus que moi sur les ouchebtis, statuettes destinées à suppléer le défunt pour les travaux, parfois au nombre de 365 comme autant de jours que les dieux font. 
Les vases canopes contenant les viscères étaient contenus dans des coffres.
Et pour les vivants des stèles indiquent une propriété ou établissent la liste de ceux qui sont bannis.
Un visiteur de l’exposition suggérait sur Facebook de s’inspirer de noms de l’époque pour baptiser d’une façon originale les bébés d’aujourd’hui : Djedmoutiouefânkh aurait du mal avec son étiquette dans les couloirs de la maternelle, mais le cartonnage de celui-ci (lin ou papyrus+ plâtre) recouvert d’une multitude de symboles bénéficie d’un miroir pour être vu sous toutes les coutures.
Des statues cubes témoignent de l’importance de l’écriture.
Nous pouvons admirer la finesse des papyrus, la sophistication des bijoux, Collier à pectoral du grand prêtre et roi Pinedjem
la virtuosité dans la confection de statues en bronze Statue de Meresamon, chanteuse de la Résidence d’Amon, en sachant que je ne saurais aller plus loin dans l’archéologie puisque les hiéroglyphes restent pour le novice une décoration,
 au pays où Sekhmet, la déesse à tête de lionne a pu se multiplier en 600 avatars. 
Statue du dieu Hamon dédiée par Houroujda.
Les prêtres outrepassaient leur rôle religieux pour occuper des fonctions politiques, économiques, administratives, avec par exemple un porteur de barque rituelle qui par ses oscillations donnait des indications décisives lors de séances divinatoires.
L’affiche de l’exposition est un détail du cercueil de Nehemsitou, porteur de la barque d’Amon.
Tout n’est pas découvert, mais le rôle des divines adoratrices, des chanteuses, des maîtresses de maison était important, le soin apporté à leur sépulture en atteste. Elles assuraient la renaissance du monde, elles continuent.
Isis allaitant Horus dédiée pour Chépénoupet II dans sa fragilité, ses cassures, est émouvante ; le dieu ne pouvait s’abreuver que debout, par contre toutes les œuvres funéraires, présentées pour être bien mises en évidence, étaient couchées.
 
Cherchant à retrouver une citation inscrite au dos d’un scribe :
«  Lisez ça ne prendra pas beaucoup de temps », genre « passant recueille toi »
je suis tombé sur ces mots d’Olivier Debré :
le peintre, lui, va du monde au signe. »
C’est tout indiqué pour annoncer la prochaine exposition « Souvenirs de voyage » d’Antoine de Galbert qui aura lieu du samedi 27 avril au dimanche 28 juillet au musée de Grenoble après un dernier tour à La Maison Rouge à Paris.

mercredi 16 janvier 2019

Lacs italiens # 6

Je propose à J. une promenade pour explorer notre environnement à pied, elle délaisse sa lecture sans regret. Toutes les deux, nous  partons sous un ciel sans nuage et une bonne chaleur de 10h 30 du matin. Nous nous engageons sur le chemin qui longe la propriété viticole « Salva terra ». Il démarre à droite de la Vierge nichée dans le mur, coiffée par la végétation et devant laquelle quelqu’un a pris la peine d’allumer une bougie dans un flacon rouge fermé. Nous avançons entre deux longues enceintes de pierre cachant les propriétés agricoles sur la voie interdite aux voitures par des barrières. Les cigales s’égosillent de droite et de gauche.
Le chemin se termine juste après la maison d’un vétérinaire par un joli coin aménagé à l’ombre avec deux bancs et une fontaine. Nous bifurquons sur la route goudronnée à droite qui monte en douceur vers  Castelrotto ; le lieu est investi par de grandes demeures à peine visibles au milieu de parcs grandioses et classieux clos par de belles grilles patinées par le temps.
La route peu fréquentée  nous conduit derrière le restaurant « Castrum » que nous avons repéré samedi, mais pas moyen de boire un coup, tout est fermé. Nous poursuivons notre  boucle après avoir repéré la maison de Lucia notre logeuse pas loin de 3 façades colorées vivement puis nous terminons notre circuit  vers midi.
En farfouillant parmi les prospectus mis à disposition dans le B&B, je suis attirée par une église ou abbaye romane dans le VALPOLICELLO, sur la route des vins. Nous roulons donc vers Sant’Ambrogio di Valpolicella à quelques 7 km de Castelrotto. Là, le village semble désert, au niveau température comme au niveau fréquentation.
Nous nous arrêtons un court moment au municipio que nous regardons de l’extérieur ainsi que la statue  moderne représentant un  sculpteur en marbre rose de Vérone.
Quant à l’église aux portes de bronze à la poignée en forme de poisson, elle gardera tous ses mystères pour nous car elle est fermée.
Nous continuons notre périple vers San Giorgio, village perché sur la colline  d’où la vue s’étend sur les vignes bien peignées et le lac de Garde : un excellent promontoire pour profiter du panorama.
Outre cet avantage, le village mérite le détour pour son église de style lombard / roman  très particulière surtout qu’on y accède par l’adorable  cloître : pierres claires, colonnade basse aux chapiteaux érodés, il encercle un vieux puits assorti.
 
 
Nous entrons par le côté et avec une pièce de 50 cts, nous éclairons l’intérieur, simple et sombre où subsistent encore des fresques aux teintes pâles , un autel surmonté d’un baldaquin de pierre ciselé,
et un curieux orgue enfermé dans une boîte en bois bleu clair dont je soulève une partie pour apercevoir le clavier ; ce sont les boutons des jeux sur le côté  qui m’ont intriguée et permis de comprendre l’usage de ce meuble bleu layette.
Nous dépannons un sénior italien d’une pièce de 50 cts, car il se fait avaler la sienne sans contrepartie et s’adresse à nous avec son  français appris à l’école. Non loin du cloître, un syndicat d’initiative ouvert témoigne de l’intérêt touristique du site, snobé par les foules et les guides papiers.
Nous redescendons vers le lac de Garde à TORRI DEL BENACO.   
Zones industrielles,  grossistes de marbres de différentes couleurs aux zébrures artistiques, noria de  camions cul à cul, bretelles de routes compliquées mais triées par le GPS, sont les paysages que nous traversons avant de déposer la voiture dans un grand parking à l’entrée du village soigné. Torri del Benaco est dominé par son château défensif qui figure sur l’oriflamme de la ville,  avec au pied de la muraille  un endroit réservé aux serres.
L’heure est encore chaude mais la lumière est belle quand nous nous approchons du port de taille modeste, les couleurs des bateaux et des maisons chantent, pimpantes, vives, joyeuses.
Certes, il y a des touristes, mais ce n’est pas la folie.  
Nous flânons sur la passeggiata puis cherchons l’ombre de la ruelle centrale, enfin, soyons honnêtes, nous cherchons une bonne gelateria indiquée par une marchande qui peint elle-même ses aquarelles  reproduites et dupliquées en cartes postales.
 Après la dégustation, nous nous enfonçons dans la ruelle commerçante jusqu’à une place où on entend l’office religieux en cours provenant d’une église dont les portes sont ouvertes.
Sur le côté gauche de la façade, une croix  fichée dans le sol porte les instruments de la passion,  au lieu du Christ habituel et remplace pour une fois les nombreuses vierges. 
Nous reprenons en partie la passeggiata, bien aménagée et entretenue, bordée de pins ; les gens y prennent des bains de soleil n’ayant qu’à descendre du quai haut de moins d’un mètre pour se rafraichir dans l’eau douce, sur les galets. J se trempe les pieds avec plaisir avant qu’on fasse demi-tour pour rentrer à la maison en suivant le lac jusqu’à Lazise : lumières de fins d’après-midi, ciel d’un bleu profond, petites routes (éoliennes)
A 19h30, nous atteignons notre logis où nous apprécions un  gaspacho. Discussion, lecture, douche, dodo.

mardi 15 janvier 2019

L’Algérie c’est beau comme l’Amérique. Olivia Burton Mahi Grand.

Une jeune fille décide d’aller sur la terre de ses ancêtres « Pieds noirs ».
Si elle ne retrouve pas les lieux rêvés des souvenirs familiaux, elle avance pour elle-même vers une part de sa vérité qui n’est pas aussi simple que dans son projet initial.
Une des dernières péripéties vient ajouter un brin de complexité à un récit qui risquait d’être un peu linéaire. J’ai prêté ces 170 pages à un ami qui vient de là-bas, tant les dilemmes identitaires me semblaient traités avec justesse. Il a bien aimé, bien que moyennement les dessins, alors que le choix du crayon noir m’a bien plu, rehaussé par la couleur lorsque la narratrice prend des photos. Ainsi est rendue une certaine candeur échappant à la mièvrerie tout en nous laissant dans l’agrément d’une histoire qui aussi la nôtre.
Une occasion de se rappeler d’autres œuvres au sujet de l’Algérie
en littérature http://blog-de-guy.blogspot.com/2018/09/lart-de-perdre-alice-zeniter.html

lundi 14 janvier 2019

Une affaire de famille. Kore-eda.

On ne va jamais voir un film sans à priori et encore moins quand celui-ci est palme d’or du festival de Cannes avec message politique surligné : le Japon n’est pas si clean que ça.
Par ailleurs, il est tout simplement bien agréable de retrouver la finesse d’un réalisateur apprécié ici depuis un moment.
Dans un premier temps, la débrouillardise de tous ces personnages qui vivent entassés est chaleureuse , les petits voleurs sympathiques, et puis les liens vont s’avérer plus compliqués et pas vraiment exemplaires.
Condamnées par un présent affamé, les révélations finales ne sont pas aussi gentilles et positives que dans d’autres chroniques du réalisateur japonais.
Je garderai, je pense, en souvenir la beauté d’un plan où cette famille de « bras cassés » essaye de voir un feu d’artifice ou bien lorsqu’une femme se rend compte que sa misère ne se compte pas en Yens.
Ce ne sont pas des « laissés pour compte »  ce qui dénierait toute responsabilité à leur choix,  alors pour caractériser : famille de « bric et de broc » pourrait convenir pour insister sur sa fragilité, « recomposée », mais il y en a tellement, et celle là est tellement singulière.
Finalement le titre semblant bien banal se révèle le plus juste.     


dimanche 13 janvier 2019

Jamais seul. Mohamed Rouabhi. Patrick Pineau.

Finalement, j’en ai vu pas mal des pièces de Patrick Pineau
La proposition de cette année, concerne les « Invisibles » de la famille des bien visibles maquillés de fluo.
Juste après la lecture d’une série de portraits de Gilets Jaunes dans Marianne, je viens d’apprécier au théâtre le récit en 19 tableaux de la vie d’une quarantaine de personnages vivant  tant bien que mal dans des zones où le bus ne s’arrête plus.
Moins imbibés que les bas fonds russes, nos parkings de super marché ont leurs dépossédés.
Cette humanité souffrante ne manque pas d’humour et même la poésie peut s’inviter.
La fraternité n’y est pas mièvre et le mérite est grand de ne pas voir sanctifier tous ces porteurs de croix : chômeurs, solitaires, handicapés, inadaptés, abandonnés, gitans, noirs, petits blancs.
« S’il y a un monde dans lequel il y a de la méchanceté, de l’indifférence, de l’avidité, de  la solitude, c’est le nôtre. S’il y a un monde dans lequel il y a de l’amour, de la joie, de l’émerveillement, c’est aussi le nôtre. »
J’avais mémorisé comme titre : « Enfin seul ! » alors que la solitude est aggravante en milieu précaire ou dans les moments délicats de la vie : sans doute un vieux reste de « l’enfer c’est les autres » qui allait si bien à nos suffisances adolescentes.
Dans une mise en scène sobre et efficace, la pièce est énergiquement jouée, foisonnante, parfois un peu trop riche à mon goût, comme avec la performance d’une conteuse en début de seconde partie, dont la générosité cependant emporte l’adhésion.
Redécouvrir :
« Du gris, que l'on prend dans ses doigts
Et qu'on roule
C'est fort, c'est acre, comme du bois,
Ça vous soûle.
C'est bon et ça vous laisse un goût
Presque louche
De sang, d'amour et de dégoût,
Dans la bouche. »
Bien sûr que le soliloque dans son garage du « cauche » ( coach) exhortant une équipe disparue m’a ému et confirmé que la métaphore footballistique est féconde pour lire la société. Les deux amants sous les étoiles sont « incandescents », comme sont également justes et percutantes les interventions dans un groupe de parole, belles des fleurs artificielles démesurées, déchirant et joyeux un accouchement par une sage-femme affolée dans ce noman’s land tellement peuplé.
La bienveillance de l’auteur ne l’a pas conduit à effacer les aspérités des individus, nous ne pouvons que mieux les aimer ; les fragiles sont forts qui « n’attendent pas midi à quatorze ans ».
Ce n’est certes pas « tous ensemble tous ensemble » mais trois heures très vite passées avec les autres, nos semblables, nos frères, nos camarades, histoire de ne plus confondre les mots qui conviennent pour accompagner les solitudes. 

samedi 12 janvier 2019

Saisir. Jean-Christophe Bailly.

J’ai fait confiance au poète, écrivain, dramaturge, philosophe, enseignant à l’École nationale supérieure de la nature et du paysage de Blois, pour lier nature et culture, à la recherche des traces d’un peintre, de photographes et d’écrivains au Pays de Galles, faisant preuve d’une érudition qui ne submerge pas la précision de l'écriture. Son livre de 256 pages nous emmène à l'Ouest de La Grande Bretagne par artistes interposés.
Après avoir évoqué un posto di niente, endroit de rien, un aperçu de sa persévérance à  essayer de rendre compte des traces, d’exprimer la réalité :
«  On pourrait, dans la foulée, parler aussi de moments de rien, ou en tout cas dénués à priori de tout accès au sublime et même incapable d’un bond hors de l’oubli ; et pourtant voilà qu’il se mettent, ces instants et ces lieux, les deux ensemble, à prendre la valeur d’un nouage qui a été fait hors du temps, et qui survit longtemps après son passage. »
A partir d’un tableau, «Un mur à Naples », il nous fait rencontrer un peintre, Thomas Jones, qui en réalisant cette petite huile sur papier représentant un mur dans son éclatante banalité, rencontre notre appétit de nouveauté.
«  Ah, la ville s’éveillait à présent et j’entendais distinctement, couvrant les murmures de la mer, ses voix insistantes dont la rumeur montait jusqu’à moi. »
Je ne saurai aller plus loin du côté de Dylan Thomas, hors de la mise en bouche qu’il nous propose, avec précautions, compte tenu des difficultés de la traduction en poésie où la musique des mots est primordiale, mais quand même :
« C’est une nuit de printemps sans lune dans la petite ville, nuit sans étoiles et noir de bible, rue aux pavés arrondis silencieuses et le bois voûté, bois des amoureux et des lapins boitillants jusqu’à la mer noir prunelle, lente, noire, noir corbeau, agitées de bateaux de pèche. »
Entre le « Rimbaud de Cwmdonkin Drive » et W.G. Sebald écrivain allemand de passage à l’Ouest de l’île,  nous approfondissons une même recherche sensible autour de la narration.   
Les yeux des mineurs des vallées du sud quand ils sortaient noirs de la mine brillaient, saisis par les photographes Eugène W. Smith et Robert Frank.
« …  leur entrée dans la vérité contient aussi la marque muette d’une résistance, qui est celle de ces hommes épuisés revenus des profondeurs et prouvant sans emphase non seulement qu’ils tenaient à la vie, mais que la vie aussi tenait par eux. »