Sur les 10 000 œuvres que Klee a répertoriées
méticuleusement, le conférencier devant les amis du musée en a présenté une
centaine. Michaux parlait pour le
« peintre-poète », comme il aimait se présenter, d’une
« attention horlogère au
mesurable ». L’univers poétique de l’artiste-chercheur
est d’une approche parfois difficile, reconnaissable d’emblée, élégant et
sensible.
« Rue dans le camp » d’un
petit format sur un papier huilé, décalqué, puis travaillé à l’aquarelle et à
l’encre, offre de la place à la narration.
Son musée rassemblant 5000 de ses œuvres sous trois vagues en
accord avec la pente des collines aux alentours de Berne, a été réalisé par Renzo Piano, et bien des auditeurs de la
conférence ont pu ressentir l’envie d’aller y faire un tour.
Il réalise lui-même ses cadres et cette « Vue du rouge »
au pastel sur toile de coton collée sur de la toile de jute témoigne d’innovations
techniques incessantes.
Les petites formes de la « Nuit bleue » où
se travaillent les harmonies, peuvent laisser entendre comme une musique de
chambre délicate.
« Le château de la foi » fourmille d’idées, parmi les
architectures serrées d’une Babylone bleue et or.
Ses sujets hors norme, « L’île engloutie », ouvrent des pistes riches. Les surréalistes
le tirent par la veste, mais compagnon du « Cavalier bleu », du
Dadaïsme, des abstraits, il reste inclassable. Picasso et Braque ont fait le voyage à Berne
pour le rencontrer.
Il sympathise avec Delaunay et traduit ses ouvrages en allemand,
ses « Bateaux
attendant la tempête » ont tout de la complexité cubiste.
« Senecio » peut intéresser aussi bien les enfants
rêveurs que les chercheurs pointilleux.
Boulez dans son livre « Le pays
fertile » voit dans l’œuvre de Klee
une source de méditation et de ressourcement. « Fugue en rouge »
Si en 1918, au moment où il est reconnu, « L’arbre
des maisons » est un refuge poétique peuplé d’oiseaux et de
lutins,
la « Figure, le soir » de 1935 est celle de l’exilé,
effacé.
L’enfant gouverne un « Grand père orientable » tracé
au tire-ligne.
Une double lecture est souvent nécessaire : « La
machine à gazouiller » pourrait être charmante et humoristique
comme bien souvent, mais les faux oiseaux attirent les vrais dans la fosse
rose.
« Le funambule »
est une métaphore de l’artiste: « les
choses ont une apparence statique et figée mais en réalité, elles se trouvent
dans un état de perpétuel mouvement. »
Paul K. est né en 1879, en Suisse d’un robuste père allemand,
professeur de musique, « Mon père », mais il n’a jamais
obtenu la nationalité suisse, sa mère était cantatrice.
« Autoportrait à vingt ans ».
Il se marie avec Lily,
pianiste, et ils ont un fils de santé fragile pour lequel, il sera un moment père
au foyer. « Marionnettes pour Félix »
Sa rencontre avec Kandinsky est essentielle, il acquiert de
la confiance, lui qui a hésité entre le violon, avec lequel il excellait, et la
peinture. Il expose « La jeune fille aux cruches »
Après un court séjour en Tunisie, il revient subjugué ;
à 34 ans il peut se dire « peintre », converti à la couleur. « Vue
de Kairouan » sous « le soleil d’une sombre
force ».
Transfiguré : « Dans le style de Kairouan transposé
dans un registre modéré »
Il donne des cours de composition au Bauhaus, de reliure,
d’orfèvrerie, de peinture sur verre, explique la couleur.
« Harmonie automnale ».
Dans ce lieu où la fonctionnalité est recherchée, lui le rêveur, le naïf,
émerveillé par les coquillages et le cosmos, essaye de transmettre le goût de
la liberté créatrice, même si le génie ne s’enseigne pas.
« Statique-dynamique ».
Il enseigne ensuite à Düsseldorf dans une prestigieuse école
des beaux arts.
En 33, il fait partie des « artistes dégénérés »
ainsi que l’avaient décidé les nazis, il est démis de ses fonctions, sa maison
est pillée. « Rayé de la liste »
Revenu à Berne, atteint de sclérose en plaque, il ne quitte
plus guère sa chambre. « Insula dulcemera ». C’est
l’île douce amère où Calypso retint Ulysse et aussi le nom d’une plante
médicinale qui soulage de la sclérodermie ; le visage au centre est
blême.
«Clé cassée» c’est bien
ainsi que l’on doit prononcer Klee. Il meurt en 1940 la même année que son père,
il a soixante ans. Félix devenu
metteur en scène de théâtre fera graver cette épitaphe :
« Ci bas je
ne suis guère saisissable, car j'habite aussi bien chez les morts que chez ceux
qui ne sont pas nés encore, un peu plus proche de la création que de coutume,
bien loin d'en être jamais assez proche ».