dimanche 11 février 2018

Un mois à la campagne. Tourgueniev. Françon.

Tourgueniev, « le plus occidentalistes des Russes » quand il se pose en vis-à-vis de Zola, Flaubert et des Goncourt « repousse leur conception physiologique, « gastronomique » de l’amour, à laquelle il oppose sa vénération presque religieuse de l’Eros et de sa puissance ».
Je ne sais discerner ces caractères, mais « gastronomique » lu dans le journal de salle de la MC2, me plaisait bien.
Tout est réuni pour passer une bonne soirée avec ce qu’il faut de mélancolie et de tourments slaves convenant parfaitement au théâtre, avec de surcroît un metteur en scène de confiance
Cette fois un jeune précepteur débarquant dans une famille, fournit un argument pour approcher d’avantage de la comédie que d’une fatale tragédie. 
"Je suis brisé de chagrin et en même temps je me sens léger, comme un homme qui part pour un long voyage au-delà des mers : il a le cœur gros de quitter ses amis, il est angoissé, mais avec ça le bruit de la mer est si gai, un vent si frais lui souffle au visage que le sang pétille dans ses veines même si son cœur est lourd...Oui je m'en vais, c'est décidé."
La précision de la langue s’accorde parfaitement à la finesse des sentiments dont la complexité n’entrave aucunement la réception auprès des spectateurs ravis de passer près de deux heures autour de problèmes amoureux. Et ce ne sont même pas des problèmes : des recherches, des occasions de mieux se connaître, si loin de violences porcines ou metooyennes.
Si je connaissais mieux l’œuvre de Marivaux, je n’hésiterai pas à rapprocher cette pièce de celui dont on dit à marivaudages : «  légèreté du ton dans des propos qui parlent d'amour », ce n’est vraiment pas loin de cela.
Les acteurs sont excellents, les éclairages sur des décors sobres aux couleurs qui évoquent des fresques effacées de Pompéi, élégants. Même si les départs vers ailleurs dans les pièces russes sont toujours des issues à des situations d’ennui, de mauvais choix, du temps qui abime, je n’ai pas perçu de drame. Personne sur le plateau ne déchire sa chemise, n’empoisonne, ne flingue et c’est bien bon.

……………………….
Les petits enfants sont là, alors je m’éloigne des écrans. Reprise des articles lundi 19 février.

2 commentaires:

  1. Et bien, c'est que Tourgueinev est un très grand auteur, parce qu'on n'a pas vu la même pièce...
    Pour moi, cette pièce est un "Roi Lear" de salon, où plus personne reste debout à la fin, même s'il n'y pas de morts.
    Ma lecture :
    Natacha, le personnage central de la pièce, a autour de 36 ans. C'est un âge potentiellement difficile pour une femme... un âge où théoriquement, sa fécondité diminue de manière dramatique. Le temps est déjà là à 36 ans, et pour la femme, est déjà là, en quelque sorte, le moment où elle ne pourra plus enfanter (et oui, c'est important ça, encore... cela a encore quelque chose à voir avec l'amour. Eros, en tout cas...).
    Natacha est aristocrate. Cela veut dire qu'elle se trouve prise dans un contrat implicite qui voudrait qu'elle soit... un pur objet de grâce, sans l'usage de ses deux mains pour travailler, et dans l'obligation de fournir du travail aux classes laborieuses, pour qu'ils puissent gagner leur vie, en échange de son rang, de sa considération, et de son pouvoir... virtuel, en partie. Natacha n'a pas de rapport affectif, et n'a jamais eu de rapport charnel avec son enfant qui a été confié à des domestiques...
    Natacha est la Grande Raison pourquoi son mari part faire le tour de son domaine... et elle lui doit d'être cette raison, ainsi que l'objet de la protection du mari.
    Natacha vit dans une cage... dorée, bien au chaud, à l'intérieur, là où les gens "intelligents", les gens qui ont de l'esprit, se tiennent, avec leurs compagnons de lecture. Ils ont des discussions de salon, jouent aux cartes, se distraient comme ils peuvent.
    Et voilà qu'arrive le jeune tuteur, étudiant, de Moscou, qui va tout chambouler...
    (suite après)

    RépondreSupprimer
  2. Donc, voilà le jeune étudiant qui arrive, et avec lui, la maison s'ouvre, et la Nature arrive dedans, et Natacha sort dehors, où, pour peut-être première fois, elle va ressentir des émois qu'elle n'a jamais connus.
    Et cela va complètement la bouleverser, au point où elle ne saura pas ce qui lui arrive. Et qu'est-ce qui lui arrive ? Tombe-t-elle amoureuse de ce jeune tuteur, ou ressent-elle l'appel en elle de forces mystérieuses qu'elle ne savait même pas exister ?
    Toujours est-il qu'elle est dépourvue devant ce chamboulement considérable. Comme nous tous... elle cherchera à mettre des mots, à IDENTIFIER son trouble.
    Et dans tout cela, ses rapports avec tout son entourage seront profondément modifiés : avec sa jeune pupille/rivale, son confident, son mari, le tuteur.
    Quand la pièce se termine, Natacha quitte la scène ayant tout perdu : la possibilité de connaître enfin un amour charnel et romantique avec le jeune tuteur, son confident, avec qui elle "trompait" son ennui, sa pupille, et son mari est.. troublé en ménage.
    Natacha est profondément seule dans son désarroi, et dans sa cage dorée.
    Alors, parler de Marivaudage me semble un peu aveugle. Marivaux se termine souvent sur un mariage, et une réconciliation, pas sur "plus personne debout"...
    Dans des salons de l'aristocratie, et dans des vies en cage dorée, on peut tuer avec un mot. Mais la mort... elle est toujours là.
    Même dans NOS VIES en cage dorée, on peut tuer avec un mot...

    RépondreSupprimer