jeudi 6 octobre 2016

Quelques expositions en septembre 2016 à Grenoble.

Le mois de la photo consacré au paysage à l’ancien musée de la place Verdun se termine le 8 octobre. Suivant le tropisme grenoblois, les italiens sont à l’honneur avec Gabrielle Basilico et ses grands panneaux en noir et blanc pour décrire avec précision quelques bords de mer et des lacets du Saint Gothard.
Olivier Cretin est celui que j’ai préféré : ses paysages vus à travers les fenêtres d’usines, de châteaux abandonnés sont beaux et forts, joignant dedans et dehors. Le sujet est aussi dans le cadre, le passé présent. Tourné vers  l' « Urbex », exploration urbaine en particulier des lieux abandonnés, il donne envie d’aller y voir et de s’arrêter devant ses travaux.
Par ailleurs des images du Chili reflètent l’humeur sombre d'un autre auteur, mais avait-il besoin de mêler ses enfants à cette vision ? 
Depuis les noirs d’Annunzi, ressortent quelques brindilles subrepticement.
Les paysages de Xavier Blondeau sont habités par la présence humaine, même si au moment de la prise de vue, personne ne figure dans la tache de lumière qui perce la nuit.
Les images accrochées sur les murs d’ateliers à Palerme ont des allures d’autels vivants.
D’autres images du camp de Rivesaltes montrent le vide et des vues aériennes en noir et blanc font regretter de ne pas avoir quelques fois d’autres moyens techniques pour des vues déjà entrevues derrière son propre viseur.
Par contre Lea Lund à la galerie Ex Nihilo, rue Servan, a une patte tout à fait personnelle.
En faisant poser un « sapeur » congolais au milieu d’architectures de la vieille Europe, elle réveille ses sujets travaillés telles des gravures du XIX°.
A la galerie Hébert dans la rue du même nom, Kseniya Kravtsova présente « Paper poetries » jusqu’en novembre. J’ai préféré à quelques peintures, les calques cramés en grand format formant des fleurs noires. Des froissements, des dentelles vouées à la disparition, des traces légères épinglées en tapisseries fragiles : la voie qui mène au néant peut prendre de belles formes quand elle se dispense de sous titrer : « je m’embrase ».

mercredi 5 octobre 2016

Equateur J 3 (suite) : La vache de Santa Barbara.

Nous descendons peu à peu en altitude.
Le minibus stoppe à un point de vue sur un lac surmonté par un volcan à la forme typique.
Nous embarquons une jeune femme en costume traditionnel avec son fils dans le dos,  en roulant elle nous interprète « a cappella » deux chansons indiennes. Après nous avoir proposé sans insister des étoffes colorées, elle nous quitte pour revenir à son point de départ.

Nous arrivons à Santa Barbara (2580 m), stoppons à un croisement face à l’école et à l’arrêt de bus.
Sur les lignes électriques des plantes épiphytes ont poussé.

Nous sommes dispatchés pour le reste de la soirée, dans trois familles différentes.

Les habitués de l’Amérique du Sud descendent en premier puis nos  franco-américains  dont nous avons admiré le charmant logement qui leur est réservé.
Le nôtre est bien sympa aussi, répondant à un cahier des charges commun car la même plaque figure sur la maison à la façon des Gîtes de France : « Pachamama Turismo Rural Comunitario Runa Tupari ». Les matériaux et le style sont identiques.
Une jeune fille nous accueille. Nous nous installons, puis elle nous fait découvrir les trois chiens dont une Laïca du nom d’une chienne que nous avons bien connue, les cuys (cochon d’Inde) et les lapins.
Elle nous propose de l’accompagner : nous allons couper de l’herbe pour les bêtes, en longeant des champs nous sommes étonnés par les piquets sur lesquels poussent des  feuilles. Elle ne parlant ni l’anglais ni le français, nous ne parlant ni le quichua ni l’espagnol, nous essayons de communiquer avec la jeune fille douce et patiente.

Après avoir croisé des gamins à nattes jouant au foot et des filles essayant un cerf volant, nous rentrons à la maison.
Je commence à  écrire, Guy à lire. Puis peu après c’est la « Mamie » (maman) qui vient nous inviter à chercher sa vache et un grand veau que nous menons à la corde.
Le mâle est attaché dans une parcelle de terre retournée et la vache entravée à un arbre près de la maison.
Une fois les pattes arrière ficelées, la mamie plus jeune que moi, lui amène un veau à nourrir mais le retire bien vite pour recueillir le lait qu’elle va vendre à deux clients habitués qui patientent. Elle propose à Guy d’essayer de traire ce qu’il fait efficacement mais la baca est particulièrement difficile selon la patronne.
Il peut imaginer ce que dirait sa mère : « 10 000 km pour venir traire une vache ! »
Après il faut nourrir les chiens avec du petit lait qu’ils lapent avec avidité, tout en donnant quelques coups de langue au bon lait « bourru », jeter du grain aux poules qu’elle appelle par un  gentil petit cri, enfin fournir l’herbe dans chaque clapier aveugle. 
Elle nous fait signe de la suivre sur le toit pour ramasser le linge sec et le mettre à l’abri de l’humidité nocturne.
Elle enfile un tablier sur ses habits traditionnels, pas tachés par les travaux précédents de même que ses espadrilles impeccables, et en tend un à Guy. Les voilà tous les deux à préparer le repas : soupe de maïs, semblable à de la polenta en plus liquide et du quinoa mélangé à des morceaux de poulets de courgettes et de poivrons.
Elle donne des instructions avec naturel et humour, lui fait des reproches sur les morceaux trop gros, sur le mouvement trop rapide pour remuer la soupe. Comme boisson nous nous régalons de jus de fruits (framboise) avec ou sans sucre. Au moment du repas la fille et la mère jouent avec les lumières de la cuisine tout en surveillant la maison de l’autre côté du champ. Nous ne comprenons pas tout. Nous nous mettons à table à l’heure annoncée : 7h 30, et tandis que nous attaquons la soupe dans laquelle nous glissons un morceau de fromage maison et des grains de maïs grillés, arrive un jeune homme de 21 ans chapeau vissé sur sa tête nattée : sans doute un cousin qui baragouine l’anglais aussi mal que nous. Plus tard arrive le « papi », « le père de ma fille », chapeau noir inamovible et natte. Il est adorable comme sa femme, et les regards qu’ils se lancent d’un bout à l’autre de la table sont plein d’amour et de connivence. On arrive à partager une soirée chaleureuse dans une famille unie, de culture différente et pourtant si proche. Papi Ernesto rentre de Quito où il construit des maisons, mais sa situation est hautement précaire. Nous les laissons se retrouver et allons nous coucher sous un concert d’aboiements proches et lointains.

mardi 4 octobre 2016

La revue dessinée. Automne 2016.

A chaque livraison de ces 224 pages le plaisir d’apprendre rejoint celui de se divertir.
Pour ouvrir: « Calais terminus » un reportage avec de très beaux dessins de Pomès qui ressemblent à ceux de Baudouin, dans la « jungle » et aussi du côté des bénévoles, de calaisiens avec retour 6 mois plus tard.
 A l’autre bout du monde, le capitalisme à Monaco et son univers impitoyable : documenté malgré la règle du secret concernant la famille princière qui se prête d’autant plus complaisamment aux images people que la réalité cachée des affaires, des affairistes est scandaleuse sur le rocher.
Chez nous, il y a quelques cailloux de taille dans notre chaussure gauche, au temps de Macron, et de sa loi, et il n’est pas inutile de voir la mécanique du pouvoir à l’oeuvre.
L’histoire du flash-ball n’est pas qu’anecdotique entre jouissance de la puissance des pan pan et les barrières des lois de la République.
Le récit d’un médecin dessinateur de BD faisant part de son expérience au service de ceux qui ont des difficultés pour accéder à la protection sociale présente un angle original pour une réalité méconnue.
A côté de ces lourds dossiers, nous retrouvons les rubriques habituelles avec satisfaction
- Musique avec Face B : le parcours d’Alex Chilton auteur de « the letter » qui fut parait-il un succès mondial.
- Sport : apprentissage de la voile à la base de loisirs de Saint Victor sur Loire.
- Sciences : les statistiques à coup d’algèbre matricielle où il est question de six degrés dans les réseaux comme dans une chaîne alimentaire, dans le cerveau, dans un quartier ou sur Facebook…
- le langage : jeux avec le mot « personne » : présent ou absent ?

lundi 3 octobre 2016

Juste la fin du monde. Xavier Dolan.

J’avais tant aimé au théâtre
une des versions du retour d’un fils dans sa famille qui a inspiré le réalisateur canadien chouchou de l’heure des critiques, que je craignais que le cinéma soit moins convainquant, épousant par là quelque très ancienne hiérarchie : le spectacle vivant pour cercles restreints versus le grand tralala pour foules à pop corn.
Et j’ai beaucoup aimé ce film et en particulier « ce pelé, ce galeux » joué par Vincent Cassel qui m’a semblé le révélateur des nœuds d’incommunicabilité voire de moments d’amour dans cette famille peu chuchotante.
Alors qu’à la MC 2 j’avais surtout vu la béance sociale entre le fils homo parti à Paris et les lorrains autour de la toile cirée, j’ai apprécié à La Nef, l’intensité des acteurs dont la notoriété ne nuit pas, pour une fois, à leur force… ni à leur fragilité.
La scène dans la voiture va bien au-delà de rapports entre frères mais parle vivement de la  peur, de la vérité, de nos destins, de la survie, sans chichi.
Si certains tunnels musicaux m’ont semblé peser sur le rythme des confrontations, les gros plans, les yeux dans la lumière, ajoutent à la puissance des sentiments, aux ambiguïtés qui peuvent alimenter les conversations entre spectateurs.

dimanche 2 octobre 2016

Baron Samedi. Lavilliers.


La voix éraillée de notre Nanar a toujours du charme et si la silhouette puissante a mis du gris à ses tempes, l’anneau à l’oreille est toujours là pour ses admirateurs fidèles
Nous aimons ses traits appuyés, dans le chaloupé :
« Vivre encore
Vivre comme un cri
Cri du sang
De l'amour aussi
Vivre ailleurs
Survivre ici »
Le CD datant de 2013 est titré « Baron Samedi » du nom « du maître du cimetière » dans la vision vaudoue du monde, pour une écriture engagée en Haïti, à qui il consacre une chanson après le séisme :
« Grand squelette de phosphore
La terre tremble sur le port
Downtown
Port-au-Prince dans la poussière
Fracassés les ministères
Downtown »
Pour le rythme, il insiste jusqu’à épuiser le sens des mots
« Y a pas qu’à New York Y a pas qu’à New York »
« Rest’là Maloya Rest’là Maloya »
 Mais il ravive de belles questions :
« Que peut l'art contre la misère noire
La musique contre la solitude
Les artistes contre les habitudes
Que peut l'art
Que peut l'art »
Il est un passeur comme le fut Ferré en redonnant du peps’ à Nazim Hikmet :
« Comme le scorpion mon frère
tu es comme le scorpion
dans une nuit d'épouvante
comme le moineau mon frère
tu es comme le moineau
dans tes menues inquiétudes »
et une seconde jeunesse à  Blaise Cendrars qui disait tellement bien la jeunesse et le monde dans « Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France ».
« En ce temps-là j’étais en mon adolescence
J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissance
J’étais à Moscou, où je voulais me nourrir de flammes
Et je n’avais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux »
27 minutes de bonheur auprès du manchot qui inspira tant le stéphanois mais le fait pâlir un peu quand celui-ci va répétant : « Je connais les îles de San Salvador ».
« Nous ne pouvons pas aller au Japon
Viens au Mexique!
Sur ses hauts plateaux les tulipiers fleurissent
Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil
On dirait la palette et les pinceaux d’un peintre
Des couleurs étourdissantes comme des gongs »


samedi 1 octobre 2016

Tout a une fin, Drieu. Gérard Guégan.

Le livre de 130 pages publié à la NRF que dirigea d’ailleurs Drieu la Rochelle pendant l’occupation, présenté comme fable, est fidèle à la réalité puisque le romancier comme Maïakovski, Crevel et Nerval, se suicida en 1945 après une tentative en 44.
Pourquoi une telle curiosité envers l’auteur du «  Feu follet », adapté par Louis Malle et dernièrement encore au cinéma dans « Oslo, 31 août » ?
Le collabo, publié il y a 4 ans dans la Pléiade, appelle lui même la littérature avec récemment « Les Derniers jours de Drieu la Rochelle » par Aude Terray.
Cette fois l’énergique Guégan qui a déjà écrit sur Aragon et Stendhal met en scène le procès du fasciste dans un théâtre désaffecté.
Je viens de trouver une citation de l’ancien Mao qui écrivait dans « Beau soleil »
« La mort nous apprend à vivre et tout film, tout roman, toute oeuvre d'art participe de la mort. »
Cette tragédie déprimée serait inspirée du « procès de Barrés » joué par le groupe Dada.
« Un enlèvement suivi d’un jugement pour l’exemple. En partisans des fins édifiantes, ils avaient estimé que le vers de Lautréamont, «Toute l’eau de la mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuelle » que ce vers qu’ils avaient si souvent cité à propos de tout et de n’importe quoi allait enfin, appliqué à Drieu, trouver sa justification. »
Il s’agit plutôt d’une forme de débat ultime dans la fumée des cigarettes, alternant avec des moments d’introspection désabusée entre connaisseurs de littérature. Marat, Héloïse, Rodrigue, Maréchal, se partagent les rôles d’avocat et de procureur. Les pseudos devraient beaucoup à Vailland incarné par le dénommé Marat. Mais Drieu, l’auteur de « L’homme couvert de femmes », ami de Malraux est lui-même, son accusateur le plus impitoyable.
« C’est bien là la faiblesse des fascistes. Il leur faut constamment dialoguer avec d’imaginaires forces invisibles. (…) Tout autres sont les communistes de chez Staline qui dédaignent l’abstraction, qui honnissent le mysticisme. Avec eux, un innocent doit se déclarer coupable dans le seul but d’innocenter le tribunal qui va le rayer de l’histoire ».

vendredi 30 septembre 2016

Le fils de Jean. Philippe Lioret.

D’après « Si ce livre pouvait me rapprocher de toi »  de Jean Paul Dubois, le réalisateur de « Welcome » nous embarque au Canada à la recherche des frères d’un vendeur de croquettes pour chiens par ailleurs écrivain, à l’occasion du décès d’un père qu’il n’a jamais connu.
Le film aurait pu tomber dans un mélo des plus pâteux, pourtant le rythme avec des bouffées de violence sans tapage, quoique frappantes, et la pudeur des sentiments rendent cette quête finalement soyeuse.
Il serait regrettable de révéler les surprises ménagées tout au long d’un scénario astucieux où j’ai bien aimé Gabriel Arcand (« Le Démantèlement ») mais je ne partage pas l’emballement général pour l’acteur Pierre Deladonchamps (« L’inconnu du lac ») que j’ai trouvé bien passif, mais c’était peut être voulu : toutes ces nouvelles qui déboulent semblent le concerner à peine.